24. L’entraînement physique en réadaptation cardiaque

Chapitre 24. L’entraînement physique en réadaptation cardiaque

Michel Lamotte




L’effet d’une activité physique bien dosée sur la santé n’est plus à démontrer, tant en prévention primaire (« que dois-je faire pour rester en bonne santé ? »), qu’en prévention secondaire (« j’ai été victime d’un problème de santé : que dois-je faire pour éviter de récidiver ? »). Pour atteindre un impact significatif, cette activité doit répondre à certains critères : reposer sur l’entraînement dynamique, être progressive, régulière, adaptée, représenter un volume et une intensité suffisante.

Lorsque le traitement est optimal, seul un entraînement bien conçu permet de maintenir ou de retrouver une capacité physique aussi normale que possible. Il s’agit d’un véritable « challenge » entre les mains des kinésithérapeutes.


Prévention primaire


L’activité physique contribue notamment à la prévention des maladies cardiovasculaires (C-V), à lutter contre l’ostéoporose, la perte de masse musculaire, l’obésité et le diabète (tous deux facteurs de risque cardiovasculaire), et permet de diminuer la survenue de certains cancers. De nombreuses études ont quantifié la diminution de mortalité liée à la pratique d’une activité physique régulière. Dans une de celles-ci, réalisée sur près de 17 000 personnes suivies pendant 16 ans, le risque de mortalité était diminué de 27 % pour une pratique d’activité modérée et de près de 50 % pour une pratique plus importante [1].


Prévention secondaire


L’effet de l’activité physique en prévention secondaire (C-V) n’est plus à démontrer. Certaines études ont mis en évidence que des patients s’engageant dans la correction des différents facteurs de risque peuvent présenter, après la réadaptation, un risque relatif inférieur à celui d’une population de même âge et n’ayant pas (encore) eu d’infarctus.

Plusieurs études ont démontré, il y a plus de 15 ans déjà, une réduction de mortalité de 20 à 30 % chez les patients pratiquant la réadaptation comparés aux patients ne s’engageant pas dans un tel programme. Ce bénéfice a, depuis, été démontré dans différentes populations de « cardiaques » (coronariens, valvulaires, ou plus récemment dans le cadre de l’insuffisance cardiaque). Dans une étude particulièrement intéressante [2], 100 patients ayant été victimes d’un accident cardiaque ont été répartis au hasard dans deux groupes ; dans le premier, les patients ont subi une dilatation coronaire ; dans le second, ils ont suivi un programme d’exercices. Après 1 an, et de manière plus marquée encore après 2 et 4 ans, l’évolution des patients du groupe « exercice » était nettement plus favorable que celle du groupe « dilatation », tant en terme de capacité physique (VO2 max) que de réadmission à l’hôpital, de morbidité, de mortalité et même de coût. La « survie sans nouvel événement » à 4 ans était de 70 % dans le groupe « exercice » pour seulement 50 % dans le groupe « dilatation ». Cette étude a été confirmée plusieurs fois et notamment par une équipe belge [3]. Enfin, en ce qui concerne l’insuffisance cardiaque, la méta-analyse « Extramatch » [4] démontre un effet bénéfique de l’entraînement quel que soit l’âge (< ou > 60 ans), la classe fonctionnelle (NYHA I-II ou III-IV), la fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) (< ou > 27 %) ou la capacité fonctionnelle (< ou > 15 mL/kg/min). Ces données sont d’autant plus intéressantes que l’entraînement était considéré comme une contre-indication pour ce type de patients il y a 15 ans [4, 5, 6, 7 and 8].


