CHAPITRE 19 Implants multifocaux en piggyback
L’addition d’un implant multifocal en piggyback (superposition) correspond à l’addition d’un implant dans le sulcus d’un œil pseudophaque chez un patient déjà opéré de la cataracte et porteur d’un implant monofocal. Cette implantation superposée permet de corriger sa presbytie isolée ou associée à une erreur réfractive.
Historique
La technique d’implantation en piggyback a été décrite pour la première fois en 1993 par Gayton et Sanders [9], qui ont superposé deux parfois trois implants acryliques dans le sac capsulaire afin d’obtenir une puissance dioptrique suffisante pour corriger des patients hypermétropes forts dans le cadre de leur chirurgie de la cataracte. Cette implantation multiple dans le sac se compliquait fréquemment d’un envahissement cellulaire de l’espace entre les optiques, formant une membrane opaque constituée de perles d’Elschnig [19, 20] ou de cellules provenant de la capsule antérieure, responsable d’une hypermétropisation secondaire par aplatissement ou déplacement postérieur des optiques et d’une baisse d’acuité visuelle pouvant imposer l’explantation.
Différentes techniques ont alors été proposées pour éviter cette complication (fig. 19-1):
– la plus simple et la plus efficace est de placer le premier implant dans le sac capsulaire, après un nettoyage soigneux de la capsule, et de placer le second dans le sulcus ciliaire; l’implant est placé dans le sac capsulaire en arrière du bord du capsulorhexis (d’un diamètre plus petit que celui de l’optique), afin d’isoler les cellules équatoriales de l’espace interlenticulaire [11];
– la seconde solution est de faire un capsulorhexis plus large que l’optique de l’implant placé dans le sac capsulaire, afin que la fibrose entre la capsule antérieure et la capsule postérieure séquestre les cellules cristalliniennes épithéliales au niveau de l’équateur et qu’elles ne puissent pas migrer dans l’espace interlenticulaire [11].

Fig. 19-1 Implantation en piggyback évitant l’opacification interlenticulaire.
(D’après Liliana Werner.)
Cette technique, initialement prévue pour corriger les amétro-pies fortes (hypermétropie) lorsqu’on ne disposait pas de la puissance de l’implant nécessaire (au-delà de 30 D), a été étendue aux implantations secondaires en cas d’amétropies résiduelles gênantes chez des patients pseudophaques [10]. L’implantation en piggybacking peut se faire avec des implants en PMMA (polymé-thylméthacrylate), en silicone ou en acrylique pour corriger des amétropies résiduelles chez le pseudophaque. Elle peut également se faire chez des patients ayant été opérés de leur cataracte avec implantation monofocale et cherchant à s’affranchir de leur correction de près grâce à l’avènement de dessins multifocaux pour ces implants ajustés pour un positionnement en sulcus.
La première implantation en piggyback de ce type a été proposée par Luis Mejia en 1999 chez un patient présentant une ani-sométropie hypermétropique ayant été opéré avec succès de son meilleur œil d’une cataracte avec implantation multifocale et pour lequel la puissance de l’implant multifocal controlatéral n’existait pas. Ce patient a bénéficié ensuite d’une implantation d’un implant en silicone monofocal dans le sac et d’un implant multifocal Allergan SA40 dans le sulcus avec une acuité visuelle postopératoire de 10/10 Parinaud 2 pour le premier œil et 7/10 Parinaud 2 pour le second œil [17].
Deux ans après, Donoso et Rodriguez rapportent une série de cinq patients hypermétropes implantés en piggyback avec l’implant multifocal Allergan SA40 dans le sulcus devant un implant en silicone monofocal dans le sac capsulaire, du fait d’une puissance calculée supérieure à 30 D, et concluent que l’implantation multifocale en piggyback est sûre, efficace et permet d’obtenir de bons résultats réfractifs [8].
José Alfonso publie en 2006 une série de six patients ayant été opérés de cataracte avec un implant monofocal emmétropisant et souhaitant améliorer leur vision de près. Ils ont tous bénéficié de l’implantation secondaire dans le sulcus en piggyback d’un implant Acri.Twin® bifocal diffractive IOL (Acri.Tec). Les résultats sont prometteurs, avec une acuité visuelle moyenne de loin et de près sans correction de – 0,080 ± 0,056 logMAR et – 0,016 ± 0,037 logMAR, respectivement [4].
