Complications et séquelles de la radiothérapie
PLAN DU CHAPITRE
Les différents types d’irradiation externe en cancérologie ORL (P. Giraud, J. Thariat)
Principales stratégies actuelles associant la radiothérapie
Principales avancées techniques en radiothérapie externe
Complications de la radiothérapie (J. Thariat, P. Giraud)
Impact des modalités d’irradiation sur les profils d’effets secondaires
Définitions d’organes à risque et bases de raisonnement pour la prise en compte des effets secondaires
Définitions des effets secondaires et échelles permettant de les grader
Sécrétions muqueuses/hypersialorrhée
Dysgueusie et troubles de l’odorat
Infections buccales : candidose oropharyngée
Toxicité d’une radiothérapie potentialisée
Complications dentaires : déminéralisation dentaire et caries radiques
Séquelles salivaires (O. Malard)
Séquelles dentaires et maxillaires (S. Testelin, C. d’Hauthuille, J. Thariat, S. Dakpé, J. Davrou, B. Devauchelle)
Séquelles cutanées, musculaires et nerveuses (C. Bach)
Séquelles endocriniennes (G. Mortuaire)
Les différents types d’irradiation externe en cancérologie ORL1
P. Giraud and J. Thariat
Introduction
Les nouvelles techniques de radiothérapie externe reposent sur l’utilisation des techniques d’imagerie médicale les plus modernes, de logiciels de calcul de la dose délivrée performants, et d’accessoires de contention sophistiqués. Elles ouvrent la voie à une meilleure adaptation de la dose d’irradiation au volume tumoral, à une limitation de l’exposition des organes sains et, à terme, à une augmentation de la dose tumorale. Le traitement des cancers des voies aérodigestives supérieures représente une localisation tumorale particulièrement attractive pour ces techniques innovantes du fait de la complexité des structures anatomiques (nasopharynx, ethmoïde) et/ou de la proximité de tissus très sensibles (les glandes parotides, les yeux, le tronc cérébral et la moelle épinière). Les nouvelles techniques de radiothérapie, compte tenu de leurs potentialités, devraient permettre d’améliorer le contrôle tumoral et/ou de diminuer la morbidité par rapport à des techniques d’irradiation « classiques » dans cette localisation.
Principales stratégies actuelles associant la radiothérapie
Chimioradiothérapie
On estime habituellement que 30 % seulement des patients atteints d’une tumeur localement évoluée sont éligibles à un traitement curatif chirurgical ou par irradiation. Les récidives locales représentent la principale cause d’échec thérapeutique (60 %), devant l’évolution métastatique (30 %) et la survenue de nouveaux cancers primitifs [1]. Afin d’améliorer ces résultats, les différentes techniques de radiothérapie ont été optimisées et l’association avec la chimiothérapie a été développée selon deux stratégies distinctes :
• sous la forme d’un traitement d’induction préradiothérapie ;
• et/ou sous la forme d’association concomitante à l’irradiation.
Les premiers essais de chimioradiothérapie datent des années 1960. L’objectif principal de cette association était d’accroître l’effet antitumoral de ces deux agents thérapeutiques : la radiothérapie agissant préférentiellement sur la maladie locale et la chimiothérapie détruisant les micrométastases à distance. La coopération entre radiothérapie et chimiothérapie présente ainsi théoriquement deux avantages :
L’association est optimale si l’administration des deux traitements n’augmente pas la toxicité et si l’efficacité de l’association est supérieure à la somme des effets de chaque agent (effet supra-additif). C’est le cas de l’association de la radiothérapie avec les sels de platine très utilisée pour les cancers des VADS, et plus récemment avec les taxanes. Une méta-analyse a montré un bénéfice de 8 % en survie par rapport une radiothérapie seule, en particulier pour des chimioradiothérapies concomitantes à base de cisplatine [1, 2]. Le taux de récidives métastatiques était cependant similaire, suggérant la nécessité d’améliorer les thérapeutiques systémiques, notamment via l’apport de la chimiothérapie d’induction à la radiochimiothérapie concomitante.
Radiothérapie exclusive
La radiothérapie dite « classique » consiste en une irradiation de balistique simple, bidimensionnelle, parfois par deux faisceaux latéraux opposés (« tunnel ») et un faisceau antérieur sus-claviculaire, avec adaptation des faisceaux et de l’énergie utilisés lorsque les doses limitantes ont été reçues à la moelle (de l’ordre de 40–45 Gy). Ce terme de radiothérapie classique, par opposition aux nouvelles techniques, recouvre aussi une irradiation tridimensionnelle où le nombre de faisceaux, leur géométrie et leurs incidences ont été optimisés pour conformer la dose aux volumes cibles, mais sans utiliser la modulation d’intensité ni la stéréotaxie (cf. infra).