Réadaptation pluridisciplinaire




Intérêts de la prise en charge pluridisciplinaire


Un soutien psychologique (30 % de dépressions après un événement aigu), diététique (28 % des patients « cardiaques » sont diabétiques, 47 % hypercholestérolémiques, 61 % hypertendus, 38 % obèses), un aménagement de la reprise du travail, ou un soutien pour l’arrêt du tabac (18 % de fumeur) est nécessaire pour de nombreux patients [11, 12]. Cette prise en charge pluridisciplinaire est proposée dans les centres spécialisés. Hors de ces structures, outre la possibilité de référer aux autres paramédicaux en pratique libérale, il est possible de se procurer des fascicules de sensibilisation aux facteurs de risques auprès de nombreuses associations impliquées dans la prévention. De nombreuses publications reprennent les « recommandations » sous ces différents aspects [13, 14 and 15]. Ces informations « papiers » ne remplacent en aucun cas la prise en charge par un spécialiste.


Formation à la réanimation


Tout thérapeute prenant en charge des patients « cardiaques » doit maîtriser les techniques de réanimation et avoir en tête une procédure d’urgence bien réfléchie en cas de « problème ». Cette compétence est bien illustrée dans une étude américaine qui relate que sur 21 arrêts cardiaques (relevés en 5 ans dans 167 centres), 18 ont été réanimés avec succès [16].


Programmation de l’entraînement


Très schématiquement, au cours de la réadaptation, le patient doit apprendre les « bons » et les « mauvais » efforts et les bonnes méthodes de travail pour obtenir un effet protecteur et/ou de lutte contre les facteurs de risque. Il apprend également à se contrôler et à connaître ses limites (qui sont la plupart du temps bien plus élevées qu’il ne le pense). Bien que la capacité physique (VO2 max) augmente classiquement de 10 à 40 % au cours d’une réadaptation « encadrée », le facteur le plus important de ces séances d’exercices est, comme pour le reste de la réadaptation cardiaque, « d’apprendre les règles » et de continuer à les appliquer à long terme.

Afin de réaliser une réadaptation optimale, et donc d’obtenir un « effet protecteur C-V », l’activité physique proposée doit répondre principalement à deux critères : un volume de travail minimum et une intensité suffisante. Bien évidemment, quand on débute un programme, il faut être progressif, mais régulier. Les séances doivent débuter par un échauffement (charges faibles ou gymnastique « douce ») et se terminer par une phase de retour au calme (exercices d’étirement ou de relaxation) [17].


Constitution d’un programme


Le « corps » d’un programme classique de réadaptation se compose d’une partie d’entraînement dit d’endurance et d’une partie de renforcement musculaire. Comme nous le verrons plus loin, le terme « endurance », largement utilisé, ne convient pas tout à fait puisque parfois il s’agit également d’entraîner les filières anaérobies. On devrait plus précisément parler d’entraînement dynamique (ED) ou d’entraînement à visée cardiorespiratoire, et de renforcement musculaire (RM) appelé également au départ de la terminologie anglo-saxonne entraînement résistif. On considère que deux tiers à trois quarts du temps doivent être consacrés à l’ED et le reste au RM segmentaire.


