2 L’ECG au cours des palpitations et des syncopes
L’ECG est de la plus haute importance pour le diagnostic des arythmies. Beaucoup d’arythmies ne sont pas perçues par le patient, mais les arythmies peuvent parfois être symptomatiques. Ces symptômes sont souvent transitoires et le patient peut être en parfait état au moment où il consulte le médecin. L’obtention du tracé durant l’épisode symptomatique est donc le seul moyen sûr d’arriver au diagnostic, mais, comme toujours, l’histoire et l’examen physique sont aussi de la plus grande importance. Le rôle majeur de l’histoire clinique et de l’examen physique est de déterminer si les symptômes sont responsables de l’arythmie et si le patient est atteint d’une cardiopathie ou de toute autre affection pouvant être responsable de l’arythmie.
L’HISTOIRE CLINIQUE ET L’EXAMEN PHYSIQUE
PALPITATIONS
Le tableau 2.1 compare les symptômes associés à la tachycardie sinusale avec ceux d’une tachycardie paroxystique et montre comment le diagnostic peut être approché à partir de l’histoire clinique. Notons qu’une fréquence cardiaque située entre 140 et 160/min peut correspondre soit à une tachycardie sinusale, soit à une tachycardie paroxystique.
Symptômes | Tachycardie sinusale | Tachycardie paroxystique |
---|---|---|
Date de l’accès initial | L’accès a probablement débuté récemment | L’accès a probablement débuté au cours de l’adolescence ou tôt chez l’adulte |
Circonstances déclenchantes | Exercice ou anxiété | Habituellement aucune, mais occasionnellement déclenchement par l’effort |
Rapidité d’installation | Installation progressive | Survenue soudaine des palpitations |
Fréquence cardiaque | < 140/min | > 160/min |
Symptômes associés | Paresthésies dues à l’hyperventilation | Douleur thoracique |
Essoufflement | ||
Malaises | ||
Syncope | ||
Moyens utilisés pour interrompre l’accès | Relaxation | Apnée volontaire |
Manoeuvre de Valsalva |
MALAISE ET SYNCOPE
Quelques causes de syncope sont énumérées dans l’encadré 2.1.
Encadré 2.1 Étiologies cardiovasculaires des syncopes.
Syncopes réflexes sous l’effet de neuromédiateurs
Le tableau 2.2 montre quelques aspects cliniques de syncope, avec leurs causes possibles.
Symptômes et signes | Diagnostic possible |
---|---|
Histoire familiale de mort subite | Syndrome du QT long, syndrome de Brugada, cardiomyopathie hypertrophique |
Déclenchement par des stimuli désagréables, la station debout prolongée, une forte chaleur (syncope réflexe) | Syncope vasovagale |
Survenue dans les secondes ou minutes suivant la station debout | Hypotension orthostatique |
En relation avec un traitement | Hypotension orthostatique |
Survenue au cours d’un effort | Obstacle circulatoire (ex : sténose aortique, hypertension pulmonaire) |
Survenue lors d’une rotation de la tête ou d’une compression du cou | Hypersensibilité sinocarotidienne |
Confusion mentale de plus de 5 min après l’épisode | Ictus apoplectique |
Mouvements tonicocloniques ou automatiques | Ictus apoplectique |
Accès fréquents, habituellement invisibles, avec symptômes somatiques | Affection psychiatrique |
Symptômes ou signes évoquant une cardiopathie | Cardiopathie |
EXAMEN PHYSIQUE
Si le patient présente des symptômes au moment de l’examen, les signes physiques évoqués au tableau 2.3 peuvent orienter vers la nature d’une arythmie.
Pouls | Fréquence cardiaque | Dénomination éventuelle |
---|---|---|
Pouls artériel | ||
Régulier | < 50 | Bradycardie sinusale |
Bloc du deuxième ou troisième degré | ||
Flutter auriculaire avec bloc 3/1 ou 4/1 | ||
Rythme idionodal (échappement jonctionnel) | ||
avec ou sans maladie du sinus | ||
60–140 | Rythme probablement sinusal | |
140–160 | Tachycardie sinusale ou arythmie | |
150 | Probable flutter auriculaire avec bloc 2/1 | |
140–170 | Tachycardie atriale Tachycardie nodale TV | |
> 180 | Probable TV | |
300 | Flutter auriculaire avec conduction 1/1 | |
Irrégulier | Arythmie sinusale prononcée | |
Extrasystoles supraventriculaires ou ventriculaires | ||
Fibrillation auriculaire | ||
Flutter auriculaire avec bloc variable | ||
Rythme sinusal alternant avec une | ||
quelconque arythmie ou un trouble de conduction | ||
Pouls veineux jugulaire | ||
Pulsations visibles en nombre plus élevé que la fréquence cardiaque | Bloc du deuxième ou du troisième degré | |
Bruit de canon – bloc du troisième degré |
Si le patient ne ressent aucun symptôme au moment de l’examen, recherchez :
L’encadré 2.2 énumère quelques-uns des rythmes et des situations associés à une syncope, et l’encadré 2.3 énumère les rythmes et les affections sous-jacentes associés aux palpitations.
