19 Bonnes pratiques chirurgicales
Traduction : Gilbert Carvalhana
Vue d’ensemble
La quasi-totalité des patients victimes des fractures du fémur proximal nécessitent un traitement chirurgical, à l’exception de ceux qui sont en fin de vie ou à très haut risque chirurgical1. Les options chirurgicales comprennent les remplacements articulaires par arthroplastie partielle ou totale et les diverses techniques de fixation intramédullaire ou extramédullaire et leurs implants. Une planification préopératoire doit prendre en considération l’état de santé du patient, les exigences fonctionnelles, la situation sociale, la qualité de l’os et la configuration de la fracture avant qu’une tactique chirurgicale ne soit choisie. Le risque de mortalité chirurgicale doit être confronté au résultat fonctionnel attendu, ainsi qu’aux morbidités entraînant des interventions chirurgicales ultérieures.
Le concept de bonne pratique chirurgicale implique une tactique chirurgicale optimale pour un patient donné, au vu de l’expertise des facteurs pertinents. Bien que l’excellence chirurgicale et la sélection de l’implant constituent les points forts de ce chapitre, il est important de comprendre que les résultats des patients à court et long terme sont fortement influencés par des facteurs indirectement reliés aux techniques chirurgicales. Ces facteurs incluent la prise en charge de la douleur périopératoire et des transfusions, le délai de la chirurgie, le type d’anesthésie, le protocole de rééducation, et les stratégies de prévention secondaire visant à améliorer la qualité des os, ainsi que les futures chutes et fractures. Enfin, ce chapitre n’envisage que les fractures du fémur proximal, le traumatisme ne concernant qu’un os normal ou ostéopénique. Les fractures de fatigue résultant de la surutilisation ou d’une anomalie métabolique sont responsables d’échecs nécessitant des considérations complémentaires, qui ne sont pas traitées dans ce chapitre2. La prise en charge des fractures partielles ou complètes des lésions métastatiques ou autour d’implants précédents n’est pas non plus traitée dans ce chapitre3.
Tactique chirurgicale optimale
Bien qu’il soit important de planifier une tactique chirurgicale au vu des preuves scientifiques de la littérature, la prise de décision doit être adaptée à un patient donné. Alors que certains groupes d’implants (par exemple extramédullaires ou intramédullaires) pourraient être destinés à un type de fracture, les nuances de stratégies de fixation biomécanique peuvent varier selon certains composants de la fracture. En outre, il existe très peu de preuves des effets des différents cals vicieux (varus, extension, perte de bras de levier, raccourcissement métaphysaire, rotation) sur le résultat fonctionnel, même si certains chercheurs ont démontré que le raccourcissement du col fémoral semble associé à une baisse des scores de l’activité physique du Short Form 36 (SF 36)4. Ainsi, il est difficile de choisir entre une intervention chirurgicale qui restaure le positionnement anatomique de l’articulation et une intervention responsable d’un cal vicieux mais de moins de pseudarthrose et de moins de risque de morbidité ou de mortalité (par exemple un remplacement arthroplastique ou une excellente stabilité en position anatomique avec une vis verrouillée ou une plaque versus un col dynamique et une plaque Medoff métaphysaire dynamique).
Remise en charge postopératoire
Quelle que soit la stratégie choisie, elle doit permettre au patient âgé de se mobiliser immédiatement, sans restriction de mise en charge après l’intervention chirurgicale. Il est depuis longtemps reconnu que la mobilisation précoce des patients âgés, y compris en cas de fractures de hanche, est essentielle pour éviter des problèmes médicaux tels que complications cutanées, cardiovasculaires, respiratoires et gastro-intestinales5. De plus, l’appui postopératoire immédiat réduit les complications médicales6, ainsi que la mortalité7, améliore la récupération fonctionnelle6,7,8–11 et accélère la sortie de l’hôpital9,12. En outre, les données indiquent que les patients limitent l’appui du membre opéré en fonction de la stabilité du montage13, et les taux de démontages ne sont pas augmentés par une remise en charge immédiate, même chez les patients ayant des fractures instables avec des implants traditionnels14,15. Enfin, la planification chirurgicale soigneuse et la disponibilité d’une grande variété d’implants permettent la fixation ou le remplacement articulaire qui sont compatibles avec la remise en charge postopératoire de toutes les fractures, y compris les fractures biomécaniquement « instables »16–21.
