Chapitre 27
Aspergilloses et autres champignons filamenteux opportunistes
Les aspergilloses et les affections dues aux autres moisissures opportunistes constituent un ensemble nosologique très large et de pronostic variable. Si les atteintes chroniques et immunoallergiques sont connues de longue date dans les services de pneumologie, les infections fongiques invasives sont d’apparition plus récente et constituent une préoccupation majeure dans les services hébergeant des patients immunodéprimés, notamment dans les services d’hématologie. Les atteintes invasives nécessitent une prise en charge et une prévention adaptées, car elles sont généralement de très mauvais pronostic et peuvent être d’origine nosocomiale. Ces affections sont provoquées par des champignons filamenteux cosmopolites, ubiquitaires pathogènes et opportunistes puisqu’ils profitent d’une défaillance naturelle ou iatrogène des systèmes de défense de l’hôte pour devenir pathogènes. L’intensité des facteurs favorisants et le niveau d’exposition à une source environnementale sont déterminants dans la présentation clinique de l’infection. Le spectre clinique s’étend des formes localisées (colonisation ou infections d’évolution souvent chronique), aux atteintes invasives multiviscérales. Il comprend également des manifestations immunoallergiques. Le diagnostic de ces mycoses est difficile et repose sur un faisceau d’arguments cliniques, biologiques et radiologiques.
I Épidémiologie
A Agents pathogènes
Les Aspergillus sont des moisissures à filaments cloisonnés hyalins. Parmi les 300 espèces qui composent ce genre, Aspergillus fumigatus est l’espèce le plus souvent impliquée en pathologie humaine dans les pays tempérés. A. flavus, A. nidulans, A. niger, A. versicolor, A. terreus ou d’autres espèces sont moins fréquemment observées.
• les hyalohyphomycètes (champignons à filaments cloisonnés hyalins), tels que les champignons des genres Fusarium, Scedosporium, Scopulariopsis, Penicillium (particulièrement P. marneffei), Geotrichum… ;
• les phaeohyphomycètes (champignons à filaments cloisonnés pigmentés), tels que les champignons des genres Alternaria, Cladosporium… ;
• les zygomycètes (champignons à filaments non cloisonnés), tels que les mucorales (Lichtemia, Rhizopus, Mucor, Rhizomucor…).
B Réservoir
Les moisissures sont omniprésentes dans notre environnement. La plupart sont phytopathogènes et se développent en saprophytes dans la terre et sur les plantes ou débris végétaux en voie de putréfaction. L’humidité favorise leur survie et leur développement. Elles sont retrouvées dans l’air, sur le sol et les surfaces, dans l’alimentation et parfois dans l’eau. Elles sont donc également présentes dans l’air ou sur les surfaces à l’hôpital, notamment par remise en suspension en cas de travaux (petits travaux ou gros œuvre), et véhiculées par les systèmes de ventilation.
II Physiopathologie
Les moisissures sont des organismes peu virulents mais très opportunistes.
A Pouvoir pathogène
Parmi les principaux éléments qui participent au pouvoir pathogène de ces champignons, on retrouve :
• la petite taille des spores (2 μm à 3 μm de diamètre pour A. fumigatus) leur donnant la possibilité d’atteindre les alvéoles pulmonaires ;
• la thermotolérance (jusqu’à 55 °C pour A. fumigatus), permettant leur développement chez leur hôte à 37 °C ;
• la capacité d’induire des microlésions épithéliales par le biais de toxines nécrosantes et la capacité d’adhérence aux lames basales ainsi découvertes ;
• le tropisme vasculaire (en particulier pour les Aspergillus, les Fusarium et les mucorales) ;
• la production de mycotoxines impliquées dans des processus de sensibilisation responsables de manifestations allergiques.
B Facteurs favorisants
• des facteurs locaux : perte d’intégrité des épithéliums cutanés ou muqueux, notamment l’altération du tapis mucociliaire, cavités préformées… ;
• des facteurs généraux : agranulocytose, neutropénie et/ou diminution de la capacité de phagocytose des macrophages alvéolaires et des polynucléaires neutrophiles (PNN), primitives ou résultant d’immunosuppressions iatrogènes (greffe de cellules souches hématopoïétiques, greffe d’organes solides, immunosuppresseurs, corticoïdes, cytolytiques, antibiotiques…) ou, plus rarement, secondaires à des infections virales ;
• des facteurs environnementaux : toute source de poussière dissémine des spores.
III Clinique
A Aspergilloses de l’appareil respiratoire
1 Aspergillome
Il résulte de la colonisation d’une cavité préformée (le plus souvent secondaire à une tuberculose ou à un cancer) communiquant avec les bronches. Ainsi, une balle fongique, ou truffe aspergillaire, envahit toute la cavité en laissant un espace clair au niveau du sommet (signe radiologique du « grelot ») (fig. 27.1). A. fumigatus est l’espèce le plus souvent incriminée. Toux, expectoration, fièvre résistante aux antibiotiques, asthénie et amaigrissement sont observés. Les hémoptysies récidivantes, parfois cataclysmiques, menacent le pronostic vital.
2 Autres formes localisées
En général de pronostic favorable, le développement fongique peut se produire à différents niveaux :
• sinusien, à l’origine d’un aspergillome sinusien, le plus souvent unilatéral et maxillaire. Ce tableau de sinusite chronique est fréquemment d’origine dentaire (pâte dentaire, extraction). Rarement, il peut évoluer en aspergillose invasive, notamment locorégionale (sinus paranasaux, orbites, cerveau) chez le patient neutropénique ou sous corticothérapie ;
• bronchique, à l’origine de troubles ventilatoires, en particulier chez les enfants atteints de mucoviscidose ;
• pleural, à l’origine d’une pleurésie purulente, par contiguïté ou exogène, secondaire à un drainage ou à un acte chirurgical.