23 Procédures échoguidées pour douleurs chroniques
Les techniques en rapport avec les douleurs chroniques sont soit diagnostiques, soit thérapeutiques. Les blocs diagnostiques ne facilitent pas l’identification du mécanisme de la douleur, seulement l’origine anatomique de la douleur. Ils consistent à injecter une très petite dose d’anesthésique local directement à côté des nerfs innervant la zone anatomique à l’origine de la douleur. Une diminution de l’intensité de la douleur, possiblement associée à une amélioration fonctionnelle, indique que la région innervée peut être à l’origine de la douleur. Cette pratique a été largement validée pour le diagnostic des douleurs de l’articulation zygo-apophysaire (ou interapophysaire postérieure), pour lesquelles ni l’examen clinique, ni les techniques d’imagerie ne procurent de diagnostic fiable [1]. D’autres techniques diagnostiques incluent l’injection intra-articulaire d’anesthésique local pour différents types de pathologie articulaire [2], ainsi que la discographie pour le diagnostic de déplacement du disque intervertébral [3].
Il existe plusieurs types de techniques thérapeutiques, incluant la neurotomie par radiofréquence pour les douleurs de l’articulation zygo-apophysaire, les injections foraminales de corticoïdes pour les douleurs radiculaires [5], les injections intra-articulaires de corticoïdes [2], l’annuloplastie électrothermique intradiscale pour les déplacements du disque intervertébral [3], la stimulation de la moelle épinière [6], les opiacés intrathécaux par l’intermédiaire de pompes implantées [7], la neurolyse chimique [8] et la cryo-analgésie [9]. Les procédures, thérapeutiques et diagnostiques, nécessitent une grande précision dans le positionnement des instruments. Pour les blocs nerveux diagnostiques, il est essentiel que l’aiguille soit placée aussi près que possible des structures nerveuses cibles et que la dose d’anesthésique local injectée soit la plus faible possible. L’échec en la matière est à l’origine d’un manque de sélectivité avec un fort taux de faux positifs. Les mêmes principes s’appliquent à l’utilisation des agents chimiques neurolytiques, tels que l’alcool ou le phénol : le positionnement approximatif de l’aiguille ou la diffusion excessive de la solution injectée peut entraîner la neurolyse d’autres structures avec des complications possibles. Pour les procédures de radiofréquence ou de cryo-analgésie, la sonde doit être placée à proximité immédiate du nerf cible, étant donné que la lésion est située autour de l’extrémité active de la sonde. Un positionnement approximatif entraîne invariablement un échec de traitement ou peut être à l’origine de complications sévères. Il est évident que nombre de techniques utilisées dans les douleurs chroniques ne doivent pas être réalisées à l’aveugle, c’est-à-dire simplement basées sur des repères anatomiques de surface. L’algologue peut réaliser la plupart des procédures interventionnelles efficacement et en sécurité avec la seule aide des techniques d’imagerie.
Infiltration des zones gâchettes
Il n’y a pas d’accord sur la définition des zones gâchettes dans les douleurs chroniques. Il n’y a pas non plus de méthode diagnostique validée pour détecter ces zones gâchettes. La zone gâchette musculaire est douloureuse à la compression et peut déclencher des douleurs projetées (c’est-à-dire des douleurs à distance de la zone de stimulation), une dysfonction motrice et des phénomènes impliquant le système nerveux autonome [10]. Chez les patients présentant des points musculaires douloureux, les critères diagnostiques précités ne sont souvent pas remplis et, de ce fait, ils peuvent être nommés « points sensibles ». Les points sensibles sont associés à une douleur de la zone de palpation sans nécessairement déclencher une douleur projetée ou des phénomènes associés. Il n’est pas encore clairement établi si les points douloureux sont la résultante de changements pathologiques au niveau même du site de la douleur ou bien si ces points sont la résultante d’une douleur projetée.
