20 Bonnes pratiques de réadaptation
Organisation des services de réadaptation
Score de mesure de l’autonomie fonctionnelle
Traduction : Gilbert Carvalhana
Vue d’ensemble
Les fractures de hanche sont des événements potentiellement catastrophiques qui surviennent fréquemment dans la vie des personnes âgées. Ces lésions sont parmi les principales causes d’invalidité et de mortalité chez les patients âgés et représentent une charge importante pour les systèmes de santé1–3. Les chercheurs ont également montré que ces patients présentent un déclin progressif de la fonction physique, avec moins de 30 % des patients ayant retrouvé leur niveau de fonction antérieur à la fracture4–6. Jusqu’à un tiers des victimes de fracture de hanche deviennent dépendants et institutionnalisés7,8. Les résultats fonctionnels à long terme ont des coûts ainsi que des effets directs et indirects significatifs non seulement sur les patients, mais aussi sur leurs familles ou les personnels soignants.
En outre, l’incidence globale des fractures de hanche a augmenté rapidement en raison de l’allongement de l’espérance de vie ainsi que de l’augmentation de l’âge au moment de la lésion9. Cette augmentation du nombre de fractures de hanche associée au déclin fonctionnel à long terme mentionné plus tôt ont suscité un élan dans l’évaluation de l’efficacité du traitement de la fracture au sein du continuum des soins. Les programmes axés sur la continuité des soins qui adoptent une approche multidisciplinaire et accélèrent la réadaptation ont permis une réduction des coûts des soins après une fracture de hanche10.
Le parcours de soins intégré a amélioré la qualité et le résultat des soins des patients porteurs d’une fracture de hanche qui présentent des problèmes complexes (par exemple des problèmes médicaux concomitants, la fragilité), bien que cette approche nécessite plus de ressources11. Ce type de prise en charge a été utilisé pour mettre en œuvre un modèle de soins dans le Total Joint Network (www.totaljointnetwork.org), qui rassemblait 35 organisations de santé de la région de Toronto travaillant en collaboration pour améliorer les soins des patients atteints d’une fracture de hanche12. Après la démonstration de l’amélioration des résultats avec ce projet pilote, le gouvernement de la province d’Ontario est en train de réviser son modèle afin d’étudier sa mise en œuvre et sa pérennité. L’analyse des bonnes pratiques de réadaptation et l’évaluation des services existants peuvent fournir un cadre pour instituer un parcours de soins dans n’importe quel endroit. La clé du succès est la collaboration entre les différentes composantes favorisant la continuité des soins au sein du système de santé, avec pour objectifs d’améliorer l’efficacité du système et les soins aux patients. Ce chapitre examine les recommandations de bonnes pratiques en matière de prise en charge des problèmes médicaux dans la phase post-aiguë des fractures de hanche, et les principes impliqués dans l’organisation des services de réadaptation.
Organisation des services de réadaptation
Définition de la réadaptation
La réadaptation est un processus orienté et limité dans le temps visant à permettre à une personne aux possibilités affaiblies d’atteindre un niveau fonctionnel mental, physique ou social optimal, et ainsi à offrir à cette personne des outils nécessaires pour changer sa vie13. Les soins multidisciplinaires correspondent à la collaboration de professionnels de santé pour la prise en charge des patients. L’équipe se compose habituellement d’un médecin de réadaptation, d’une infirmière de réadaptation, d’un travailleur social, d’un ergothérapeute, d’un kinésithérapeute et d’un orthophoniste. L’équipe peut également comporter un pharmacien, un psychologue, un thérapeute de loisirs et des auxiliaires d’ergothérapie ou de kinésithérapie. Pour optimiser le potentiel de réadapta’ tion, les soins multidisciplinaires fournissent différentes compétences afin de répondre aux problèmes complexes associés aux comorbidités médicales, aux complications médicales et chirurgicales, et aux limitations fonctionnelles prémorbides14. Dans l’environnement actuel de réduction des coûts, il faut veiller à ce que les mesures économiques à court terme ne compromettent pas les résultats à long terme des patients âgés ayant une fracture de hanche15.
