Chapitre 24 Virus West Nile Virus chikungunya et œil
Œil et virus West Nile
ÉPIDÉMIOLOGIE
Le virus West Nile est un virus enveloppé à ARN simple brin du genre Flavivirus, dont font partie le virus de la dengue, le virus de la fièvre jaune ou encore le virus de l’encéphalite japonaise. Son nom provient du district West Nile en Ouganda, où il a été isolé pour la première fois en 1937 chez une femme souffrant d’une forte fièvre. Il a ensuite été détecté chez des hommes, des oiseaux, et des moustiques en Egypte au début des années cinquante. Il a depuis été retrouvé chez l’homme ou l’animal dans de nombreux pays. Il touche l’homme de façon sporadique ou épidémique. Des cas humains de fièvre à virus West Nile ont été rapportés en Afrique, au Moyen-Orient, en Inde, en Europe — épidémies en Roumanie en 1996 : cinq cents personnes furent infectées, avec une mortalité de 10 % — et, plus récemment, sur le continent américain, où une première épidémie s’est déclarée dans la ville de New York en 1999 (soixante-deux cas dont sept décès). En 2002, le virus s’est considérablement répandu aux États-Unis, touchant quatre mille cent cinquante-six personnes dans quarante-quatre États et faisant deux cent quatre-vingt-quatre décès. Il s’agit de la plus grande épidémie répertoriée à ce jour. Le bilan humain reste lourd en 2007, avec trois mille six cent trente cas confirmés dont mille deux cent dix-sept formes neurologiques (33,5 %) et cent vingt-quatre décès (3,4 %). En France, les premiers cas humains et équins ont été diagnostiqués au début des années soixante. Le virus est réapparu chez des chevaux en Camargue en 2000 et sept cas humains ont été recensés en 2003 dans le Var. En 2008, des cas humains et équins ont été rapportés en Italie, en Roumanie et en Hongrie [1].
ÉCOLOGIE ET TRANSMISSION CHEZ L’HOMME
L’infection à virus West Nile est une zoonose, le plus souvent transmise à l’homme par piqûre de moustiques, principalement ceux du genre Culex, avec comme réservoir principal du virus les oiseaux migrateurs, qui jouent un rôle crucial dans la dissémination du virus en permettant le passage du virus West Nile de l’Afrique aux zones tempérées d’Europe et d’Asie au printemps. Là, les moustiques présents s’infectent lors de repas de sang sur ces oiseaux et perpétuent localement le cycle moustiques-oiseaux. Tous les facteurs favorisant la pullulation des moustiques vecteurs (pluies abondantes, irrigation…) sont susceptibles d’augmenter l’incidence de la fièvre à virus West Nile dans les régions où le virus circule. Les mammifères sont considérés comme des hôtes accidentels du virus. Il n’y a pas de transmission interhumaine par les moustiques, mais des cas de transmission transplacentaire, par transfusion sanguine et lors de transplantations d’organe ont été décrits [2].
PRÉSENTATION CLINIQUE GÉNÉRALE
L’incubation dure de trois à quatorze jours. Trois types de présentations cliniques associées au virus West Nile sont observés : asymptomatique, fièvre, méningoencéphalite. Dans la grande majorité des cas, l’infection chez l’homme est asymptomatique (80 %). Les formes symptomatiques de la maladie (20 %) se caractérisent par l’apparition brutale d’une fièvre élevée associée à des céphalées, des myalgies, des manifestations gastro-intestinales et à une éruption cutanée. Les manifestations associées à la phase aiguë de la maladie cèdent en général spontanément en moins d’une semaine. Les formes neurologiques sévères à type de méningoencéphalites potentiellement mortelles étaient initialement rapportées chez 1 % à 1,5 % des patients. Au fil du temps, la proportion de cas avec manifestations de méningite ou d’encéphalite a augmenté, atteignant jusqu’à 29 % des cas [2,3] (tableau 24-I). Les formes neurologiques sévères s’observent notamment chez les personnes âgées et chez les sujets diabétiques. L’augmentation de la sévérité des infections a probablement été favorisée par une accentuation de la virulence des souches virales.
MANIFESTATIONS OPHTALMIQUES
CHORIORÉTINITE MULTIFOCALE
Une choriorétinite multifocale bilatérale, aux caractéristiques cliniques et angiographiques spécifiques, est la manifestation oculaire la plus fréquente de l’infection à virus West Nile (tableau 24-II). Elle serait observée chez 70 % à 80 % des patients avec atteinte neurologique à la phase aiguë de l’infection [4,5]. Le diabète semble être un facteur de risque de développer une choriorétinite multifocale, avec 20 % de patients ayant une rétinopathie diabétique en association avec une choriorétinite multifocale [2,4]. De plus, la choriorétinite semble être plus sévère chez les patients diabétiques, avec des lésions de choriorétinite plus nombreuses et de plus grande taille. La plupart des patients se plaignent de corps flottants ou accusent une baisse d’acuité visuelle modérée. Une hyalite, généralement minime à modérée, est fréquemment observée.
