22 Blocs centraux échoguidés
Ce chapitre traite de l’utilisation de l’échographie dans le cadre de l’anesthésie caudale en injection unique et des techniques d’anesthésie caudale avec mise en place d’un cathéter ; il fait largement référence, en tant que tel, à la pratique pédiatrique. L’anesthésie péridurale a été réalisée pour la première fois par Fidel Pages en 1921. Depuis, les bénéfices liés au fait de pouvoir ainsi éviter l’anesthésie générale, à la diminution de la réponse au stress, à la diminution de la morbidité postopératoire ainsi qu’à l’excellente analgésie postopératoire ont été bien documentés. En injection unique, l’anesthésie caudale est répandue pour les interventions sous-ombilicales (en particulier chez les enfants) et chez l’adulte dans les douleurs chroniques. Les techniques d’anesthésie caudale avec mise en place d’un cathéter sont indiquées pour les chirurgies pédiatriques thoraciques et abdominales lourdes, pour lesquelles l’anesthésiste souhaite éviter un abord thoracique et les risques y étant associés. Les complications pouvant être évitées incluent les défauts d’analgésie, les rachi-anesthésies involontaires, les syndromes post-ponction lombaire, les injections intravasculaires et, plus rarement, les traumatismes centraux.
Anatomie échographique
Les structures neuro-axiales sont visualisées à l’échographie entre les arcs vertébraux postérieurs et la colonne vertébrale. La taille de la fenêtre échographique est limitée par l’os. Chez le nouveau-né, l’arc vertébral postérieur de la colonne est de façon prédominante cartilagineux et, de ce fait, la fenêtre échographique est plus large ; la qualité de l’imagerie échographique diminue après les 3 à 4 premiers mois de vie en raison de l’ossification. La moelle épinière est une structure tubulaire hypo-échogène aux contours hyperéchogènes (cependant, chez les nouveau-nés, avec le bénéfice des échographes plus puissants, une meilleure définition est possible). La moelle épinière est située entre la moitié et le tiers de la distance séparant les murs antérieur et postérieur du canal vertébral ; toute situation plus dorsale pourrait indiquer un syndrome de la moelle attachée. Le cône terminal est situé au niveau de L2 (avec une variation de T10 à L3) et, chez les prématurés, il peut être aussi bas que L2-L4. La queue-de-cheval est visualisée en tant que multiples ombres hyperéchogènes linéaires issues du cône médullaire, celui-ci devant être pulsatile (ce qui marque l’absence d’adhérence). Au sein de la queue-de-cheval, le filum terminal est visualisé en tant que prolongement hyperéchogène de la moelle épinière ; chez le nouveau-né, son épaisseur doit être inférieure à 2 mm (une épaisseur > 2 mm indique un syndrome de la moelle attachée). Le liquide céphalorachidien environnant est hypo-échogène. La dure-mère est visualisée antérieurement et postérieurement en tant que couche hyperéchogène et le ligament jaune est visualisé en tant que couche moins hyperéchogène, à proximité immédiate de la face postérieure de la dure-mère.
Anesthésie caudale échoguidée et évaluée par échographie
Chez les patients à l’anatomie facilement définie, l’échographie est utilisée pour évaluer la position de l’aiguille après insertion. L’évaluation échographique avant le bloc peut aussi être utile afin d’identifier les patients présentant des stigmates de dysraphisme spinal. Lorsque l’anatomie est difficile (par exemple, en cas d’obésité) ou en cas d’échec des techniques basées sur les repères cutanés, une technique échoguidée est appropriée. Avant toute anesthésie caudale, un abord intraveineux et un monitorage doivent être mis en place. Le patient est habituellement placé en décubitus latéral gauche, bien que le décubitus ventral (avec des appuis sous les hanches) puisse être utilisé. L’échographe est placé du côté opposé par rapport à l’opérateur (figure 22.1). Une sonde haute fréquence linéaire de 38 mm est utilisée, étant donné que l’empreinte cutanée importante permet une visualisation de plusieurs espaces intervertébraux à la fois. L’échographe doit être réglé en mode « nerf » ou « petits organes », avec la plus haute résolution possible. L’anatomie de surface peut alors être évaluée. Celle-ci doit ensuite être complétée par un balayage échographique. La sonde échographique doit être tenue à sa base de façon à permettre à l’anesthésiste de toucher le patient en même temps ; ainsi, lorsque le bloc est réalisé, la main et la sonde peuvent être facilement maintenues en position. Du gel échographique stérile doit être utilisé de façon à s’assurer de l’absence d’air. La sonde échographique est initialement maintenue dans un plan sagittal, au niveau de la région lombosacrée sur la ligne médiane ; à ce niveau, les éléments anatomiques utiles peuvent être visualisés entre les apophyses épineuses. De façon à améliorer la visualisation, un positionnement paramédian est parfois nécessaire. La sonde est ensuite mobilisée caudalement et le niveau du sac dural peut être noté en fonction du degré d’ossification. En poursuivant le balayage échographique caudalement, le hiatus sacré et la membrane sacrococcygienne peuvent être visualisés, ainsi que la courbure du canal sacré ; de ce fait, l’angle de pénétration de l’aiguille peut être mesuré (figure 22.2). La sonde peut alors être tournée de 90° dans le plan transverse ; les apophyses épineuses peuvent être visualisées, se divisant pour donner les cornes sacrées (figure 22.3). Les précautions standard d’asepsie sont employées et, pour les techniques échoguidées, un pansement occlusif transparent est placé sur la sonde.
