CHAPITRE 2 Vieillissement naturel du système d’accommodation
Vieillissement de la zonule
CHANGEMENTS ANATOMIQUES LIÉS À L’ÂGE
Avec l’âge, les fibres équatoriales de la zonule antérieure se raréfient jusqu’à pratiquement disparaître. Dans le même temps, la circonférence du cristallin augmente aux dépens de l’espace péri-cristallinien situé entre l’équateur du cristallin et le corps ciliaire. Progressivement, la zonule s’insère de plus en plus antérieurement sur la capsule [11]. La distance augmente donc entre l’insertion capsulaire des fibres du contingent antérieur de la zonule et l’équa-teur du cristallin [22]. Cette évolution sénile permet d’observer que la longueur des fibres zonulaires reste approximativement identique, tandis que la circonférence équatoriale du cristallin augmente (fig. 2-1a).
CHANGEMENTS BIOCHIMIQUES LIÉS À L’ÂGE
La composition des fibres zonulaires résulte de l’association entre plusieurs macromolécules originellement produites par l’épithé-lium non pigmenté du corps ciliaire. La principale d’entre elles est la fibrilline [2]. Elle constitue des domaines microfibrillaires pseudoélastiques. Comme l’élastine, elle possède un cycle de renouvellement extrêmement lent dans l’organisme [15]. Du calcium et des glycosaminoglycanes (GAG) sont présents sur les domaines microfibrillaires de fibrilline [6], modulant l’élasticité de la zonule [24]. Au cours du vieillissement, du calcium et des lipides s’accumulent sur la fibrilline. Ceci ne modifie que de manière négligeable l’élasticité zonulaire, c’est-à-dire sa capacité à retrouver sa forme initiale après une déformation sous contrainte. En revanche, cela augmente sa rigidité et l’extensivité des fibres zonulaires diminue d’environ 35 %, entraînant une perte d’élongation potentielle d’environ 0,5 mm tous les cinq ans [1]. De même, en tant que tissu constitué de microfibrilles, la zonule est préférentiellement altérée par le processus progressif de dégradation enzymatique des protéines, ce qui la fragilise [14]. Ce phénomène est amplifié avec le temps, puisque le constituant principal de la zonule se renouvelle peu. Cela favorise de surcroît la liaison des microfibrilles entre elles (cross-linking naturel lié au vieillissement) [14]. Les produits de dégradation de la zonule s’accumulent avec l’âge et se déposent dans son environnement, sur ses fibres elles-mêmes, sur la capsule cristallinienne, l’iris ou le corps ciliaire.
Vieillissement du cristallin et de sa capsule
CHANGEMENTS CAPSULAIRES
La capsule du cristallin est assimilable à la membrane basale des cellules épithéliales cristalliniennes. Le collagène IV de la capsule cristallinienne, qui s’accumule avec le temps mais ne se renouvelle pratiquement pas, subit un cross-linking naturel et un processus de glycation. Son épaisseur est pratiquement doublée entre la première et la huitième décennie. En conséquence, sa rigidité augmente. Proportionnellement, la capsule perd de son élasticité. Si l’extensivité capsulaire est estimée à 100 % vers l’âge de dix ans, elle devient inférieure à 50 % après soixante-quinze ans [19]. Au cours d’une vie qui durerait cent ans, la rigidité capsulaire augmenterait d’un facteur 10 [20, 31, 34]. La compression maximale applicable à une capsule antérieure humaine testée ex vivo diminuerait d’environ 1 % par an [20]. L’évolution de l’élasticité n’est cependant pas linéaire et on peut observer un infléchissement net des propriétés élastiques capsulaires vers l’âge de trente-cinq ans [20], ce qui préfigure les conditions de la presbytie.
CHANGEMENTS MACROSCOPIQUES DU CRISTALLIN LIÉS À L’ÂGE
Le cristallin grossit constamment au cours de l’existence, en raison de l’accumulation de ses fibres épithéliales cristalliniennes qui migrent de la région équatoriale vers les pôles antérieur et postérieur [7]. De la vie fœtale à la naissance, sa masse s’accroît de 181 mg sur un an; par la suite, cette croissance ralentit considérablement pour atteindre en moyenne 1,3 mg par an, soit cent fois moins rapidement [3, 32].