Technique d’injection
Pour les injections échoguidées au niveau des zones gâchettes, la position du patient dépend du site d’injection. Sur la figure 23.1, le point de ponction se situe au niveau paravertébral en dedans de l’épaule. Le patient est placé en décubitus ventral. L’opérateur se tient du côté à bloquer. Pour la réalisation de l’injection échoguidée au niveau de la zone gâchette, l’écran de l’échographe est placé au-dessus de l’épaule, du côté devant être bloqué. Le balayage échographique, au moyen d’une sonde linéaire (13 MHz MicroMaxx®, SonoSite, Bothell, États-Unis), peut permettre d’identifier l’endroit ayant la sensibilité maximale. Dans la région thoracique paravertébrale, la sonde échographique est maintenue dans une orientation transverse (figure 23.2). Le balayage échographique doit être effectué de dehors (latéral) en dedans (médial). Le bord médial de l’omoplate se présente comme une fine ligne hyperéchogène avec perte de l’image en profondeur (figure 23.3). La peau est désinfectée avec une solution antiseptique et des champs stériles sont apposés. La sonde d’échographie est introduite dans une housse stérile (CIVCO Medical Instruments, Kalona, États-Unis) avec du gel échographique (Aquasonic®, Parker Laboratories, Fairfield, États-Unis). Une couche de gel est appliquée entre la housse stérile et la peau. Une anesthésie locale est réalisée à distance de la sonde d’échographie de façon à améliorer l’asepsie et à permettre un angle d’approche tangentiel pour améliorer la visualisation de l’aiguille. Une aiguille de 22 gauges de 50 mm de long est introduite parallèlement au faisceau d’ultrasons (figure 23.4). Lors de cette approche, l’opérateur peut faire glisser ou incliner la sonde de façon à maintenir, autant que possible, l’extrémité de l’aiguille visible. La plèvre est visualisée en permanence. L’aiguille est avancée jusqu’à ce qu’elle atteigne la zone musculaire ciblée. On confirme par échographie le bon positionnement de l’extrémité de l’aiguille au niveau de la zone musculaire désirée. Le patient indique aussi qu’il s’agit d’une zone douloureuse. Les doses-tests permettant d’évaluer la diffusion d’anesthésique local doivent être faibles (0,5–2 ml). Si la diffusion de l’anesthésique local n’est pas visualisée à l’écran, l’injection doit être stoppée. L’anesthésique local apparaît comme une plage hypo-échogène (figure 23.5). Si une solution de corticoïdes est utilisée, elle apparaît comme une plage hyperéchogène.
Figure 23.2 Orientation de la sonde échographique lors de la réalisation d’une injection au niveau d’une zone gâchette.
Pratique basée sur les preuves
Les preuves scientifiques concernant l’efficacité de l’injection de sérum physiologique, d’anesthésique local ou de la simple ponction des zones gâchettes ou des zones sensibles sont peu solides. Néanmoins, elles sont largement utilisées dans le cadre du traitement des patients présentant des douleurs musculosquelettiques. Récemment, la réalisation d’injections non spécifiques a été à l’origine de résultats impressionnants dans le cadre des lombalgies chroniques, suggérant que les traitements non spécifiques puissent avoir une valeur dans ce type de douleurs [11]. Une des explications possibles pour le peu d’effet des infiltrations des zones gâchettes/zones sensibles réside peut-être dans le fait qu’il est difficile d’injecter spécifiquement la zone cible. La localisation précise et l’infiltration des structures profondes peut être problématique. Il est aussi difficile d’infiltrer toutes les couches musculaires et les fascias correspondant au point douloureux. Une approche possible est d’injecter un grand volume de la solution lors du retrait de l’aiguille, ce qui peut augmenter le risque de toxicité des anesthésiques locaux, en particulier lorsque plusieurs points sont infiltrés. Une approche alternative consiste à réaliser une infiltration de la zone gâchette/zone sensible sous échographie. Dans certains cas, il est possible de visualiser un spasme musculaire lorsque l’aiguille pénètre la zone gâchette du muscle cible [12]. Différents muscles et fascias peuvent être infiltrés sélectivement. Un avantage supplémentaire de cette méthode est le fait d’éviter de pénétrer par inadvertance dans les structures profondes [13,14], en particulier au niveau des régions thoraciques et cervicales basses, où l’imagerie échographique pourrait éviter une ponction de la plèvre qui peut se trouver à seulement quelques millimètres en profondeur par rapport aux muscles cibles. De la même façon que pour les indications précédentes, l’échographie ne constitue pas une technique permettant de justifier le recours à des modalités thérapeutiques controversées, mais elle constitue plutôt une technique additionnelle pour les praticiens croyant à l’efficacité des infiltrations des zones gâchettes/zones sensibles.
Infiltrations de l’articulation sacro-iliaque
Il est difficile de pénétrer dans l’articulation sacro-iliaque avec une aiguille, en raison de sa configuration complexe. Dans une étude en double insu, Rosenberg et al. [15] ont rapporté la réalisation d’injections de l’articulation sacro-iliaque guidées cliniquement et contrôlées par TDM. Dans cette étude, le taux d’injections intra-articulaires était de 22 %. Ce taux très bas indique que cette technique guidée cliniquement doit être utilisée avec parcimonie et qu’un guidage par imagerie est nécessaire afin de réaliser de façon fiable une injection au niveau de l’articulation sacro-iliaque.