Une radiothérapie curative est le plus souvent délivrée en 5 à 6 semaines en postopératoire ou en 7 semaines en exclusif. Chaque séance dure environ 10 minutes, temps de repositionnement compris et le traitement est réalisé en ambulatoire dans la grande majorité des cas.
Ces dernières années, de nouvelles stratégies de radiothérapie pour le traitement des cancers ORL ont été évaluées. Ces stratégies ont comme objectif d’augmenter la dose efficace biologique à la tumeur tout en préservant les tissus sains. Pour atteindre cet objectif, deux principales voies de recherche sont suivies :
• soit en modulant le facteur « temps » c’est-à-dire en modifiant le fractionnement et/ou l’étalement de la radiothérapie (fig. 2.1).
En ce qui concerne la modulation du facteur « temps », on peut par exemple réduire la durée totale de l’irradiation, c’est-à-dire de l’étalement de la radiothérapie, ce qui est l’équivalent d’une accélération du traitement. Cette accélération permet de diminuer la repopulation des cellules tumorales entre les séances de radiothérapie et ainsi d’améliorer théoriquement le contrôle locorégional.
Une autre possibilité consiste à délivrer la dose quotidienne en plusieurs fractions au lieu d’une seule. Dans les schémas de radiothérapie hyperfractionnée, 2 ou 3 fractions sont délivrées chaque jour à dose réduite de 1,1 à 1,2 Gy par fraction, espacées de 6 heures pour permettre une réparation des tissus sains. La réduction des doses par fraction permet d’augmenter la dose totale à la tumeur tout en réduisant le risque de toxicité tardive aux tissus sains.
L’accélération et l’hyperfractionnement de la radiothérapie peuvent être combinés pour obtenir le meilleur ratio-efficacité antitumorale/protection des tissus sains. Plusieurs essais randomisés avec modification du fractionnement ont prouvé un bénéfice du contrôle locorégional, sans malheureusement de bénéfice en survie [3–8]. Cependant, une méta-analyse menée par le MARCH (Meta-Analysis of Radiotherapy in Carcinomas of Head and neck) Collaborative Group sur données individuelles a retrouvé un bénéfice en survie globale de la radiothérapie avec modification du fractionnement par rapport à la radiothérapie conventionnelle correspondant à une réduction du risque global de décès à 5 ans de 8 % (IC 95 % [intervalle de confiance à 95 %] : 3-14) ; à 2 et à 5 ans, le bénéfice était de 3,3 (0,9-5,7) et de 3,4 % (1-5,8) respectivement [4]. Il n’y avait pas d’impact sur la mortalité spécifique liée au cancer. Le contrôle locorégional et l’amplitude du bénéfice en survie étaient plus importants pour le schéma de radiothérapie hyperfractionnée par rapport aux schémas classiques (p < 0,001 et p = 0,02 respectivement). Le bénéfice en survie de la radiothérapie hyperfractionnée a donc montré le même bénéfice absolu en survie à 5 ans (8 %) que la chimioradiothérapie. Augmenter la dose totale dans les schémas de radiothérapie hyperfractionnée est donc une option attractive car c’est la seule modification du facteur « temps » qui permet à la fois un avantage en survie et en contrôle local.
Principales avancées techniques en radiothérapie externe
Radiothérapie conformationnelle avec modulation d’intensité
Il y a une quinzaine d’années, le développement des collimateurs multilames (MLC : Multileaf Collimator) au niveau de la tête des accélérateurs linéaires a d’abord permis le remplacement des caches plombés employés pour la conformation de faisceaux « statiques » (fig. 2.2). En utilisant une approche de mouvement continu de lames (« MLC dynamique » ou sliding window), on peut maintenant implémenter des faisceaux d’intensité non homogène. Une variante en step and shoot, consistant en un mouvement en pas à pas des lames, avec irradiation interrompue, a aussi été utilisée. Cette notion de radiothérapie conformationnelle avec modulation d’intensité (RCMI) permet d’obtenir, par combinaison de plusieurs faisceaux ayant chacun une inhomogénéité contrôlée, une distribution de dose parfaitement adaptée au volume cible. Pour bénéficier de tout l’intérêt de cette technique, le calcul de chaque faisceau n’est plus réalisé de façon « directe » (en fixant les paramètres de chaque faisceau par essais successifs) mais par algorithmes informatiques appelés « calcul inverse » : les volumes d’intérêt (cibles, critiques, etc.), les contraintes et les tolérances de doses à respecter sont déterminés au préalable puis le système de calcul optimise le profil d’intensité de chaque faisceau pour respecter ces paramètres initiaux.
