Chapitre 23. Périnatalité (maternité et néonatalogie)
Introduction
La maternité enfante autant d’ombre que de lumière
PérinatalitéMaternitéNéonatalogieLa médecine est aujourd’hui capable de toutes sortes d’interventions sur le corps (au moment de la procréation, avant la naissance ou dans les tout premiers temps de la vie) qui ajoutent à la réalité des problèmes inédits. Ceux-ci semblent parfois dépasser les limites de ce qui est représentable. Ainsi, médecins et parents se trouvent parfois pris de vertige face à des questions qui les amènent au-delà de ce qui peut être pensé (Ansermet, 1998).
Par ailleurs, les services de maternité et de néonatalogie, par leurs investissements, leurs motivations et leurs réussites, confortent les parents dans l’idée que le fœtus ou le nouveau-né est un bien de plus en plus précieux qui pourrait être livré avec «certificat de garantie et service après-vente» (Nezelof, 1992). Ces assurances, si elles viennent à défaillir, plongent les parents dans une détresse d’autant plus profonde qu’ils n’y étaient pas préparés. Entre la vitrine céleste de ce temple moderne de la fécondité et la triviale arrière-boutique de ses drames quotidiens (fausses couches, mort fœtale, révélations d’anomalies, grossesses pathologiques, accidents prénataux, séparation néonatale de la mère et du bébé, annonce de handicap…), le contraste est parfois grand. Entre l’utopie scientiste de la totale maîtrise et le fatalisme de la répétition maléfique à travers les générations, l’élan créateur de la maternité et la prévention expriment fidèlement l’alliage humain d’Éros et Thanatos (Missonnier, 2007).
Ainsi, avancées médicales et quête de l’idéal ne vont pas sans créer des problèmes nouveaux aux conséquences psychodynamiques importantes et peut-être encore sous-estimées.
Pédopsychiatres et psychologues en périnatalité
La présence de pédopsychiatres ou psychologues au sein des services de gynécologie-obstétrique et de néonatalogie est relativement récente et disparate. Elle semble reposer sur plusieurs points, parmi lesquels : l’évolution des mentalités (médicales, sociales, culturelles), la multiplication des travaux cliniques et le meilleur repérage des situations à risque pour les mères et leurs bébés, une meilleure connaissance des interactions précocesInteractions précoces entre mère et bébé et de la parentalité, et sans doute une certaine précarité de la population. À cela, il faut ajouter le développement de la médecine dans le champ de procréation médicalement assistée (fécondation in vitro (FIV)Fécondation in vitro (FIV), injection intra-cytoplasmique de spermatozoïdes (ICSI, pour intracytoplasmic sperm injection), insémination artificielle avec don de sperme (IAD)…) et dans le domaine de la néonatalogie (soins intensifs, prématuritéPrématurité de plus en plus grande), qui favorise la survenue de plus en plus fréquente de situations parfois extrêmes, source de souffrance psychique pour les couples et certains parents.
Effet de mode ou de bonne conscience? Luxe ou nécessité? Partie intégrante de l’équipe ou partenaire extérieur appelé au cas par cas? Pédopsychiatres et psychologues interviennent dans ces services, avec des statuts et des fonctions variées et multiples. Leur présence est parfois rendue obligatoire par la loi (diagnostic prénatalDiagnosticprénatal (DPN)). Elle peut répondre ailleurs au choix d’une équipe ou à la volonté d’un chef de service. Ainsi, leur rôle est très variable d’une équipe à l’autre et très lié à l’histoire locale et aux structures existantes : maternités classiques, unités d’hospitalisation mères-bébésUnité mères-bébés, consultations conjointes PMI-pédopsychiatrie, réseaux de soinsRéseau (de soins) périnataux, home, centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) mèresbébés… Quoi qu’il en soit, on peut penser qu’il n’existe pas, aujourd’hui, de maternités ou de services de néonatalogie travaillant sans la collaboration de psychologues ou d’un pédopsychiatre. On rappelle cependant l’importante et préoccupante disparité institutionnelle et géographique de ces organisations et structures de soins périnataux.
