2: Aspects post-thérapeutiques des carcinomes épidermoïdes de l’oropharynx de la cavité buccale

Chapitre 2


Aspects post-thérapeutiques des carcinomes épidermoïdes de l’oropharynx de la cavité buccale



L’imagerie après traitement répond à trois indications : l’évaluation de la réponse au traitement, la recherche d’une poursuite évolutive ou d’une récidive, et l’exploration des complications (ex : ostéonécrose).


Environ la moitié des récidives tumorales, soit locales soit métastatiques, surviennent dans les deux premières années suivant le traitement d’un cancer de l’oropharynx et/ou de la cavité buccale. La chirurgie de rattrapage est habituellement proposée aux patients atteints d’une récidive locorégionale potentiellement résécable [1] ; dans les autres cas, une irradiation ou une ré-irradiation associée ou non à une chimiothérapie peut être retenue, voire une chimiothérapie seule en cas d’évolution métastatique.


L’imagerie post-thérapeutique d’une tumeur maligne de l’oropharynx et de la cavité buccale complète le suivi clinique sans jamais le remplacer [2]. L’objectif premier de l’imagerie post-thérapeutique est d’aider au diagnostic précoce d’une récidive locale ou locorégionale potentiellement curable par un deuxième traitement. Dans une moindre mesure, l’imagerie peut faire le diagnostic d’une évolution métastatique débouchant alors habituellement sur un traitement palliatif symptomatique. Enfin, l’imagerie peut concourir au diagnostic précoce de maladies liées aux mêmes facteurs de risque : deuxième cancer ORL ou thoracique, pathologies cardiovasculaires. Le suivi est aussi l’occasion d’encourager le sevrage alcoolotabagique s’il y a lieu, d’organiser les soins de support, de faciliter la réinsertion. Outre la survie, le suivi carcinologique permet d’améliorer la qualité de vie du patient et celle de ses proches.


Devant la présence d’un cancer ORL ou de sa récidive, la proposition thérapeutique est élaborée lors de la réunion de concertation multidisciplinaire. Cette proposition dépend de multiples facteurs relatifs aux caractéristiques de la tumeur, à l’état général du patient et aux éventuelles comorbidités présentes. Il n’est pas possible ici de développer l’ensemble des éventualités thérapeutiques pouvant être retenues : on peut toutefois rappeler quelques principes généraux. Un traitement à visée curative comporte le plus souvent une chirurgie et/ou une radiothérapie, voire une succession des deux (notamment en cas d’atteinte ganglionnaire). Une atteinte osseuse (par exemple mandibulaire) ne plaide pas pour la réalisation d’une radiothérapie seule ; la chirurgie de l’os atteint est souhaitable. Le traitement, qu’il soit chirurgical ou radiothérapique, doit prendre en compte la tumeur initiale et les aires ganglionnaires. Une chimiothérapie est le plus souvent associée à la radiothérapie (radiochimiothérapie concomitante) pour les tumeurs localement avancées ; sa réalisation en première intention est aujourd’hui discutée mais peut être utile en cas de maladie très évolutive.


Les aspects post-thérapeutiques diffèrent en fonction du type de traitement réalisé. Nous traiterons de l’aspect après chirurgie puis de celui après radiothérapie et enfin de celui des récidives. La chimiothérapie influence peu l’imagerie par elle-même mais elle est souvent associée à la radiothérapie dans le cas de lésions de stade avancé.


L’apport de la médecine nucléaire pour la carcinologie cervico-faciale est abordé ponctuellement dans ce chapitre et est traité de façon plus complète au chapitre suivant (chapitre 3).



Aspects post-thérapeutiques en imagerie



Aspects post-chirurgicaux


Les carcinomes de la cavité buccale relèvent dans la plupart des cas d’un traitement chirurgical. Celui-ci comporte toujours un temps d’exérèse et souvent un temps de reconstruction. L’imagerie n’est jamais « normale » et les modifications post-thérapeutiques sont fonction de l’importance de l’exérèse et éventuellement du type de reconstruction pratiquée. D’éventuelles neuropathies acquises et l’importance des lésions cicatricielles rendent d’autant plus importantes les anomalies visualisées.


