Techniques des sutures. Considérations sur la reconstruction méniscale
Meniscus reconstruction: Technical aspects
Résumé
La chirurgie arthroscopique a préparé le terrain pour le traitement des lésions méniscales. Le concept selon lequel ces derniers seraient des structures vestigiales a été réfuté depuis bien longtemps. L’intégrité de ces cartilages semi-lunaires doit être maintenue et ils doivent donc être traités avec soin. La résection partielle est devenue le standard du traitement, sous réserve qu’elle soit bien indiquée. La suture et la reconstruction méniscales ont pris de l’importance dans la panoplie des traitements chirurgicaux. Ces traitements ont amené une véritable explosion de dispositifs et matériaux conçus pour obtenir une stabilisation satisfaisante du ménisque et de sa déchirure, et ces progrès ont permis d’améliorer la qualité des résultats cliniques à long terme.L’association à une rupture méniscale d’autres lésions traumatiques du genou (ligament croisé antérieur, ligament croisé postérieur, ligaments collatéraux) a une importance capitale pour la décision thérapeutique. Les résultats à long terme ont clairement démontré l’importance de la réparation du ménisque et des structures ligamentaires sur le devenir des surfaces articulaires. En revanche, dès qu’une résection partielle, quelquefois étendue, est pratiquée, le concept de la slippery slope (pente savonneuse) de P. Verdonk et al. s’applique au genou considéré.La résection du ménisque et la perte de l’équilibre ligamentaire exigent en règle un traitement approprié. En effet, la perte du tissu méniscal nécessite son remplacement. Par ailleurs, le genou doit être stabilisé. La réparation ligamentaire est depuis longtemps un standard du traitement de l’instabilité du genou. En revanche, le remplacement méniscal, même partiel, fait aujourd’hui encore partie du domaine de la recherche clinique. Après une résection totale, le remplacement du ménisque par allogreffe a fait la preuve de son efficacité, avec des résultats à long terme (10 à 15 ans) satisfaisants. Les allogreffes cryopréservées, congelées (à –80 °C), et vivantes (fraîches) procurent 70 % de résultats tout à fait satisfaisants quelle que soit la technique de conservation utilisée. C’est surtout dans le compartiment externe du genou que ces allogreffes sont utiles. Heureusement, ces lésions sont peu fréquentes. Le plus souvent, le patient a eu une méniscectomie partielle avec conservation du mur méniscal. On explore actuellement de nouveaux concepts d’implants adaptés aux résections partielles, capables de résister aux contraintes du genou lors de l’appui. On trouve parmi ceux-ci le ménisque en collagène (CMI, Steadman, Rodkey) et une matrice en polyuréthane (Actifit, J. De Groot) dont le but est de recréer l’homéostasie normale et ainsi un genou indolore et fonctionnel. Cette matrice de « remplacement méniscal », résorbable et pourtant résistante à la charge, permet par sa porosité une recolonisation de ce tissu qui est progressivement réhabité.Le mot d’ordre « sauvez le ménisque » qui peut servir de conclusion à cette conférence, est ainsi tout à fait d’actualité. Il faut en effet réparer le ménisque le plus souvent possible, sur la base de bonnes indications et avec un matériel de suture de plus en plus sophistiqué et efficace. C’est ainsi que nous pourrons obtenir à long terme une fonction satisfaisante du genou réparé.
Summary
Surgical arthroscopy has been instrumental in promoting the recent advances in the treatment of meniscal injuries. Menisci are no vestigial structures ; their functional integrity should be preserved or restored. Partial meniscectomy has become the standard of treatment when indicated. However, arthroscopic suturing of meniscal ruptures and meniscal reconstruction have gained importance in the surgeon’s armamentarium. A number of devices and materials have been developed to stabilize a ruptured meniscus. This has resulted in improved long-term clinical outcome.