Récemment, plusieurs textes officiels nationaux ont fait état de la situation en France et établi des préconisations quant à la place et aux fonctions des psychiatres et psychologues en maternité. Il s’agit du plan «Périnatalité 2005-2007», qui met l’accent sur «une meilleure prise en compte de l’environnement psychologique de la naissance», du rapport de la Haute Autorité de santé (HAS, 2005) portant les recommandations pour la pratique clinique concernant la préparation à la naissance et à la parentalité, et de la circulaire DHOS-DGS no 2005-300 relative à la promotion de la collaboration médico-psychologique en périnatalité.
Parmi les grandes fonctions attendues de ces professionnels dans le champ de la périnatalité, on retient principalement : le dépistage précoceDépistage précoce des facteurs de risque (cliniques et infracliniques) de certaines grossesses, la prévention de troubles psychologiques et psychiatriques chez les bébés et leurs parents, les soins psychologiques avant et après l’accouchement, la mise en place de relais et de liens avec les équipes de secteurs (PMI, pédopsychiatrie, secteur social…), le soutien aux équipes soignantes (particulièrement en néonatalogie), la formation du personnel, la participation à des décisions éthiques et la participation à des travaux de recherches. La diversité de ces fonctions et la complexité des problèmes rencontrés imposent de privilégier la présence d’un psychologue ou psychiatre expérimenté. Ce professionnel, par sa compétence et par l’énonciation réitérée de son désir de comprendre les prémices de la vie psychique, validera une présence sans soulever fantasmes et culpabilité.
Maternité
Spécificités du lieu et de l’organisation
La maternité est un lieu bien particulier; un lieu de naissance, un lieu de vie et de bonheur. C’est un des seuls services de l’hôpital où la majorité des patientes sont hospitalisées alors même qu’elles sont en bonne santé. C’est un lieu de femmes et de sages-femmes, où la place des hommes est parfois accessoire. Car même si la place du père est de plus en plus prise en compte (This, 1980; Le Camus, 2000), la maternité reste une histoire de femmes. D’ailleurs, en 2009, ce que l’on attend du père à la maternité, c’est bien qu’il materne.
Aujourd’hui, si le regroupement des maternités permet une meilleure sécurité médicale pour les femmes et leurs bébés, le risque est grand de créer des «usines à bébés». De plus, à l’augmentation du nombre d’accouchements par maternité, s’ajoute le raccourcissement des temps d’hospitalisation (trois jours en moyenne), qui réduit d’autant les chances de rencontrer les mères vulnérables ou les bébés fragiles. Les signes de souffrance «ordinaires» risquent d’être ignorés ou banalisés et d’évoluer de façon torpide et insidieuse. Or, il existe des situations à risque. Et si la grossesse n’est pas une maladie, elle reste une période de vulnérabilité pour la femme. D’un point de vue psychologique, cette période prénatale s’affirme comme une mise à l’épreuve des fondations identificatoires et, à ce titre, c’est un moment privilégié de résurgences des traumatismes.
Spécificités de la demande
DemandeLes demandes adressées au psychologue et au pédopsychiatre sont extrêmement variées et concernent des problématiques qui se jouent aussi bien en amont de la grossesse que pendant ou au décours immédiat.
Avant la grossesse
GrossesseIl s’agit principalement de l’assistance médicale à la procréation (AMP)Assistance médicale à la procréation (AMP) : FIV, IAD, ICSI… La médecine intervient alors dans la naissance humaine et il est question de sexualité, d’intimité et d’histoires de couples. Les demandes sont de plusieurs ordres : demande de «feu vert» pour débuter un protocole chez un couple en difficulté, demande d’accompagnement de turbulences émotionnelles d’un couple épuisé ou encore demande d’apaisement des violences ressenties par l’équipe. Les problématiques sont complexes, les enjeux sont grands et il y a bien sûr danger à répondre trop vite à ces demandes, légitimes mais tellement difficiles. Ce travail du psychologue ou psychiatre ne s’improvise pas et nécessite donc des réflexions partagées, pluriprofessionnelles et au long cours.
