Chapitre 20. Réanimation pédiatrique
Spécificité du lieu et de l’organisation
La notion de réanimation pédiatrique implique d’emblée une double notion : celle du pronostic vital et celle d’une grande technicité de soins. En découle une organisation des soins très largement consacrée au maintien de la vie organique. Le soma y occupe donc une place tout à fait centrale, incontournable, irrévocable; elle est, en quelque sorte, constitutive de la notion même de réanimation pédiatrique.
L’enjeu vital, ainsi que la technicité que cet enjeu convoque, crée bien entendu à son tour les conditions d’une organisation spécifique des soins.
L’organisation de l’espace est telle qu’aucun obstacle ne gêne l’aspect technique des soins, que ce soit en termes de compétences des équipes, mais également en termes de permanence des soins. Rien ne doit échapper à la vigilance :
• vigilance des soignants :
– les chambres sont vitrées, leur disposition est souvent organisée autour d’une salle de soin centrale,
– l’enfant est nu afin de faciliter l’accès à son corps (voies d’abord, sondes etc.),
– les visites de la famille sont limitées, d’une part, afin de ne pas gêner le déroulement des soins, d’autre part, pour des raisons d’asepsie;
• ainsi que «vigilance» des appareils électroniques qui, munies d’alarmes, signalent tout événement physique ayant trait aux fonctions vitales.
Toute cette organisation a pour effet d’opérer un authentique conditionnement de l’enfant à travers l’induction d’une passivité (sédation, ventilation artificielle, sondage urinaire, sonde gastrique, aspiration des mucosités…). Ce conditionnement, nécessaire au bon déroulement des soins, n’est toutefois pas sans effets collatéraux :
• effet sur les enveloppes psychiques qu’il fragilise par effraction de l’intime du fait de la nudité, des soins invasifs, de la surveillance permanente, de la suppression temporaire de la parole ou de la vocalisation du fait de la sédation et de l’intubation lorsqu’elles existent;
• effet sur l’environnement familial, qui se retrouve en effet dépossédé de sa fonction d’étayage, autant que soumis à des professionnels dont dépend la survie de l’enfant.
La réanimation pédiatrique apparaît ainsi comme un véritable «univers», qui s’oppose point par point au milieu ordinaire dans la mesure où :
• le «sujet de désir» se trouve largement amputé de sa liberté pour devenir objet de soins;
• la protection médicale se substitue, au moins partiellement, à la protection parentale;
• l’immobilisation se substitue au mouvement pourtant si naturel et nécessaire au bien-être physique et psychique de l’enfant.
Spécificités de la demande
Différents types de demande
DemandeLa demande émane le plus souvent de l’équipe de soins, rarement de la famille, trop «accrochée» à la dimension magique des soins somatiques dont elle attend tout, ne laissant souvent que très peu de place à la rencontre avec le psychiatre ou psychologue, ce d’autant que cette rencontre est susceptible d’induire de la parole au potentiel douloureux, voire menaçant, du fait notamment des circonstances de l’hospitalisation ainsi que du pronostic vital souvent engagé.
Place de l’enfant
Du côté de l’enfant lui-même, le fait marquant en milieu de réanimation est qu’il n’a pas accès à sa propre demande, ni même à sa propre plainte (son corps est au repos, or la plainte passe par le corps), pas plus qu’il n’a accès à la demande qui est faite «pour lui», et à laquelle il se retrouve donc étranger. Les discours s’entremêlent donc autour de lui : discours de la science, de la médecine, discours de la famille; autant de discours dont personne ne sait, d’une part, ce que l’enfant peut en percevoir ou en comprendre et, d’autre part et surtout, ce que son absence d’adresse (on ne s’adresse pas à lui) peut avoir sur lui comme effet.
Il y a là comme une déconnection entre la demande de l’environnement, le plus souvent de l’environnement médical – demande souvent peu élaborée car prodiguée dans l’urgence voire la catastrophe – et ce que pourrait ressentir l’enfant comme besoin.
Ce que parler implique
«Sa mère est morte dans l’accident, mais il ne le sait pas. Vous trouverez sans doute mieux que nous les mots pour lui annoncer lorsqu’il se réveillera!» ou encore : «La mère s’effondre, il faut la voir». Ces deux demandes, plus que de «simples» demandes de consultations, s’avèrent en fait être des demandes de paroles dont les équipes réanimatrices se sentent parfois, à tort, dépossédées, et que l’on pourrait traduire par «ce n’est pas notre domaine, nous ne sommes pas compétents pour cela».
Ces demandes illustrent bien le fait que prendre la parole est un acte perçu comme risqué. Parler, c’est en effet prendre le risque d’y mettre un ressenti, un éprouvé, de se laisser toucher par une émotion d’ailleurs parfois (souvent) teintée de haine du fait de la circulation complexe de certains clivages et de projections très défensives visant à séparer de l’enfant les fragments hostiles qu’il pourrait induire : «Regardez sa peau! Ne nous dites pas qu’il n’a pas mal avec ce que vous lui avez fait!». Que ressent l’enfant devant une telle effraction, effraction de la peau mais aussi de la psyché via les mots qu’il entend de la bouche de ceux (parents) qui d’habitude pansent (pensent) si bien les plaies?
Comment répondre à cela sinon en acceptant d’abord de se laisser toucher par ces éléments projetés qui, faute de contenants suffisants, reviennent en boomerang vers un moi (celui de l’enfant) ainsi privé de tout pare-excitation et donc surexposé à des objets au potentiel éminemment persécuteur. L’enfant reste alors enfermé dans ce que Winnicott appelle ces «agonies primitives», cette crainte de l’effondrement liée à des angoisses corporelles très primitives.

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