La RCMI permet de réaliser une irradiation très conformationnelle où les courbes d’isodoses moulent la forme géométrique des volumes cibles. Elle permet de créer des gradients de dose très importants et ainsi réduit la dose reçue par les tissus sains même s’ils sont proches du tissu tumoral [9–11]. La RCMI offre également la possibilité d’irradier à des doses par fraction différentes les volumes cibles en fonction de leurs risques respectifs. En conséquence, la tumeur peut recevoir une dose totale et une dose par fraction supérieures à celles reçues par les aires ganglionnaires à risque ou prophylactiques, et surtout aux organes à risque voisins. Il résulte de cette différence de fractionnement une dose équivalente biologique plus élevée dans la tumeur augmentant ainsi l’index thérapeutique avec une meilleure protection des tissus sains. Deux stratégies sont possibles :
• le SIB (Simultaneous Integrated Boost) : la dose par fraction « standard » (soit 1,8-2 Gy) est délivrée au volume cible tumoral, tandis que le volume cible à bas risque (maladie microscopique) reçoit une dose par fraction inférieure (1,6 à 1,8 Gy/fraction). Cette approche privilégie la réduction de la morbidité des tissus sains et peut être appliquée lors des traitements associant une chimiothérapie concomitante [12, 13] ;
• la SMART (Simultaneous Modulated Accelerated Radiation Therapy) : la dose par fraction reçue par le volume cible tumoral est de l’ordre de 2,2 à 2,4 Gy, et le volume cible à bas risque reçoit une dose par fraction standard, habituellement 1,8 Gy/fraction. Ici, la réponse tumorale est privilégiée, cette stratégie correspondant à une accélération [14].
Arcthérapie dynamique
L’arcthérapie dynamique est une nouvelle technique de RCMI qui permet de délivrer une radiothérapie modulée rotationnelle et volumétrique à la différence de la RCMI « classique » qui utilise plusieurs séries de faisceaux fixes. En faisant varier la vitesse de la rotation du bras de l’accélérateur, la vitesse de déplacement des lames du collimateur et la fluence (débit de dose), les techniques d’arcthérapie dynamique actuellement disponibles (RapidArc de Varian Medical System et VMAT d’Elekta) permettent de délivrer l’irradiation en moins d’unités moniteurs et en moins de temps total de traitement que la RCMI classique (fig. 2.3). Plusieurs études ont comparé la RCMI au VMAT dans les cancers ORL, la plupart incluant plusieurs localisations [15–19]. Verbakel et al. ont comparé sur 12 patients avec des tumeurs avancées du nasopharynx, de l’oropharynx et de l’hypopharynx le VMAT avec une RCMI dynamique avec 7 faisceaux [20]. La couverture des PTV était similaire. Le VMAT avec 2 arcs améliorait en revanche l’homogénéité et diminuait légèrement (de façon non statistiquement significative) la dose aux OAR (organes à risque). Ces résultats ont été confirmés sur une série plus grande de Vanetti et al. sur 29 patients avec un impact plus important sur les tissus sains [19]. La dose moyenne à la parotide controlatérale était de 28,2 Gy pour le VMAT, 32,6 Gy pour la RCMI, et respectivement de 34,4 Gy et 40,1 Gy pour la parotide homolatérale. Le VMAT avec un seul arc donnait en revanche de moins bons résultats [17]. D’autres auteurs ont analysé l’impact du nombre d’arcs sur la qualité du plan de traitement. En toute logique, plus il y a d’arcs, plus la planification est optimale sachant que la plupart des auteurs s’accordent sur 2 arcs comme un bon compromis.
En termes de dose intégrale, bien que Vanetti et al. ont retrouvé une dose intégrale plus faible en VMAT comparé à la RCMI dynamique avec 7 faisceaux, la plupart des études ont observé un volume de tissus sains recevant de faibles doses plus important avec le VMAT sans que l’on puisse évaluer les conséquences de cette constatation [18, 19].
