Chapitre 19 Uvéites secondaires aux endophtalmies endogènes fongiques
Les endophtalmies endogènes représentent 2 % à 15 % des endophtalmies ; la moitié est due à une infection fongique [1,2]. Le genre retrouvé dans les endophtalmies fongiques est Candida dans 75 % des cas [3]. La majeure partie de ce chapitre, restreint aux endophtalmies endogènes mycotiques, lui est donc consacrée, tandis que les endophtalmies mycotiques secondaires à une chirurgie intraoculaire sont traitées dans le chapitre 16. L’histoplasmose est évoquée dans le chapitre 41, consacré aux syndromes des taches blanches et apparentés.
Endophtalmies à Candida
HISTORIQUE
Le premier cas de candidose rétinienne rapporté dans la littérature date de 1943 par Miale [4]. Il s’agissait d’un homme de trente ans opéré d’amygdalectomie qui décéda de méningite mycotique. Le diagnostic d’endophtalmie mycotique fut posé à l’époque lors de l’autopsie [4,5]. Dans les années soixante-dix, on voit une augmentation de cas décrits avec l’apparition du sida, mais aussi avec l’augmentation des cas de candidémies en réanimation. Avec la lutte contre les infections nosocomiales, la part des toxicomanes augmente progressivement dans cette infection [3].
ÉPIDÉMIOLOGIE
Parmi les uvéites secondaires aux infections mycotiques, la plus fréquente est celle liée à Candida. Les uvéites secondaires aux infections mycotiques décrites depuis le milieu du XXe siècle ont vu leur fréquence augmenter lors des années soixante-dix avec l’augmentation des candidémies en réanimation. Les endophtalmies endogènes survenaient dans 10 % à 40 % des candidémies rencontrées [6–9]. Selon le rapport du NNISS (National Nosocomial Infections Surveillance System), entre 1979 et 2000, l’incidence des septicémies à Candida a augmenté de 207 % [10]. Cette augmentation progressive semble liée à une augmentation des facteurs de risque : traitement intraveineux au long cours, hyperalimentation, chirurgie gastro-intestinale, augmentation de la durée des cathéters, immunosuppression, cancer, terrain débilité et toxicomanie intraveineuse [11]. Une étude récente trouve une diminution de la prévalence à 2,4 % d’endophtalmie à Candida lors d’une candidémie [12,13]. La différence entre l’augmentation de la fréquence des candidémies et la diminution des endophtalmies à Candida s’explique par une meilleure prise en charge des candidémies.
Les prévalences d’endophtalmies fongiques parmi les endophtalmies endogènes pour différents pays sont précisées dans le tableau 19-I[14–18]. Les différents champignons rencontrés lors de ces endophtalmies endogènes mycotiques sont résumés dans le tableau 19-II.
Candida (C. albicans, C. tropicalis, C. parapsilosis…) |
Aspergillus (A. fumigatus, A. flavus) |
Cryptococcus neoformans |
Histoplasma capsulatum |
Blastomyces |
Coccidioides |
Sporothrix |
Autres : Fusarium, Penicillium, Pseudoallescheria boydii, Paecilomyces, Phialophora, Scedosporium prolificans, Cladophialophora devriesii |
PHYSIOPATHOLOGIE
RAPPELS MYCOLOGIQUES
Les levures du genre Candida peuvent provoquer deux types de candidose :
Les candidoses s’observent dans toutes les régions du globe. Elles sont dues à la multiplication de levures appartenant à la flore normale de l’individu qui les héberge. À la faveur d’une rupture de l’homéostasie, ces levures se mettent à proliférer au sein de leur biotope naturel et peuvent même disséminer vers d’autres tissus. Les levures Candida sont souvent responsables d’infections nosocomiales systémiques [19]. Elles sont la quatrième cause d’infection nosocomiale à hémoculture positive dans le monde. Ces infections systémiques sont particulièrement redoutées en raison d’un taux de mortalité comparable à celui du choc septique, de l’ordre de 40 % à 60 %. Les facteurs de risque d’infection nosocomiale à Candida sont bien identifiés : porteurs d’un cathéter intraveineux, patients traités par corticoïdes ou antibiotiques à large spectre, immunodépression, notamment avec neutropénie (polynucléaires neutrophiles sous 500/mm3). Les facteurs de croissance fongiques sont la suppression de la flore normale bactérienne (induite par une antibiothérapie à large spectre), l’augmentation de la glycémie (chez les patients diabétiques, y compris en cas de diabète corticoinduit), une diminution de l’immunité cellulaire (en particulier dans un contexte de corticothérapie), un pH acide qui permet le relargage d’argent par la transferrine (en particulier dans un contexte d’utilisation de jus de citron en tant qu’excipient au cours de certaines toxicomanies) [20]. L’atteinte oculaire due à Candida peut être par voie exogène, observée après manœuvre de chirurgie (notamment en cas de contamination d’un greffon cornéen) ou après un traumatisme oculaire, ainsi que par voie endogène, la plus fréquente, survenant au cours d’un épisode septicémique.
