18: Toxocarose oculaire

Chapitre 18 Toxocarose oculaire



Wilder fut le premier, en 1950, à parler de la présence de larves de nématodes dans les yeux d’enfants énucléés pour suspicion de rétinoblastome. Le petit nombre de cas publiés ne reflétait pas la véritable fréquence de la maladie, du fait d’un manque d’études épidémiologiques mais surtout du fait de la difficulté à établir le diagnostic [1].


Vers 1980, les progrès des analyses biologiques (particulièrement immunologiques) dans les liquides intraoculaires ont permis de mieux diagnostiquer la maladie sans recours à l’énucléation. Les études démographiques sont peu nombreuses mais montrent qu’il s’agit d’une maladie rare, le plus souvent unilatérale, dont le diagnostic est fondé sur les renseignements cliniques. La maladie est à l’origine d’une inflammation intraoculaire difficile à traiter en raison du manque de pénétration intraoculaire des divers antiparasitaires et de leur efficacité très variable. L’usage des médicaments antiparasitaires reste d’ailleurs controversé puisque ceux-ci sont susceptibles de provoquer une réaction immunologique sévère, liée à la libération massive de fractions antigéniques issues de la larve morte. L’inflammation intraoculaire intense répond inconstamment à une corticothérapie locale ou générale et peut parfois perdurer. La vitrectomie à la pars plana fait partie des moyens thérapeutiques, surtout lorsque l’inflammation persiste ou que des altérations vitréorétiniennes se sont formées. La photocoagulation au laser est utile pour stabiliser les tractions vitréorétiniennes. La prévention est difficile étant donné l’ubiquité du parasite et le fait que la contamination demeure accidentelle, par ingestion d’œufs de diverses espèces de Toxocara issus de félidés ou canidés. Le travail de prévention est toutefois primordial puisque, dans les régions européennes, 15 % à 20 % des chiens seraient infestés [2], beaucoup plus dans les régions d’élevage en Australie ou en Nouvelle-Zélande [3].



Généralités





HISTORIQUE


La toxocarose oculaire chez l’homme est une maladie reconnue seulement depuis cinquante ans.


John et al., en 1771, furent les premiers à décrire la possibilité d’infestation oculaire par un nématode puis Nordmann en 1832 observa deux filaires dans un cristallin [4]. On doit l’identification de ces nématodes à Wilder en 1950. Nichols, en 1956, identifia la larve de Toxocara canis sur les mêmes lames que Wilder (dans quatre yeux sur cinq) [5]. L’auteur donna la description de la larve de Toxocara cati chez la souris plutôt que chez l’homme, ayant beaucoup plus de matériel histopathologique pour enseigner.



Épidémiologie


La séroprévalence est estimée à 37 % en milieu rural et entre 2 % et 5 % en milieu urbain. Dans la région jurassienne, le taux est de 6,3 % avec une limite à 80 unités (9 % à 50 unités) [11]. Dans les pays tropicaux, elle est de 86 % chez les enfants de moins de quinze ans à Sainte Lucie et 92,8 % chez l’adulte à la Réunion [13]. Les critères de seuil de positivité varient selon les pays, mais la grande majorité des études épidémiologiques retrouvent une séroprévalence plus élevée dans les villages en milieu agricole que dans les villes. En outre, les personnes qui se nourrissent de viandes peu cuites et celles qui se fournissent en lait et viande de ferme présentent des taux d’anticorps plus élevés.


La grande majorité des médecins estiment ne pas avoir ou avoir peu de patients atteints de toxocarose, même dans une région comme le Jura où le taux de séroprévalence est élevé.


La séroprévalence chez les hôtes définitifs varie entre 6 % et 10 % chez le chien, est de 43 %o chez le renard, 28 %o chez les campagnols et 12 % des bovins.


La larve de Toxocara se trouve dans les sols urbains, parcs ou jardins publics (10 %), et dans les sols ruraux (32 %). L’incidence chez les chiots est estimée entre 32 % (Londres) et 98 % (Ohio). Le facteur de risque le plus connu pour l’homme est un contact répété avec les chiens. Cependant, certains patients n’ont eu aucun contact animal et la contamination est due à l’ingestion d’aliments souillés par une terre contaminée par les larves de Toxocara. Il faut être prudent dans l’interprétation d’un test ELISA positif puisque, dans certaines régions, les porteurs sains sont très nombreux. Ainsi, sur l’île de la Réunion, chez trois cent quatre-vingt-sept enfants de moins de quinze ans, 92,8 % étaient séropositifs (western blot) sans aucun symptôme [12]. Pollard retrouvait 90 % de patients positifs en ELISA chez quarante et un patients suspects de toxocarose oculaire (titre ELISA : 1:16) ; un d’entre eux avait un rétinoblastome diagnostiqué lors de l’énucléation [14]. Il est donc de la plus grande importance de ne jamais éliminer d’emblée le diagnostic différentiel de rétinoblastome devant une sérologie à Toxocara positive, particulièrement dans les régions de haute séroprévalence.