Sur le plan clinique, très peu de données sont disponibles. Scorsetti et al. ont rapporté, sur 45 patients traités par VMAT et chimiothérapie concomitante, 28 % de mucite de grade 3, 14 % d’épithélite de grade 3 et 44 % de dysphagie de grade 2 [21]. La toxicité tardive n’était pas évaluée. Pour répondre à cette question, un essai prospectif français « ARTORL » comparant la tomothérapie et le VMAT est en cours. Cent quatre-vingts patients ORL viennent d’être inclus. L’objectif principal est l’évaluation de la toxicité tardive salivaire 18 mois après l’irradiation. Les autres toxicités ORL ainsi qu’une comparaison dosimétrique seront également évaluées. Ces résultats, attendus en 2014, seront comparés à ceux de l’étude STIC ORL avec la RCMI.
Tomothérapie hélicoïdale
La tomothérapie hélicoïdale (TH) a été développée par un groupe de recherche mené par Mackie à l’université du Wisconsin aux États-Unis, puis commercialisée par la société Tomotherapy Inc. (Madison, États-Unis). Le principe de la tomothérapie consiste à embarquer sur un statif de scanner un petit accélérateur d’électrons pour la production des faisceaux de photons de moyenne énergie (6 MV) (fig. 2.4). Le faisceau est mis en forme par un système de collimation permettant une irradiation sur 40 cm de largeur par 1 à 5 cm d’épaisseur couvrant ainsi une « tranche » (d’où le terme « tomothérapie »). Chaque « tranche » est découpée en minifaisceaux qui peuvent être interrompus à volonté au cours de la rotation par un système obturateur du type collimateur multilames à haute vitesse permettant de moduler l’intensité du faisceau de façon sélective pour réaliser la distribution de dose voulue. Pendant l’irradiation, comme pour un scanner de radiodiagnostic, la table se déplace longitudinalement. Le mouvement global est donc celui d’un scanner fonctionnant en mode hélicoïdal balayant jusqu’à 160 cm de longueur de traitement en continu. Ce système permet également de faire de l’imagerie temps réel en position de traitement pour la validation de la mise en place puisqu’un détecteur opposé au tube accélérateur permet d’obtenir une image 3D tomodensitométrique. Le plan de traitement est directement obtenu par planification inverse (comme en RCMI avec des accélérateurs linéaires classiques) avec l’avantage de ne pas avoir à choisir l’orientation des faisceaux. Ainsi, la tomothérapie regroupe en un seul appareil un système original d’irradiation conformationnelle continue avec modulation d’intensité et un dispositif intégré de contrôle scanographique des champs d’irradiation [22].
En raison du développement clinique récent de cette technique, peu de résultats cliniques sont décrits dans la littérature [18, 23, 24]. La majorité des études publiées concerne les avantages dosimétriques théoriques de cette nouvelle technique d’irradiation. Plusieurs équipes ont ainsi comparé sur le plan théorique les dosimétries de techniques classiques de RCMI et de TH pour des cancers des VADS [16, 18]. En résumé, la TH permet d’améliorer la couverture des volumes cibles, l’homogénéité de la distribution de dose, et la protection des tissus sains, notamment des parotides, par rapport à la RCMI classique (fig. 2.5). Sur le plan clinique, la série la plus importante rapporte les résultats de l’ensemble des patients traités par tomothérapies en France depuis leur installation en 2007 [24]. Parmi les 642 patients traités, 202 l’ont été pour un cancer ORL. En termes de toxicité, il a été observé 20 % de toxicités aiguës, essentiellement des mucites et des épithélites de grade 3, et seulement 1 % de toxicités chroniques de grade 3 (dysphagie, ostéonécrose) avec une médiane de suivi de 9 mois. Il est encore trop tôt pour les résultats en termes de contrôle local et de survie. Peu d’études ont comparé la tomothérapie au VMAT. Clemente et al. ont comparé sur 8 patients une tomothérapie, un VMAT en double arc et une RCMI avec 9 faisceaux en step and shoot [16]. La tomothérapie était supérieure en termes de conformité et d’homogénéité par rapport au VMAT et à la RCMI. Elle permettait également une meilleure protection de la plupart des OAR. La majorité des auteurs s’accordent sur l’équivalence de distribution de dose entre la tomothérapie et le VMAT avec 2 arcs même si la question se pose de la supériorité de la tomothérapie dans les très grands volumes.