Encadré 2.2 Causes de syncopes associées à divers rythmes cardiaques.
Encadré 2.3 Causes de palpitations associées à divers rythmes cardiaques.
On ne peut affirmer avec certitude qu’une arythmie est la cause de palpitations ou de syncope que si l’enregistrement ECG de cette arythmie est effectué à l’instant même où le patient ressent les symptômes en question. Si le patient est asymptomatique au moment de l’examen, il est préférable de faire en sorte que l’ECG soit enregistré au cours d’un accès de palpitations, ou en continu sur une bande d’enregistrement de type « Holter », dans l’espoir qu’un épisode arythmique pourra être détecté.
L’ECG ENTRE LES ACCÈS DE PALPITATIONS OU DE SYNCOPE
Même lorsque le patient est asymptomatique, l’ECG de repos peut s’avérer fort utile, comme cela est résumé dans le tableau 2.4.
Aspect ECG | Étiologie possible des symptômes |
---|---|
ECG strictement normal | Les symptômes peuvent être dus à de l’anxiété en rapport avec une arythmie essentielle, à de l’épilepsie, à un myxome de l’oreillette ou une hypersensibilité sinocarotidienne |
ECG suggérant une cardiopathie | HVG ou BBG – sténose aortique |
HVD – hypertension artérielle pulmonaire | |
Inversion de l’onde T de siège antérieur – cardiomyopathie hypertrophique | |
ECG montrant une tachyarythmie intermittente | HAG – sténose mitrale avec possible fibrillation auriculaire |
Syndromes de préexcitation | |
Syndrome du QT long | |
Ondes T aplaties suggérant une hypokaliémie | |
Effet de la digoxine – toxicité de la digoxine ? | |
ECG montrant une bradyarythmie intermittente | Bloc du deuxième degré |
Bloc du premier degré associé à un bloc de branche | |
Effet de la digoxine |
SYNCOPE DUE À UNE AFFECTION CARDIAQUE AUTRE QU’UNE ARYTHMIE
La mise en évidence sur le tracé ECG d’une HVG ou d’un BBG peut faire supposer que la syncope est due à une sténose aortique. L’ECG des figures 2.1 et 2.2 a été enregistré chez des patients qui présentaient des syncopes d’effort dues à une sténose aortique sévère.
La mise en évidence sur le tracé ECG d’une HVD évoque une hypertension artérielle pulmonaire d’origine thromboembolique. L’ECG de la figure 2.3 est celui d’une femme d’âge moyen présentant des malaises au cours de l’effort dus à des embolies pulmonaires multiples.
La syncope due à la cardiomyopathie hypertrophique peut être associée à un ECG caractéristique (figure 2.4) ressemblant à ceux des patients ayant un infarctus antérieur sans sus-décalage du segment ST (à comparer avec le tracé de la figure 3.23). Au cours de la cardiomyopathie hypertrophique, l’inversion de l’onde T est habituellement plus prononcée que lors d’un infarctus sans susdécalage de ST, mais la différenciation dépend en réalité de l’allure clinique et non de l’aspect électrique. La cardiomyopathie hypertrophique peut provoquer une syncope du fait de l’obstacle à l’écoulement sanguin en aval du ventricule gauche, ou déclencher une arythmie symptomatique.
PATIENTS ÉVENTUELLEMENT TACHYCARDES
STÉNOSE MITRALE
La sténose mitrale est à l’origine de fibrillation auriculaire, mais lorsque le cœur est encore en rythme sinusal, la présence de signes caractéristiques d’HAG sur l’ECG peut fournir un indice sur la survenue d’une fibrillation auriculaire paroxystique (figure 2.5).
SYNDROMES DE PRÉEXCITATION
La conduction normale résulte du cheminement uniforme de l’onde de dépolarisation dans une direction constante. Que la direction de cette onde soit inversée en un point quelconque du cœur, c’est alors qu’il devient possible pour une voie circulaire ou de « réentrée » de s’organiser (figure 2.6). La dépolarisation emprunte la voie anormale, déclenchant la tachycardie. La condition au plan anatomique pour le déclenchement de ce phénomène est l’existence d’une branche anormale et sa réunion avec une voie de conduction. Normalement, la conduction est antérograde (elle progresse vers l’avant) dans les deux branches de ces voies de conduction, mais un influx antérograde peut descendre normalement dans l’une des branches et être bloqué dans l’autre. À la jonction de ces deux voies, l’onde de dépolarisation peut remonter de manière rétrograde par la voie anormale. Si l’onde survient alors que cette voie n’est pas réfractaire à la conduction, elle peut alors réemprunter le circuit et le réactiver.