Pendant la grossesse
Les demandes concernent le diagnostic prénatal, les grossesses pathologiques, les morts in utero, les décisions d’interruption volontaire de grossesse (IVG)Grossesseinterruption volontaire de (IVG), d’IMG, les avortements, les accouchements sous X, les abandons, les grossesses à l’adolescenceGrossesseà l’adolescence, les addictions et les pathologies psychiatriques. Là encore, le psychologue et le pédopsychiatre sont régulièrement invités à donner un avis ou à partager une réflexion autour d’une situation problématique.
Au décours immédiat
Le psychologue ou pédopsychiatre est interpellé le plus souvent en urgence, lors de la découverte fortuite d’une affection grave touchant le bébé ou d’une décompensation psychique concernant la mère. Ces circonstances sont rares et souvent le fait de l’accouchement de femmes inconnues des sages-femmes ou des obstétriciens.
Du côté de l’équipe
Dans la plupart des demandes, l’ambivalence est patente. En effet, le psychologue ou pédopsychiatre est souvent sollicité dans des situations impossibles, telle la demande de l’accompagnement d’une femme enceinte, toxicomane et psychopathe, avec de graves antécédents de carences affectives et qui ne vient pas à ses rendez-vous de consultations systématiques de grossesse. Le psychiatre est à la fois idéalisé dans une forme de toute-puissance magique et dénié du fait de son manque d’efficacité apparente. Cela illustre l’importance et l’intérêt d’un travail partagé régulier entre soignants de la maternité, psychologues et psychiatres (staffs, réunions), afin de bien se connaître et non de se découvrir à l’occasion d’une urgence, et en vue de faire évoluer les représentations et la précision des demandes adressées aux psychologues et psychiatres.
Une autre problématique présente dans les demandes de consultations concerne la place et le statut faits au fœtus ou au bébé virtuel. Le fœtus est tantôt perçu comme un «sujet» exposé à l’échographie, surexposé lors des réunions du diagnostic prénatal, agrafé dans l’album de famille, et en risque permanent d’une imprudente accélération du processus d’humanisation; tantôt comme un amas de cellules, un «débris humain» qui, du fait de malformationsMalformation repérées, vont valider le choix d’une IMG, quel que soit le terme. Il y a là une extrême tension, un chemin de crête périlleux entre le rien, la chose innommable, le monstrueux et le virtuellement humain (Missonnier, 2007).
Cela amène à adresser des demandes improbables, à poser des questions impensables il y a quelques années et à se trouver devant des choix impossibles. Il nous faut plus que jamais accepter qu’il y ait des questions sans réponse sans que pour autant cela nous réduise à l’impuissance.
Ces situations peuvent cependant provoquer des clivagesClivage au sein des équipes du fait d’identifications projectives massives; identifications au bébé pour certains professionnels, à la mère pour d’autres. Jusqu’où peut-on valider le choix d’une demande d’IMG devant une malformation minime? Jusqu’où peut-on accéder à la demande d’une femme en détresse psychologique qui souhaite une IMG alors que le fœtus ne présente aucun problème médical? Ainsi, certaines réunions de diagnostic prénatal sont parfois houleuses. Le psychologue ou le pédopsychiatre est interrogé. Les comités d’éthiques sont parfois sollicités.
