Chapitre 18 Les particularités du jeu en ligne et autres pratiques apparentées
Quelques mots d’épidémiologie
En septembre 2011, l’OFDT et l’INPES présentaient les premières données nationales de prévalence sur la pratique des jeux de hasard et d’argent (JHA) en France, issues du Baromètre Santé 2010 (Costes et al., 2011). Cette enquête, menée au premier semestre 2010 et donc avant l’ouverture du marché des jeux en ligne (JEL), indiquait une prévalence de 1,3 % de joueurs problématiques. Parmi les joueurs actifs, seuls 9,1 % jouaient en ligne, principalement aux jeux de pronostic (35,1 %), au poker (29,8 %) et aux jeux de tirage (24,2 %). La prévalence du jeu excessif dans la population de joueurs actifs sur internet (8,3 %) était bien plus élevée que dans l’ensemble de la population (3,7%) et supérieure par rapport aux jeux hors ligne. En Grande-Bretagne, une grande étude de prévalence rapportait des chiffres similaires, avec 6 % de joueurs sur internet et un taux de problèmes de jeu plus élevé sur internet que hors ligne (5 % versus 0,5 %) (Griffiths et al., 2009). Des résultats du même ordre avaient été trouvés aux États-Unis avec une association entre le jeu en ligne et les problèmes de jeu (Petry, 2006).
Les caractéristiques du jeu en ligne et des joueurs en ligne
Griffiths et ses collaborateurs ont défini un ensemble de caractéristiques qui pourraient rendre compte du caractère attractif, voire addictif, d’internet. Sont identifiés l’accessibilité, l’anonymat, la désinhibition, l’immersion/dissociation, la fréquence de jeu, etc. (Griffiths et al., 2006). L’effet de désinhibition procuré par internet a été décrit plus en détail par Suler (2004), qui mettait au premier plan le caractère dissociatif d’internet, à la fois en termes d’identité (anonymat, invisibilité, gender swapping [Wood et al., 2007), de temporalité (asynchronisme, perte de la notion du temps qui passe) ou d’imagination (autre réalité à vivre sur internet). Cet effet dissociatif avait déjà été observé pour les machines de jeu électroniques (Monaghan et Blaszczynski, 2010). D’autres facilités liées à internet, et favorisant les pratiques de jeu, y compris les pratiques à risque, peuvent aussi être évoquées, comme le mode de paiement (e-cash), la sophistication des logiciels et le réalisme des environnements de jeu, le caractère transculturel du jeu en ligne (sites « multilingues »), etc. (Griffiths, 2003). Par ailleurs, les joueurs en ligne présentent des caractéristiques socio-démographiques particulières, qui les distinguent des joueurs hors ligne. Ce sont plus souvent des hommes jeunes, qui vivent seuls, ont un niveau d’éducation élevé et sont actifs. Une association a aussi été montrée avec la consommation d’alcool (Griffiths et al., 2009).
Les JEL et les pratiques numériques apparentées
Les JHA sont désormais entrés dans une ère numérique où les opportunités de jeu sont multiples et extrêmement accessibles. Ainsi, il est désormais possible de jouer en ligne en se connectant à internet sur un ordinateur, un téléphone portable, via la télévision interactive, les jeux vidéo, etc. C’est ce que King et al. ont nommé la « convergence du jeu et des supports numériques » (2010). Ces nouvelles technologies facilitent d’autant plus les pratiques de jeu qu’elles sont hyper-accessibles, très familières, notamment aux plus jeunes, mais surtout parce qu’elles sont très acceptées dans notre société moderne (Griffiths et al., 2006).
Les jeux vidéo
Les jeux vidéo et les JHA semblent présenter des caractéristiques communes. Tout d’abord, il existe un lien entre la pratique des jeux vidéo à l’adolescence et celle des JHA à l’âge adulte, via un phénomène de type « initiation à l’écran » (King et al., 2010) et une composante d’urgence de l’impulsivité plus marquée (Billieux et Van der Linden, 2010 ; Grall-Bronnec et al., 2012). Par ailleurs, certains jeux vidéo proposent des situations de type JHA insérées dans le jeu (par exemple, la possibilité pour un avatar d’entrer dans un casino virtuel), et qui, même si elles ne sont pas toujours récompensées en argent réel, permettent au joueur de progresser plus rapidement dans le jeu, produisant un renforcement positif de la pratique (King et al., 2010). Enfin, les motivations à jouer aux jeux vidéo et aux JEL seraient également proches, avec notamment l’immersion dans un monde virtuel en lien avec la dissociation procurée par internet (Billieux et Van der Linden, 2010).