Stratégies chirurgicales
Fractures intracapsulaires de hanche
Vue d’ensemble
La vascularisation de la tête du fémur provient des artères circonflexes médiale et latérale de la cuisse, des vaisseaux intramédullaires, avec une faible contribution de l’artère obturatrice au travers du ligament rond dans l’enfance (d’une importance limitée chez les adultes) (fig. 19-1). Une fracture intracapsulaire du col fémoral déplacée perturbe la vascularisation intramédullaire de la tête fémorale et compromet le flux des branches intracapsulaires terminales, vitales, des artères circonflexes médiale et latérale de la cuisse par l’intermédiaire d’un hématome compressif ou d’un spasme dû à la torsion d’un vaisseau. Plus le déplacement de la fracture est important, plus les dommages des vaisseaux le sont. Dans certaines séries, plus de 50 % des patients sont porteurs de nécrose avasculaire et de pseudarthrose en raison de déplacements importants22. Selon des données publiées, l’incidence de la nécrose avasculaire semble inférieure chez les hommes (4,9 % chez les hommes versus 11,4 % chez les femmes) et semble diminuer avec l’âge (20,6 % < 60 ans versus 2,5 % > 80 ans)23.
Fractures du col fémoral : définitions
Les fractures intracapsulaires du col fémoral peuvent être classées en deux catégories selon le degré de stabilité et de déplacement de la fracture. Les fractures stables ont une certaine continuité structurelle au niveau du foyer de fracture (c’est-à-dire une fracture engrenée), de telle sorte que les deux fragments sont solidaires lors d’une application d’une petite quantité de force externe comme une rotation de hanche (fig. 19-2A). Les fractures instables n’ont pas de continuité au sein de la fracture, de telle sorte que les deux fragments sont indépendants lors de l’application d’une force minimale24 (voir fig. 19-2B).
Alternativement, les termes non déplacés ou déplacés peuvent être utilisés pour définir les fractures stables et instables. Cependant, il peut exister une confusion entre les fractures engrenées et les fractures à déplacement angulaire (c’est-à-dire engrenement en valgus) ; certains chirurgiens considèrent ainsi qu’une fracture est déplacée, alors qu’elle est en fait stable. Dans ce chapitre, le terme déplacé est utilisé de façon interchangeable avec celui d’instable pour indiquer qu’il n’existe pas de continuité structurelle entre les fragments de la fracture. Les radiographies de face et de profil doivent être soigneusement examinées à la recherche d’écart, d’angulation, de translation et de rotation avant de classer définitivement une fracture comme stable ou instable (voir fig. 19-2C).
Les fractures du col fémoral stables doivent être fixées
Les fractures du col fémoral stables doivent être traitées par fixation chirurgicale et mobilisation immédiate en raison des échecs élevés des traitements non chirurgicaux, et les résultats de la chirurgie mini-invasive sont généralement bons, avec un faible risque de complications25,26. Les échecs du traitement non chirurgical entraînant le déplacement de la fracture font passer celle-ci de la catégorie stable à la catégorie instable – ce qui est traité dans le paragraphe suivant –, dans laquelle les risques chirurgicaux sont plus élevés. Les vis décalées multiples et les plaques mini-invasives à glissement sont des traitements chirurgicaux adaptés aux fractures du col fémoral stables qui présentent l’intérêt de la compression dynamique27.
Les techniques chirurgicales et les implants des fractures intracapsulaires instables peuvent être envisagés dans cette situation. Le remplacement arthroplastique est associé à un risque de mortalité et de morbidité plus élevé comparativement à la fixation des fractures du col fémoral stables23. Cependant, certaines preuves montrent qu’environ 30 % des fractures stables traitées par fixation interne peuvent entraîner un raccourcissement du col fémoral et la baisse du score du SF 3628.
Fractures du col fémoral instables : remplacement versus fixation de la fracture
Il existe un débat considérable en ce qui concerne le traitement optimal des fractures du col fémoral déplacées chez les personnes âgées actives et ayant une demande importante18,29–32. Les taux d’échecs des fractures intracapsulaires instables fixées chirurgicalement augmentent progressivement, passant de 6 % environ chez les patients entre 40 et 50 ans à 25 % chez les patients de plus de 70 ans33.
Certains essais randomisés de bonne qualité ont suggéré que le remplacement arthroplastique des fractures subcapitales donnait de meilleurs résultats que la fixation chez les patients âgés34–36. En outre, le remplacement arthroplastique après échec d’une fixation pour fracture intracapsulaire est moins efficace que l’arthroplastie primaire ; cette constatation implique qu’il est préférable de faire un choix de traitement définitif dès le début de la présentation clinique37,38. Pour ces motifs, la prise en charge des fractures du col fémoral instables par remplacement arthroplastique tend à augmenter, en particulier chez les patients âgés39. Les arthroplasties réduisent de manière significative les probabilités d’une reprise chirurgicale à moins d’un an40.
