20: Le candidat à la chirurgie réfractive de la presbytie

CHAPITRE 20 Le candidat à la chirurgie réfractive de la presbytie



I ÉPIDÉMIOLOGIE, INFORMATION ET APPROCHE RAISONNÉE DE LA CHIRURGIE DE LA PRESBYTIE




Environnement de la presbytie1


Le taux de correction dans la population presbyte européenne est estimé à 80 % [14]. La déficience de l’accommodation s’exprime du fait de l’âge mais, en réalité, elle a commencé bien avant les premières manifestations visuelles. Faire de la presbytie un stigmate objectif du vieillissement est un préjugé — même si l’étymologie s’y prête —, tant la façon d’appréhender cette notion a radicalement changé en une décennie : il faut assimiler, pour l’exemple, que la majorité des femmes qui ont aujourd’hui vingt-cinq ans deviendront presbytes alors que leurs enfants seront encore au lycée.



ÉPIDÉMIOLOGIE


Aujourd’hui, la presbytie s’installe à mi-parcours d’une vie. Elle est constante, irréversible et progressive. Cet agenda est un fait nouveau [35]. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les presbytes étaient minoritaires dans la population et étaient considérés non pas comme vieux mais comme étant dans la force de l’âge, du moins pour les hommes. La borne des quarante-cinq ans n’était pas forcément péjorative, car elle renvoyait à la robustesse et à l’idée de sagesse ou d’expérience. Cette époque est terminée. Les quinquagénaires et plus n’ont plus l’idée d’être renvoyés au passé et ne sont en rien diminués. Beaucoup sont actifs, quasiment tous savent lire, possèdent un téléphone numérique et manipulent un ordinateur; beaucoup sont sportifs et un cinquième d’entre eux tentent de refaire une vie. Au demeurant, la presbytie s’insère dans une série de transformations actuelles des modes de vie [20] ou des temps sociaux : recul de l’entrée sur le marché du travail, recul de l’âge de l’appariement, recul de l’âge du premier enfant, allongement de la durée de vie, recul de l’âge des infirmités, allongement de la durée du travail, mobilité géographique accentuée, apparition d’une cohorte croissante dite du quatrième âge …


Atteignant des individus actifs, la presbytie est un handicap car elle altère l’autonomie visuelle. À ce titre, elle doit être compensée par un moyen ou un autre. Il n’est pas pensable de voir flou de près pendant plus de la moitié de la vie !


La France se dirige rapidement vers une population presbyte pour la moitié : l’âge moyen d’apparition de la presbytie est de quarante et un ans en 2012 (fig. 20-1 et 20-2) [26]. Dans l’Union européenne, l’espérance de vivre sans incapacité (hors la presbytie) déterminée en 2009 pour un individu âgé de soixante-cinq ans est : 79,7 ans pour un homme, 75,2 ans pour une femme. Si l’on considère l’espérance de vie globale, on avoisine quatre-vingt-six ans pour la femme et soixante-dix-neuf ans pour l’homme (fig. 20-3) [2]. L’espérance de vie à la naissance représente la durée de vie moyenne d’une génération fictive soumise aux conditions de mortalité de l’année. La différentielle entre les sexes tend à se réduire, probablement en raison de modes de vie plus proches que par le passé. La survie est plus longue pour les groupes le plus socialement favorisés et les femmes [50]. Ce gain n’est plus dû à une baisse notable de la mortalité infantile mais à un accroissement de la durée de vie par compression de morbidité. Les hypothèses actuelles diffèrent de celles de 2006, essentiellement sur une composante : la fécondité. Désormais, dans le scénario central, l’indice conjoncturel de fécondité est maintenu au niveau moyen observé depuis début 2004, soit 1,95 enfant par femme en moyenne (contre 1,90 lors de l’exercice 2006). L’âge moyen à la maternité se stabilise à 30,4 ans en 2015 [3]. Si cette progression se maintient au rythme de 2,5 ans par décennie, la durée de vie moyenne sera de cent ans en 2070 [21].





Dans l’Union européenne, 17 % des habitants avaient plus de soixante-cinq ans en 2008; 24 % sera le taux pour 2030 [19]. La classe d’âge au-dessus de quatre-vingt-cinq ans connaîtra la plus forte progression.


