Chapitre 19. Comment un entretien oriente-t-il vers un type ou un autre de prise en charge ?
Dans le cadre d’une école de pensée, un modèle de psychothérapie est appliqué et la situation clinique fait l’objet d’un filtrage et d’une lecture compatible avec le modèle. Cependant, il existe des contextes pour lesquels le modèle − n’ayant pas été conçu pour cette situation − ne peut s’appliquer. On peut donner l’exemple du modèle de la névrose devant des affections psychosomatiques. Ce modèle cherche à se rapprocher de l’hystérie alors que la maladie organique est bien présente. À l’inverse, le modèle de l’éclectisme pragmatique propose pour un patient donné de recourir à la technique qui paraît le plus adéquate pour ses symptômes et sa demande. L’éclectisme pragmatique cherche le meilleur traitement pour un patient donné. Cela semble séduisant. Cependant, une critique lui est souvent adressée : trop flou, il représente un empilement de techniques, on note une absence de stratégie d’articulation entre une technique et une autre. En effet, qu’est-ce qui décide de passer d’une psychothérapie cognitive à une psychothérapie d’inspiration analytique et en fonction de quoi − ceci reste bien mystérieux… On comprend que les modèles théoriques dictent la manière d’écouter un patient ; l’aspect réflexif de se dire : « est-ce qu’une autre technique serait plus utile et pourquoi ? » représente une attitude et une posture difficile à adopter. On peut évoquer aussi les deux situations suivantes : un patient qui choisit un psychothérapeute en fonction de son école ou un psychothérapeute idéologue du soin défendant la stricte orthodoxie de son école.
Dans la perspective de la construction d’un travail psychothérapeutique qui nous occupe, on se situera dans la situation d’une demande initiale ou d’une situation à problème, amenée de façon générale à un praticien n’appartenant pas à une école psychothérapeutique définie. Dans ce contexte, on parle généralement de « facteurs communs non spécifiques des psychothérapies ». Ils comprennent l’attente du patient, sa demande, l’alliance thérapeutique, l’apaisement par l’écoute. Au-delà de ces aspects très généraux, la question se pose sur l’ajustement du thérapeute à la problématique du patient. Une autre manière de poser simplement ce problème revient à s’interroger sur les éléments suivants : pourquoi un patient livre son problème, de cette façon, maintenant et à moi ?
En reprenant ces différents points, dans l’interaction entre le patient et le thérapeute peuvent surgir des orientations sur une indication ou une autre de psychothérapie.
À l’écoute des éléments livrés par le patient
On considère classiquement que l’on s’attache à écouter soit la forme, soit la fonction des symptômes. Ces éléments ne sont pas superposables et méritent d’être délimités.
La forme des symptômes relève de la sémiologie. Il peut s’agir d’anxiété, de tristesse, de repli, d’inhibition, d’idées délirantes. Écouter la forme des symptômes revient à se situer dans une perspective d’établissement d’un diagnostic à situer dans une nosographie. Il est évident qu’une tristesse, un ralentissement, une absence de plaisir, une insomnie, un amaigrissement orienteront immanquablement l’établissement du diagnostic vers un syndrome dépressif. On a beaucoup reproché à cette approche nosographique d’être anti-psychothérapeutique. Cependant, avoir un cadre de diagnostic permettant de définir une schizophrénie, une maladie bipolaire, un trouble anxieux oriente un patient dans des dimensions de durée, de continuité des soins et de séquences thérapeutiques qu’il faut connaître.
L’écoute de la fonction du symptôme peut elle-même se faire à deux niveaux. Un premier, tout simple, d’explication immédiate : l’anxiété à l’approche d’un examen, la tristesse à la suite d’une déception, le repli par peur d’affronter une situation difficile. Ce premier registre explicatif demeure indispensable. Il possède une valeur anthropologique, la manière dont un patient explique, vu par ses yeux, l’origine de son symptôme. Le terme de dépression réactionnelle illustre parfaitement ce contexte. L’origine de la dépression nous est expliquée par un événement de vie difficile. Un deuxième niveau explicatif peut faire intervenir des pensées répétitives focalisées autour d’une thématique : « Je n’y arriverai jamais, je ne suis pas à la hauteur, je me révèle souvent incapable » ; une autre approche explicative de la fonction des symptômes inscrit ces derniers dans l’histoire personnelle du sujet : idées négatives du fait d’une dévalorisation induite par les parents, sentiment général de culpabilité dû à une faute, difficultés à entrevoir des aspects positifs en soi ou dans l’existence par insuffisance d’assise de la personnalité.
Une souffrance générale ou une manière d’être peuvent définir la demande du patient. Certains se plaindront d’un sentiment général d’ennui dans l’existence. D’autres évoqueront une difficulté à prendre des décisions. D’autres, enfin, mentionneront leur peu de capacités à éprouver du plaisir. Là aussi, selon l’orientation de celui qui écoute, les uns évoqueront un trouble de la personnalité, les autres feront état du repérage entre des éléments préconscients et des éléments inconscients. La fluidité entre des aspects surmoïques d’exigence et de rigidité et le fonctionnement quotidien du moi du sujet seront mentionnés.
La manière de présenter ces difficultés
Ceci invite à se poser la question : pourquoi un patient présente-t-il ces problèmes de cette façon ? Pour schématiser, de façon un peu caricaturale, nous distinguerons trois types de fonctionnement et de manière de présenter ces difficultés.