Chapitre 20. Quand et comment « passer la main » lors d’une psychothérapie ?
Cependant, que ce soit des raisons liées au patient, au thérapeute ou à leur interaction, ce changement de prise en charge s’avère parfois difficile.
Difficultés pour « passer la main »
L’attachement entre un patient et son thérapeute est une réalité. Entamer une psychothérapie représente une aventure ; une fois que l’on est lancé, les changements ne sont pas si faciles. Cet attachement a pu se construire au fil des différents entretiens, il représente une manifestation du transfert, il est d’autant plus intense que le thérapeute est investi. Lorsque la psychothérapie est menée par un médecin de famille, le lien peut être ancien, forgé par des consultations médicales antérieures. Il peut alors être utile ou de modifier le cadre des entretiens ou d’en discuter avec le patient. Ce changement de cadre peut se réaliser en consultant un jour spécifique, différent des autres jours, ou en accordant une durée plus importante aux entretiens. Ce changement de thérapeute peut nécessiter deux ou trois consultations de préparation pour définir l’objectif du changement, les modalités de ce changement, sa réalisation.
Le thérapeute peut avoir ses propres résistances pour passer la main. Parfois, de façon inconsciente, il a lui-même des difficultés de séparation avec son patient. D’autres fois il se demande ce qu’un autre thérapeute fera de plus. Il est enfermé dans certains filets relationnels : le patient a pu lui donner l’illusion qu’il était le seul thérapeute efficace ou actif, comme dans les premiers temps du lien avec des pathologies hystériques. Ces dernières gratifient souvent au début leur thérapeute quitte à instaurer un mouvement inverse plus tard dans la prise en charge
Les réticences du patient au changement s’avèrent plus simples à explorer. Pour certaines structures phobiques, tout nouveau thérapeute représente une inquiétude, les changements paraissent très difficiles. D’autres patients ont fait de leur médecin un objet un peu magique et ne souhaitent pas l’abandonner. Il arrive enfin que certains sujets aient le sentiment de bien maîtriser la relation avec leur médecin et redoutent de perdre ce pouvoir de maîtrise en changeant de thérapeute.
Il existe un autre type de difficulté, tenant au principe de réalité sur l’absence de plage horaire de consultation disponible, ou l’éloignement des thérapeutes formés, ou la distance des rendez-vous. Dans ces cas, les difficultés sont d’ordre matériel et doivent être anticipées assez longtemps à l’avance. Ainsi, en dehors des grands centres urbains ou des villes universitaires, obtenir un rendez-vous peut demander plusieurs semaines ou plusieurs mois.
Quelques circonstances où l’on doit passer la main
Il arrive que le patient demande lui-même ce changement. Il peut souhaiter approfondir sa psychothérapie, soit pour la rendre plus technique en travaillant un mécanisme de défense ou un autre, soit pour lui donner un cours plus analytique et s’interroger sur ses mouvements de pensée, instaurer des modifications dans ses buts de vie. Parfois, l’accordage entre patient et thérapeute s’effectue de façon disharmonieuse : le patient a le sentiment que son thérapeute demeure trop silencieux, l’écoute insuffisamment, reste à la surface des problèmes, semble trop froid, manifeste des propos déplacés, se laisse toujours déranger par le téléphone…
Aggravation clinique
L’aggravation clinique représente la modalité la plus fréquente d’indication pour passer la main. L’aggravation des symptômes prend un tour inquiétant dans trois circonstances :
• lorsque des menaces suicidaires sont exprimées, elles peuvent amener à une indication d’hospitalisation, justifier une prise en charge dans un centre de crise, pousser à rapprocher les consultations ou à créer un réseau de soutien relationnel. Clairement exprimée, la menace suicidaire représente l’indication d’une hospitalisation ;
• la multiplication de conduites d’alcoolisation ou de prises de toxiques peut être perçue comme un équivalent suicidaire. Il s’agit d’une modalité défensive de l’individu, qui trouve dans la répétition de ce comportement à la fois l’apaisement lié aux toxiques et le court-circuitage de l’élaboration de ses difficultés. Mais la prise de toxique dilue l’efficacité d’une psychothérapie. D’une séance sur l’autre, le patient oublie, efface ses propos ; le travail ressemble alors à l’action de la vague sur le sable ;
• il peut arriver une émergence interprétative avec de la méfiance, des questionnements aux frontières de la réalité, des relâchements d’association d’idées, des flous dans les propos et dans le raisonnement. Dans ce contexte, des idées délirantes ou des questionnements persécutoires peuvent surgir.
Émergence de pathologies dans la relation
Tout d’abord, le thérapeute peut devenir persécuteur : le patient vit ses propositions de changement ou ses prescriptions comme une intrusion ou comme une menace, cela continue la méfiance citée plus haut. Le thérapeute sent que le climat des entretiens laisse entrevoir une forme d’hostilité, de la réticence. Dans de rares cas, liés à des pathologies franchement psychotiques, le thérapeute peut faire l’objet de menaces, voire d’agression. Ces agressions peuvent être indirectes ou directes. Tel patient s’étant vu refuser l’acceptation d’un transport en ambulance s’empare du dossier du thérapeute, le déchire, menace le thérapeute et part en claquant la porte.