Au sein de la population européenne, la France sera un des pays avec la plus faible proportion de seniors en raison d’un fort taux de natalité. Mais, en termes d’effectif en 2030, la population des moins de trente ans aura diminué de 10 %, tandis que celle des plus de quarante ans aura augmenté de 30 % [43]. De surcroît, la France n’est que quinzième dans le monde en termes de réduction de la mortalité en vingt-cinq ans : l’allongement de la durée de vie y a donc encore un potentiel de progression [44].


Le droit à la santé conduit en France à prendre en charge par systématique la morbidité, qui s’élève à partir de soixante-cinq ans pour représenter une moyenne de 7,6 maladies par individu au-delà de cette borne.


Ces données creusent une disparité importante avec les pays les plus pauvres de la planète et même avec des entités plus avancées, car les attitudes de santé publique sont géographiquement, socialement et économiquement peu comparables. Pour Brien [5], 410 millions de presbytes dans le monde n’auraient aucune correction optique adéquate. Le pays ayant, en 2009, le taux de presbytes le plus élevé par rapport à sa population était le Japon, avec 43,5 %, soit 55,3 millions de presbytes, et il le resterait en 2020 avec près d’un Japonais sur deux, soit 60,2 millions de personnes [10]. En nombre total, la Chine arrivait en tête de cette répartition en 2009, avec près de 368 millions de presbytes, nombre qui devrait être équivalent à 510 millions en 2020 selon ces mêmes estimations [22]. On comprend aisément les enjeux commerciaux du monde de l’optique, fortement orientés vers l’Asie.



ÉCONOMIE DES CORRECTIONS OPTIQUES




Dynamique


L’importance du nombre de consommateurs va croissant. Le marché mondial de l’optique correspond à environ un milliard de verres vendus par an, avec une croissance annuelle de 0 % à 2 % par an en volume et de 3 % à 4 % par an en valeurs; mais les disparités sont énormes suivant les pays, les habitudes et les moyens financiers. Le marché de la lunette est évalué à environ six milliards d’euros dans notre pays (fig. 20-4). Ce volume exalte les aspirations au métier d’opticien dont le nombre a augmenté en 2010 de plus de 12 %, tandis que la densité des prescripteurs tend lentement à diminuer. Le CREDOC considère ce marché comme un support fort de la consommation des seniors [13].



La presbytie n’est pas un état immuable : elle entraîne une gêne variable selon l’âge, la cible, la luminosité … L’âge exact auquel le port d’une correction optique en vision de près est nécessaire dépend de plusieurs facteurs [25], tels que les variations individuelles des capacités d’accommodation, l’erreur de réfraction en vision de loin (fig. 20-5a), le climat, la zone géographique, les exigences et les attentes, le sexe, l’appartenance ethnique et la latitude. La puissance corrective varie avec les années, schématiquement de 3 D en quinze ans pour un Caucasien (fig. 20-5b) [47]. La compensation est donc amenée à être renouvelée au cours de la vie et, parfois, plus souvent que prévu si la vision de loin exige une correction (fig. 20-6). La composition du groupe des presbytes est donc particulièrement fragmentée alors qu’on parle de la moitié de la population en France.




Ce qui émerge, en France, est la position économique favorable des seniors ayant eu auparavant un parcours professionnel ou financier heureux [13]. Le niveau de vie des ménages de cinquante à cinquante-neuf ans est de 40 % plus important que celui des plus jeunes. Les dépenses culturelles et touristiques sont dans le même cas de figure entre cinquante-cinq et soixante-cinq ans [17]. Toutes choses égales par ailleurs, il faut distinguer le presbyte en activité de celui à la retraite, de même que celui qui dispose, seul ou en couple, d’une aisance et de protection de celui qui subit de plein fouet une régression sur un ou plusieurs plans [28]. Par ailleurs, 85 % des Français sont couverts par au moins une garantie (incapacité de travail, invalidité, décès, retraite supplémentaire, frais médicaux, dépenses pharmaceutiques …) (fig. 20-7), et 55 % des salariés par au moins trois garanties sur quatre. La santé est un poste de dépense du senior qui va atteindre 64 % en 2015, avant l’alimentation et l’équipement [26]. En 2009, chaque Français a consacré 81 € à ses dépenses optiques. Il s’agit là du plus fort montant européen.



La presbytie, contrairement à la myopie, ne pose pas une question univoque. Le chirurgien doit replacer le candidat dans son contexte « psychosocial ». Il ne s’agit pas d’un verbiage mais d’une évaluation réaliste des besoins et aspirations du presbyte à la lumière des possibilités.



