Le membre inférieur, clé de la stabilité
Très souvent étudié pour son rôle dans la marche et dans la locomotion, le membre inférieur de l’Homme est aussi un élément clé de sa stabilité. Plus encore que dans toutes les autres espèces, du fait de la bipédie, le membre inférieur humain ne peut assurer un quelconque déplacement sans satisfaire aux importantes conditions de stabilité qui s’imposent à lui.
La stabilité du membre inférieur n’est que très rarement statique. La plupart du temps, il s’agit d’une stabilité qui intervient au cœur du mouvement. Quelques éléments de réflexion sur le sujet nous paraissent s’imposer.
La stabilité : un concept difficile à définir !
Une grande partie de la problématique articulaire est subordonnée aux conditions de stabilité. La stabilité est une notion complexe et polymorphe. Chacun possède ses propres références et ses propres représentations de ce qui constitue une articulation stable ou instable. Il est vrai que le travail de nos mains nous a généralement fourni un certain étalonnage en termes de souplesse ou de raideur, de rétraction ou de laxité. D’un point de vue plus théorique, la stabilité ne saurait se concevoir de manière résumée ou parcellaire. Au contraire, elle s’envisage nécessairement selon plusieurs aspects et selon le niveau étudié.
Considérations physiques : stabilité et équilibre
La stabilité d’un solide désigne la résistance qu’il oppose lorsqu’on veut l’écarter de sa position d’équilibre (Giraudet, 1976). Tous les facteurs qui tendent à aider un solide à conserver son équilibre sont caractéristiques de ce qui est stable et constituent la stabilité.
La notion de stabilité rejoignant celle d’équilibre, notons que la physique distingue trois types d’équilibre du solide : instable, stable et neutre (figure 2.1) :
• un corps est en équilibre instable s’il tend à poursuivre son mouvement après avoir été légèrement déplacé ;
• un corps est en équilibre stable si, après un déplacement, il tend à revenir à sa position initiale ;
• un corps est en équilibre neutre quand, après avoir subi un léger déplacement, il garde sa nouvelle position.
Considérations cliniques
Au niveau articulaire, la notion de stabilité est à la fois contradictoire, complémentaire et indissociable de celle de mobilité. De façon simplificatrice, on peut considérer que, dans une articulation, plus l’une des deux composantes est forte, plus l’autre est généralement faible. Il en résulte un principe clinique de base selon lequel la stabilité articulaire se définit principalement selon la qualité de la relation anatomique existante entre les surfaces articulaires de deux os voisins.
La notion de stabilité articulaire n’est pas aussi absolue qu’elle y paraît. L’indice de stabilité suit volontiers les constatations cliniques. La notion de stabilité qui s’est progressivement imposée en médecine et en chirurgie s’est essentiellement établie en référence à … des critères d’instabilité, généralement lors de pathologie articulaire ou après un traumatisme. Il est vrai que la stabilité est une notion polymorphe qui nécessite des éclairages différents selon le contexte de référence.
Cliniquement, la notion de stabilité repose sur des critères comme la coaptation ou la cohésion, la congruence et la présence ou l’absence de contact des surfaces articulaires (figure 2.2) :
• articulation normale : la congruence et la cohésion sont respectées ;
• articulation laxe ou hypermobilité : le jeu articulaire est exagéré, la cohésion articulaire est diminuée, mais la congruence est maintenue ;
• articulation subluxée : il y a contact partiel des surfaces articulaires, avec perte de la congruence ;
• articulation disloquée : il y a perte de contact des surfaces articulaires.
Considérations énergétiques
Dans une optique encore proche de celle de la physique, la stabilité articulaire peut aussi être envisagée en référence à l’énergie potentielle apportée à l’articulation par les différentes structures anatomiques qui la constituent et qui en garantissent le jeu.
Autrement formulé, on peut envisager la stabilité articulaire comme la quantité d’énergie extérieure devant être apportée pour déstabiliser une articulation donnée. Cette quantité d’énergie est égale au travail devant être effectué pour amener le système à son point d’instabilité.
Si l’on reprend l’exemple de la bille en équilibre stable, le travail à fournir pour la « déloger » du puits dans lequel elle se trouve dépend de la profondeur du trou ! Même très intuitivement, on peut comprendre que plus le trou est profond et plus la hauteur du déplacement à effectuer est importante, plus le travail à fournir doit être conséquent (figure 2.3).
Il en va de même pour une articulation. On peut dire que sa stabilité est d’autant meilleure qu’il faut déployer une grande énergie pour la déstabiliser. Cette quantité doit être supérieure ou égale à la somme de tous les facteurs anatomiques et physiologiques qui assurent la stabilité articulaire. La détermination pratique de ce niveau d’énergie est difficile à établir, mais c’est ce que font, par exemple, les orthopédistes pour objectiver une rupture ligamentaire. Toutes les manœuvres destinées à mettre en évidence un ressaut, un mouvement anormal ou une laxité articulaire apportent une certaine quantité d’énergie, dans des conditions données, avec une direction précise pour amener l’articulation proche de son niveau de déstabilisation.
La stabilité : une nécessité systémique !
Nous l’avons déjà dit, le premier impératif qu’un système s’impose est celui de sa propre conservation. Il s’agit pour lui de rester le plus proche possible d’un état constant, orienté vers une fonction optimale. Or, tôt ou tard, les systèmes qui « fonctionnent » se retrouvent dans un état de déséquilibre. Ils sont contraints de se maintenir au plus proche d’un état constant, en entretenant une stabilité relative, au sein de laquelle existent des déséquilibres.