Lieu de réadaptation
La réadaptation peut se dérouler dans des lieux différents et commence habituellement après l’intervention dans le cadre des soins aigus. Une revue systématique réalisée par Chudyk et al.16 concernant la réadaptation des patients atteints d’une fracture de hanche dans les soins aigus a montré que la prise en charge par un gériatre, de la kinésithérapie fréquente (1,5 heure par jour, 5 jours par semaine) et de l’ergothérapie (1 heure par jour, 5 jours par semaine) était associée à une récupération accrue en ambulatoire. La réadaptation de patients hospitalisés se déroule généralement dans un hôpital de réadaptation, un hôpital de soins aigus muni d’un service de réadaptation, ou dans un service comprenant des soins infirmiers spécialisés comme dans un hôpital de long séjour, un centre de soins continus, ou une maison de retraite. Une thérapie intensive pendant 3 heures par jour, 5 à 7 jours par semaine est assurée par une équipe multidisciplinaire dans un hôpital ou un service de réadaptation, tandis que dans un long séjour, l’intensité est moindre, avec 1 heure par jour pendant 3 jours par semaine. La participation des médecins et l’expertise des professionnels de santé sont souvent plus limitées dans les endroits où les soins sont les moins intensifs. Les programmes intensifs des patients hospitalisés en établissement de réadaptation présentent des résultats fonctionnels supérieurs et une diminution de la durée de séjour, par rapport à un service de soins infirmiers spécialisés17 ou à un service d’un hôpital local18.
Assurer la continuité des soins
Retour à domicile avec soins ambulatoires
Ce sont souvent les patients jeunes et moins fragiles qui sont le plus susceptibles de rentrer à domicile après un traitement en soins aigus. Dans une étude, l’absence de complications postopératoires associée à un protocole de plus d’une séance de kinésithérapie par jour a augmenté les chances d’indépendance précoce en termes de mobilité19. L’exercice et l’entraînement à la marche ainsi que la kinésithérapie améliorent l’intégration à domicile et dans la communauté.
Réadaptation en milieu hospitalier avec unité de réadaptation ou en centre de réadaptation, et transferts
La réadaptation fournit les services essentiels à l’acquisition d’une indépendance fonctionnelle de ces patients. La réadaptation dans les suites des services de soins aigus peut intervenir dans divers endroits, comme mentionné précédemment. Une évaluation précise fondée sur des critères spécifiques peut aider à décider quels types de patients sont adaptés à telle ou telle structure, afin de parvenir aux meilleurs résultats à des coûts raisonnables. L’objectif idéal est de fournir le bon niveau de réadaptation au bon moment et au bon endroit20. Les deux concepts suivants sont importants dans cette transition.
1. La stabilité médicale ou la rapidité : les transferts précoces (de J5 à J10) vers une unité de réadaptation fournissent un environnement structuré et des soins qualifiés encourageant l’indépendance fonctionnelle. Avant le transfert, toutes les explorations essentielles et les consultations doivent être achevées, et la prise en charge des problèmes médicaux du patient doit être communiquée efficacement à l’équipe de réadaptation de l’établissement.
2. Processus de rapatriement : en milieu urbain, où les hôpitaux de soins aigus et les hôpitaux de réadaptation sont nombreux, il est essentiel que les patients de réadaptation présentant des pathologies instables puissent de nouveau être pris en charge en aigu. Toutefois, du fait de la difficulté d’accès aux services d’urgences en milieu urbain (en raison de l’affluence, des fermetures temporaires, et des redirections des problèmes urgents vers les soins aigus), le rapatriement des patients médicalement instables vers le service des soins aigus d’origine est plus simple. En raison du transfert précoce vers la réadaptation, il peut survenir des problèmes médicaux ou des décompensations de pathologies préexistantes qui nécessitent des interventions de diagnostic et de spécialité. Par conséquent, un accord de rapatriement est essentiel pour assurer la continuité optimale des soins.
Patients hospitalisés en service de réadaptation : recommandations pour les problèmes médicaux habituels rencontrés au cours de la réadaptation
Delirium
Le delirium (ou état confusionnel aigu) (fig. 20-1) touche 13 à 61 % des patients après une fracture de hanche et présente un facteur prédictif indépendant de mauvais résultats fonctionnels21,22. Dans une étude, le delirium à l’admission était associé à une mauvaise fonction dans les domaines physique, cognitif et affectif à 6 mois de la fracture22. L’identification et la prise en charge précoces du delirium sont indispensables à la participation des traitements. La méthode d’évaluation de la confusion (Confusion Assessment Method [CAM]) est un instrument simple et rapide pour détecter le delirium avec de grandes spécificité et sensibilité23. Cette méthode diagnostique comporte les caractéristiques suivantes : (1) début soudain et fluctuation des symptômes, (2) inattention, (3)désorganisation de la pensée, et (4) altération de l’état de conscience. Un score de CAM est considéré comme positif si le patient a une des combinaisons suivantes : 1, 2 et 3 ; 1, 2 ou 4 ; ou 1, 2, 3 et 4. L’agitation est souvent associée à un delirium ; cependant, l’équipe clinique doit être sensible aux états d’hypodelirium (comportement renfermé, activité faible), qui sont également des manifestations de delirium.