Les lentilles de contact n’occupent pas la place qu’elles pourraient avoir


Dans le monde entier, on observe un contraste entre les progrès des dessins et biomatériaux des lentilles de contact multifocales et la sous-prescription de ce mode de compensation [36]. Les raisons sont nombreuses, avec au premier plan en France, la prescription réservée aux ophtalmologistes dont la majorité préfèrent conserver du temps utile médical pour autre chose face à une faible sollicitation des patients et à un fort niveau de contraintes. À cela s’ajoutent les inconvénients et aléas des lentilles de contact — le chapitre consacré aux seules complications infectieuses des lentilles de contact représente 65 pages dans le rapport de 2009 à la Société Française d’Ophtalmologie [8] : c’est beaucoup pour une prothèse externe. Heureusement, les lentilles quotidiennes jetables et les progrès en biomatériaux apportent un renouveau. On estime en 2009 à 12 % des lentilles de contact les équipements multifocaux [41]. Pour autant, un nombre non négligeable de patients écartent d’emblée cette option. Cette question est bien connue des fabricants et diffuseurs, motivant des campagnes de publicité directes croissantes vers les consommateurs — comportant une note de méthode Coué pour pointer la moindre croissance du marché …



Les modalités de la correction sont dominées par les lunettes


L’aspect suranné de cet équipement est contrebalancé par la mode et un marketing astucieux. Les accessoires font partie directement des biens de consommation et les lunettes sont un de ceux qui ont connu une remarquable croissance des prix et des ventes. L’acquisition de plusieurs paires s’observe volontiers en milieu aisé. Le prix des verres progressifs est particulièrement élevé en France. On estime à 640 € en moyenne une monture équipée de verres récents amincis à fort indice. Le remboursement par la sécurité sociale est extrêmement bas et ce sont les systèmes de complémentarité qui supportent le fardeau. L’assurance-maladie obligatoire pesant peu dans la prise en charge d’un équipement optique, la charge est telle qu’elle stimule les filières de soins, les forfaits … Le coût atteint par certains équipements ne permet plus aux assurances de suivre. La responsabilité est partagée : fabricants, diffuseurs, vendeurs, prescriptions imprécises … Les mutuelles soit remboursent, parfois jusqu’à 400 % du tarif de la caisse d’assurance-maladie, soit « forfaitisent » à des montants plus raisonnables mais au prix d’une cotisation plus élevée.


Cette maximalisation des profits a conduit la presbytie à devenir le champ électif des ventes de montures de proximité à bas prix (low cost). La plupart sont vendues hors prescription et hors magasin spécialisé. L’Internet est, en parallèle, une source notable de ventes optiques en ligne à coût bas. Les campagnes mettant en doute la qualité des produits ainsi vendus ne peuvent pas cacher que la correction presbyte sur prescription est alors bien moins chère. De surcroît, on connaît des promotions commerciales offrant une seconde voire une troisième monture offerte ou presque. La qualité est-elle alors moins bonne ? Rarement; simplement le prix de revient sur des produits sans marques est très bas.



La chirurgie est-elle une réponse économique ?


Nous entendons souvent en consultation l’argument : « La chirurgie me fera une économie compte tenu des coûts des équipements optiques. » Cela appelle plusieurs remarques. La première est médicale : il n’est pas déontologique de préconiser pour des raisons financières une intervention même si elle est hors système social. Au demeurant, la situation n’est ni celle de la précarité ni celle de l’urgence sanitaire. Il est vrai que la fréquence de renouvellement des lunettes de presbyte est en France de six achats. Mais ce chiffre ne distingue pas les âges et les modalités techniques. En admettant que le calcul de ce patient soit exact, ce qui suppose une absence d’achat ultérieur, il est étalé sur un si grand nombre d’années qu’il perd de sa validité pour ne plus constituer qu’une maigre justification personnelle. En ce qui concerne les lentilles de contact multifocales, la dépense quotidienne du porteur est globalement de 1,20 € avec le coût des produits. Ceci équivaut à un équipement optique en moins de trois ans. Le modèle économique est donc assez semblable au précédent, au détail près que le porteur doit aussi avoir une paire de lunettes. On peut donc penser que le facteur financier ne joue pas un grand rôle dans les décisions. Au surplus, 17 % seulement des patients français accepteraient de se déplacer à l’étranger pour payer moins cher des soins de santé, ce qui est le plus bas pourcentage de l’Union européenne [20]. Le coût moyen d’un presbyLASIK en France se situe entre 1 500 € et 3 200 € (hors asymptotes) et n’est pas une somme déterminante pour la décision dans le budget des quinquagénaires se présentant actuellement en consultation.