Une fois installée, l’onde circulaire de dépolarisation pourra poursuivre sa route jusqu’à ce qu’un point de cette voie cesse de conduire. La conduction d’une onde de dépolarisation dans une voie circulaire peut aussi être interrompue par l’arrivée d’une nouvelle onde naissant d’un foyer ectopique (par exemple une extrasystole).
Le syndrome de Wolff-Parkinson-White
Lorsque la voie accessoire est située à gauche, l’ECG montre une onde R prépondérante en V1. Cet aspect est dénommé « type A » (figure 2.7). Cet aspect de WPW peut facilement être confondu avec celui d’une HVD, la différence étant faite grâce à la présence ou l’absence d’un espace PR court.
L’ECG de la figure 2.8 a été enregistré chez un jeune homme qui se plaignait de symptômes évocateurs de tachycardie paroxystique. Cet ECG montrait un syndrome de WPW de type A, mais il aurait été assez facile de méconnaître l’intervalle PR court si on avait omis de regarder soigneusement l’ensemble des 12 dérivations. L’espace PR court et les ondes delta sont particulièrement évidents en V4 et V5.
Lorsque la voie accessoire est située à droite, il n’existe pas d’onde R dominante en V1 et cet aspect est appelé « type B » (figure 2.9).
Les tachycardies à complexes élargis (tachycardie réciproque antidromique) survenant chez les patients porteurs d’un syndrome de WPW peuvent ressembler à de la TV. Dans la plupart des cas, le rythme sous-jacent est probablement de la fibrillation auriculaire avec une conduction AV anormale. Il s’agit d’une arythmie sévère du fait du risque de survenue de fibrillation ventriculaire (FV) [figure 2.10].
Fig. 2.10 Tachycardies au cours du syndrome de Wolff-Parkinson-White
Les aspects ECG associés au syndrome de WPW sont résumés dans l’encadré 2.4.
Le syndrome de Lown-Ganong-Levine
Lorsqu’une voie accessoire relie les oreillettes au faisceau de His et non au ventricule droit ou gauche, il existera un intervalle PR court mais le complexe QRS sera normal. Cet aspect est dénommé syndrome de LGL [figure 2.11].
L’intervalle PR court de la préexcitation, constant dans sa durée, doit être distingué de l’intervalle PR court et variable d’un « rythme idionodal accéléré » (wandering pacemaker) montré à la figure 2.12. Dans ce cas, la fréquence du nœud sinusal s’est ralentie et le cœur est contrôlé par le nœud AV, qui se dépolarise plus rapidement que le nœud sinusal. Ce tracé a été enregistré chez un athlète asymptomatique.
LE SYNDROME DU QT LONG
Un retard de repolarisation peut survenir pour des raisons diverses, avec pour conséquence un allongement de l’espace QT. Un espace QT allongé est associé de manière significative à la TV paroxystique, et peut donc être la cause d’épisodes de collapsus, voire de mort subite. Quelques étiologies d’allongement de QT sont citées dans l’encadré 2.5.
On a décrit plusieurs anomalies génétiques responsables d’un allongement congénital de l’intervalle QT. L’ECG de la figure 2.13 provient d’une fillette de 10 ans qui se plaignait d’accès « d’évanouissement ». Sa sœur était morte brutalement. Trois autres enfants et les deux parents avaient un ECG normal.
La cause la plus commune de l’allongement de QT est l’origine médicamenteuse. L’ECG de la figure 2.14 provient d’un patient souffrant d’un infarctus myocardique de siège postérieur (voir le chapitre 3). Il avait été traité avec de l’amiodarone pour une TV récurrente, avec pour conséquence un allongement de l’espace QT. La figure 2.15 montre le tracé enregistré 4 mois plus tard : on note le retour à la normale de l’espace QT à partir du moment où le traitement par l’amiodarone a été interrompu.
Lorsqu’un allongement de QT se complique de TV, celle-ci prend un aspect particulier de « tourbillon continu » des complexes QRS du haut vers le bas1. On donne à cet aspect le nom de « torsades de pointe2». Le syndrome du QT long congénital entraîne des épisodes de perte de connaissance lors des périodes d’augmentation d’activité du système nerveux sympathique. De tels épisodes surviennent chez environ 8 % des sujets atteints, chaque année, et la mortalité annuelle par arythmie est d’environ 1 % chez les patients porteurs d’un syndrome du QT long. L’ECG de la figure 2.16 a été enregistré chez une jeune fille atteinte d’un syndrome du QT long congénital.