À la naissance, son diamètre équatorial est déjà de 6,5 mm et son épaisseur sagittale de 3 mm. Vers trente ans, la croissance équatoriale est pratiquement nulle [23]. La croissance sagittale, elle, se poursuit de manière permanente, expliquée pas la production et la migration des fibres de la région équatoriale vers les pôles antérieur et postérieur. Elle s’effectue donc aux dépens des faces antérieure et postérieure [9, 17, 26]. À partir de la quatrième décennie, le cristallin augmente à nouveau progressivement dans son diamètre équatorial en même temps que dans son épaisseur sagittale antéropostérieure. Vers l’âge de quatre-vingt-dix ans, ses mensurations atteignent respectivement 9 mm de diamètre environ et 5 à 6 mm d’épaisseur.
La consistance du cristallin se modifie. Le cortex et le noyau du cristallin se compartimentent, organisant une barrière fonctionnelle entre la périphérie corticale et le centre nucléaire [27]. Le noyau du cristallin se durcit [16], tandis qu’il se compacte [5]. Le module d’élasticité du cortex augmente [12]. Parallèlement, étant plus sensible à la gravité, la position axiale du cristallin s’abaisse.
CHANGEMENTS BIOCHIMIQUES DU CRISTALLIN LIÉS À L’ÂGE
La nature du cristallin se modifie aussi. Son vieillissement favorise l’altération de ses protéines qui acquièrent des propriétés nouvelles. Elles acquièrent une pigmentation jaune, elles filtrent de plus en plus les longueurs d’ondes courtes du spectre lumineux visible (violet et bleu), se comportant comme des fluorochromes. Ces protéines dénaturées favorisent, avec l’âge, la diffraction lumineuse [29], le décalage des longueurs d’ondes lumineuses visibles vers les couleurs chaudes et augmentent l’autofluorescence du matériel cristallinien. Elles favorisent l’apparition d’aberrations d’ordre élevé, en particulier sphériques positives. De petites opacités se disséminent progressivement dans le cortex cristallinien, jusqu’à finir par former des vésicules visibles macroscopiquement, qui altèrent la qualité de la transmission lumineuse au travers du matériel cristallinien et augmentent la diffraction lumineuse [30].
Le cristallin est le tissu contenant la phase protéique la plus dense de l’organisme humain [28], ce qui lui confère un indice réfractif élevé. Il contient des protéines cristallines, des antioxydants et des protéines qui font office de filtre aux ultraviolets (UV). Il est naturellement exposé à l’irradiation lumineuse environnementale. Il en résulte un stress oxydatif naturel et cumulatif, ainsi qu’une tendance à l’agrégation des protéines cristallines entre elles. Les mécanismes de compensation oxydatifs sont très puissants et variés. Parmi eux, le glutathion est synthétisé dans le cortex puis diffuse dans le noyau. Il piège le peroxyde d’hydrogène (H2O2) très oxydant généré par les radiations environnementales. De nombreuses protéines chaperonnes empêchent l’agrégation et la dénaturation des protéines du cristallin [8, 27, 28]. Avec l’âge, le gradient de concentration des protéines du cristallin, fortement impliqué dans le pouvoir réfractif du matériel cristallinien, se répartit différemment : il augmente dans le centre du cristallin, alors qu’il diminue dans son cortex [21]. Par ailleurs, les agents protecteurs contre l’agrégation et l’oxydation s’altèrent [13, 18, 33]. Les antioxydants encore présents diffusent beaucoup plus difficilement vers le noyau. De fait, la proportion d’H2O2 augmente et dénature les protéines du cristallin, dont les protéines du noyau qui ont plus tendance à s’agréger entre elles. Le cristallin perd progressivement sa transparence et ses propriétés biomécaniques se modifient. La proportion de protéines filtres anti-UVA dénaturées augmente de 12 % chaque décennie [15], ce qui d’une part laisse de plus en plus pénétrer vers le noyau les UVA responsables d’un stress oxydant additionnel et, d’autre part, augmente les phénomènes de diffraction. Parallèlement, le calcium s’accumule et forme de petites vésicules dont le nombre et le volume augmentent avec l’âge. Le potentiel membranaire des fibres cristalliniennes décline après l’âge de quarante ans, favorisant la diffusion des ions dans le cristallin, notamment l’ion Na+ [10]. L’hydratation progressive des fibres cristalliniennes, corrélée à l’accumulation d’ions Na+ dans les fibres cristalliniennes, augmente la diffraction de la lumière à travers le cristallin et diminue l’indice réfractif.

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