Une disposition linéaire ou curvilinéaire des lésions de choriorétinite est très fréquente (80 % des cas) et quasiment pathognomonique de l’infection à virus West Nile. Ces traînées de lésions sont variables en nombre, allant d’une à plus de trois par oeil, et d’une longueur de 2 mm à 15 mm. Elles semblent suivre l’architectonie des fibres rétiniennes, évoquant selon certains auteurs une propagation neurogène plutôt qu’hématogène et suggérant l’existence d’un continuum avec l’atteinte concomitante du système nerveux central [6]. En revanche, pour d’autres auteurs, la distribution des lésions est superposable à celle des vaisseaux choroïdiens et la choriorétinite résulterait de la dissémination d’emboles septiques au niveau des choriocapillaires pendant les phases de virémie [2].
L’un des points importants est probablement le fait que la présence d’une choriorétinite multifocale typique est fortement suggestive d’une infection au virus West Nile, particulièrement dans un contexte de méningoencéphalite. En effet, dans une étude prospective et contrôlée, Khairallah et al. ont évalué que dans un contexte clinique compatible avec une infection à virus West Nile, la présence d’une choriorétinite multifocale présentant les caractéristiques sus-décrites avait une spécificité de 100 % et une sensibilité de 73 % pour le diagnostic de fièvre à virus West Nile [5]. Dans le sous-groupe de patients avec méningoencéphalite, la sensibilité monte à 88 % et la spécificité demeure inchangée. Ceci souligne l’intérêt de réaliser un examen ophtalmologique devant un tableau de méningoencéphalite compatible avec une infection à virus West Nile.
AUTRES MANIFESTATIONS OPHTALMIQUES
Bien que la choriorétinite soit la manifestation la plus fréquente et la plus caractéristique de l’infection à virus West Nile, d’autres atteintes ont été rapportées (tableau 24-III). Il est important de mentionner les formes avec atteinte vasculaire rétinienne prédominante, survenant principalement chez des patients diabétiques. Ces formes sont caractérisées par la présence d’engainements vasculaires focaux ou diffus associés à des hémorragies rétiniennes et des vascularites occlusives, parfois compliquées de néovascularisation prérétinienne [2,4,7].
Plusieurs cas de neuropathie optique bilatérale avec oedème papillaire ont également été rapportés [4,8]. Ces observations doivent cependant être considérées avec précaution, la valeur de la pression d’ouverture du liquide cérébrospinal n’étant pas précisée par les différents auteurs. Ces oedèmes papillaires pourraient donc également être secondaires à une hypertension intracrânienne induite par la méningoencéphalite. Enfin, des cas d’uvéites anté-rieures bilatérales non granulomateuses avec hyalite mais sans choriorétinite ont été rapportés, ainsi qu’une cicatrice choriorétinienne congénitale secondaire à une transmission intra-utérine de l’infection à virus West Nile.
DIAGNOSTIC
Le diagnostic de l’infection par le virus West Nile requiert une forte suspicion clinique et une certitude biologique. La méthode diagnostique la plus utilisée repose sur la sérologie et la détection d’IgM spécifiques anti-virus West Nile dans le sérum ou le liquide cérébrospinal par technique immunoenzymatique de capture MACELISA. Des réactions sérologiques croisées avec des flavivirus apparentés, tels que le virus de l’encéphalite de Saint-Louis ou le virus de l’encéphalite japonaise, peuvent néanmoins survenir avec cette méthode [3]. D’autres techniques ont également été développées, dont celle de la séroneutralisation par réduction de plages (PRN), qui serait plus spécifique et limiterait les risques de réactions antigéniques croisées avec les autres flavivirus. Les IgM ne traversant normalement pas la barrière hématoméningée, leur détection dans le liquide cérébrospinal témoigne d’une atteinte du système nerveux central. L’acide nucléique viral et les antigènes viraux peuvent également être détectés dans le sang ou le liquide cérébrospinal par la technique de la transcription inverse couplée à une réaction d’amplification en chaîne par polymérase (RT-PCR) [9]. Il s’agit d’une méthode rapide, spécifique et très sensible, permettant un diagnostic précoce pendant la phase de virémie.