Introduction
Le mot d’ordre « conserver le ménisque » est fondé sur l’histoire naturelle de ce « disque en tissu mou » de l’articulation du genou. Ce « disque » est considéré à tort par certains comme une structure vestigiale du « système de transmission » de cette articulation. L’ontogenèse des cartilages semi-lunaires du genou et leur évolution démontrent en effet que les ménisques ne sont nullement des structures vestigiales. Leur configuration anatomique individuelle les rend irremplaçables du fait de leur fonction biomécanique. Le tissu méniscal de chaque individu doit donc être préservé dans la mesure du possible, afin de sauvegarder avec lui les cellules qui assurent la « maintenance » de ce système de transmission du genou [53]. En effet, il a été bien démontré que la fonction principale des ménisques est la transmission des charges du fémur au tibia. Ce mécanisme de transmission intervient tout au long du mouvement de flexion-extension du genou. Les ménisques sont en effet attachés au tibia, essentiellement par des ligaments attachés au niveau de leurs cornes mobiles, ce qui permet leur déplacement dans toutes les directions. Le ménisque externe est plus mobile que le ménisque interne.
Classification des lésions méniscales
Les techniques d’imagerie sont indispensables. Les techniques les plus utilisées sont la tomodensitométrie (CT-scan) et l’imagerie par résonance magnétique (IRM), avec ou sans produit de contraste [11].
Indications des sutures méniscales
Une suture méniscale est généralement pratiquée pour trois types d’indications.
• La suture du corps méniscal est l’indication la plus fréquente, principalement les ruptures verticales des cornes postérieures et les ruptures en anse de seau. Les ruptures horizontales ou radiaires font plus rarement l’objet d’une suture. En effet, une suture de rupture horizontale n’est en règle envisagée que pour des délaminations du segment moyen du ménisque externe, souvent en combinaison avec le débridement d’un kyste méniscal externe. Les ruptures radiaires sont extrêmement rares ; elles sont parfois observées chez l’enfant.
• Les ruptures de la périphérie du ménisque au niveau de la jonction ménisco-synoviale sont moins fréquentes que celles décrites précédemment. Elles sont plus difficiles à diagnostiquer lors de l’arthroscopie et sont donc parfois méconnues. La suture de ces ruptures s’effectue généralement au moyen de techniques de suture classiques.
• Les désinsertions osseuses des ligaments ménisco-tibiaux (déchirures de l’insertion méniscale) entraînent une perte complète de la capacité du ménisque à convertir les forces de compressions axiales en forces circonférentielles, comme après méniscectomie totale [3]. Ces lésions sont rares et des techniques de suture qui leur sont adaptées n’ont été que récemment décrites (figure 1) [47].
Figure 1 Le but de la réparation méniscale est de remettre à neuf la biomécanique du ménisque. De cette façon, des forces de compression (grande flèche) sont transmises de façon radiaire (petites flèches). Il est absolument nécessaire que les cornes du ménisque antérieur et postérieur soient sécurisées dans l’os du tibia par les ligaments méniscaux tibiaux (points noirs).
Technique des sutures méniscales
Les bases biomécaniques de la suture du ménisque et les techniques de suture elles-mêmes ont nettement progressé depuis l’étude de Kohn et Siebert [32] de 1989.
Principes
Présentation arthroscopique
Le ménisque interne est vascularisé sur 20 à 30 % de sa périphérie, et le ménisque externe est vascularisé sur 10 à 25 % de sa périphérie [7]. Arnoczky et Warren ont établi une classification des déchirures selon la zone dans laquelle elles sont situées [7]. La zone 0 correspond à la jonction méniscosynoviale périphérique, la zone 1 à la zone rouge-rouge, la zone 2 à la zone rouge-blanc, et la zone 3 à la zone blanc-blanc. Pour DeHaven, les déchirures méniscales situées à 3 mm de la périphérie sont situées en zone vascularisée, celles situées à 5 mm ou plus de la périphérie en zone avasculaire, et celles situées entre 3 et 5 mm en zone de vascularisation variable [16]. Les ruptures situées dans les zones rouge-rouge et rouge-blanc sont réparables. Une suture de déchirure méniscale située dans la zone blanc-blanc ne présente qu’un faible potentiel de cicatrisation.