DONNÉES ANATOMOPATHOLOGIQUES
En coupe histologique, les levures de type Candida ont un aspect de pseudohyphe (fig. 19-1). Il existe une intense réaction inflammatoire autour du foyer choroïdien à Candida, se composant éléments granulomateux et purulents. Lorsque l’infection touche la rétine, on met en évidence une rupture de la membrane de Bruch et des microabcès rétiniens. L’évolution se fait d’abord par une extension latérale du foyer et de sa réaction inflammatoire dans le plan choriorétinien, puis par une rupture de la limitante interne et une propagation dans le vitré. L’inflammation du vitré est composée de polynucléaires neutrophiles, de lymphocytes et de plasmocytes. Cette inflammation du vitré semble prédominer par rapport à celle de la rétine et de la choroïde [21]. Cette préférence d’extension au sein du vitré plutôt que dans la rétine s’explique par des conditions locales différentes. Il existe en effet, dans la rétine, des enzymes antioxydantes (superoxyde dismutase, catalase, gluthation peroxydase) et une protéine de la famille des transferrines, qui diminuent l’efficacité des polynucléaires neutrophiles et donc limitent la réaction inflammatoire et les délabrements qu’elle aurait occasionnés [22,23]. La moindre concentration de ces protéines protectrices dans le vitré expliquerait la propagation du Candida vers celui-ci et l’importance de la réaction inflammatoire vitréenne [21]. On sait également que le vitré est riche en glucose, pauvre en oxygène et a un pH bas, ceci est un facteur de croissance de Candida[21].
Dans 80 % des cas, les autopsies révèlent des lésions multiples et, dans 64 % des cas, plus de cinq lésions [4,24]. Dans la plupart des cas, les lésions sont postérieures à l’équateur et souvent maculaires. L’infection du vitré peut s’étendre jusqu’au corps ciliaire [4]. Chez les patients neutropéniques, les lésions peuvent être atypiques [25].
FACTEURS DE RISQUE
La détection de l’endophtalmie candidosique passe par la détection des facteurs de risque de candidémie. Ces facteurs sont bien connus depuis les années soixante-dix [22]. On distingue ainsi trois groupes à risque :
MANIFESTATIONS OCULAIRES
ASPECTS CLINIQUES
Les signes fonctionnels visuels sont les myodésopsies, la baisse d’acuité visuelle liée à une atteinte maculaire ou une hyalite, le scotome positif, l’hyperhémie conjonctivale, la cyclite, la douleur, la photophobie [42]. Ces symptômes visuels peuvent être précédés d’une fièvre et d’un syndrome clinique associant pustules cutanées, nodules profonds du scalp, costochondrite, ostéomyélite et lésions pulmonaires [39].
L’aspect au fond d’œil est celui d’un foyer choriorétinien blanc crémeux avec une hyalite en regard, d’environ un huitième à un quart de diamètre papillaire (fig. 19-2). La localisation de ce foyer peut être périphérique et de diagnostic retardé par rapport à l’atteinte maculaire qui est plus fréquente. Il existe de multiples foyers unilatéraux dans la moitié des cas et une atteinte bilatérale dans deux tiers des cas [4,24]. Une étude récente fait état de 2,7 % d’atteintes bilatérales, de 16 % d’atteintes multiples et de 60 % d’atteintes maculaires (tableau 19-IV) [43]. L’atteinte débute le plus souvent par un foyer choroïdien qui s’étend vers la rétine et dissémine dans le vitré. Dans certains cas cependant, le foyer peut apparaître dans la rétine. Il peut s’y associer une vascularite, une occlusion de branche artérielle et de petites hémorragies intrarétiniennes [44]. Ces hémorragies peuvent parfois entourer un foyer blanc prenant l’aspect d’une tache de Roth (hémorragie à centre blanc) [4].