Les interventions infirmières et médicales peuvent réduire le delirium postopératoire et améliorer les résultats dans les suites des fractures de hanche24. Les interventions médicales habituelles sont les suivantes :
• ajustements des médicaments (arrêter ou réduire les benzodiazépines, les antihistaminiques et les anticholinergiques) ;
• contrôle des complications qui pourraient être associées au delirium (par exemple anémie, insuffisance cardiaque, infections des voies urinaires, rétention urinaire, constipation, pneumonie, thrombose veineuse profonde et embolie pulmonaire) ;
• dépistage des troubles métaboliques et de la déshydratation ;
• prise en charge de la douleur ;
Les interventions infirmières sont fondées sur des soins structurés et cohérents, ainsi que sur la prise en charge adaptée au programme de l’amélioration des fonctions24. Ces interventions comprennent les éléments suivants :
• réorientation du patient en utilisant les calendriers, les horaires et les horloges ;
• environnement : maintien de la routine quotidienne, présence de la lumière du soleil pendant la journée, et encouragement de l’utilisation des aides auditives et visuelles ;
• participation du patient aux traitements ;
• encouragement des soins personnels ;
• encouragement de la participation des familles ;
• communication par phrases simples, courtes et claires ;
• hygiène du sommeil : favoriser l’heure régulière du coucher, réduire les siestes, et aides pour l’élimination nocturne (chaise percée, protections diverses) (McGilton, Calabrese et al., données non publiées).
Comorbidités
L’évaluation médicale doit être poursuivie dans la structure de réadaptation, car l’aggravation de n’importe quelle comorbidité peut prolonger la durée du séjour, et peut causer d’autres décompensations à un individu déjà fragile pouvant conduire à des mauvais résultats fonctionnels. Bernardini et al.26 ont rapporté que les patients de plus de 65 ans admis dans une unité de réadaptation gériatrique après une fracture de hanche présentaient des troubles complexes et multiples, en interaction, et que 78 % de ces patients souffraient de comorbidités importantes. La pneumopathie et l’insuffisance cardiaque étaient les complications les plus courantes en postopératoire et nécessitaient une évaluation spécialisée en raison des troubles potentiellement mortels27.
L’incidence rapportée des escarres en postopératoire est comprise entre 10 et 40 %. Les matelas en mousse et à pression alternée réduisent l’incidence du développement des escarres par rapport aux soins habituels, ce qui comprend les changements manuels de décubitus des patients28.
Troubles cognitifs et démence
Les patients atteints de démence sous-jacente sont plus susceptibles d’avoir un delirium21, avec un risque plus élevé à long terme d’institutionnalisation et de mortalité après une fracture de hanche8. Les patients atteints de démence peuvent se voir refuser l’accès aux programmes intensifs de réadaptation dans certains pays29, en raison du risque potentiel de mauvais résultats. Les preuves de grade A et de niveau 1 indiquent que les patients atteints de démence légère ou modérée peuvent bénéficier d’une équipe multidisciplinaire de réadaptation afin d’améliorer leurs fonctions30,31. Des résultats comparables ont été retrouvés chez des patients atteints de troubles cognitifs et chez des patients sans troubles cognitifs au sein d’un service dédié aux fractures de hanche32,33. Heruti et al.34 ont montré que les gains absolus de motricité étaient indépendants de l’état cognitif des patients. La réadaptation postfracturaire intensive précoce favorise l’autonomie fonctionnelle et permet le retour à la vie sociale pour les patients âgés à risque de placement en maison de retraite12,35.
Diagnostic de démence
Une démence est diagnostiquée chez une personne lorsque des déficits acquis sont suffisants pour interférer avec son fonctionnement social ou professionnel, en l’absence de dépression ou de trouble de la conscience36. Lorsque le patient présente objectivement une perte de la mémoire ou une diminution de la cognition dans d’autres domaines au niveau des tests mentaux, les fonctions des activités quotidiennes doivent être évaluées. L’histoire relevée parallèlement par un soignant doit être utilisée pour corroborer cette évaluation. Des investigations doivent être effectuées afin de dépister des affections réversibles, telles que des infections et des anomalies métaboliques pouvant aggraver ou même provoquer le déclin cognitif. L’abus de substances, les effets indésirables de médicaments et la dépression doivent être exclus.
Le terme de dysfonction cognitive sans démence est utilisé lorsque les déficits ne répondent pas aux critères de la démence37. La surveillance de ce groupe est essentielle, car 5 à 6 % de ces patients évolueront vers la démence. Le diagnostic de démence, durant cette période post-aiguë, doit être posé avec prudence. Ce n’est qu’après avoir laissé le temps pour qu’un delirium potentiel se stabilise et qu’après avoir réglé et stabilisé les problèmes médicaux qu’un patient âgé sera évalué de façon réaliste, dans son environnement prélésionnel ou dans un environnement non hospitalier.