Cyberknife
Le cyberknife fait partie de cette nouvelle génération de dispositifs innovants qui utilise les progrès du monde moderne dans d’autres domaines que la radiothérapie. Il s’agit ici de la robotique. Basée sur l’expérience de la radiochirurgie (modalité de radiothérapie externe réalisée en séance unique) intracrânienne réalisée jusqu’à présent avec des Gamma Units spécialisées ou des accélérateurs linéaires modifiés, le cyberknife est un système robotisé de radiothérapie externe non invasif offrant la possibilité d’orienter un faisceau de photons d’énergie intermédiaire (6 MV) dans toutes les directions possibles, « en conditions stéréotaxiques », y compris pour des localisations extracrâniennes. Ainsi un accélérateur miniaturisé est monté sur un robot guidé en temps réel par un système d’imagerie basé sur des tubes de rayons X disposés en position fixe dans la salle de traitement (fig. 2.6). La collimation est assurée par un collimateur circulaire dont on choisit le diamètre dans la gamme de 5 à 60 mm. Il n’est possible de traiter que des tumeurs de taille limitée ou de combiner plusieurs irradiations sur des cibles multiples adjacentes. Elle ne se prête donc pas aux irradiations prophylactiques de volumes ganglionnaires de drainage du site primitif tumoral. C’est l’une des rares limitations de cette machine. En pratique, le robot articulé qui supporte la tête d’irradiation à 6 degrés de liberté permet un positionnement de multiples faisceaux avec des orientations dans presque tout l’espace avec une précision inframillimétrique.
Peu d’études concernent encore le cyberknife dans les tumeurs des VADS [25, 26]. Les indications les plus intéressantes concernent les réirradiations de récidives locorégionales. Celles-ci surviennent généralement dans les 2 premières années chez 20 à 50 % des patients traités pour un cancer des VADS. Leur traitement est variable selon les extensions, le volume, le site, l’extirpabilité de la tumeur et l’état général du patient. Si la chirurgie de rattrapage est le traitement de choix pour les récidives extirpables, la chimiothérapie seule à visée palliative est trop souvent le seul traitement envisageable chez des patients déjà opérés et irradiés. La réirradiation nécessite des doses élevées, car ces tumeurs sont généralement « radiorésistantes », et elle n’est pas toujours possible avec les techniques classiques compte tenu de la proximité d’organes à risque proches, comme la moelle, déjà irradiés à dose limitante lors d’une première irradiation. Cependant, une réirradiation améliore la survie sans maladie au prix d’un excès de toxicités de grades 3–4 de l’ordre de 30 % à 2 ans [26]. Pour diminuer les toxicités (dont 2 à 5 % de décès) de la réirradiation, un essai de phase II de réirradiation stéréotaxique et cétuximab chez des patients présentant une récidive de carcinomes de la tête et du cou, dont le promoteur est le Centre Oscar Lambret de Lille, est en cours de publication. Le protocole comporte une réirradiation de 36 Gy en 6 fractions de 6 Gy en 2 semaines avec une injection hebdomadaire de cétuximab. L’étude de faisabilité avait déjà montré sur les 16 premiers patients, préalablement irradiés à une dose moyenne de 58 Gy, une bonne faisabilité avec une toxicité muqueuse de grade 3 limitée et des taux de réponse prometteurs [25].
Une autre situation clinique dans laquelle le cyberknife a une place privilégiée, probablement amenée à se développer, est la technique du boost (ou complément de dose après une irradiation large d’un grand volume prophylactique) permettant de réaliser une escalade de dose sur un volume cible sélectionné réduit. Cette technique est utilisée en boost pour des cancers du cavum et des protocoles sont en cours dans d’autres localisations, notamment pour des tumeurs de l’oropharynx.
L’irradiation par radiothérapie en conditions stéréotaxiques est délivrée de façon hypofractionnée (c’est-à-dire à des doses supérieures à 2,5 Gy par séance d’irradiation) en 1 à 6 séances de l’ordre de 5 Gy ou plus. Les séances sont plus longues car durent entre 30 minutes et une heure et nécessitent comme les autres modalités d’irradiation la réalisation d’un masque de contention.