Spécificités de la réponse
Conversations avec des ventres ronds
La grossesse est une histoire en train de s’écrire. Il est important de respecter cette dynamique et de ne pas fixer le temps, de ne pas prédéterminer l’avenir. Or, on le sait, certains mots ou termes employés peuvent marquer à vie, et des années plus tard les parents entendent encore résonner certains mots, certaines phrases… Dans les situations complexes, il s’agit toujours d’apprécier ce qui se joue sans jugement, de traduire sans interpréter et de travailler avec les futurs parents autour des trois concepts classiques que sont le transitionnel (Winnicott, 1958), la contenance (Bion, 1962) et la parentalité (Houzel, 1999). L’entretien du 4e mois a permis à de nombreuses femmes vulnérables de s’ouvrir et de se dévoiler à la sage-femme… Cette transparence psychique (Bydlowski, 1991) amène parfois à des révélations intimes et à des dévoilements inattendus. À la demande de la sage-femme et de la parturiente, le psychologue ou le pédopsychiatre peut venir accompagner certains processus psychogénétiques de la maternalité (Racamier et al., 1961). La démarche de prévention prend là tout son sens. Au-delà, cette démarche relève de la responsabilité de la pédopsychiatrie qui y trouve sa vocation de toujours, celle d’accoucher. Le pédopsychiatre est un accoucheur en tant qu’il veille à la genèse de l’inconscient (Delassus, 1997).
Souplesse et adaptabilité
Toutes les définitions standards de la pratique psychologique ou psychiatrique en termes de conduites à tenir, procédures, cadres… se révèlent tout à fait inadéquates. Cette dimension précaire de notre pratique est encore renforcée par la variété des lieux de rencontre des patients – bureaux, couloirs, entre deux portes, au lit de la parturiente, devant le berceau… – et par une temporalité imprévisible (accouchement prématuré…). C’est dire si notre pratique se fonde sur un certain consentement au monde réel sous lequel elle se rencontre, c’est-à-dire l’imprévisible et le contingent (Borie, 2008). Souplesse et adaptabilité sont deux caractéristiques essentielles des psychologues et pédopsychiatres intervenants dans le champ de la périnatalité.
Plusieurs niveaux de réponse
Le psychiatre garde à l’esprit l’«irreprésentable» à ce qu’un Être naisse d’un autre. Le travail du symbolique doit se remettre en œuvre autour de chaque naissance afin que celle-ci s’inscrive dans l’histoire familiale. Une filiation a à s’édifier entre le père, la mère et l’enfant. Les psychologues et pédopsychiatres qui interviennent à la maternité ont le souci du bien-être psychique du bébé, de la mère et du père, mais aussi des interactions au sein de cette triade nouvellement constituée. Leur préoccupation concerne le «devenir parents», la fragilité et les troubles psychiques maternels, les interactions précocesInteractions précoces et le développement de l’enfant. Le travail en maternité amène un regard nouveau sur la parentalité, sur le fœtus, sur le bébé et ses troubles notamment à expression somatique et développementale.
Le pédopsychiatre accompagne père, mère et enfant pendant la période périnatale en luttant contre les nombreuses sources de discontinuité entre le pré- et le postnatal. Il est le garant de la prise en considération de la personne humaine dans sa globalité, au prix du dépassement des clivages entre psyché et soma, normal et pathologique, maternité et pédiatrie, soignants du prénatal et soignants du postnatal… Il a aussi à soutenir une attitude institutionnelle sur mesure, au cas par cas, en réponse à la variabilité individuelle de la maturation parentale.
Les interventions s’attellent à l’instauration des premiers liens entre parents et enfant, parfois de façon uniquement préventive et brève. Le pédopsychiatre ou le psychologue préserve la dimension psychoaffective des premiers échanges, il est à l’écoute des conflits que suscite l’arrivée du bébé, il aborde le vécu de chacun à la lumière de l’histoire individuelle, conjugale, familiale et culturelle.
Les interventions concernent aussi les troubles psychiques maternels au cours de la grossesse et du post-partumPost-partum, de novo ou décompensations de troubles antérieurs. Elles supposent un dépistage des signes cliniques, une prise en charge parfois en urgence compte tenu des risques majeurs pour la mère et pour le bébé, immédiats (à type de suicide et d’infanticide) ou différés (à type de dysfonctionnements des interactions précoces et de répercussions sur le développement du bébé). Cela peut nécessiter une orientation vers des services spécialisés.
Psychologues et pédopsychiatres peuvent aussi intervenir indirectement en rencontrant un soignant ou une équipe en difficulté devant une situation complexe. La discussion du cas permet alors parfois de relancer une réflexion sidérée et de mobiliser des ressources psychiques propres aux soignants, sage-femme ou obstétricien.