LE SYNDROME DE BRUGADA
Un collapsus soudain dû à une TV ou à une FV peut survenir lorsqu’il existe une altération congénitale du transport du sodium appelée syndrome de Brugada. Entre les accès, l’ECG de surface a l’allure d’un BBD avec aspect RSR’ en V1 et V2 (figure 2.17).
Toutefois, le segment ST est sus-décalé dans ces dérivations et il n’existe pas d’onde S élargie en V6 comme dans le BBD banal. Les modifications s’observent dans les dérivations ventriculaires droites, car les canaux sodiques anormaux se trouvent en plus grand nombre dans le ventricule droit. L’anomalie ECG peut être transitoire – l’ECG de la figure 2.18 a été enregistré un jour plus tard chez le même patient.
PATIENTS AVEC ÉVENTUELLE BRADYCARDIE
Lorsqu’un patient est asymptomatique, une bradycardie intermittente peut être suspectée si l’ECG met en évidence un défaut de conduction. Cependant, il convient de se souvenir que les troubles de conduction et les rythmes d’échappement sont assez courants chez les sujets en bonne santé et que leur présence peut n’être qu’une simple coïncidence.
RYTHMES D’ÉCHAPPEMENT
L’automaticité de n’importe quelle région du cœur est supprimée par l’arrivée d’une onde de dépolarisation, la fréquence cardiaque étant ainsi contrôlée par la région possédant la fréquence de dépolarisation automatique la plus élevée. Normalement, le nœud sinusal contrôle la fréquence cardiaque, car il possède la fréquence de décharge la plus élevée, mais si, pour quelque raison que ce soit, ce mécanisme fait défaut, la région possédant la fréquence de dépolarisation intrinsèque voisine la plus élevée va se dévoiler pour prendre à son compte le rôle d’entraîneur 4 et instituer un rythme « d’échappement ». Les oreillettes et la jonction AV ont une fréquence de dépolarisation automatique de l’ordre de 50/min en comparaison de la fréquence normale de dépolarisation du nœud sinusal de 60 à 70/min. Si à la fois le nœud sinusal et la jonction AV ne peuvent se dépolariser, ou s’il existe un défaut de conduction aux ventricules, un foyer ventriculaire va apparaître, à une fréquence de 30-40/min ; c’est ce que l’on observe classiquement lors du BAV complet.
Les battements générés par un échappement peuvent être isolés ou s’organiser en des rythmes soutenus. Leur aspect ECG est identique à celui des extrasystoles correspondantes, mais leur survenue est tardive, contrairement à celle des extrasystoles qui est précoce (figure 2.19).
Fig. 2.19 Battement d’échappement jonctionnel
Lors des rythmes soutenus d’échappement jonctionnel, l’activation auriculaire peut être identifiée par une onde P faisant suite au complexe QRS (figure 2.20). Cette éventualité s’observe si la dépolarisation s’étend dans la direction opposée à la normale, du nœud AV vers les oreillettes, et prend alors le nom de conduction « rétrograde ». La figure 2.21 montre également un rythme d’échappement jonctionnel.
La figure 2.22 montre un battement d’échappement ventriculaire.
Fig. 2.22 Complexe d’échappement ventriculaire
SYNCOPE
Chez un patient sujet à des accès de syncope, les modifications de l’ECG qui seraient ignorées chez un sujet apparemment en bonne santé prennent ici une très grande importance. Le bloc du premier degré, en lui-même sans importance clinique, peut orienter vers un BAV complet intermittent et le bloc complet est beaucoup plus vraisemblable lorsque l’ECG présente un aspect de BAV du deuxième degré alors que le patient est asymptomatique au moment de l’enregistrement. Les tracés des figures 2.23, 2.24 et 2.25 proviennent de patients souffrant d’accès de syncope, tous relevant éventuellement de l’indication d’une implantation d’un pacemaker permanent.
COMBINAISONS DE TROUBLES DE CONDUCTION
Une déviation axiale gauche est habituellement le témoin d’un hémibloc antérieur gauche, mais quand le complexe QRS est fin, on peut considérer qu’il s’agit d’une variante de la normale (figure 2.26).
Un complexe QRS élargi avec une déviation axiale gauche importante représente l’exemple le plus élaboré de l’hémibloc antérieur gauche (figure 2.27).
Quand l’hémibloc antérieur gauche est associé à un BAV du premier degré et à un BBG (figure 2.28), les deux faisceaux de la branche gauche sont dans l’impossibilité d’assurer la conduction et cette dernière est également retardée dans le nœud AV, ou le faisceau de His, voire sa branche droite.