Chapitre 2 Biomécanique et physiologie articulaire du thorax
Au niveau du rachis dorsal, la hauteur des disques intervertébraux est plus faible que celle des corps vertébraux, ce qui ne favorise pas la mobilité. Cependant, malgré l’orientation des articulations interapophysaires qui permet une grande amplitude des mouvements de rotation et de latéroflexion, ces derniers sont considérablement limités par la présence des côtes.
Physiologie des articulations vertébrales
Mouvements vertébraux [2]
Flexion et extension
L’association de la flexion et de l’extension du rachis dorsal permet d’obtenir en moyenne un mouvement d’environ 6 degrés par segments, avec une flexion plus importante dans le sens longitudinal (céphalo-caudal). Le mouvement permis est d’en moyenne 4 degrés au niveau du rachis dorsal supérieur, 6 degrés au niveau de la partie moyenne du rachis dorsal et 12 degrés au niveau des deux segments dorsaux inférieurs.
Chacun de ces mouvements s’effectue plus ou moins sur 5 degrés à chaque niveau. Kapandji [5] admet un total de 45 degrés pour la flexion et 25 degrés pour l’extension ; mais il attire l’attention sur les importantes variations en fonction de l’âge et des individus. Gone et al. admettent un total de 6 degrés pour T10-11, 9 degrés pour T11-12 et 10 degrés pour T12-L1 (figure 2.1).
Selon Kapandji [5], le mouvement d’extension entre deux vertèbres dorsales s’accompagne d’une bascule vers l’arrière du corps de la vertèbre sus-jacente [1]. Simultanément, le disque intervertébral se pince en arrière et s’ouvre en avant, le nucleus pulposus se déplace vers l’avant (figure 2.2).
La limitation du mouvement d’extension est due à l’imbrication des apophyses articulaires et au fait que les apophyses épineuses entrent en contact. Il se produit également une mise en tension du ligament longitudinal antérieur.
Les facettes articulaires [8] se déplacent vers le haut et les apophyses articulaires inférieures de la vertèbre supérieure ont tendance à déborder vers le haut les apophyses supérieures de la vertèbre inférieure (figure 2.3).
La flexion-extension du rachis cervical concerne T1 uniquement à la fin du mouvement : C7 glisse vers l’avant ou vers l’arrière sur T1 : T1-T2 sert de point fixe, de point pivot.
La faible mobilité de T1-T211 est indispensable car sa perte entraîne la sursollicitation des disques C7-T1 et C6-C7, s’accompagnant de risques de hernies discales (NCB, névralgie cervico-brachiale).
Du fait de la légère mobilité de C7-T1-T2 et de la puissance des muscles postérieurs de la nuque, l’hypermobilité de C5-C6 est fréquente.
Latéroflexion
Le mouvement d’inclinaison de deux vertèbres dorsales s’accompagne d’un glissement des facettes articulaires : du côté de la convexité, les facettes glissent et se désimbriquent comme lors de flexion ; du côté de la concavité, les facettes glissent et s’imbriquent comme lors d’extension (figure 2.4).
Le couplage [9] de la latéroflexion et de la rotation est tel que ces mouvements se produisent du même côté (c’est-à-dire rotation du corps vertébral du côté de la concavité et déviation des apophyses épineuses du côté de la convexité).
On présume néanmoins que les segments thoraciques inférieurs ont tendance à suivre le modèle de couplage du rachis lombaire. Ce modèle lombaire est à l’opposé de celui des segments thoraciques supérieurs et cervicaux, et associe la latéroflexion à une rotation axiale en direction opposée.
Selon Kapanji [5], elle atteint 20 degrés au total de chaque côté.
Rotation
Le mouvement de rotation pourrait être très ample s’il n’y avait pas de gril costal.
La rotation est facilitée car les articulations zygapophysaires dorsales et le corps vertébral se superposent en cercles concentriques.
Selon Panjabi [13], la rotation axiale de la partie supérieure du rachis dorsal atteint en moyenne 8 à 9 degrés. Ce mouvement de rotation diminue légèrement au niveau de la partie moyenne du rachis dorsal puis diminue encore jusqu’à atteindre 2 degrés au niveau des deux ou trois segments thoraciques inférieurs. Cette diminution marquée des mouvements de rotation dans les segments les plus bas reflète le changement graduel du plan des facettes articulaires qui passe de frontal à sagittal.
Sur un cadavre, Raou [9] a mesuré une amplitude de 3 à 5 degrés de chaque côté pour chaque vertèbre thoracique, la zone T8-T9 (sans côtes) étant la plus mobile. Kapandji [5], citant les travaux de Gregersen et Lucas, admet une rotation totale de 35 degrés de chaque côté.
La rotation est minimale au niveau de C7-T1, mais elle est indispensable :
Physiologie articulaire du rachis dorsal selon Kapandji [5] (figures 2.5, 2.6 et 2.7)
Latéroflexion du rachis dorsal
Biomécanique selon Panjabi et White [13]
Amplitude des mouvements
Les amplitudes de mouvements du rachis varient en fonction des auteurs. Selon Panjabi [13], l’amplitude moyenne des mouvements est de 4 degrés dans la partie supérieure de la colonne et de 6 degrés dans les segments moyens.
