Chapitre 2 La motricité
La motricité a été étudiée en profondeur par P. Marty et M. Fain en 1955 dans un article fameux intitulé « Importance de la motricité dans la relation d’objet ». Les auteurs cherchent à repérer les formes de passage de la motricité à divers stades de la pensée. L’idée centrale qu’ils développent est celle nécessaire de l’éloignement pour le sujet de sa « motricité pulsionnelle ». Cet éloignement, ou rétention énergétique ou encore inhibition va jouer un rôle essentiel dans la fantasmatisation et dans l’intellectualisation.
Motricité pulsionnelle
Au cours de la phase orale, deux systèmes étroitement imbriqués sont à l’œuvre.
Premièrement, le besoin alimentaire crée des sensations et rend l’objet perceptible. Le besoin et l’objet sont rendus indissociables et l’activité motrice, prolongement d’une activité interne, se développe vers l’objet afin de mieux l’atteindre. Par ailleurs, des satisfactions passives agréables proviennent de l’objet et s’organisent par le biais de la satisfaction hallucinatoire.
Dans la pensée de P. Marty et M. Fain, le besoin pulsionnel alimentaire crée une sensation persécutante qui trouve son équilibre dans la perception de l’objet en mouvement qui prodigue des satisfactions sensorielles gratifiantes. Cet équilibre va ensuite être mis à mal sous la pression du sadisme oral et de la motricité agressive. Il s’ensuit une phase d’insatisfaction primaire qui va globalement trouver sa résolution au cours de la phase anale, phase de séparation de la motricité et de la pulsion. C’est ce phénomène de rétention énergétique et d’inhibition qui permet l’éloignement de la satisfaction immédiate et le passage à la fantasmatisation.
Dans une seconde phase anale, le processus d’éloignement s’accentue entre pulsion et motricité, il concourt ainsi à l’acquisition par le sujet d’un sentiment de maîtrise de ses réactions motrices. Ce sentiment va s’étendre aussi à un sentiment de maîtrise des réactions motrices de l’objet. Il y a alors, à ce stade, l’instauration d’une inhibition motrice qui autorise les activités fantasmatiques, la pensée s’intercale entre la pulsion et l’action. Cela participe à la fonction du moi dans sa lutte contre les excitations.
La psychopathologie fait son apparition dans les registres de l’échec du renoncement à l’expression pulsionnelle motrice directe en empêchant l’inhibition motrice qui permet le développement fantasmatique. À la lumière de ces travaux, on peut en inférer qu’un état traumatique actif dans la relation précoce mère-bébé a pu avoir un effet désorganisateur pour l’enfant, mais les auteurs ne le précisent pas. Par ailleurs, ces travaux, à l’évidence, concernent et décrivent des processus déjà secondaires.
Deux situations sont exemplaires pour nous aider à saisir la place et l’importance de la motricité dans le fonctionnement psychique en relation avec l’environnement.
Décharge motrice
Au début était l’acte selon S. Freud, acte moteur vecteur d’une « décharge motrice » portée par une excitation en relation avec l’objet.