La chirurgie de la presbytie est une alternative aux équipements optiques externes


Dans le monde, on compte environ soixante mille sites opératoires susceptibles de traiter la presbytie. Le nombre de lasers à exci-mères est estimé à cinq mille pour l’année 2010 (tableau 20-I), dont la moitié en Europe, avec cent quatre-vingts implantations en France. Mais le glissement vers la prépondérance de l’Asie sera manifeste dans les années à venir. Le nombre de patients traités au laser est imprécis. Cette technique n’est pas comptabilisée dans plusieurs pays avancés, dont le nôtre. Mais les estimations procédant des ventes de matériel et de produits permettent d’avancer un chiffre proche de 3 614 000 opérations dans le monde pour 2010, dont 748 000 en Europe.


Tableau 20-I Répartition des lasers à excimères dans le monde en 2010. (D’après Marketscope, 2010.)



























Marque Unités installées
Alcon (Ladar + WaveLight) 1 106
Zeiss Meditec 444
Technolas PV, Bausch & Lomb 672
Nidek 348
VISX 1 471
Schwindt 538
Autres 293

La chirurgie réfractive représente une très faible part des corrections des défauts visuels. L’existence d’une offre et celle d’un bassin de recrutement ne suffisent pas pour créer des files de patients … Il faut la demande. Pour la créer, le public doit être ouvert à l’innovation technologique, à une certaine universalité de la proposition, à l’amélioration de la qualité de vie par la santé et à la satisfaction de ses désirs. Les seniors aspirent à la résistance à la déqualification [45] et, autant les équipements prothétiques sont portés par l’ancienneté et une forte publicité, autant la chirurgie réfractive brave silencieusement les courants conservateurs et protectionnistes.


Depuis peu, la France s’ouvre lentement mais sûrement aux chirurgies réfractives des seniors. Elle ne connaît pas les à-coups rencontrés ailleurs en Europe méditerranéenne. La politique des prix français bas est probablement une raison qui consolide la croissance. Les spécialistes français sont majoritairement presbytes, ce qui peut exciter la sensibilisation mais aussi réduire le désir de changement [2]. Les tarifs sont peu élevés comparés à ailleurs. Ceci aussi bien en laser qu’en implants. La culture du remboursement est très ancrée en France et les médecins sont peu préparés à de fortes tarifications sans retour vers le patient. Une problématique persiste sur les frontières de la cataracte et de l’échange cristallin à but réfractif. La tentation est forte de recourir à un codage de nomenclature dans ce dernier cas en s’appuyant sur la notion informelle de cataracte en gestation (au mieux).


Le presbyte est un pivot de l’affirmation de la chirurgie réfractive en une chirurgie réparatrice incontestée. Les systèmes sociaux sont absents de ce champ. Les moyens financiers personnels existent. Des démarches sont en cours pour faire prendre conscience aux tutelles l’intérêt de favoriser les lentilles intraoculaires premium (implants de technologie avancée) et les industriels soutiennent ces démarches en subventionnant de nombreuses études.


Toute la chirurgie réfractive s’inscrit dans un schéma économique inégalitaire : les offres nationales à bas prix ne sont pas à niveau médical similaire dans la plupart des cas. Les hôpitaux appréhendent les structures réfractives comme des centres de profit hors enveloppe … Au demeurant, la capacité d’absorption des coûts par la solidarité sociale est si limitée que les chirurgies de convenance vont rester longtemps hors d’atteinte des plus démunis même si, désormais, le bien-être fait partie de la définition de la santé [39].