Dans ce cas, les valeurs de la rotation axiale coïncident quelque peu avec les résultats de Gregersen et de Lucas qui ont étudié la rotation du rachis dorsal de sept étudiants en médecine en insérant des clous de Steinmann dans les apophyses épineuses. Ils ont observé en moyenne 6 degrés de dérotation à chaque étage et, lorsque les sujets marchaient, la rotation maximale était observée dans la portion moyenne du rachis dorsal (tableau 2.1).
Axe instantané de rotation
De nombreux débats ont été suscités par les défauts des descriptions actuelles de la localisation de l’axe instantané de rotation.
Une étude récente a permis d’obtenir les centres de rotation des mouvements s’effectuant dans le plan sagittal. Elle a utilisé pour cela les unités vertébrales fonctionnelles de cadavres frais qui couvraient tous les étages du rachis dorsal. L’usage de quatre charges différentes produisant des mouvements de flexion/extension a permis d’obtenir les centres de rotation dans 84 localisations. Lorsque la force de cisaillement (qui produit la flexion) a été appliquée en avant au niveau du centre géométrique de la vertèbre, l’axe a été situé dans la plaque cartilagineuse de l’extrémité inférieure de la vertèbre sous-jacente. Il s’est encore plus déplacé lorsque la force de cisaillement a été appliquée plus en arrière (pour produire l’extension). En réalisant les mêmes mouvements dans des moments de flexion et d’extension purs, respectivement, l’axe se déplace vers la partie supérieure. Pendant ces moments de flexion et d’extension, l’axe se situe dans la plaque cartilagineuse de l’extrémité supérieure de la vertèbre inférieure de l’unité fonctionnelle vertébrale (figure 2.8).
Fonctions des éléments anatomiques
Lorsque des mouvements d’extension étaient simulés, l’ablation des éléments postérieurs entraînait une augmentation statistiquement significative de l’extension. En effet, les articulations intervertébrales et les apophyses épineuses limitent l’importance de l’extension qui se produit dans cette région. Cette observation conforte également le fait que ces structures soient décrites comme des éléments porteurs.
Biomécanique du mouvement vertébral normal selon Mitchell [9]
Le système aponévrotique se prolonge du diaphragme jusqu’aux crêtes iliaques par l’intermédiaire du muscle carré des lombes et des parois abdominales, et du médiastin jusqu’au fémur par l’intermédiaire du muscle psoas.
Le fascia lombo-dorsal (ou thoraco-lombaire) est en relation mécanique avec les muscles péroniers par l’intermédiaire du ligament sacro-tubéral, de l’aponévrose fessière, du fascia lata et de la bandelette ilio-tibiale.
Kinésiologie des mouvements de flexion et d’extension
Le mouvement passif lent s’accompagne d’une activité musculaire minime, mais le mouvement passif rapide peut engendrer un réflexe myotatique et augmenter le tonus musculaire.
Muscles rotateurs et fonction d’extenseurs du tronc
Les muscles rotateurs ne sont pas situés dans une position qui permette de produire une rotation vertébrale pure selon un axe horizontal. Tout comme pour les autres muscles du groupe transverso-spinal, que sont le transversaire épineux (multifidus) et le semi-épineux du thorax, leur contraction s’accompagne d’une forte composante verticale, qui fait d’eux des extenseurs au même titre que des rotateurs. Pour que les muscles du groupe transverso-spinal (rotateurs, transversaire épineux) puissent produire la rotation axiale d’une vertèbre prise individuellement, leur action d’extension doit être contrôlée par la contraction concomitante des muscles fléchisseurs.
Bogduk et Twomey [3] ont suggéré de décrire les muscles sacro-spinaux de haut en bas et non pas de bas en haut comme dans la convention anatomique, afin de mieux comprendre la biomécanique intersegmentaire, en considérant leur type d’innervation. Par exemple, tous les faisceaux du muscle transversaire épineux, qui partent de l’apophyse épineuse d’une vertèbre donnée, sont innervés par le rameau intermédiaire de la branche dorsale naissant sous cette vertèbre. Ainsi, les muscles qui agissent au niveau d’un étage vertébral spécifique sont innervés par le nerf de cet étage. Bien qu’ils s’insèrent sur plusieurs articulations (polyarticulaires), les muscles transversaires épineux occupent une position adaptée pour mobiliser un à un les étages vertébraux. Ils agissent principalement pour stabiliser de manière segmentaire le rachis lombaire.
La flexion est également augmentée par l’inspiration mis à part au niveau de trois étages thoraciques (T1, T2 et T12), qui ne possèdent aucun muscle fléchisseur prévertébral contenant des fibres mono-articulaires capables de fléchir individuellement ces étages vertébraux.
