Chapitre 23 Jeu pathologique : apport des sciences cognitives et de l’imagerie fonctionnelle
Introduction
Conceptuellement, le jeu pathologique (JP) peut être considéré comme un trouble catégoriel ou comme une entité se situant sur un continuum de l’engagement dans le jeu de hasard et d’argent. Plusieurs modèles théoriques ont tenté d’expliquer le jeu pathologique. Le modèle cognitif (Ladouceur et Walker, 1996; Sharpe et Tarrier, 1993), a servi de point de départ à nombre d’études ces dernières décennies, dans une recherche qualitative de similitudes et de différences entre le joueur social et le joueur pathologique. Des caractéristiques communes (cliniques, cognitives, neurobiologiques et ces dernières années de neuro- imagerie fonctionnelle) avec certains troubles addictifs ont amené à proposer sa reclassification parmi les troubles addictifs dans la prochaine cinquième version du Manuel Diagnostique et Statistique des troubles Mentaux (DSM-V) (Bowden-Jones et Clark, 2011). Outre la dualité diagnostique dimensionnelle ou catégorielle, et l’éthiopathogénie non encore clairement établie, le trouble semble toucher trois sous-groupes distincts d’individus : (1) sans facteur de vulnérabilité prédisposant, (2) avec une prédisposition à la dépression et à l’anxiété, et (3) avec des tendances impulsives et antisociales (Blaszczynski et Nower, 2002).
Apport des sciences cognitives
Outre l’attrait économique du jeu, des facteurs cognitifs et émotionnels constituent des motivations et des facteurs de renforcement (Clark, 2010). L’imprédictibilité du gain d’argent conduit à un maintien du jeu, d’autant plus qu’elle est couplée avec des facteurs de conditionnement pavlovien physiologiques internes (comme l’excitation pendant la phase de jeu) et environnementaux externes (bruits de pièces, lumières pendant les gains…). Cet apprentissage émotionnel est complété par le renforcement négatif qui consiste en un soulagement par le jeu d’états anxieux, de dysphorie ou d’ennui (Blaszczynski et Nower, 2002).
L’approche cognitive du jeu a tenté de mettre en évidence le contenu des pensées du joueur pendant des séquences de jeu en conditions réelles grâce à la procédure de la pensée à voix haute (Gaboury et Ladouceur, 1989), ainsi que les mécanismes de prise de décision par différentes tâches de jeu en laboratoire (simulation de machines à sous, de black-jack, de roulette ; ou de tâches de jeux de cartes simulant la prise de décision en situation d’incertitude comme l’Iowa Gambling Task [IGT]).
L’être humain est peu doué pour prédire des évènements probables sans risque élevé d’erreurs (Gigerenzer, 2002). Cela peut être en lien avec l’existence de distorsions cognitives chez tous les joueurs, comme l’illusion de contrôle (Langer, 1975; Thompson et al., 1998), et la non-reconnaissance de l’indépendance des tours (Ladouceur et Walker, 1996). Ces erreurs cognitives seraient exacerbées chez les joueurs problématiques et seraient utilisées pour justifier la poursuite du jeu (Ladouceur et Walker, 1996). La prise de décision en situation d’incertitude a été étudiée par l’IGT (Vander Linden et al., 2006). Les sujets sont invités à choisir des cartes parmi 4 tas (A, B, C, D) permettant de gagner ou de perdre une somme hypothétique d’argent. Les sujets ignorent que les tas A et B correspondent à des choix risqués permettant de gros gains mais de grosses pertes également ; et que les tas C et D correspondent à des choix permettant des gains modestes mais des pertes également faibles. Les sujets sains développent le long des 100 choix une préférence pour les tas les moins risqués contrairement aux joueurs pathologiques (Petry, 2001 ; Cavedini et al., 2002 ; Goudriaan et al., 2004 ; Black et al., 2007 ; Roca, 2008).
Si l’apport des sciences cognitives est indéniable pour expliquer comment le jeu peut devenir excessif, les études cognitives comparant les joueurs problématiques aux joueurs non problématiques restent peu nombreuses (Clark, 2010).