Même s’il ne relève pas d’un partage catégorique, la psychologue intervenant à la maternité sera plutôt sollicitée pour des accompagnements de grossesses difficiles, le pédopsychiatre de liaison sera plutôt amené à prendre en charge les femmes et les couples présentant des pathologies psychiatriques (psychosesPsychosedu post-partum, névroses graves, troubles de la personnalité, addictions), les situations nécessitant des traitements psychotropes, les urgences et les signalements médico-judiciaires…
Enfin, lorsque des soins psychiques sont nécessaires, ils ne doivent pas se limiter au temps de séjour passé à la maternité. Il est fondamental, dans ces temps de rencontre à la maternité (brefs mais riches en émotions), de mettre en place des liens permettant d’assurer une continuité de soins après la sortie de la mère et de son bébé. Il y a là un enjeu fondamental qui ne s’improvise pas en urgence et qui intéresse tout le réseau de soin de la petite enfance (PMI, services sociaux, secteurs de pédopsychiatrie et de psychiatrie d’adultes).
Travail multidisciplinaire sur la parentalité
MultidisciplinaireParentalitéLes interventions s’adressent aussi aux équipes elles-mêmes, obstétricale et pédiatrique. Celles-ci ont à acquérir une attitude bienveillante et contenante plutôt que des réactions de suspicion et de précautions aliénantes vis-à-vis des situations inquiétantes. Toutes les disciplines doivent s’atteler ensembles à la rencontre des histoires les plus singulières afin de mieux en appréhender la complexité et d’organiser une orientation préventive commune. Le travail dans le cadre de la maternité est indissociable d’une sensibilisation et d’une implication des professionnels concernés extérieurs : les équipes de pédiatrie, de PMI, de lieux d’accueil, les médecins de ville, le secteur social, l’aide sociale à l’enfance, le secteur judiciaire…
La parentalité n’est pas l’affaire des seuls psychologues et psychiatres. Elle doit être envisagée par l’ensemble des professionnels sous la forme d’une attention partagée d’un accompagnement périnatal de la parentalité. La pluridisciplinarité offre une promesse d’unité si elle matérialise une orientation préventive commune. Les «staffs de parentalité», parfois initialisés par les psychiatres ou psychologues, en sont une illustration dans nombre de maternités aujourd’hui. Il ne s’agit pas de faire des maternités des centres psychothérapiques. À l’inverse, cette collaboration ne doit pas non plus se réduire à une sous-traitance du psychique pour tout ce qui touche au relationnel, à l’affectif et au traumatique.
Le travail interdisciplinaire, le partage d’observations et de questions, la réflexion commune sont les garants d’une réelle complémentarité. Cet investissement partagé des problématiques de parentalités difficiles permet la métabolisation quotidienne des ondes de choc de la vulnérabilité en présence. Sans perdre de vue l’infime frontière entre attitude thérapeutique contenante et attitude suspicieuse qui favorise la rigidification de ce qu’elle prétend combattre. Cette collaboration des professionnels est porteuse de continuité, à condition que la subjectivité parentale reste le fil rouge pour chacun et que la mobilisation soit pérenne. Les écueils sont nombreux. Ainsi, depuis, plusieurs années, ont été créés dans de nombreuses maternités, des «staffs de parentalité» voire des unités fonctionnelles médico-psycho-sociales regroupant les différents professionnels intervenant dans le champ de la périnatalité (obstétriciens, sages-femmes, psychologues, pédopsychiatres, puéricultrices, assistantes sociales…). Des réunions régulières et multidisciplinaires permettent de croiser les regards et de partager les préoccupations pour des femmes fragiles et des couples vulnérables (cf.annexe IV).
Néonatalogie
NéonatalogieLes chiffres sont éloquents. Selon les estimations, environ 10 % des nouveau-nés effectuent aujourd’hui un séjour plus ou moins prolongé dans un service de médecine néonatale, dans les suites immédiates de leur naissance, dont 3 à 5 % en service de réanimation proprement dit, soit 50 000 à 80 000 enfants par an, en France, pour l’ensemble des services de médecine et de réanimation infantile (Golse et al., 2001).