Au niveau de cette région, il est clair que la flexion active d’une unité vertébrale segmentaire ne résulte pas de la contraction des muscles mono-articulaires. Elle est probablement le résultat de l’action des extenseurs mono-articulaires antagonistes qui contrôlent de manière proprioceptive le mouvement. Ces muscles extenseurs courts résistent aux actions des fléchisseurs polyarticulaires et les contrôlent, et peuvent avoir un effet cinétique net plus spécifique au niveau d’un segment individuel. Les muscles extenseurs longs font surtout partie des muscles sacro-spinaux. Au niveau de la région T3-T10, les muscles interépineux et intertransversaires sont remplacés par des ligaments.
Selon Mitchell, lors du traitement des dysfonctions en FRS, la flexion en tant que contre-résistance peut être un léger effort qui implique surtout les quelques fléchisseurs mono-articulaires du rachis dorsal, avec inhibition correspondante des extenseurs mono-articulaires, ou un effort plus important qui entraîne la contraction des muscles polyarticulaires plus étendus. Les contractions isométriques avec une légère force sont généralement utilisées pour le traitement des restrictions de mobilité segmentaires par les techniques d’énergie musculaire (figures 2.9 et 2.10).
Biomécanique de la flexion-extension vertébrale segmentaire (mouvement sur l’axe x)
La flexion et l’extension de tous les segments thoraciques et lombaires sont semblables, avec de légères variations selon la rigidité. En flexion, les deux apophyses épineuses se séparent dans le plan sagittal. Lors des mouvements purs de flexion/extension, les apophyses transverses se déplacent parallèlement aux facettes articulaires inférieures de la vertèbre sus-jacente qui se déplace sur la vertèbre sous-jacente. Le disque intervertébral s’aplatit dans la partie antérieure et s’élargit dans la partie postérieure. Le corps de la vertèbre supérieure glisse légèrement vers l’avant. L’axe transverse instantané de ce mouvement dans le plan sagittal est variable mais se trouve quelque part au sein de la vertèbre inférieure [3].
Influence des côtes sur le mouvement vertébral
Ces mouvements deviennent un peu plus libres au niveau de la dixième vertèbre (fausses côtes), ainsi que des onzième et douzième vertèbres (côtes flottantes) du fait de l’absence de cartilages costaux et de la présence d’une seule facette articulaire costale au niveau de ces vertèbres.
Arthrocinématique des côtes
L’extension entraîne l’opposé. En dessous de T3, les facettes articulaires glissent plus librement l’une sur l’autre. De ce fait, la latéroflexion et la rotation neutres ne sont pas modifiées par la compression de la facette, sauf lors des mouvements extrêmes de flexion et d’extension. Lorsque les facettes articulaires entrent en contact, le point de compression se transforme en un pivot pour le mouvement segmentaire. Cela explique le comportement de la dysfonction segmentaire en position non neutre.
Arthrocinématique du disque intervertébral
Quand, lors de la flexion, le corps vertébral se déplace vers l’avant, les fibres postérieures de l’anneau fibreux s’orientent plus verticalement à mesure que cette partie de l’annulus se tend, alors que dans la partie antérieure comprimée, les fibres annulaires sont plus horizontales.
Ce déplacement vers l’avant entraîne une déformation du disque intervertébral en cisaillement.
La tendance du nucleus pulposus à se déplacer vers l’arrière lors de la flexion est la conséquence naturelle de l’association entre la compression verticale du disque et l’inclinaison des surfaces du corps vertébral. Cependant, les fibres tendues de la partie postérieure de l’anneau fibreux s’opposent au déplacement du nucleus pulposus vers l’arrière.
L’effet net de ces forces qui s’opposent entraîne probablement la stabilisation centrale du nucleus pulposus. Si l’on considère l’autre mécanisme, il est plus probable qu’une rupture de l’anneau fibreux se produise pendant la première partie de l’extension, lorsque la force de compression est associée à une tension sur la partie antérieure de l’anneau.
Biomécanique de la rotation axiale vertébrale segmentaire (mouvements sur l’axe y)
Segment T1-T2 : vertèbres reliées aux côtes et s’articulant avec le manubrium
La flexion et l’extension, la latéroflexion et la rotation présentent un couplage ipsilatéral. Du fait de la configuration en flexion antérieure de la cyphose dorsale, les deux premières vertèbres dorsales sont orientées en avant et en bas, inclinant l’axe y vers l’avant d’un angle de 30 à 45 degrés.
Selon Lee [7], les segments T1-T2, C7-T1 et T1-T2 présentent le même type de couplage de mouvement que le rachis cervical moyen, lorsqu’on tourne la tête. La rotation est couplée à une latéroflexion ipsilatérale de la vertèbre supérieure.
Le couplage de la rotation avec la latéroflexion ipsilatérale des deux premières unités vertébrales segmentaires dorsales se produit quel que soit l’endroit où se situe l’articulation sur son axe x (flexion/extension) et que le mouvement débute sur l’axe y (rotation) ou sur l’axe z (latéroflexion). Comme pour le rachis cervical, la fonction de support du poids des facettes articulaires empêche la biomécanique intervertébrale en position neutre (car les facettes entrent en contact), à moins d’appliquer d’abord une distraction longitudinale passive (figure 2.11).