Même si l’arthroplastie est associée à un risque accru d’infection, de perte sanguine et de durée opératoire prolongée, elle ne semble pas augmenter le risque de mortalité à un an40. La mortalité est principalement imputable à la comorbidité du patient, à l’âge et au sexe, et moins à d’autres facteurs impliquant les équipes médicales41. Toutefois, certaines preuves montrent que le chirurgien, l’environnement et l’expérience de l’hôpital participent à la morbidité et à la mortalité41–45. Qu’une fixation primaire ou un remplacement arthroplastique primaire (cimenté ou non cimenté) ait été choisi, le protocole de rééducation postopératoire implique la remise en charge complète immédiate, pour les raisons précisées précédemment.
Conseils, astuces et controverses au sujet des fractures fixées
Chez un patient âgé actif en bonne santé, dont la demande est forte et avec une bonne qualité osseuse présentant une fracture subcapitale déplacée avec une comminution minime (de telle sorte que la longueur du col fémoral puisse être préservée par la fixation), la fixation peut être la procédure chirurgicale de choix46. La réduction anatomique et une fixation interne stable sont essentielles pour le devenir du patient.
Le moment auquel pratiquer la réduction et la fixation des fractures du col fémoral déplacées reste controversé22,47. Cependant, un traitement chirurgical rapide a l’avantage théorique de restaurer précocement la vascularisation de la tête fémorale, ce qui pourrait diminuer le risque de nécrose avasculaire48. Tandis que le patient est dans l’attente de la chirurgie, la hanche doit demeurer en position de rotation externe et de raccourcissement, sans traction. Il a été démontré que cela diminuait la douleur et la pression intracapsulaire22,49,50.
Réduction
Une fois le patient anesthésié, une tentative prudente de réduction fermée est effectuée progressivement jusqu’à 45° de flexion tout en maintenant l’abduction et la rotation externe. Une traction est ensuite appliquée, et la hanche est délicatement amenée en rotation interne, extension et adduction jusqu’en position neutre. Cette manœuvre peut être exécutée sur une table orthopédique, si on le souhaite, de sorte que le membre puisse être immobilisé dans une chaussure de traction sans effectuer un transfert d’une table à une autre, si la réduction est réussie. La réussite de la réduction est mieux appréciée en fluoroscopie de face et de profil (fig. 19-3). Une courbe en forme de S symétrique de chaque côté de la tête et du col du fémur sur les deux incidences indique que la réduction est bonne22,51. Une attention particulière doit être accordée à la partie inférieure du col fémoral parce que son intégrité anatomique est essentielle pour éviter un effondrement en varus et le déplacement.
L’échec d’une réduction fermée impose une réduction ouverte et une fixation interne. C’est plus facile à réaliser en dehors de la botte de traction sur une table radiotransparente22. Un abord de Watson-Jones ou de Smith-Petersen peut être utilisé pour traiter une fracture du col du fémur22,51. Quand on utilise un abord de Smith-Petersen, la fixation du col fémoral est habituellement réalisée en percutané par une voie latérale séparée. La capsule peut être ouverte en forme de T, avec la branche transversale le long de la crête intertrochantérique22 ou le long du bord acétabulaire, en prenant soin d’éviter d’endommager le labrum (fig. 19-4). Une fois la fracture exposée, une petite broche filetée de Kirschner (2,5 mm) est fixée dans le fragment proximal et peut être utilisée pour manipuler la tête fémorale dans l’alignement du col. Le fragment diaphysaire peut habituellement être contrôlé grâce à la manipulation du membre inférieur, mais aussi grâce à l’insertion d’une fiche de Shantz de 4,5 mm dans la diaphyse fémorale51. La région subtrochantérienne doit être évitée au cours de cette procédure, afin de minimiser le risque de fracture de contrainte au travers de l’orifice. Selon l’obliquité de la fracture, un davier peut être mis en place pour fixer la réduction. Un crochet pointu peut également être utile pour maintenir la réduction de la région du calcar, qui est essentielle pour éviter l’échec de la fixation et l’effondrement en varus51. Une broche de Kirschner temporaire peut ensuite être mise en place depuis la corticale latérale à travers la fracture pour vérifier sur l’image la bonne réduction, avant la fixation définitive. La réduction de la fracture est facilitée par une détente musculaire totale.