Information et consentement



ANNONCE ET DÉLIVRANCE DE L’INFORMATION



FORME DE L’INFORMATION


L’information est normale et fait obligatoirement partie in solidum de l’acte médical. C’est la raison pour laquelle le législateur n’a pas voulu lui donner une forme obligatoire supplémentaire [18, 34]. L’oral est considéré comme premier et primordial. En ce sens, un patient opéré sans entretien direct est considéré comme non informé, même si une « consultation » par Internet ou l’envoi de documents sont intervenus. Actuellement, le principe est rappelé par les cours selon le double visa des articles L. 1111-2 du code de la santé publique et 1147 du code civil et selon l’article L. 1110-5 du code de la santé publique [12]. Les hauts magistrats rappellent, tout d’abord, le contenu de l’obligation à l’information pesant sur le praticien en vertu des dispositions de l’article L. 1111-2. La Cour de cassation réaffirme l’autonomie du devoir d’information et, plus généralement, des devoirs d’humanisme, par rapport aux exigences de conformité de l’acte aux règles de l’art. L’information tend à être partagée d’une part entre les membres de l’équipe de soins et d’investigations et, d’autre part, avec les accompagnants, en particulier la personne de confiance [32]. Le secret professionnel à ce moment de l’information et de la phase décisionnelle joue peu.




L’élément essentiel de l’information étant le dialogue et l’échange de renseignements entre le médecin et le patient, tout ajout qui peut faciliter ce processus est recommandé. Les transferts questions-réponses avec le patient avant son consentement au traitement sont d’une grande importance et ne peuvent pas être remplacés. Le dialogue facilite grandement la prise de connaissance des documents imprimés, des brochures ou des ressources électroniques qui peuvent être remis à l’avance au patient et qu’il peut lire à tête reposée. Ces documents doivent exposer la nature du traitement ou de l’acte proposé, son but et le résultat escompté, les risques significatifs et les complications qui pourraient survenir dans le cas particulier dont il s’agit [18]. Les feuillets d’information, les brochures et les autres documents du même type peuvent ne pas s’appliquer dans plusieurs circonstances où il faut obtenir un consentement : aussi, quand on les emploie, doit-on les considérer comme un appoint et non comme un moyen de remplacer les échanges précédant le consentement. Comprendre que l’information ne consiste pas à faire un « copier-coller » de connaissances est crucial : beaucoup ne le comprennent pas [29] et se gaussent du faible taux de pénétration des explications chez les patients informés sans réaliser que la démarche ne vise pas à sélectionner les bons élèves mais à respecter le patient. C’est la raison pour laquelle, fréquemment, les entretiens en vue d’obtenir un consentement doivent être adaptés au cas particulier du patient [54]. Les patients sans connaissance des concepts statistiques doivent intégrer des calculs de probabilité, et ces notions — résumés dans la phrase passe-partout : « Il n’y a pas de risque zéro » — se heurtent à l’aspiration de chacun à la sécurité sanitaire [30]. Informer c’est mettre en forme et donc opérer un traitement des messages. Il importe de « communiquer », ce qui n’est pas uniquement « délivrer » mais surtout s’assurer de la réception et de l’assimilation.


La bonne information du patient est enracinée dans le principe supérieur de dignité humaine [1]. Aux termes d’un arrêt rendu le 6 décembre 2007, la Cour de cassation avait affirmé que le seul préjudice indemnisable à la suite du non-respect de l’obligation d’information du médecin, laquelle a pour objet d’obtenir le consentement éclairé du patient, est la « perte de chance d’échapper au risque qui s’est finalement réalisé ». Mais cette juridiction a ultérieurement adopté un parti radicalement différent, dans un autre arrêt du 3 juin 2010, énonçant que « le non-respect du devoir d’information cause à celui auquel l’information était légalement due un préjudice que () le juge ne peut laisser sans réparation ». Cette solution, fondée sur les règles de la responsabilité délictuelle (code civil, art. 1382) et sur le principe de dignité de la personne (code civil, art. 16, 16-3), conduit à affirmer un véritable droit fondamental au profit du patient [42]. À son appui, la Cour de cassation avait invoqué le 8 avril 2010 « l’exigence du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ». Comme l’exprime F. Viala : « La faute d’humanisme, de conscience, ne saurait être soluble dans la faute de science. » [52]. Plus simplement : l’absence de faute technique n’implique pas l’absence de faute à l’information. Un défaut dans l’information ne limite pas l’indemnisation à la perte de chance. En effet, le périmètre de l’information comporte conseils et préconisations. Si l’acte a un rapport risques/bénéfices disproportionné, le droit à réparation devient complet. En un mot, une opération réussie et non précédée d’une information complète ouvre une voie légitime à revendication [52]. Mais un nouvel écueil se dessine avec la menace de l’interprétation délictuelle des manquements à l’information, qui peut entraîner une amplification des comportements de protection de la part des chirurgiens.