Atteinte | Pourcentage des cas |
---|---|
Bilatérale | 2,7 |
Foyers multiples | 16 |
Maculaire | 60 |
L’extension se fait vers le vitré avec l’apparition d’agrégats blancs le long des fibres vitréennes en regard du foyer choriorétinien ; on peut voir également de petits abcès blancs en « boule de coton ». En cas d’atteintes multiples, on visualise de multiples petits foyers blancs choriorétiniens non confluents. La classification d’Ishibashi est une classification semi-quantitative de la hyalite (tableau 19-V) ; elle permet de prédire la réponse au traitement antifongique [45,46]. L’extension du foyer dans le vitré donne un abcès vitréen en « boule de coton » partant du foyer choriorétinien, prenant la forme d’un champignon dont la base du pied serait le foyer choriorétinien et le chapeau serait l’abcès vitréen. L’évolution naturelle est lente et se fait vers une inflammation majeure du vitré, une baisse d’acuité visuelle, une inflammation antérieure, des synéchies, un hypopion, un bloc pupillaire et un abcès ciliaire. Les complications sont le décollement de rétine, la vitréorétinopathie proliférante, la membrane épirétinienne, la perforation et la phtise du globe [47]. L’étude d’Edwards en 1974 reprend les différents signes ophtalmologiques et leur fréquence (tableau 19-VI) [4]. Quelques cas de régression spontanée ont été rapportés dans la littérature [48–50].
Stade | Description |
---|---|
1 | Apparition d’une réaction de chambre antérieure et d’une hyalite |
2 | Foyer rétinien du pôle postérieur |
3a | Foyer rétinien avec extension vitréenne et hyalite modérées (< 3+) |
3b | Foyer vitréen important avec hyalite sévère (> 3+) |
4 | Opacité vitréenne totale ou décollement de rétine |
Signes cliniques | Pourcentage des cas |
---|---|
Foyer blanc duveteux exsudatif avec ou sans hyalite | 59 |
Foyer exsudatif et hémorragique | 23 |
Tache de Roth | 7 |
Uvéite chronique | 7 |
Hypopion ou uvéite antérieure | 38 |
Iritis | 23 |
Papillite | 13 |
Conjonctivite associée | 17 |
Décollement de rétine | 12 |
Cyclite ou abcès ciliaire | 7 |
ANGIOGRAPHIE FLUORESCÉINIQUE
L’angiographie n’est pas nécessaire au diagnostic. Sur les clichés anérythres, le foyer est visualisé sous forme d’une tache blanche cotonneuse. En angiographie, le foyer est hypofluorescent au temps précoce, par masquage de la fluorescence choroïdienne, et hyperfluorescent au temps tardif (fig. 19-3). L’angiographie peut également mettre en évidence une hyperfluorescence tardive de la paroi des vaisseaux rétiniens, signe d’une vascularite associée. Les taches de Roth sont visualisées en lumière bleue sous l’aspect d’un point blanc (foyer candidosique) entouré d’un halo sombre (hémorragie) et, en angiographie, ces taches sont hypofluorescentes aux temps précoces et tardifs.
TOMOGRAPHIE EN COHÉRENCE OPTIQUE
L’OCT permet de localiser le foyer mycotique (choroïde ou rétine) et d’en suivre l’évolution. L’image en OCT est parfaitement corrélée à l’aspect histologique. Le foyer mycotique est visible sous la forme d’une zone hyper-réflective choroïdienne puis s’étend à la rétine (fig. 19-4 et 19-5). L’évolution se fait vers un bombement de cette zone hyper-réflective vers le vitré, avec condensation et décollement de la limitante interne. L’essaimage dans le vitré se manifeste par de multiples foyers hyper-réflectifs avec cône d’ombre postérieur associés à une hyalite sous forme de multiples points hyper-réflectifs dans le vitré (fig. 19-6).