La prévalence de la toxocarose oculaire est faible les anciennes publications font état d’une affection rare [1,2,11] ; ces études sont peu nombreuses en dépit de la gravité de l’affection. La publication de Brown et al. en 1970 rapporte quatre cent trois cas de toxocarose oculaire dans soixante-treize publications de dix-neuf pays. Il faut attendre 2003 pour que Yokoi et al. publient le chiffre de 3,2 % de toxocarose parmi mille trois cent un cas d’uvéites au Japon [6]. Une étude américaine rapporte une prévalence d’un cas pour mille personnes en 1987 [7], sans mentionner la séroprévalence dans la population d’Alabama ; cette estimation paraît élevée par rapport aux études en Europe de l’Ouest. L’analyse de l’étude de Rogers en 1996, dans une région de Liverpool, confirme la rareté de cette affection chez les enfants en Europe. Le taux de malvoyance y était de dix-huit pour 10 000 habitants ; l’analyse de cent quatre-vingt-dix-neuf dossiers ne retrouvait que trois enfants atteints de toxocarose oculaire et ce sur une période de vingt ans [8]. Holland et al., en 1995, ne retrouvaient aucun cas de toxocarose parmi deux mille cent-vingt-neuf écoliers, dont 31 % avaient une sérologie négative [9]. En 2004, Good et al. [10] confirmaient un chiffre faible de 9,7 cas pour 100 000 personnes, les patients vivant dans des régions de climat plus humide.


Dans notre région du sud-ouest de la France, sur douze ans (1996-2008), nous avons eu vingt patients atteints de toxocarose oculaire. Dans le même temps, trois mille cinq cent douze patients ont été examinés pour uvéites postérieure et intermédiaire (soit 0,57 % de cas de toxocarose dans cette population de patients). En dépit d’une haute exposition au parasite (données de séroprévalence) comme dans l’île de la Réunion, l’atteinte oculaire reste rare [12] — il peut toutefois s’agir d’un manque de moyens diagnostiques ou d’une absence d’informations publiées.


L’âge moyen de survenue de la toxocarose oculaire se situe vers six ans (deux ans à quatorze ans), mais la revue de la littérature fait état de cas cliniques chez des patients de plus de soixante-dix ans. L’infestation semble majeure en dessous de quatre ans. Dans les cas publiés avant 1970, la moyenne d’âge est de cinq à sept ans [11] ; dans les études les plus récentes, la moyenne s’est déplacée vers seize ans. Chez les adultes, la revue des publications ne permet pas de dire s’il s’agit de cas d’inflammation récente ou chronique. Une étude japonaise rapporte uniquement des atteintes chez l’adulte [5]. Une explication possible pour cette tranche d’âge (adultes jeunes) est la consommation de viande peu cuite au Japon.


En dehors de quelques rares cas, la toxocarose oculaire est une maladie unilatérale (9 % d’atteinte bilatérale).




Histopathologie



HISTOPATHOLOGIE CHEZ L’HOMME


La larve de Toxocara canis produit une réaction immunologique de type éosinophilique avec formation d’un abcès à cellules éosinophiles [15]. Secondairement, une réaction granulomateuse apparaît, comprenant des éosinophiles, des cellules géantes épithélioïdes et des lymphocytes. À un stade évolué, les lésions sont formées de cellules épithélioïdes et d’un tissu fibreux dense. La taille de la réaction inflammatoire est plus importante que la taille de la larve. Lorsque les lésions sont très anciennes, il peut arriver qu’on ne retrouve plus aucune larve, du fait de sa destruction ou de sa migration jusqu’à un nouveau site ; elle laisse derrière elle des antigènes à l’origine de la poursuite de l’activité inflammatoire. Lyness et al. (1987) ont pu prouver la migration de la larve de Toxocara canis par un traceur [16].


Il semble que le segment antérieur reste indemne d’inflammation. Une complication de cataracte reste occasionnelle mais peut se produire lors de la rupture de la capsule postérieure par la larve. Les abcès à éosinophiles sont situés sous la rétine interne, dans les plis rétiniens ainsi que dans les travées vitréennes. Les hémorragies intravitréennes et rétiniennes sont fréquentes.


Un granulome à cellules éosinophiles est la lésion caractéristique de la toxocarose oculaire.


Ces abcès sont enveloppés de cellules épithélioïdes, occasionnellement de cellules géantes et de tissu inflammatoire infiltré par des éosinophiles, des lymphocytes et des cellules plasmatiques, fréquemment multinucléées. La proportion de chaque type cellulaire semble être liée au stade de digestion de la larve.


Les larves pénètrent par les vaisseaux choroïdiens, ce qui peut expliquer la possibilité de formation d’un granulome unique rétinien.


À un stade évolué, seules les cicatrices fibreuses prédominent.