Hadrons
Le terme « Hadronthérapie » inclut une large panoplie de particules utilisées, ou potentiellement applicables à la radiothérapie, incluant les protons, des ions légers (hélium, oxygène, carbone) et des ions lourds (néon, argon). Les protons sont actuellement les particules les plus utilisées dans le monde. Par rapport aux photons X des accélérateurs linéaires classiques, les protons sont caractérisés par un dépôt de dose élevé sur une très courte distance en fin de parcours (appelé « pic de Bragg »). Cette propriété physique spécifique limite l’irradiation aux tissus sains en arrière du volume cible et facilite ainsi le traitement de tumeurs très proches d’organes sains très radiosensibles. Sur le plan clinique, certaines indications sont maintenant solidement validées, c’est le cas des tumeurs oculaires, des chordomes ou chondrosarcomes de la base du crâne. D’autres sont en cours d’évaluation comme les tumeurs du cavum localement évoluées et certaines tumeurs pédiatriques. En France, il y a deux centres de protonthérapie à Nice et à Orsay. Des nouveautés se préparent en particulier par l’évolution vers une compacité plus grande des cyclotrons amenant à moyen terme à une plus grande diffusion et à une meilleure intégration de la protonthérapie dans les plateaux techniques traditionnels. En ce qui concerne les autres particules, la potentialité d’allier les avantages balistiques (géométrie des faisceaux) des protons et les effets biologiques différentiels des neutrons, très efficaces notamment dans les tumeurs des glandes salivaires mais abandonnés en raison de leur toxicité (meilleure radiosensibilité potentielle des tissus mal oxygénés mais d’utilisation complexe), donne lieu à plusieurs projets d’irradiation par des ions « légers » et « lourds », en particulier des ions carbone. En France, un projet hospitalier de recherche clinique permet désormais de référer des patients ayant une tumeur dite radiorésistante, soit un cancer des glandes salivaires, soit un sarcome, à un centre d’hadronthérapie par ions carbone en Allemagne [27].
Discussion et conclusion
En réduisant la dose aux parotides, les nouvelles techniques de radiothérapie permettent de diminuer la prévalence et la gravité de la xérostomie tout en conservant une efficacité identique voire améliorée [11, 28, 29]. La RCMI a été évaluée dans 49 études, dont 2 essais contrôlés randomisés [11, 29]. À l’analyse de ces études, on observe comme avec les techniques classiques une diminution nette de la salive dans les 6 premiers mois après l’irradiation mais, après la RCMI, la sécrétion salivaire récupère progressivement au fil du temps pour se « normaliser » entre le 12e et le 18e mois. Certes, cette « normalisation » peut rester incomplète soulignant la nécessité de renforcer également la protection des autres glandes salivaires comme les glandes sous-maxillaires, les glandes salivaires sublinguales et des glandes accessoires.
Il n’y a pas encore d’étude définitive pouvant faire conclure à la supériorité des nouvelles techniques d’irradiation externe, et notamment de la RCMI, sur le contrôle tumoral dans les cancers des VADS par rapport aux techniques classiques. En revanche, les données sont maintenant nombreuses dans la littérature pour confirmer les bénéfices en termes de toxicité tardive et notamment salivaire. Il n’y a pas non plus d’étude montrant la supériorité d’une technique de RCMI sur une autre, du moins sur des bases cliniques solides. De même, l’intérêt de l’escalade de dose dans les différentes localisations des VADS nécessite encore la mise en place d’études randomisées prospectives sur un grand nombre de patients.
La RCMI, quelle que soit sa modalité de délivrance, et la radiothérapie stéréotaxique sont des techniques de traitement extrêmement sophistiquées qui nécessitent la mise en place de contrôles de qualité très soigneux tout au long de la procédure de traitement. Elles représentent probablement une avancée aussi importante que l’arrivée des accélérateurs linéaires dans les années soixante-dix, mais leur intérêt clinique, notamment dans les cancers des VADS, requiert encore une évaluation rigoureuse au regard du surcoût qu’elle entraîne.
Complications de la radiothérapie2
J. Thariat and P. Giraud
Impact des modalités d’irradiation sur les profils d’effets secondaires
La radiothérapie externe, par opposition à une radiothérapie métabolique telle qu’elle est réalisée lors de l’irathérapie des cancers thyroïdiens, est réalisée par voie transcutanée. La radiothérapie externe est utilisée chez 60 à 75 % des patients, à intention curative ou palliative au diagnostic ou au cours de l’évolution de leur cancer. Une irradiation locorégionale réalisée à visée curative se déroule généralement en 5 semaines en postopératoire et 7 semaines en cas d’irradiation exclusive. Le but de la radiothérapie est d’irradier les cellules tumorales tout en minimisant les dommages dans les tissus sains pour se rapprocher d’un index thérapeutique optimal qui se traduirait par 100 % de contrôle local tumoral et 0 % de toxicité. Dans cet objectif, la radiothérapie bidimensionnelle/conventionnelle tend à être supplantée par des modalités d’irradiation conformationnelle optimisant la couverture des volumes cibles tumoraux en limitant l’irradiation des tissus sains, et notamment une irradiation conformationnelle par modulation d’intensité (RCMI en français, ou IMRT en anglais) [30]. Cette dernière technique a pour premier objectif, lorsque cela est carcinologiquement « raisonnable », de préserver les parotides [31] pour éviter une xérostomie définitive, délétère sur la qualité de vie. Elle est potentiellement responsable de nouveaux profils de toxicités aiguës comme, par exemple, une alopécie postérieure transitoire inhabituelle en radiothérapie conventionnelle [32].