La date de la première exploration en imagerie à la recherche d’un reliquat ou d’une récidive ne doit pas être trop précoce, les remaniements inflammatoires post-chirurgicaux, associant œdèmes et tuméfactions, sont en pratique difficiles à distinguer d’un éventuel résidu tumoral ou d’une poursuite évolutive. La plupart des auteurs s’accordent sur un délai minimum de 3 mois avant de pratiquer le premier examen radiologique [3].


La connaissance préalable du type de chirurgie et d’éventuels antécédents de radiothérapie est un prérequis à l’interprétation des images pour ne pas confondre un aspect post-thérapeutique avec celui d’une récidive.



Statut post-exérèse



Aspects postopératoires


Chirurgie d’exérèse et de reconstruction

La chirurgie vise à enlever la tumeur en un seul bloc et en marges saines. La complexité anatomique de la tête et du cou rend variées les techniques chirurgicales d’exérèse. Ces modalités d’exérèse dépendent de la topographie initiale et de l’extension en imagerie et sont résumées dans le tableau 2.1.



Les indications de la buccopharyngectomie transmandibulaire sont essentiellement représentées par les tumeurs de la loge amygdalienne, du sillon amygdaloglosse, du trigone rétromolaire et du plancher postérieur. En cas d’extension osseuse, une mandibulectomie segmentaire (BPTM interruptrice) est pratiquée. Lorsque l’invasion mandibulaire est superficielle ou minime, une baguette osseuse peut être souvent conservée (BPTM non interruptrice).


La reconstruction, lorsqu’elle est indiquée, vise à réduire les séquelles esthétiques et fonctionnelles sur la déglutition et la mastication en comblant la perte de substance par des tissus mous et en remplaçant si besoin les structures osseuses.



Chirurgie d’évidement ganglionnaire cervical

Les indications d’évidement cervical diffèrent en fonction de la topographie de la tumeur primitive, du choix de son traitement et des secteurs ganglionnaires atteints. La chirurgie d’exérèse ganglionnaire est quasi systématique en cas de chirurgie de la tumeur primitive et elle est pratiquée en premier temps avant l’exérèse tumorale.


On distingue trois types d’évidements ganglionnaires :



• les évidements radicaux, qui consistent en l’exérèse en bloc des niveaux ganglionnaires de I à V en emportant le muscle sterno-cléido-mastoïdien, la veine jugulaire interne, la glande submandibulaire et le nerf spinal accessoire. Ils ne concernent pas habituellement les ganglions sous-occipitaux, buccaux, rétropharyngés et paratrachéaux. Ils trouvent leurs indications dans les atteintes ganglionnaires volumineuses comportant des risques évidents de rupture capsulaire. On peut en rapprocher les évidements radicaux étendus qui comportent en plus des évidements radicaux d’autres tissus comme de la peau, d’autres muscles ou des nerfs crâniens ;


• les curages radicaux modifiés, développés pour réduire les séquelles fonctionnelles des évidements et se définissant par rapport aux curages radicaux par les éléments non lymphatiques préservés : le nerf spinal accessoire (type I, non visible en imagerie), la veine jugulaire interne (type II), le muscle sterno-cléido-mastoïdien (type III) ;


• les évidements sélectifs, qui préservent un ou plusieurs groupes ganglionnaires. La classification du Memorial Sloan Kettering Cancer center en distingue quatre types :