Fixation
La mise en place de vis multiples (canulées ou non canulées) représente la forme la plus commune de fixation pour les fractures du col fémoral déplacées et non déplacées. L’utilisation d’une grosse vis unique dans le cadre d’un montage coulissant présente l’inconvénient théorique de faire tourner la tête lors des étapes finales de serrage de la vis (malgré l’utilisation de broches ou de vis antirotatoires), un mécanisme qui pourrait entraîner des lésions des vaisseaux sanguins et la perte de réduction de la fracture. Cependant, la littérature ne montre pas de taux de nécrose avasculaire liée aux types d’implants, même si les procédures à vis multiples sont plus rapides à réaliser et sont associées à moins de perte sanguine par rapport à une vis avec matériel coulissant52.
Le nombre et la configuration des fixations par vis multiples font l’objet de débat. Les preuves biomécaniques sont en faveur de l’utilisation de deux ou trois vis disposées parallèlement entre elles et suffisamment séparées dans le col du fémur. La mise en place d’une vis le long du calcar est essentielle pour éviter au maximum le risque de déplacement en varus. En raison des tensions sur la corticale latérale fémorale, les trous de forage dans la région subtrochantérienne doivent être évités afin de minimiser le risque de fracture de contrainte. Ainsi, toutes les vis doivent se situer au-dessus du petit trochanter. Certains chirurgiens préconisent l’utilisation de trois vis selon une configuration en triangle inversé afin de minimiser la contrainte sur la région subtrochantérienne22.
Les vis canulées doivent être poussées profondément dans la tête fémorale jusqu’à s’engager dans l’os subchondral (fig. 19-5). La rotation de la tête ou de l’amplificateur de brillance autour de l’axe du col permet d’évaluer le placement des vis. Chaque vis doit être visualisée lors de la rotation, et au besoin reculée hors de l’os subchondral si elle dépasse dans l’interligne. Si la vis sort de plus de quelques millimètres de l’os subchondral, une vis plus longue doit être envisagée. La pénétration d’une vis au-delà de la corticale sur n’importe quelle vue ne doit pas être tolérée ; les vis de 6,5 mm non canulées, ou de 7 ou 7,3 mm canulées sont couramment utilisées. Les vis à filetage de 32 mm sont préférables si possible, mais tout le filetage doit se finir au sein de la tête fémorale. Si le filetage traverse le trait de fracture, une vis à filetage de 16 mm doit être choisie. Parfois, une vis entièrement filetée est utilisée à travers une fracture postérieure comminutive du col pour éviter l’effondrement de cette région. Ces détails techniques n’ont pas été évalués dans des essais cliniques randomisés.
Remplacement
Il existe une controverse concernant le type de remplacement arthroplastique optimal dans les fractures subcapitales déplacées de hanche40,53,54. Le remplacement total ou partiel de la hanche et la fixation de la tige cimentée ou non cimentée sont les principaux points de débat. Actuellement, les preuves suggèrent que l’arthroplastie totale réduit la douleur de hanche, peut améliorer la fonction et diminuer le risque de réintervention comparativement à l’hémiarthroplastie40. Il a été difficile de démontrer des différences cliniques entre l’hémiarthroplastie unipolaire et bipolaire, mais les implants bipolaires ont un coût plus élevé55.
Une revue des études comparant les tiges cimentées et non cimentées pour le traitement des fractures de hanches subcapitales instables a noté une meilleure fonction et une diminution de la douleur avec des implants cimentés, sans différence de mortalité, mais les tiges comparées étaient de concept ancien56. Des données plus récentes suggèrent que les tiges de conception moderne ne présentent pas de différence en termes de fonction du patient, qu’elles soient cimentées ou non cimentées57.
Les implants non cimentés sont associés à moins d’embolies graisseuses et pulmonaires58. Chez les patients sains, les embolies graisseuses lors de la mise en place de tiges cimentées peuvent être sans conséquence59. Cependant, les patients malades ayant moins de réserve cardiopulmonaire subissent des embolies pulmonaires importantes lors des cimentations60,61. Si le ciment est utilisé chez un patient âgé fragile, il convient de prendre soin de préparer le canal par irrigation et aspiration de la graisse de moelle, et d’utiliser des techniques telles que l’aspiration pour diminuer la pression du canal62. Des essais de plus grande taille et de meilleure qualité seront nécessaires pour déterminer quel type de tige fémorale utiliser, avec ou sans ciment, en fonction des comorbidités des patients âgés, ainsi qu’au vu de la mortalité et du résultat fonctionnel.