CONTENU DE L’INFORMATION


On peut résumer en un seul mot : « tout » ! Ni le législateur, ni la morale, ni la déontologie, ni l’éthique ne permettent de savoir quand s’arrêter. Le code de la santé publique reste totalement silencieux. Le dialogue avec le patient est libre et sans frontières. Le médecin doit apporter ses lumières clairement et de façon compréhensible sur les points questionnés et ce qui lui semble important. Nous savons que même un consentement régulièrement signé ne prouve absolument rien en termes de compréhension et l’inverse tout autant, mais la loi impose au médecin de prouver là où elle ne définit pas le moyen. Ceci veut dire que tous les moyens sont bons et sans limite.


La jurisprudence incline à formuler l’information en trois volets bien différents : les bénéfices, les alternatives et les risques. Le premier volet correspond à la demande du patient et à la promesse de la chirurgie, c’est le chapitre de tous les dangers par le double entrain de l’opérateur et du candidat. Le second volet est simple dans la majorité des cas et ne doit pas faire oublier d’une part que l’abstention est une option (fig. 20-8) et, d’autre part, que les options sont souvent abstraites pour un néophyte. Enfin, le troisième demande du jugement pour ne pas minimiser ni effrayer; c’est là que le patient, en phase décisionnelle, a besoin de soutien loyal. La concordance des dires doit exister entre l’oral et l’écrit. Les fiches peuvent comporter plus de données et aller à l’exhaustivité. Sans fournir des recueils indigestes, il est prudent d’incorporer les notions essentielles soulignant les incertitudes et les imprévisibilités de l’acte méthodologique. Oralement, une construction préalable doit être dressée selon une partition évidente. Les sociétés savantes proposent des fiches d’information souvent reprises par des institutions et établissements. Ces documents ont le mérite d’exister et de représenter un consensus médical à un moment donné. Elles sont volontiers de modèle défensif et sont donc très appréciées des assureurs. La fiche n° 9 de la Société Française d’Ophtalmologie est dédiée à la chirurgie réfrac-tive [51]. Ce type d’institution peut communiquer encore plus directement en s’adressant au grand public. L’information directe vers les patients peut être assumée par un site Internet validé par HON, c’est-à-dire simultanément par l’HAS et le Conseil de l’Ordre. Aux États-Unis, l’Académie d’Ophtalmologie possède un site dédié aux patients2 dont les messages sont contrôlés par les médecins, de même en Europe3 sous l’égide de l’European Society of Cataract and Refractive Surgery (ESCRS).



La préparation de l’information est importante. Ce n’est pas un discours spontané mais un message contenant un principe, une méthode, une perspective et des considérations diverses [53]. Concevoir une information n’est pas aisé; la Haute Autorité de Santé propose un guide (fig. 20-9).



L’information se communique et, donc, peut être modifiée constamment en fonction de l’interlocuteur et des expériences (fig. 20-10).



Ce support écrit doit servir de base à la communication avec le patient (fig. 20-11).




CONFORMITÉ DE L’INFORMATION


« Conformes aux données acquises de la science », le célèbre arrêt Mercier (1936) a été repris de façon littérale par le code de déontologie en son article 32 — « conformes » et non pas « fondés », ce qui suppose une appréciation. À l’instar, le droit des malades (loi 2002-303 du 4 mars 2003) parle de « connaissances médicales avérées ». Ce critère de soins pèse un poids de plus en plus important et de moins en moins assimilable rapidement [46]. D’une part, il existe un surenchérissement scientifique [32] et, d’autre part, une diversité technique foisonnante. Des références médicales opposables, des conférences de consensus, des recommandations, des fiches de bonne pratique, des rapports d’audit multiples et des fiches protocolaires constituent des strates directionnelles qui ont en commun d’être, au plan pratique, en retard sur les attitudes opératoires réfractives les plus récentes. Aucun système de mise à jour en ligne ou par document papier n’existe en ophtalmologie tant le recours aux avis collégiaux demande du temps. Une autre difficulté réside dans la faible et monopolistique production, en matière de chirurgie réfractive, d’articles français en peer review pouvant être considérés comme des preuves. La majorité des communications scientifiques anglo-saxonnes ou autres comportent souvent des méthodologies techniques ou d’environnement peu employés en France et sont publiées plus vite. Ce point est important, car les données « acquises » ne sont pas forcément les données « actuelles », ces dernières étant plus récentes et non obligatoirement validées [48, 52]. Faut-il suivre à la lettre une recommandation issue d’un organe médicoscientifique officiel ? La réponse est dans la nature de l’émetteur et dans le niveau de preuve. L’HAS emploie une échelle à trois degrés, où « A » correspond à un fort niveau de preuve [24]. Mais que faire si la situation place en regard d’un niveau « C » une donnée non prouvée mais apparemment plus pertinente ? La question n’est pas résolue car rien n’oblige au rafraîchissement des documents tuteurs. Notons que l’arrêt Mercier laisse la porte entrebâillée en disant : « (…) réserve faite de circonstances exceptionnelles ». Cette phrase n’a jamais été un argument fondant une jurisprudence et on ne peut donc pas lui donner un périmètre d’emploi.