Figure 22.3 Espace caudal dans le plan transverse : position de la sonde échographique (A) et image ultrasonore (B).
Pour les techniques d’anesthésie caudale échoguidées, la sonde est replacée sur la ligne médiane, dans le plan sagittal, avec la membrane sacrococcygienne positionnée à l’extrémité caudale de l’image. La sonde est maintenue fixe dans cette position en laissant reposer le bord ulnaire de la main sur le dos du patient. L’aiguille (dont le biseau doit faire face à la sonde d’échographie afin d’améliorer la visualisation de l’extrémité de l’aiguille) est insérée dans le même axe que l’axe longitudinal de la sonde (figure 22.4). La progression de l’aiguille est observée par les mouvements tissulaires induits ; cependant, avec de la pratique, il devient possible de maintenir l’alignement entre l’aiguille et le faisceau d’ultrasons. L’aiguille peut être visualisée lors du franchissement de la membrane sacrococcygienne. L’aiguille est ensuite laissée à l’air libre pendant 10 s afin de permettre la détection d’un reflux sanguin ou de liquide céphalorachidien ; un test d’aspiration est ensuite réalisé. Si ces tests sont négatifs, une dose-test de sérum physiologique est réalisée. Cela consiste en l’injection de 0,1 à 0,3 ml/kg de sérum physiologique sur plusieurs secondes ; l’expansion de l’espace péridural postérieur est à l’origine d’un déplacement ventral de la dure-mère (figure 22.5). Au même moment, l’opérateur doit surveiller la peau en cas de formation d’un œdème superficiel et rechercher une augmentation de la résistance à l’injection, signant une injection sous le périoste. L’utilisation de sérum physiologique évite de gâcher de l’anesthésique local en cas d’aiguille mal placée et est sans danger en cas d’injection intravasculaire ou intrathécale. Les techniques échoguidées utilisent les informations recueillies lors du balayage échographique afin de choisir l’angle et la profondeur d’insertion de l’aiguille. Une fois l’aiguille insérée, la sonde est placée à nouveau sur le patient et la dose-test de sérum physiologique est injectée pour confirmer la position péridurale.
Figure 22.4 Bloc caudal avec approche dans le plan (A) et vue échographique (B).
SD : sac dural ; PA : pointe de l’aiguille. Les flèches blanches indiquent l’aiguille.
Figure 22.5 La dure-mère déplacée en position ventrale par l’AL.
QC : queue-de-cheval ; EP : espace péridural. Les flèches blanches indiquent l’aiguille.
Anesthésie caudale avec mise en place de cathéter
Une analgésie efficace nécessite que l’extrémité du cathéter soit à un niveau correspondant à celui de l’intervention ; cela permet d’injecter de plus faibles volumes d’anesthésique local et d’éviter l’utilisation d’opiacés en péridural. Cela peut être réalisé en insérant l’aiguille de Tuohy au niveau spinal adéquat ; de façon alternative, le cathéter peut être monté en direction céphalique, à partir d’un niveau caudal ou lombaire. Des kits spécifiques pour anesthésie caudale peuvent être achetés ; il est préférable d’utiliser un cathéter avec un mandrin, car celui-ci est plus facilement visualisé à l’échographie et à la radiographie. Cette technique nécessite deux opérateurs : le premier pour tenir la sonde et le deuxième pour réaliser l’abord péridural. Comme pour les techniques d’anesthésie caudale, la machine est installée à l’opposée des opérateurs avec un patient en décubitus latéral gauche. La sonde d’échographie L38 permet la visualisation d’une plus grande longueur de rachis. Une fois de plus, un balayage échographique est réalisé afin d’évaluer l’espace caudal et le rachis thoracique et lombaire. Il convient d’indiquer sur la peau du patient, au crayon dermographique, le niveau devant être atteint par le cathéter. La longueur de cathéter devant être introduite est évaluée de façon externe, en mesurant la distance entre le hiatus sacré et le niveau chirurgical (figure 22.6). L’aiguille est insérée de la même façon que pour la technique avec injection unique. La sonde est recouverte d’une housse stérile et maintenue en position médiane à la jonction lombosacrée.