Technique d’injection
Pour l’injection échoguidée au niveau de l’articulation sacro-iliaque, le patient est placé en décubitus ventral. Un coussin est placé en dessous de l’abdomen de façon à effacer la lordose lombaire. L’opérateur se tient du côté à bloquer (figure 23.6). L’écran de l’échographe est placé du côté bloqué. La sonde basse fréquence (C60e, 4–5 MHZ) curvilinéaire (MicroMaxx®, SonoSite) est optimale pour la réalisation d’une injection au niveau de l’articulation sacro-iliaque. Une sonde haute fréquence peut être utilisée chez l’enfant et l’adulte de petit gabarit. Au niveau du hiatus sacré, la sonde échographique est orientée en position transverse (figure 23.7). Un balayage échographique de dehors en dedans depuis le hiatus sacré permet d’identifier le bord latéral du sacrum. Ce rebord osseux est suivi en direction céphalique avec la sonde échographique maintenue en position transverse. Un second rebord osseux, l’ilion, est alors identifié. La fente entre ces deux rebords osseux constitue l’articulation sacro-iliaque (figure 23.8). La peau est désinfectée avec une solution antiseptique et des champs stériles sont apposés. La sonde d’échographie est introduite dans une housse stérile (CIVCO Medical Instruments) avec du gel échographique (Aquasonic®, Parker Laboratories). Une couche de gel est appliquée entre la housse stérile et la peau. Une anesthésie locale est réalisée au niveau du bord interne de la sonde. Une aiguille de 22 gauges pour rachi-anesthésie est insérée dans le plan des ultrasons (figure 23.9). L’aiguille est avancée de dedans en dehors jusqu’à ce qu’elle soit positionnée dans l’articulation sacro-iliaque (figure 23.10). Une fois que la position intra-articulaire de l’extrémité de l’aiguille est confirmée par échographie, la solution peut alors être injectée. La visualisation de l’injection de la solution est difficile en raison des contours osseux et du faible volume utilisé. L’anesthésique local apparaît comme une image hypoéchogène. Si une solution de corticoïdes est utilisée, elle apparaît de façon hyperéchogène.
Pratique basée sur les preuves
À ce jour, de nombreuses études ont rapporté l’efficacité thérapeutique, ainsi que les effets favorables à court et long terme des injections guidées par fluoroscopie, TDM et imagerie par résonance magnétique (IRM) au niveau de l’articulation sacro-iliaque [16–19]. Arslan et al. [20] ont montré que la partie postérieure de l’articulation sacro-iliaque pouvait être visualisée à l’échographie Doppler couleur et puissance. Ils ont étudié la vascularisation à l’intérieur et autour de l’articulation dans le cadre du diagnostic de sacro-illite aiguë ainsi que pour la surveillance de la réponse thérapeutique ; cependant, ils n’ont pas réalisé d’injection à visée thérapeutique. Pekkafahli et al. [21] ont étudié la faisabilité et l’efficacité des injections échoguidées au niveau de l’articulation sacro-iliaque. Leur intention n’était pas de comparer leur taux de succès avec les autres modes de guidage, tels que la fluoroscopie, la TDM ou l’IRM. De plus, l’efficacité thérapeutique et les résultats cliniques n’étaient pas rapportés.
Pekkafahli et al. [21] ont rapporté des difficultés avec la technique échoguidée. Au début de l’étude, ils n’étaient pas toujours capables de distinguer clairement les structures anatomiques et le taux d’injection intra-articulaire n’était pas satisfaisant. Certaines des difficultés étaient dues aux limites de l’échographie, telle que la forte réflexion de l’os qui empêche toute visualisation des structures internes osseuses et articulaires. De plus, en cas d’interligne articulaire étroit, il était difficile d’identifier la fente hypo-échogène représentant l’espace articulaire. Avec l’expérience acquise, Pekkafahli et al. [21] ont pu voir leur taux de succès passer de 60 % (lors des 30 premières injections) à 93,5 % (lors des 30 dernières injections). Ils utilisaient des aiguilles de taille 20 gauges, ce qui est tout de même une taille assez importante ; cela permettait d’obtenir une visibilité suffisante et l’échogénicité de l’extrémité de l’aiguille facilitait le recours à la technique échographique.