Quand un procédé est-il « nouveau » ? La question est tranchée depuis 1959 par la Cour de cassation qui considère comme « actuelle » une méthode qui a dépassé le stade de l’expérimentation scientifique pour entrer dans la pratique courante. Mais ce n’est pas suffisant pour devenir une technique « acquise », qui demande aussi qu’elle soit connue comme acceptée par une partie importante de l’opinion scientifique [32]. L’innovation est spontanément associée par le praticien à un progrès thérapeutique, soit dans la délivrance soit dans l’effet. Les cornéoplasties presbytes sont loin de répondre pour les plus récentes à ce critère et, pourtant, elles sont de plus en plus employées. Le presbyLASIK est un exemple d’un procédé largement utilisé et pour lequel on pourrait ne pas parler de conformité tant les acteurs sont peu nombreux et les attentistes majoritaires en raison du très faible nombre de publications acceptées comme preuve. L’accélération des changements de méthode avant que la précédente soit reconnue posera des problèmes croissants en cas de judicia-risation croissante.


La personnalisation de l’information est une notion récente à considérer sérieusement. L’information préalable sur les risques d’une intervention chirurgicale doit être personnalisée et, par conséquent, tenir compte d’un éventuel terrain aggravant (tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, 24 février 2011, n° 0800457). Il est recommandé d’adjoindre à la fiche d’information un encadré libre permettant de porter l’accent sur la possibilité de majoration de certains risques et donnant les spécifications propres à la chirurgie planifiée. Cette attitude correspond mieux à l’identification du candidat avec le déroulé oral qui est globalement plus orienté vers la méthode retenue.



PREUVE DE LA DÉLIVRANCE DE L’INFORMATION


Un détournement de l’esprit de la loi de 2002 réside dans la notion de preuve de l’information, car elle est un levier largement employé dans les litiges où il est fréquemment mis en doute la validité de l’information donnée et la pertinence de celle-ci. Pour que le patient puisse prétendre à indemnisation, il faut qu’il puisse démontrer que le défaut d’information lui a réellement fait perdre une chance d’échapper au risque qui s’est produit. Les médecins et leurs conseils montent depuis 2002 des systèmes défensifs privilégiant les moyens matériels. Cette conséquence prévisible et compréhensible ne peut être évitée que par la prévention de la mise en question. Le but moral et éthique de l’information est de ne pas être en face d’un reproche du patient surpris par l’événement induit par l’intervention. Une chirurgie réfractive n’est pas une démarche médicale fondée sur la maladie ou la cosmétique. La chirurgie réfractive est une intervention élective relevant d’une décision volontaire et personnelle prise suite à d’un examen approfondi des risques et des avantages et de discussions entre le patient et ses médecins.


Il s’agit d’une opération réparatrice de convenance:



Dès lors, la satisfaction est l’objectif commun [40].


Une explication préalable permet à l’opéré de comprendre qu’un aléa envisagé comme un risque possible est devenu une réalité. La principale demande des patients a pour objet les risques, bien avant les bénéfices : le pivot est donc la pesée du ratio bénéfices/risques [30]. Quels risques citer ? Les risques graves, les risques bénins, les risques fréquents, les risques exceptionnels connus [15], les risques prévisibles et les risques recensés par la science médicale.


Puisque les actions en justice peuvent être intentées de nombreuses années après le traitement clinique, il est à conseiller de conserver dans des archives les anciennes versions des feuillets d’information ou d’autres documents, sur lesquelles ont été apposées les dates lors desquelles ces documents ont été utilisés, dans l’éventualité où il serait nécessaire d’y recourir lors de litiges qui surviendraient bien après qu’elles ont été remplacées par de nouvelles éditions. De même, le chirurgien conserve4 le double des courriers ainsi que des documents administratifs (convocation …) et, évidemment, copie du dossier médical avec tous les éléments considérés comme obligatoire dans le cadre d’un dossier certifié.