Volume de l’entraînement et relation volume/bénéfice


De nombreuses études ont déterminé la quantité d’effort nécessaire afin d’obtenir un effet de protection C-V. La relation « volume d’exercice/bénéfice C-V », présente clairement un continuum jusqu’à une quantité d’exercices très importante. Dans l’étude faisant référence en ce domaine, Paffenbarger [1] a démontré une baisse de mortalité (totale) de moitié chez les sujets pratiquant l’équivalent de 2 500 kcal/semaine d’activité physique comparés à des sédentaires (< 500 kcal/semaine). On considère, tant en prévention primaire qu’en prévention secondaire, que la « dose idéale » d’exercices doit correspondre à une dépense énergétique de 1 500 à 2 000 kcal/semaine. Au cours des séances de réadaptation, la dépense énergétique dépend de l’intensité de l’entraînement ; une séance « type » permet de dépenser entre 200 et 400 kcal [18] (dont la partie RM ne représente que ± 100 kcal en fonction des charges imposées [19]). Il est conseillé aux patients de compléter leurs séances par une activité physique moins intense (la marche) afin d’atteindre la dépense énergétique hebdomadaire optimale. Dans une étude intéressante, Hambrecht [20] a mis en évidence un arrêt de la progression de l’athérosclérose dans un groupe de patients dépensant 1 500 kcal d’activité physique hebdomadaire (activité intensive), et une régression des lésions coronaires dans un sous-groupe dépensant plus de 2 200 kcal. Bien qu’abordable, peu de patients, et de sujets « sains » d’ailleurs, parviennent à l’objectif fixé dans les recommandations. Un moyen simple de quantifier l’énergie nécessaire lors de la « marche » (entre 3 à 12 km/h) est de considérer que l’on dépense 1 kcal/kg de poids/km parcourus (à plat), soit pour une personne de 70 kg qui parcourt 5 km en 1 h : 350 kcal. On considère également qu’il est plus important d’augmenter la quantité d’exercices par rapport aux habitudes antérieures plutôt que de considérer un chiffre comme « suffisant » en soi et ce, particulièrement pour les sujets totalement sédentaires pour lesquels l’objectif de 1 500-2 000 kcal paraît inaccessible. Il existe actuellement des appareils portables fournissant une valeur de dépense énergétique fiable.

En terme de risques cardiovasculaires, la capacité physique maximale (VO2 max) atteinte est importante mais les améliorations obtenues en cours de réadaptation le sont aussi. C’est ainsi que l’on considère que pour chaque « mL » de VO2/kg/min « gagné », la mortalité cardiaque diminue de 10 % [21] ou que chaque % de VO2 « gagné » est accompagné d’une baisse de mortalité C-V de 2 % [22].

Il ne suffit donc pas de « bouger » (même un volume suffisant), il faut développer sa capacité physique (VO2 max) pour obtenir ce « gain de survie », associé à un gain fonctionnel. Il est dès lors important de considérer l’effet « intensité/bénéfice ».


Intensité de l’entraînement et relation « intensité/bénéfice »


Si l’effet « volume d’exercice/bénéfice C-V » abordé ci-dessus est connu depuis longtemps, l’effet « intensité de travail/bénéfice » a été mis en évidence plus récemment. S’il est vrai que le travail à basse intensité induit certains bénéfices (effet sur le poids, baisse du « mauvais » cholestérol, effet sur l’hypertension artérielle), le travail à haute intensité engendre des bénéfices plus importants sur ces mêmes paramètres. Plusieurs travaux ont comparé des quantités équivalentes d’exercices hebdomadaires réalisés à des intensités différentes afin de dégager cette relation intensité/bénéfice. Dans une méta-analyse publiée en 2006, Swain [23] démontre cette relation tant pour la capacité physique que pour d’autres paramètres métaboliques tels que le diabète, le BMI, la pression artérielle (PA), les lipides sanguins ou le cholestérol. D’autres études se sont intéressées uniquement à la relation intensité/bénéfice en termes de VO2 max et sont aussi éloquentes [24 and 25].


Épreuve d’effort et dosage de l’intensité


Lors de l’ED, la notion d’intensité est « facilement dosable » par la mesure de la fréquence cardiaque : on parle de FC cible.

Cette FC cible peut être calculée au départ de la formule d’Astrand : FC max = 220 – âge. Cette formule n’est absolument pas applicable pour, entre autres, une personne qui prend des médicaments influençant la FC et/ou la PA, comme c’est le cas de nombreux patients « cardiaques ». Afin de programmer au mieux un entraînement, il est impératif d’obtenir une épreuve d’effort (EE) :




– au-delà de 40 ans pour les hommes et de 50 ans pour les femmes ;


– en présence de médication influençant la FC ou la PA ;


– en présence de facteurs de risque C-V (tabac, obésité, cholestérol, etc.) ;


– en présence de pathologie C-V.