Léonardo Akaishi rapporte en 2007 des résultats d’une série de treize yeux de sept patients hypermétropes forts implantés avec un implant multifocal ReSTOR® dans le sac capsulaire et un implant en silicone en piggyback dans le sulcus avec des résultats satisfaisants à un an. L’acuité visuelle moyenne postopératoire de loin était de 8,8/10 et tous les yeux lisaient Parinaud 2 [2].
Une étude similaire, avec des résultats tout aussi intéressants, portant sur vingt yeux de douze patients hypermétropes forts avec un recul de six mois est également publiée en 2007 par le même auteur mais l’implant Tecnis® ZM 900 multifocal remplaçait ReSTOR®. L’acuité visuelle moyenne postopératoire de loin était de 7/10 et 90 % des yeux lisaient Parinaud 2. Tous les patients avaient une indépendance aux verres correcteurs [3].
Implants multifocaux spécifiques pour l’implantation en piggybacking
DESIGN ET MATÉRIAU
Les implants piggyback doivent répondre à certaines conditions indispensables pour éviter les complications précédemment décrites [21]. Le matériau doit être lisse et biocompatible, l’optique doit être de grand diamètre à bord arrondi et la taille de l’implant doit être adaptée au sulcus. Les anses doivent être fines, arrondies et non traumatisantes. Le dessin de l’implant doit permettre un dégagement avec le tissu uvéal avoisinant [7] mais aussi avec l’implant placé dans le sac capsulaire (fig. 19-2 et 19-3).
Deux modèles d’implants multifocaux spécifiques ont été dessinés pour l’implantation en piggyback.
IMPLANT SULCOFLEX® MULTIFOCAL (RAYNER)
L’implant Sulcoflex® de Rayner Intraocular Lenses a été le premier implant commercialisé pour une implantation spécifique dans le sulcus. Il s’agit d’un implant une pièce en acrylique hydrophile copolymère, le Rayacryl®, spécifique à la société Rayner, résultant d’un équilibre entre monomère hydrophile et monomère hydrophobe. Ce matériau est remarquable par sa biocompatibilité [1, 18]. L’optique est asphérique neutre sur le plan des aberrations, ce qui peut être un avantage car l’implant posé dans le sac est le plus souvent déjà asphérique. Il a été dessiné en Autriche par Mickael Amon pour une implantation spécifique en piggyback. L’optique est convexe sur sa face antérieure et concave sur sa face postérieure sur un diamètre de 6,5 mm. Son épaisseur varie de 0,25 mm à 0,75 mm selon la puissance dioptrique (fig. 19-4). Puisque l’opacification capsulaire postérieure n’est pas un aléa possible avec ce design, le bord de l’implant et celui des haptiques sont arrondis pour être le moins traumatisant possible pour les structures adjacentes et annuler les dysphotopsies. Dans sa version multifocale, le Sulcoflex® est un implant multifocal de type réfractif avec cinq zones autour d’une zone optique centrale de petit diamètre et une grande sensibilité au décentrement. L’addition est de + 3,5 D. L’optique est peu dépendante du diamètre pupillaire. Les haptiques sont fines (0,33 mm) et ont une angulation antérieure de 10° (fig. 19-4), ce qui permet un bon dégagement de l’optique avec l’uvée. Une étude de Gunal Kahmara confirme la bonne tolérance de l’implant Sulcoflex®, l’absence de réaction inflammatoire mesurée au laser flare-cell, le maintien d’un espace suffisant entre l’optique et le bord pupillaire pour éviter une capture irienne ou une dispersion pigmentaire [5, 12, 14] et, enfin, une distance de sécurité moyenne entre les deux optiques de 517,4 µm ± 159,9 selon la taille de l’œil, qui reste stable avec un recul de dix-sept mois [15]. Le diamètre de 14 mm et la forme ondulée des extrémités des haptiques lui confèrent une bonne stabilité dans le sulcus, indispensable pour autoriser la version torique de l’implant. La puissance des implants varie entre – 3 et + 3 D par incréments de 0,5 D.

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