Intégrité articulaire
Envisagée selon cette perspective, l’articulation est un système qui assure sa conservation « malgré » le mouvement. On peut ainsi considérer que ce sont les déterminants de la stabilité articulaire qui lui permettent de conserver cet état constant.
Les structures articulaires et périarticulaires sont configurées pour résister aux forces déstructurantes ou déstabilisantes :
• elles ont les propriétés de résistance voulue et de viscoélasticité nécessaire pour rétablir l’équilibre lors d’une déstabilisation importante ;
• les ligaments sont des structures viscoélastiques passives ;
• les muscles sont des organes viscoélastiques dynamiques ;
• ces propriétés varient en fonction de la cinématique articulaire pour permettre un mouvement complet de l’articulation, tout en assurant une protection satisfaisante dans les différents secteurs articulaires.
Stabilité aux différents niveaux
Au chapitre précédent, nous avons présenté les composantes du système de mouvement selon trois niveaux d’organisation :
• au premier niveau : l’unité articulaire ;
• au second niveau : la chaîne articulée ou le segment articulé ;
• au troisième niveau : la globalité corporelle qui s’équilibre par le biais de l’appareil locomoteur.
Chaque niveau est le siège de phénomènes d’auto-régulation, orientés vers la conservation d’un état constant ou stable. Cette nécessité de conservation d’un état constant se retrouve aux différents niveaux. Seule la forme des mécanismes d’autorégulation varie. Néanmoins, ils respectent une seule règle : conservation et préservation de l’intégrité articulaire. Tout ce qui est de nature à disloquer, à détériorer, à abîmer … l’articulation doit être proscrit au maximum des programmes de mouvement, soit par des dispositifs de protection, soit par élimination de certaines composantes de mouvement.
À chaque niveau, il existe un cahier des charges implicite pour la réalisation du mouvement : celui-ci doit respecter l’intégrité des composantes qui sont nécessaires à sa réalisation. Les différents niveaux d’organisation des architectures corporelles sont adaptés au mouvement, mais leur stabilité est une condition à la fois préalable et sine qua non du mouvement.
Au niveau des membres inférieurs, les éléments qui concourent à la stabilisation des différentes articulations présentent une importance toute particulière. Ils interviennent à double titre :
• d’une part, ils permettent d’avoir une base d’appui stable, indispensable à tout déplacement corporel ;
• d’autre part, ils sont le point de départ de tous les mécanismes d’équilibration corporelle, particulièrement importants du fait de la bipédie.
Au total, tout le membre inférieur, tout l’équilibre rachidien et, partant, toutes les possibilités statiques et dynamiques de l’être humain sont influencés par l’équilibration et la stabilité bonne ou mauvaise des articulations qui constituent sa base. C’est pourquoi nous allons maintenant voir comment les différents niveaux participent à la stabilité de tout l’édifice corporel.
Stabilité de l’unité articulaire
Quelle stabilité ?
La stabilité articulaire résulte de nombreux mécanismes relevant :
• de la géométrie articulaire ;
• des éléments de restriction passive (tissus capsuloligamentaires) ;
• des stabilisateurs dynamiques ;
Par ailleurs, la stabilité recoupe deux conditions différentes : stabilite statique et stabilité dynamique. Les éléments osseux sont principalement impliqués dans la stabilité statique. Les éléments capsuloligamentaires sont impliqués à la fois dans la stabilité statique et dans la stabilité dynamique. Les muscles sont majoritairement impliqués dans la stabilité dynamique.
Selon la conformation de leurs surfaces, les unités articulaires présentent des dispositions très différentes sur le plan de la stabilité. L’articulation de la hanche, par l’emboîtement de ses surfaces articulaires, possède une très bonne stabilité osseuse et de ce fait une bonne stabilité statique. L’articulation du genou présente un très faible emboîtement de ses surfaces et ainsi une médiocre stabilité osseuse. Même si la présence des ménisques améliore sensiblement le tableau, la stabilité est essentiellement dynamique, appuyée sur une conformation musculoligamentaire très efficace et sur une proprioceptivité hors norme. Au niveau de la cheville, la stabilité osseuse n’est pas très grande et, là encore, c’est la stabilité dynamique qui prime.
Facteurs structuraux : géométrie articulaire
Selon Dufour et Pillu (2006), la stabilité osseuse est fonction de plusieurs paramètres :
• la concordance concerne les rayons de courbure des surfaces concernées : plus les rayons sont identiques, moins il existe de variétés de glissements ;
• la congruence correspond à l’emboîtement des surfaces : la congruence osseuse peut parfois être améliorée par la présence de fibrocartilages qui améliorent la congruence articulaire ;
• les rapports angulaires des os voisins déterminent le mode de transmission des contraintes : l’articulation est d’autant plus stable que cette transmission se fait le long d’un seul et même axe ;
• l’irrégularité de l’interligne, par exemple selon une ligne brisée, donne plus de stabilité à l’articulation ;
• les rapports avec la pesanteur : chaque fois que celle-ci joue un rôle coaptateur, elle exerce un effet stabilisateur.
Facteurs passifs et actifs : interactions dynamiques
Les structures capsuloligamentaires ne fournissent pas seulement une limitation mécanique qui s’oppose à la subluxation articulaire. Elles fournissent aussi des informations sensorielles vitales pour le contrôle du mouvement. De fait, elles participent à la régulation de l’activité musculaire involontaire nécessaire à la stabilité articulaire (contrôle neuromusculaire). La fonction musculotendineuse est en elle-même aussi génératrice de stabilité articulaire.

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Full access? Get Clinical Tree