Principe de précaution


Ce principe, apparu en 1995 (loi 95-101 du 2 février 1995, art. 1), affirme que l’absence de certitude compte tenu des connaissances du moment ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnelles visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles de l’environnement à un coût économique acceptable. Ce principe ne s’applique pas à la santé, mais il est contenu dans le fameux précepte : primum non nocere, première application de l’évaluation du rapport bénéfice/risque. Il ne saurait être cité en cas de passivité nocive [38]. Sargos, partant de l’obligation des soins, estime que le principe de précaution comporte également le devoir de prendre des risques [48]. Cette position n’a jamais été appréciée juridiquement [15], mais elle est d’actualité avec les remous concernant la responsabilité des fabricants de dispositifs ou de produits pharmaceutiques [11].


La prévention concerne des événements indésirables, comme les maladies et accidents, alors que le risque n’est pas un événement : c’est un concept qui combine la probabilité de survenue d’un événement et la gravité potentielle de cet événement, ces deux composantes du risque étant classiquement illustrées par la courbe de Farmer (fig. 20-12). La gestion des risques et les indications chirurgicales coévoluent. Contrairement au paradoxe de Weichelsgartner5, la prévention des complications favorise l’intensification de la chirurgie, en permanence redessinée, précisément parce qu’elle ne permet jamais d’éliminer totalement les risques.



Le principe de prévention est le socle de l’examen réfractif. Son application conduit à construire un argumentaire pouvant conduire à récuser tout patient présentant un ou plusieurs facteurs de risque. Le principe de prévention connaît les dangers et en déduit une règle d’action.


La mise à jour continue de l’information est à rapprocher des principes de prévention et de précaution : son absence n’est pas déontologique et est source d’inertie médicale et de défiance chez les patients. Seul le respect des formations régulières en cours d’exercice professionnel permettra de tracer une bissectrice d’information commune aux ophtalmologistes.



Obligation de vigilance


Cette notion juridique prend une importance croissante. L’information des patients ne s’interrompt jamais. Toute donnée nouvelle acquise ou susceptible d’introduire un risque ultérieur doit être portée à connaissance [7]. La vigilance est différente de la surveillance; elle ne produit pas de taux; la notion de vigilance se rapporte à la détection de phénomènes sanitaires inhabituels ou même nouveaux, non encore décrits, susceptibles de se révéler préoccupants. Leur survenue appelle une série d’actions d’information (alerte) et de mesures visant à corriger la situation et prévenir de nouveaux épisodes du même type. Les tutelles, les laboratoires et les fabricants se doivent d’alerter le corps médical et les établissements de soins; puis, à leur tour, ceux-ci répercutent la notion aux patients. La nécessité du comptage endo-thélial cornéen annuel voire biannuel chez le porteur de lentilles intraoculaires phaques est une recommandation officielle procédant du constat en matériovigilance des effets délétères de certains dispositifs de ce type placés avec appui angulaire. Du reste, le seul modèle d’implant phaque multifocal disponible pour la correction de la presbytie fut retiré du marché en raison de ces complications.



Signature


Rien de ce qui concerne l’information ne nécessite une signature puisque la forme est laissée libre. En dépit de cette certitude, depuis une dizaine d’années sous l’influence des hommes de droit, il a été procédé à ce recueil du paraphe; mais une confusion a été faite entre le document d’information et le consentement. Seul ce dernier exige une signature, puisqu’il est contractuel [12]. Son inconvénient tient dans son caractère général et à la confusion volontaire entre la délivrance de la fiche informative et le consentement. Si l’unicité des fiches mixtes est pratique, elle limite d’une part l’information au contenu écrit et, d’autre part, elle ne reconnaît pas la primauté de l’instruction orale. En regard des jurisprudences actuelles, le consentement doit absolument être complété par un encart propre à l’opération projetée. Enfin, il faut penser aux autorisations préalables pour les actes connexes. Ainsi, filmer, photographier un patient suppose son accord et il faut recueillir le consentement. L’analgésie ou l’anesthésie doit pour son propre compte faire l’objet d’une information répondant aux mêmes règles. Ce point n’est pas négligeable puisque la très grande majorité des interventions réfractives s’effectuent en l’absence de médecin anesthésiste [6].

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Jun 6, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 20: Le candidat à la chirurgie réfractive de la presbytie

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