Il faut évaluer l’apparence macroscopique du tissu méniscal (normal ou dégénératif).
Avivement (ou « débridement »)
Pour éliminer le tissu fibreux, il faut aviver les parois de la déchirure avec un rongeur, une râpe ou un grattoir (figure 2). L’avivement doit être particulièrement énergique au niveau de la partie périphérique du ménisque afin de favoriser une réponse cicatricielle et de préserver le tissu méniscal de la partie centrale. Dans certains cas, on peut pratiquer de multiples perforations avec une aiguille à la périphérie du ménisque afin de stimuler la vascularisation de la zone de suture par le biais de canaux vasculaires. Le débridement du segment médial postérieur peut être difficile. L’utilisation d’une voie d’abord postérieure améliore la qualité de l’avivement, comme Pujol et al. l’ont montré [43].
Technique
Première génération : technique à ciel ouvert
Les techniques de suture de la première génération nécessitaient une intervention à ciel ouvert [5]. La technique de réparation méniscale à ciel ouvert a été bien décrite par DeHaven et al. [17] ; elle nécessite une arthrotomie avec un abord rétroligamentaire (figure 3). S’il s’agit d’une rupture périphérique longitudinale et verticale, il faut inciser la capsule en arrière du ligament collatéral et ouvrir la synoviale pour obtenir un accès direct au segment postérieur du ménisque et à la déchirure. En cas de déchirure horizontale, il faut disséquer le bord méniscosynovial pour exposer le bord périphérique du ménisque et le clivage horizontal (figure 3).
Figure 3 Une arthrotomie postéromédiale rend la suture de la rupture horizontale du ménisque plus aisée.
Les variantes de cette technique sont les suivantes :
• sutures orientées verticalement dans la capsule et nouées en dehors de l’articulation ;
• sutures orientées horizontalement insérées dans la capsule et nouées hors de l’articulation ;
• utilisation d’un matériau de suture résorbable ou non résorbable.
Une réparation du segment antérieur (particulièrement du côté latéral) nécessite un abord antérieur.
Le principal inconvénient est le risque de lésion neurologique du nerf saphène ou de ses branches.
Deuxième génération : technique arthroscopique « de dedans en dehors » ou de « dehors en dedans »
Réparation méniscale de dehors en dedans (figure 5)
En 1985, Warren [54] a décrit une technique de dehors en dedans, initialement destinée à réduire le risque de compression du nerf péronier du côté latéral. Une aiguille à ponction lombaire canulée de 18 gauges est passée dans la déchirure, de dehors en dedans. Dès que l’extrémité coupante de l’aiguille est visible, le chirurgien passe le fil de suture (monofilament de PDS résorbable 0) par la lumière de l’aiguille et le retire par la voie d’abord arthroscopique homolatérale. On noue ensuite un nœud d’interférence à l’extrémité de la suture et on tire la suture vers l’arrière. Le procédé est répété et les extrémités libres sont nouées deux par deux sur la capsule par une incision cutanée accessoire, jusqu’à obtention de la stabilisation de la déchirure. Les sutures peuvent être placées en alternance du côté fémoral et du côté tibial du ménisque afin d’équilibrer la suture.
Figure 5 Sutures méniscales de dehors en dedans. La suture passe par l’aiguille et se reprend dans l’articulation. a. Des nœuds d’interférence sont suturés et permettent une suture satisfaisante du bord interne du ménisque. b. Une variation de la technique permet le passage de la première suture reprise par la seconde en lasso. La seconde suture est retirée et permet de reprendre le premier fil de suture et de le suturer en sous-cutané sur la capsule articulaire.