La présence de la larve dans les lames histologiques n’est pratiquement jamais retrouvée, puisqu’il faudrait reconstituer des sections de 18 µm à 20 µm pour la retrouver et qu’elle est souvent digérée. Le diagnostic présomptif de toxocarose oculaire se fait sur l’aspect des lésions inflammatoires. La lésion la plus souvent trouvée dans les tissus énucléés est une inflammation vitréenne chronique scléreuse associée à un décollement de rétine secondaire [17].


Un matériel amorphe autour de la larve, nommé « phénomène d’Hoeppli », est retrouvé dans les organes lors d’un syndrome de larva migrans. Cette réaction n’est pas spécifique de T. canis mais est rencontrée dans plusieurs infections parasitaires, à l’origine d’une même réaction éosinophilique. Rockey a observé que les cellules éosinophiles adhèrent étroitement à la paroi de la larve et a retrouvé dans l’humeur aqueuse des facteurs d’adhérence à la paroi de la larve sur les cellules éosinophiles. Des facteurs de cytotoxicité du parasite en culture (IgE, IgG, complément, facteurs chimiotactiques éosinophiles, histamine) sont retrouvés en culture cellulaire. La présence des IgE dans l’humeur aqueuse correspond à une forte concentration d’éosinophiles dans les infiltrats inflammatoires après infestation intraoculaire d’une seule larve de stade 2 [18].


Les analyses immunohistopathologiques confortent l’idée que l’absence de la larve dans les tissus est due à la réaction inflammatoire induite par les antigènes de surface. L’hypothèse d’une production locale d’anticorps est corroborée par l’observation de titres d’anticorps dans le vitré et l’humeur aqueuse beaucoup plus importants que dans le sérum [2,20,19], par la présence d’un infiltrat de cellules plasmatiques et par la présence de taux d’anticorps anti-T. canis sériques quatre fois moins importants dans un syndrome de larva migrans que dans une toxocarose oculaire. Enfin, un coefficient de Goldmann-Witmer supérieur à 4 signe une production locale d’anticorps [20]. Il correspond à : image,



image



L’existence d’une synthèse locale d’IgE spécifiques dans le liquide de vitrectomie semble être spécifique de la toxocarose [21]. Celle-ci n’est pas retrouvée dans la toxoplasmose oculaire [22].



HISTOPATHOLOGIE CHEZ L’ANIMAL


Chez la souris infectée par T. canis, les lésions ont été retrouvées principalement au pôle postérieur puis dans la périphérie rétinienne ainsi que dans le vitré. Les données histologiques concernent des pièces anatomiques d’yeux de souris examinés entre le sixième et le soixante-troisième jour après ingestion de mille cinq cents œufs de T. canis. Les auteurs ont noté des lésions de vascularites rétiniennes occlusives, des hémorragies superficielles et profondes envahissant l’espace rétinien ou sous-rétinien. Des micro-infarcissements rétiniens apparaissent au cours de l’évolution. Des infiltrats cellulaires non granulomateux (lymphocytes et cellules plasmatiques) sont retrouvés au niveau de l’uvée antérieure et de la pars plana, matérialisés par un infiltrat de polynucléaires dans les treize premiers jours. Le vitré participe à l’inflammation. Les infiltrats sont principalement formés de lymphocytes et de cellules hémorragiques. Les macrophages intravitréens contiennent des débris cellulaires de globules rouges et des débris mélaniques. Une réponse granulomateuse reste rare, à l’exception d’une lésion orbitaire qui a été retrouvée lorsque les pièces anatomopathologiques avaient été prélevées au-delà du sixième jour. Aucune cellule éosinophile n’a été observée à un quelconque stade de l’inflammation. L’atteinte du nerf optique reste rare [23].


Chez les gerbilles, une infection par T. canis produit 95 % d’hémorragies choroïdiennes, 55 % d’hémorragies rétiniennes, 45 % d’hémorragies de type « ketchup » et 5 % d’hémorragies vitréennes. Les larves ont été vues dans 80 % des yeux. Les lésions sont de type exsudatives (70 %) et de type inflammatoire (24 %), situées au niveau des parois vasculaires (lésions de vascularites). Aucun cas de lésion granulomateuse ou de décollement de rétine n’a été observé [24].


Ces études soulignent les variations anatomopathologiques selon les espèces.


Les différences avec les résultats chez l’homme peuvent être dues au fait que les lésions sont décrites à un stade précoce de l’infection. Chez l’homme, les lésions décrites correspondent à plusieurs années d’évolution.



Aspects cliniques


Le plus souvent, l’enfant se contamine par ingestion d’aliments souillés. Les larves sont libérées dans l’intestin et migrent dans différents organes, dont l’œil, où elles peuvent survivre plusieurs années. La migration de ces larves est à l’origine d’un syndrome général dénommé larva migrans viscérale. La plupart du temps, l’infection est asymptomatique puisque les études sérologiques retrouvent des enfants immunisés sans manifestations cliniques. Le développement de la larve est incomplet chez l’homme : celle-ci reste bloquée au stade 2 (L2) sans jamais devenir adulte. La recherche des larves dans les selles est inutile.


Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Jun 13, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 18: Toxocarose oculaire

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access