D’autres modalités d’irradiation que la radiothérapie exteme sont utilisées comme la curiethérapie. Celle-ci est endocavitaire (avec moulage pour des cancers du cavum par exemple) ou interstitielle, plus fréquente en ORL (langue mobile, lèvres, voile, etc.), réalisée soit en bas débit, technique pour laquelle le recul est long, soit en débit pulsé (avec des interruptions de l’irradiation notamment intéressantes pour la radioprotection des personnels), soit encore plus récemment, technique pour laquelle le recul est encore court, en haut débit avec un hypofractionnement par exemple biquotidien sur quelques jours.
D’autres modalités d’irradiation externe sont de plus en plus utilisées en pratique courante : la radiothérapie stéréotaxique utilisée par exemple dans le cadre soit de réirradiations focalisées en cas de récidive ou de deuxième primitif en terrain irradié, soit dans des situations de métastases en nombre limité (oligométastases) en alternative à la chirurgie ou la radiofréquence, soit encore en boost (complément de dose focalisé sur un volume tumoral défini en imagerie anatomique ou fonctionnelle, considéré comme à risque de récidive après une irradiation plus large incluant des volumes cibles tumoraux irradiés à dose prophylactique [préventive] par exemple). Les différentes techniques d’irradiation ne seront pas pourvoyeuses du même type d’effets secondaires que les irradiations locorégionales avec prise en compte de volumes irradiés à dose prophylactique et ne seront pas abordées ici.
Définitions d’organes à risque et bases de raisonnement pour la prise en compte des effets secondaires
Physiopathologie de la mort cellulaire radio-induite vue sous l’angle des effets secondaires
Les conséquences directes de la mort cellulaire radio-induite au niveau des tissus sains et/ou des organes dits à risque sont de deux types : les effets dits déterministes ou stochastiques (aléatoires). Les effets déterministes sont caractérisés par l’existence d’un effet seuil : en dessous de ce seuil, aucun effet secondaire n’est observé ; au-delà, leur sévérité augmente alors avec la dose reçue. Pour les effets stochastiques (dont font partie les effets carcinogène et mutagène), il n’existe classiquement pas de seuil et c’est la probabilité de l’effet (et non l’effet lui-même ni sa gravité) qui augmente avec la dose, selon une relation dite « dose-effet ». Nous aborderons ici les effets déterministes au niveau des tissus sains et organes à risque.
Les effets déterministes dépendent étroitement du type d’organisation tissulaire. On distingue schématiquement deux types d’organisation tissulaires :
• les tissus compartimentaux comportent un compartiment (constant) de cellules souches (ou compartiment germinatif avec cellules capables de mitose), un compartiment de cellules en voie de maturation (inconstant), un compartiment (constant) de cellules différenciées. Un exemple type du tissu compartimental est la peau, qui comporte des cellules souches basales et des cellules différenciées (les kératinocytes superficiels). Dans les tissus compartimentaux, si l’on ne considère que la mort mitotique radio-induite, seules les cellules (souches et du compartiment de maturation) qui se divisent sont sensibles à l’action des rayonnements ionisants. À l’inverse, les cellules différenciées, qui ne se divisent plus, sont théoriquement insensibles à la mort mitotique et de ce fait « radiorésistantes ». La situation en clinique peut être plus complexe. Dans le cas d’une irradiation qui détruirait tout le compartiment de cellules souches d’un tissu ou d’un organe, ce tissu ou cet organe disparaît au terme d’un délai variable qui dépend étroitement de la durée de vie des cellules différenciées et détermine le délai d’expression du déficit fonctionnel. Dans le cas de l’épiderme, la durée de vie des cellules différenciées (issues des cellules souches basales) est d’environ 3 semaines. Si une irradiation détruit ce compartiment de cellules souches, l’apparition de l’épithélite exsudative (qui correspond à la mise à nu du derme suite à la disparition de l’épiderme) se fera au terme d’environ 3 semaines.