Prenons l’exemple de l’épreuve de satisfaction, elle concerne un moment précis qui consiste pour le bébé confronté à la poussée pulsionnelle (exigence pulsionnelle) à halluciner le sein en son absence à partir d’une expérience première soldée par une satisfaction. Le bébé est ainsi conduit sous la poussée de la pulsion à agir comme si le sein était présent, il engage sa motricité et mime la tétée avec ses lèvres alors que le sein n’est pas encore présent. Cette activité motrice s’accompagne d’une activité onirique équivalant au tracé du sommeil paradoxal. Dans ce cas, l’expérience est satisfaisante dès lors que le sein réel arrive et se constitue ainsi en sein trouvé-créé. La décharge motrice initiale produit une liaison psychique grâce à l’intervention de l’objet suffisamment bon. Si l’objet n’est pas présent au bon moment et au bon endroit, s’il tarde trop à venir ou s’il vient trop tôt, la décharge motrice ne passe pas par le processus de liaison et l’objet sein n’est pas « trouvé-créé ». Le sein doit être simultanément « perçu et halluciné ». Le paradigme de cette situation c’est « la rencontre », la décharge motrice doit se produire dans l’objet et non pas hors de l’objet. Celui-ci doit se rendre suffisamment disponible dans l’espace et le temps conjoints afin de se pourvoir en tant qu’objet symbolisant. Lorsque cette décharge motrice n’est pas satisfaisante, elle se dégrade et tend à se répéter sous cette forme dégradée. La valeur messagère pulsionnelle de l’acte est toujours signifiante, sa répétition est la narration d’un échec de la rencontre avec l’objet. Répéter dans ce cas, n’est pas une tentative de retrouver une expérience satisfaisante. Il s’agit de la réédition d’une expérience à double valence : premièrement se soustraire à la rencontre pour ne pas en subir les effets délétères et, simultanément reproduire l’expérience antérieure à la rencontre traumatique.
De manière antinomique, on assiste à un double lien à la symbolisation primaire. Sur un versant, la décharge motrice a pour but de se soustraire à la symbolisation perçue à ce moment-là comme reproduction d’un trauma et sur un autre versant, la même décharge motrice (hyperactivité) a pour but la réédition pour la symbolisation. Dans tous les cas, la motricité est engagée dans la pulsionnalité, elle possède une valeur messagère primaire, elle est indispensable aux processus de transformation pulsionnels en représentation de choses et en représentation de mots dont elle constitue le véritable soubassement.
Le deuxième exemple auquel nous souhaitons nous adosser est la « métaphore du train ». S. Freud utilisait cette métaphore pour expliciter la règle fondamentale de l’association libre.
« Vous êtes dans un train, dit-il au patient, c’est comme si vous étiez dans train, vous regardez le paysage qui défile sous vos yeux, par la fenêtre. Vous décrivez ces images à une personne qui située derrière vous, ne les voit pas. »
Il y a dans cette formulation une première idée : c’est la nécessité de la mise en mouvement du train qui correspond à la motion pulsionnelle. Pour que les paysages défilent (c’est-à-dire pour que les images apparaissent dans l’appareil perceptif psychique), il faut une mise en mouvement (se mouvoir, qui correspond à la décharge motrice) et être ému (qui correspond à l’émotion, à l’affect ressenti). Il s’agit donc d’un temps premier de la pulsion et de sa transformation du champ moteur au champ visuel.
Secondairement, ce champ visuel qui correspond à la représentation de choses va se transformer et se transférer dans l’appareil de langage pour fonder la représentation de mots.
Magnifique métaphore qui met en exergue le champ moteur comme soubassement de la pulsionnalité. Il faut en effet que le train bouge pour que l’ensemble de la chaîne signifiante se déploie. Ce modèle renvoie à la fameuse citation de S. Freud dans son Totem et Tabou (1913) : « Au commencement était l’action. »
Sensori-motricité
En résumé, nous pourrions dire que la sensori-motricité fait partie d’un ensemble langagier et s’inscrit dans le langage par le biais de la valeur messagère de la pulsion. Elle a valeur de communication dès lors que l’environnement premier la repère et permet en retour son intégration en tant que représentation de choses. La sensori-motricité est un langage adressé à l’autre en tant qu’action et représentation perceptivo-motrice. La sensation, la sensori-motricité sont collées au corps du sujet, elles vont prendre valeur messagère si l’autre est en mesure de les interpréter comme message qui lui est adressé. À ce moment-là, la sensori-motricité prend forme et devient une action perceptible par le sujet. Un processus interne non-perçu devient processus perceptible grâce à l’interprétation donnée par l’environnement. Cette « représentaction » (J.-D Vincent [1986]) pourra alors, dans un second temps, être intégrée dans la psyché et prendre valeur potentielle de message (symbolique). On voit bien le rôle prépondérant tenu par l’environnement dans ce processus « révélateur » au sens photographique du terme.

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