Prise en charge de la démence
Dans le cadre de la réadaptation, les membres du personnel doivent avoir les compétences, les attitudes et les connaissances nécessaires afin d’encourager la thérapie et les activités fonctionnelles chez les patients atteints de démence. Les difficultés de communication en termes de compréhension et de suivi des instructions peuvent être aggravées par des déficits de l’audition et de la vision. Les problèmes de mémoire à court terme entraînent des difficultés de mémorisation des exercices et des instructions lors des activités fonctionnelles et lors de l’utilisation des aides à la marche. La répétition et le repérage sont indispensables. Les patients et les membres de la famille doivent être informés sur la maladie et sur la façon dont il faut faire face à ses manifestations. Cette éducation comprend les modifications appropriées dans l’environnement familial, et l’apprentissage de la communication et de l’interaction avec le patient. Les stratégies d’adaptation devraient être encouragées chez les soignants, afin de réduire leur stress38.
Lorsque le patient montre de l’anxiété ou de l’agitation au cours du séjour en réadaptation en l’absence de cause évidente, une évaluation minutieuse doit être effectuée afin de déterminer l’origine de ces comportements. Cette cause est probablement liée à un besoin non satisfait (par exemple la douleur, la faim, la peur, la constipation). Les comportements perturbateurs peuvent mettre en danger le patient ou le personnel, et provoquer du stress, de la peur, ou une mauvaise intégration sociale39. Les conséquences du comportement doivent être retranscrites et documentées afin de réduire le nombre des incidents, le patient apprenant à reconnaître et à anticiper les conséquences et donc à éviter la provocation39.
Les interventions non pharmacologiques sont recommandées et comportent des interventions pour répondre aux besoins des patients. Ces interventions comprennent des modifications de l’environnement, des approches relationnelles, et des techniques comportementales spécifiques. Si le patient continue d’être agité, des interventions pharmacologiques peuvent être entreprises. Les nouveaux neuroleptiques atypiques tels que la rispéridone, l’olanzapine et la quétiapine sont préférés aux neuroleptiques traditionnels en raison de l’incidence importante des effets secondaires extrapyramidaux. Une tentative d’administration de traitements cognitivo-stimulants, tels que le donépézil et la rivastigmine, peut être envisagée si les caractéristiques de la démence ressemblent au comportement préfracturaire. Un suivi doit intervenir tous les 3 mois pour évaluer la réponse du patient38.
Prise en charge de la douleur
Un contrôle inadéquat de la douleur postopératoire est associé à une durée de séjour plus importante à l’hôpital, à des séances de kinésithérapie manquées ou raccourcies, à un retard de déambulation après la chirurgie, et à une locomotion altérée à 6 mois postfracturaires40. La douleur postopératoire et les stratégies de prise en charge de la douleur sont indépendantes du développement du delirium postopératoire41. Dans une étude, les patients qui ont reçu par voie orale des analgésiques opioïdes comme principale méthode de prise en charge de la douleur postopératoire étaient moins à risque de développer un delirium par rapport à ceux recevant une analgésie autocontrôlée (patient-controlled analgesia [PCA]). Les analgésiques opioïdes administrés par voie orale peuvent entraîner un niveau sanguin inférieur de substance active en raison de l’effet de premier passage, comparativement aux substances administrées par voie intraveineuse, qui peuvent traverser directement la barrière hémato-encéphalique41.
Arinzon et al.42 ont montré que la perception de la douleur lors de l’admission en réadaptation gériatrique est inversement corrélée avec le soutien de la famille, l’état fonctionnel préfracturaire et le statut cognitif à l’admission, et corrélée positivement avec une humeur dépressive. La moyenne de l’échelle visuelle analogique (EVA) à l’admission dans l’établissement de réadaptation dans cette étude était de 7,38 ± 1,20 et de 3,67 ± 1,18 à la sortie. La douleur s’est révélée être une variable indépendante prédictive de la sortie sur l’échelle de mesure de l’autonomie fonctionnelle (Functional Independence Measure [FIM]). À chaque point supplémentaire sur l’EVA, la durée de séjour est augmentée de 4,76 jours, et la mesure, grâce à l’échelle FIM, de la prévision de la sortie est diminuée de 6,7342.
Le traitement insuffisant des patients âgés est illustré par un article de 1998 de Bernabei et al.43, qui ont montré que même chez les patients atteints d’un cancer et atteints de troubles cognitifs, les médecins ont tendance à sous-traiter la douleur chronique. Dans cette étude, un quart des patients n’ont reçu aucun antalgique, et presque la moitié de ces patients n’ont reçu aucun morphinique, comparativement aux patients sans troubles cognitifs ayant reçu des antidouleurs43.