24: Jeu pathologique et approche neuroéconomique

Chapitre 24 Jeu pathologique et approche neuroéconomique




Introduction


À première vue, un chapitre traitant de neuroéconomie dans un ouvrage sur le jeu pathologique peut surprendre. Pourtant la théorie économique s’applique à tout individu qui doit prendre des décisions : privilégier une possibilité entre plusieurs, en fonction de ses croyances et de ses préférences. Un premier niveau de choix est celui des sociétés, où s’opèrent les interactions entre agents économiques. Les sciences économiques en ont classiquement fait leur sujet d’étude et ont élaboré de nombreux modèles pour en rendre compte. Les trois autres niveaux sont d’ordre individuel et concernent le comportement d’un sujet, ses états mentaux et enfin son activité cérébrale. Pris au sens strict, le comportement est ce qui est observable et historiquement le plus facilement étudiable. Les états mentaux sont du ressort des expériences de psychologie expérimentale au sens large et de psycho-économie. Les croyances et les représentations du monde interne et externe d’un individu sont des exemples d’états mentaux. Les croyances peuvent être réactualisées au cours du temps grâce à différents mécanismes d’apprentissage. Les émotions sont également des états mentaux dont la définition, bien que subjectivement évidente, reste discutée. Les neurosciences cognitives tentent de rapprocher la description des processus mentaux étudiés par la psychologie de leur implémentation dans le cerveau. Les différents signaux cérébraux enregistrés par des techniques des neurosciences, comme l’IRM fonctionnelle, permettent d’étudier les modifications du fonctionnement cérébral associées aux états mentaux manipulés par une procédure expérimentale. La neuroéconomie tente plus spécifiquement de faire un pont entre les signaux cérébraux et les états mentaux impliqués dans les contextes de choix. Pour ce faire, elle tente de réaliser un dialogue entre modèles économiques classiques du choix et l’observation de leurs corrélats neuronaux chez le sujet sain ou souffrant d’une pathologie supposée entraver ce choix, comme dans le jeu pathologique (Kable et Glimcher 2009). C’est donc une double approche, descendante, provenant des modèles économiques, et inductive, issue de la clinique en suggérant de nouvelles variables explicatives.



Éléments de la théorie de la décision et des bases neurales associées


La théorie de la décision identifie plusieurs étapes dans le choix. Dans une situation donnée (exemple : être à la maison de la presse), nous sommes en possession d’informations diverses en provenance d’états internes (exemple : fébrilité, tristesse) et externes (exemple : acheter un jeu de grattage ou juste le journal) pour pouvoir recenser les options de choix (exemple : jouer ou non). Puis, nous assignons une valeur (j’ai très envie de jouer ou je n’ai pas envie) et une probabilité d’occurrence (c’est peu probable que je gagne) à chaque option. Pour faire notre choix, nous comparons avec une même grandeur les options et sélectionnons l’option qui maximise cette grandeur, appelée utilité. L’utilité combine la valeur intrinsèque pour une option à la probabilité qu’elle se réalise. Les conséquences du choix réalisé sont ensuite évaluées ; ce retour d’expérience permet d’optimiser chaque étape de la prise de décision pour les choix futurs : nous apprenons (Pessiglione et al., 2006). Dans les expériences de laboratoire, les conséquences des choix aboutissent généralement à des gains ou des pertes monétaires, et les choix du sujet correspondent à la maximisation de l’utilité, qui prend dans ce cas la forme simple d’un profit monétaire : les choix visent à gagner le plus d’argent en limitant les pertes. De nombreux résultats expérimentaux prouvent l’implication spécifique de certaines régions cérébrales à différentes étapes de la décision (Rangel et al., 2008). À titre d’exemple, le système d’attribution de la valeur serait composé du striatum ventral, du cortex orbito-frontal et du cortex cingulaire postérieur pour les situations appétitives (Schultz et al., 1997 ; Lebreton et al., 2009 ; Palminteri et al., 2012) et plutôt de l’amygdale pour les situations aversives (Paulus et al., 2003). Il existe au moins trois modulateurs de ce système de choix basé sur les préférences et qui pourraient être impliqués dans les pathologies addictives : l’évaluation du risque des différentes options, celui du délai entre action et récompense et enfin le contrôle cognitif.


L’évaluation du risque illustre bien le dialogue de la démarche en neuroéconomie. Économistes et cliniciens n’ont pas la même définition de ce concept. Dans le jeu pathologique, il correspond à un comportement pouvant avoir des conséquences négatives pour un individu. En économie, le risque ne caractérise pas une valence contrairement à la connotation négative du clinicien, mais correspond à l’incertitude associée gains/pertes possible. Dans la théorie économique, les agents sont supposés rationnels, en cela que leurs choix doivent refléter la stricte maximisation de l’utilité. Cependant, cette simple règle de choix ne permet pas de rendre compte de la forte aversion au risque lors des jeux pouvant conduire à des pertes (Rabin, 2000). Ces écarts entre la rationalité supposée et le comportement peuvent être partiellement corrigés en adaptant un peu la théorie. L’utilité n’est plus calculée avec la probabilité et la valeur objectives, réelles des événements, mais avec une probabilité et une valeur déformées correspondant à la représentation que s’en fait le sujet : on parle de valeur et de probabilité subjectives (Kahneman et Tversky, 1979).

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May 23, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 24: Jeu pathologique et approche neuroéconomique

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