Cette EE peut être une EE dite « simple ». Dans ce cas, on réalise une épreuve sur vélo ou tapis roulant, qui consiste en une augmentation progressive de la charge imposée en observant l’ECG et la PA. L’arrêt de l’effort sera déterminé par la symptomatologie ou la décision du médecin. Si la technique est disponible, il est préférable de réaliser une « ergospirométrie » au cours de laquelle seront observées, en plus des paramètres obtenus lors d’une épreuve « simple », les variables ventilatoires et métaboliques. Elle fournit de nombreuses informations permettant de mieux discerner le facteur limitant à l’effort et de programmer plus précisément l’entraînement. Cette épreuve fournit également plusieurs facteurs pronostiques importants (VO2max, seuil anaérobie, les pentes Ve/VCO2, Ve/VO2, VO2/W, les ERO2 et PetCO2 maximaux et au seuil anaérobie, etc.) [26, 27]. Une deuxième EE doit être proposée après environ 3 mois d’entraînement afin d’évaluer les bénéfices mais également de revoir éventuellement la programmation du dit entraînement.





– la FC atteinte au seuil ventilatoire (surtout en pneumologie), ou au seuil anaérobie ;


– l’échelle de dyspnée ou l’échelle de Borg ;


– la FC max atteinte.

Nous détaillerons par la suite essentiellement la programmation utilisant les pourcentages de la FC max atteinte lors de l’ergospirométrie ou de l’épreuve « simple ».

Il est important de surveiller la FC, au moins lors des premiers entraînements. Outre un ECG simplifié utilisé lors des premières séances, un système de monitoring (portable et personnel) peut être proposé aux patients. Ce monitoring permet au patient de « doser » ses efforts grâce au contrôle fiable d’un paramètre physiologique. Toutefois le patient devra progressivement apprendre à se passer de ce contrôle systématique et s’entraîner « à la sensation ». Il faut également évaluer la PA, tant au repos qu’à l’effort.

Afin d’atteindre un volume suffisant, l’ED devrait durer au minimum 20 à 30 min. Il est très rare qu’un patient ne soit pas capable de s’exercer ce temps défini pour autant que les charges de travail soient bien choisies. Classiquement, les niveaux d’intensité proposés dans la littérature afin d’améliorer la capacité physique sont compris entre 40 et 85 % de la VO2 max, correspondant à 63 à 93 % de la FC max. Chez le patient, l’intensité la plus couramment appliquée est comprise entre 70 et 90 % de la FC max mesurée lors de l’EE.


Entraînement continu et entraînement par intervalles


L’entraînement continu (sans modification de charge) utilise des charges amenant la FC dans une zone comprise entre 70 et 85 % de la FC max atteinte lors de l’EE.

Pour le travail en intervalles (avec modifications de charge au cours de l’entraînement), l’intensité de chaque phase dépend de leur durée et peut varier d’un rapport 30 s (difficile)/30 s (facile) à un rapport 4 min/4 min. La durée des phases de récupération est au minimum aussi longue que la durée des phases intenses. Les phases de récupération ne doivent toutefois pas être trop aisées afin de permettre une élimination optimale des lactates accumulés pendant la phase intense [28]. En réadaptation, un rapport 2/1(récupération/phase intense) est souvent proposé. Pratiquement, le travail en intervalles propose, par exemple, des alternances de charges faisant varier la FC entre 80-90 % de la FC max en charge dite « haute » (période intense, pendant 2 min) et 65-75 % en charge dite « basse » (ou de récupération, pendant 4 min). Le temps total sera équivalent au temps proposé pour un travail continu. Les avantages du travail par intervalles sont, entre autres :




– une moins grande lassitude ;


– un travail à intensité plus élevée pour une fatigue moindre ;


– un effet plus marqué sur le seuil anaérobie et la VO2 max.

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Oct 9, 2017 | Posted by in IMAGERIE MÉDICALE | Comments Off on 24. L’entraînement physique en réadaptation cardiaque

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