Aspects tardifs


Fibrose cicatricielle

Les lésions cicatricielles apparaissent autour du 10e jour de façon concomitante à la chute d’escarre. Elles peuvent intéresser tous les plans de résection ou de section, du plan cutané ou muqueux aux plans profonds. L’épaisseur de la cicatrice présente d’importantes variations interindividuelles soumises à des facteurs locaux et génétiques. Au niveau cutané cette variation peut aller d’une cicatrice à peine visible aux cicatrices chéloïdes ou aux botryomycomes. À moindre degré, de telles variations existent au niveau de la surface muqueuse et posent parfois des problèmes diagnostiques. Si le volume des cicatrices est strictement imprévisible, leur aspect en imagerie et en clinique varie avec le temps. Habituellement les lésions cicatricielles jeunes (10 jours – 3 mois) sont le siège d’un œdème et de prises de contrastes en scanner et en IRM, parfois pseudo-tumorales (granulomes postopératoires). Tardivement ces lésions présentent une prise de contraste moins perceptible lors de la phase veineuse de l’injection.


L’IRM est particulièrement démonstrative pour mettre en évidence ces modifications. Habituellement la fibrose jeune est en hypersignal T2 puis le signal baisse proportionnellement à la diminution de l’œdème jusqu’à apparaître en franc hyposignal. À ce stade, ces lésions sont rarement de morphologie nodulaire mais plutôt linéaires voire rétractiles.


Du fait de la difficulté d’interprétation des lésions inflammatoires et cicatricielles « jeunes », la plupart des recommandations internationales [5, 6] préconisent de réaliser une imagerie post-thérapeutique de référence entre 3 et 6 mois après la fin du traitement pour permettre une comparaison ultérieure.



Neuropathies séquellaires

Au niveau de la cavité buccale et de l’oropharynx, des amyotrophies secondaires au traitement sont fréquemment retrouvées. Leur mécanisme est une désafférentation nerveuse des fibres motrices responsable d’une paralysie ou d’une parésie parfois cliniquement frustre. Ces lésions nerveuses peuvent être secondaires à la chirurgie ou moins fréquemment causées par une atteinte tumorale périneurale. L’atteinte du nerf hypoglosse est particulièrement illustrative, en montrant un remplacement graisseux de l’hémi-langue respectant le raphé médian. Au niveau de la langue, seul le muscle palatoglosse est épargné par l’amyotrophie, en raison de son innervation par le nerf vague.


D’autres amyotrophies peuvent survenir, elles témoignent du nerf atteint. Les muscles ptérygoïdiens, le muscle mylohyoïdien, le muscle digastrique (ventre postérieur) sont innervés par les fibres motrices du V. Le nerf facial innerve les muscles superficiels notamment le buccinateur, le risorius, l’orbiculaire de la bouche et le platysma. Le nerf vague innerve quant à lui les muscles constricteurs (inférieur, moyen et supérieur) du pharynx, les muscles stylopharyngiens, palatoglosse, palatopharyngien ainsi que l’élévateur du voile du palais. Les évidements ganglionnaires radicaux, parfois associés aux résections tumorales, comportent un risque de lésion du nerf spinal, innervant les muscles trapèze et sterno-cléido-mastoïdien.


À l’état normal, seule la portion cisternale des nerfs crâniens est accessible à l’exploration IRM à l’aide des séquences écho de gradient T2 volumiques inframillimétriques (ex : CISS = Constructive Interference in Steady State). Certains auteurs s’accordent sur l’intérêt de la mesure de la fraction d’anisotropie en tenseur de diffusion IRM qui permettrait une autre approche anatomique extra-crânienne de certains nerfs crâniens. Leur intérêt en carcinologie n’a pas été évalué.


Des signes de paralysie nerveuse, survenant tardivement ou sans rapport direct avec l’exérèse pratiquée, doivent conduire à élargir le champ d’exploration pour couvrir l’intégralité de la topographie nerveuse afin de ne pas négliger une récidive tumorale liée à une extension périnerveuse.



Statut post-reconstructions





Lambeaux libres de tissus mous

Les lambeaux « libres » sont des lambeaux prélevés en règle à distance de la sphère cervicofaciale et dont le pédicule nourricier est sectionné et ensuite anastomosé aux artères et aux veines du cou par des microsutures vasculaires sous microscope. Cette seconde technique permet de prélever à distance des tissus variés (os, peau, muscle, fascia, etc.) dont le volume est adaptable à la reconstruction envisagée. Les lambeaux libres les plus utilisés pour la réparation de la cavité buccale sont l’antébrachial radial (dit lambeau chinois), le grand droit de l’abdomen, le lambeau de cuisse.