Schématiquement, le radiothérapeute se retrouve essentiellement devant deux types de tissus et d’organes sains, avec des réactions très différentes à l’action des rayonnements ionisants. Le premier groupe est celui des tissus (ou organes) compartimentaux dont les cellules différenciées ont une durée de vie brève, où les effets des radiations se révèlent en règle précocement. L’importance du dommage est le plus souvent liée à l’importance du volume irradié, avec un rôle majeur de l’étalement de l’irradiation mais une faible sensibilité à la dose par séance d’irradiation (fraction). Une radiomucite, comme une radioépidermite se démasquent souvent à 2 à 3 semaines du début de l’irradiation ;
Rôle du volume irradié
La sévérité de l’atteinte d’un organe irradié est proportionnelle au volume d’organe traité pour les organes qui présentent un agencement dit « en parallèle » de leurs unités fonctionnelles (parotide, thyroïde) (fig. 2.7). La situation est différente pour les organes agencés « en série » (moelle, mandibule ?). Pour ces organes en série, dont chaque unité est strictement dépendante des unités situées en amont, l’irradiation même d’un très petit volume est susceptible d’entraîner des lésions graves. L’exemple type en est la moelle épinière : une lésion transverse complète de la moelle épinière, même impliquant un volume très limité, sera responsable d’une paraplégie ou tétraplégie.
Rôle de l’étalement
L’« étalement » de l’irradiation (durée totale en jours) est un paramètre très important de l’efficacité et de la toxicité de l’irradiation. À dose égale, les tissus ou organes à renouvellement rapide, comme les muqueuses ORL, sont protégés par une augmentation de l’étalement (c’est-à-dire une augmentation de la durée totale de l’irradiation) par rapport aux tissus/organes à prolifération lente, car ces tissus ou organes à renouvellement rapide peuvent se repeupler pendant l’irradiation. De plus, ces organes/tissus sont capables d’accélérer leur prolifération en réaction à l’irradiation (par exemple la peau après environ 2 semaines d’irradiation). En revanche, la tolérance des tissus ou organes à prolifération lente (la plupart des tissus non compartimentaux) est peu modifiée lorsque l’étalement de l’irradiation augmente. Une des difficultés de l’irradiation des cancers ORL est de ne pas rallonger la durée totale de l’irradiation car leur temps de doublement potentiel est de 3 à 5 jours tout en tenant compte de la tolérance muqueuse, qui impose parfois un arrêt de traitement par nécessité clinique. De plus, ces tumeurs peuvent accélérer leur prolifération après 3 à 4 semaines d’irradiation.
Rôle du fractionnement
Le rapport alpha/bêta, issu du modèle linéaire quadratique des courbes de survie cellulaire, représente la sensibilité des tissus à la dose délivrée par séance (ou par fraction). Si le rapport est élevé (10–20 comme c’est le cas des tissus compartimentaux responsables d’effets précoces ou aigus et à prolifération rapide que sont l’épiderme et les muqueuses), cette sensibilité est « faible ». Si le rapport est bas (2–5), cette sensibilité est « élevée ».
Pour les carcinomes épidermoïdes, on admet un rapport alpha/bêta élevé (10-20). Ces tumeurs se comporteraient donc comme les tissus sains responsables des effets précoces. Les adénocarcinomes des glandes salivaires auraient un rapport alpha/bêta probablement plus bas de l’ordre de 5, et les mélanomes muqueux un rapport inférieur à 3.
Organes à risque
On désigne communément en radiothérapie des « organes à risque » qui sont des organes bien définis comme les parotides et la moelle épinière.
On est aussi amené à créer des structures à risque relativement moins bien délimitées anatomiquement comme la cavité buccale. Dans ce dernier cas, c’est classiquement la cavité buccale saine (déduction faite des volumes cibles tumoraux) qui est contourée et qui peut être un volume de contrainte, dont la dose est limitée lors de la planification inverse de radiothérapie lorsque des techniques comme la RCMI sont utilisées (cf. chapitre 1). Avec ces techniques, on introduit aussi la notion de « tissus non spécifiés » comme les tissus postérieurs du cou pour contraindre le système à éviter une irradiation circonférentielle.
Les muqueuses ne sont classiquement pas définies comme organes à risque ou contourées bien qu’elles représentent un organe particulièrement sensible aux effets de l’irradiation, et ce en raison en particulier de leur atteinte potentielle dans ces cancers et de l’absence de définition volumique précise. La peau n’est généralement pas prise en compte comme organe à risque mais il arrive, pour des raisons physiques d’incertitude de dose en rapport avec l’absence d’équilibre électronique sur les premiers millimètres de peau, de réaliser un volume peau par expansion négative de l’ordre de 3 mm par rapport à la surface.

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