Si les progrès technologiques et médicaux ont considérablement fait chuter le taux de mortalité infantile, si certains enfants dont la santé à la naissance était très précaire peuvent aujourd’hui «renaître», il n’en reste pas moins que les services de néonatalogie et de réanimation néonatale sont des lieux où la mort est toujours possible, et le décès d’un bébé est toujours une situation extrêmement douloureuse et éprouvante, pour les parents et le personnel soignant. Ces risques de détresse psychique ont conduit les pédiatres à ouvrir leurs portes aux psychologues et pédopsychiatres.
Spécificités du lieu et de l’organisation
La néonatalogie se consacre aux soins d’un tout-petit, né trop tôt, parfois malade à la naissance et qui nécessite des soins souvent intensifs. C’est l’impensable coïncidence entre une naissance (prématurée) et le risque de mort, de maladie, de handicap. C’est l’effroi et la confusion que l’on retrouve dans le premier temps de la situation d’urgence en néonatalogie, avant que dans l’après-coup, au-delà du traumatisme initial, apparaissent petit à petit une histoire et un sens. La néonatalogie est donc un lieu de rencontre avec des bébés à la santé fragile, des parents parfois en difficulté et des équipes engagées dans des soins de grande technicité mais aussi de grande implication psychoaffective.
Ainsi, pour tous parents, il s’agit de sortir du caractère captatoire et parfois fascinant que déclenchent sur le plan imaginaire les possibilités d’intrusion techniques dans le corps. De même, pour les professionnels, comment ne pas se laisser prendre au titre de l’identification ou de la compassion et de ne pas confondre sa question et celle des parents? Comment éviter le risque pour le bébé, de n’être plus figuré que par des paramètres, des tracés sur un écran ou des images échographiques? Comment faire émerger un sujet, une histoire singulière, de l’anamnèse clinique?
Envisager/dévisager
Une des spécificités de la néonatalogie est que le nouveau-né ne parle pas.
Et les tout premiers jours, son histoire se construit par les discours et signifiants de l’autre qui gravitent autour de lui (enveloppeEnveloppe (corporelle) proto-narrative qui le porte; proto-intrigue qui le constitue). Outre le discours, il y a les regards, regards posés au-dessus de la couveuse (à défaut de berceau). Et c’est particulièrement dans le regard que la rencontre s’effectue. Avec Lévinas, on peut considérer que la rencontre avec le visage de l’autre, animé par son regard, constitue l’événement existentiel majeur dans lequel s’enracine l’exigence éthique. Il est vrai que le visage du nouveau-né, qui plus est prématuré, n’est pas encore celui d’un enfant, ne serait-ce que parce que ses yeux semblent peiner à nous reconnaître, que sa bouche ne dessine aucun sourire intentionnel, que son expressivité demeure très limitée. Cependant, le visage ne se réduit pas à son apparition sensible. Un visage n’est pas une face. Il n’est jamais réductible à une addition de ses composantes empiriques (deux yeux, un nez, une bouche, un menton…). Le visage est une présence qui suscite une relation empathique. Qu’il naisse sans vie, qu’il meure à la naissance ou peu de temps après, le nouveau-né a été «mis au monde» parce que son corps a été bercé, porté entre des bras, sa peau touchée par des lèvres et son visage caressé par des doigts humains (Le Coz, 2009).
Le passage d’un bébé du le service de réanimation néonatale au «lit berceau» est souvent l’occasion de voir évoluer ce regard. Et cela se retrouve dans la forme des demandes adressées au pédopsychiatre ou psychologue. Par exemple, en réanimation, ne se pose pas la question de l’alimentation, le bébé étant souvent gavé par sonde. Dans les «lits berceaux», le pédopsychiatre ou psychologue peut être appelé pour «un bébé qui ne tète pas». Ce changement de regard est fondamental.

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