En raison de leur dénervation, les lambeaux vont progressivement montrer en imagerie des signes d’atrophie avec un remplacement graisseux des fibres musculaires (fig. 2.1). Ce remplacement graisseux du lambeau est intéressant lors du suivi en imagerie : la démarcation entre la berge d’exérèse et les berges du lambeau est alors bien visible et son aspect bien « net » est un bon signe d’absence d’évolution tumorale.




Transferts osseux vascularisés libres (lambeau libre de tissu osseux)

Lors de la réparation par lambeau libre osseux, la fibula est le plus souvent utilisée. Elle a l’avantage de présenter une importante longueur disponible (25 cm utilisables en moyenne) et d’autre part une double vascularisation (périostée et médullaire) qui permet la réalisation de plusieurs ostéotomies sans danger pour la vitalité des fragments osseux ainsi obtenus. Ses deux extrémités sont préservées pour maintenir la stabilité des articulations du genou et de la cheville.


Une fois prélevé avec ses pédicules vasculaires, le péroné est modelé par ostéotomies segmentaires pour lui donner une forme de mandibule et les vaisseaux péroniers sont anastomosés aux vaisseaux du cou. Des plaques d’ostéosynthèse sont ensuite utilisées pour fixer le transplant à la mandibule restante (fig. 2.2).



Secondairement, la mise en place d’implants dentaires est envisageable dans certains cas, le plus souvent en l’absence de radiothérapie postopératoire.



Ostéosynthèse/Orthèse/Prothèse

Cette technique, rarement employée, n’est proposée que pour les pertes de substance latérale limitées et dans un but uniquement cosmétique.


La plaque est moulée à la forme de l’os réséqué et on réalise une ostéosynthèse au niveau des moignons mandibulaires restants. Des prothèses condyliennes attenantes à la plaque en cas de désarticulation existent. Même si l’utilisation du titane a permis une meilleure tolérance des plaques d’ostéosynthèse, l’expulsion du matériel survient dans 25 à 50 % des cas et nécessite le plus souvent son ablation définitive.


Lors des réparations symphysaires, la fermeture étanche autour de la plaque est toujours difficile, et nécessite le plus souvent une couverture par un lambeau musculocutané.



Aspects post-radiothérapie


Les aspects de l’imagerie ORL (scanner et IRM) après radiothérapie externe sont bien décrits dans la littérature [7, 8]. Ils sont au nombre de sept. Leur importance dépend de la dose, du volume irradié et du délai après traitement (encadré 2-1). Les modifications observées sont habituellement bilatérales et symétriques. Une radiothérapie conformationnelle asymétrique et/ou en modulation d’intensité peut toutefois entraîner des modifications qui ne sont perceptibles que dans la zone effectivement irradiée et dont l’interprétation peut nécessiter d’avoir connaissance de la balistique d’irradiation. L’intérêt de connaître ces aspects est de ne pas les confondre avec une poursuite évolutive tumorale. Ces signes ne sont cependant pas très spécifiques : par exemple une prise de contraste peut être présente en cas d’inflammation, d’infection, d’ulcération ou de lésion tumorale. Les prises de contraste, pour être en faveur d’un simple aspect post-thérapeutique, doivent être fines (inférieures à 2 mm selon certains auteurs), rester stables ou diminuer dans le temps [9]. Cela souligne encore l’intérêt de pouvoir comparer les imageries de suivi post-thérapeutique et de la recommandation de réaliser une imagerie de référence systématique à 3 mois de la fin des traitements.


Apr 24, 2017 | Posted by in RADIOLOGIE | Comments Off on 2: Aspects post-thérapeutiques des carcinomes épidermoïdes de l’oropharynx de la cavité buccale

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