18. Les mécanismes de défense en jeu chez le soignant

Certains noms de ces mécanismes de défense ont été empruntés au livre de Martine Ruzniewski, Face à la maladie grave, patients, familles, soignants. Dunod, Paris, 1999 ; ils seront alors cités entre guillemets.


Certains mécanismes de défense peuvent être identiques à ceux du patient puisque l’infirmier lui aussi tente de refouler ce qui lui est pénible. Nous verrons dans cette partie les mécanismes de défense propres au soignant et qui sont destinés à mettre une distance avec la souffrance du patient. C’est un moyen inconscient, pour le soignant, de se protéger contre l’émotion et l’angoisse qu’elle pourrait générer.


◗ « L’évitement »


C’est un signe que le moi (voir Fiche 5, page 149) se défend contre un événement qui le met dans une situation de grande anxiété, d’un trop d’anxiété. Certains infirmiers, surtout au début de leur carrière ou lors de leurs stages, vont avoir de réelles difficultés à entrer dans la chambre d’un patient pour diverses raisons qu’ils ne parviennent pas à expliquer clairement. Il y a une résistance inexplicable qui se produit chez eux au point qu’ils se demandent s’ils sont faits pour ce métier. Parfois, les causes apparentes paraissent plus claires : le dégoût pour la personne, l’antipathie qu’elle inspire, l’agressivité dont elle fait preuve, mais aussi l’extrême état de vieillissement dont elle est victime parfois, le spectacle de déchéance qu’elle impose au regard. Il est naturel que le moi du soignant tende à se protéger de ces émotions sources d’angoisse et destructrices puisqu’elles rappellent au sujet sa condition d’être mortel, ses propres fragilités, ou aussi la souffrance de personnes proches du soignant qui peut faire alors inconsciemment un amalgame entre ses proches et ses patients d’un point de vue affectif. Tout cela peut entraîner des réticences plus ou moins grandes et plus ou moins conscientes à s’occuper de quelqu’un et à avoir une relation humaine avec lui, une relation d’écoute dans le cadre du soin. L’infirmier va alors dévier la conversation, se trouver « hors sujet » par rapport à ce qui l’amène auprès du malade.

Un infirmier me confie le traumatisme lié à l’une de ses toutes premières expériences dans le monde hospitalier :

« B9782294701924500181/u18-01-9782294701924.jpg is missingn patient hospitalisé pour un cancer au niveau de l’orbite avait été opéré. La plaie était horrible. Comme j’étais un très jeune infirmier, nouvellement diplômé, on me donnait souvent des tâches que les autres ne voulaient pas faire. Je n’osais pas refuser de peur qu’on me juge incompétent et de crainte de paraître incompétent à mes propres yeux. Il y avait une odeur intenable dans la chambre à cause de l’infection. Je faisais très vite les soins, sans parler, sans autre contact que le strict nécessaire. Au début, le patient essayait de me poser des questions, d’avoir une conversation avec moi, mais je ne pouvais pas. J’étais bloqué. Je le regardais peu. Je sifflotais pour qu’il évite de m’adresser la parole. C’était violent ce que je vivais. »





Il est tout à fait naturel, dans la situation de ce jeune infirmier, de se protéger. Le spectacle horrible, l’odeur nauséabonde suscitaient des angoisses très fortes, très archaïques chez lui. Or, le comportement de l’infirmier, lié à ses craintes, pouvait donner l’impression que le soignant était indifférent à la souffrance du patient. La violence de part et d’autre aurait pu s’apaiser avec l’aide d’un tiers (psychologue, cadre infirmier, médecin…) qui aurait pu aider le soignant à exprimer ses angoisses, à les admettre. La mauvaise position de l’infirmier était en partie due à la crainte qu’on le prenne pour un mauvais professionnel et que ses résistances soient injustifiées alors qu’elles étaient parfaitement compréhensibles. Donner au malade une chance de parler de lui, pouvoir mettre en place une relation d’écoute avec lui aurait pu alléger la situation en retrouvant l’humain à la place du spectacle où l’œil prenait la place de l’humain, où la partie de cet être qu’est l’œil prenait la place de l’être entier devenu source de terreur et d’envie de fuir. Les comportements de fuite, d’évitement, de rejet relatifs à ces situations extrêmes constituent des mécanismes de défenses courants et tout à fait avouables et surmontables aussi lorsqu’ils sont élaborés.

Dans l’exemple précédent, l’infirmier fait vite ses soins et ne parle pas au patient pour éviter de se confronter à la réalité de la souffrance de ce dernier car il risquerait de se sentir très angoissé, sans savoir affronter cette angoisse.

Certains soignants vont aussi, par exemple, éviter de croiser le regard du malade où ils lisent la souffrance, la lassitude. Ils vont se réfugier dans des gestes techniques, ne pas même dire « bonjour » à la personne alors que c’est la première choses à faire en entrant dans la chambre du soigné. Certains soignants regardent par la fenêtre en donnant les médicaments et ont des difficultés à affronter le sujet lorsqu’ils savent, par exemple, qu’il va mourir.

Les soignants peuvent réduire le malade à un dossier, à un objet afin de ne pas se laisser toucher par lui de peur de souffrir aussi. Le considérer comme un objet de soins permet de se protéger de la violence de la situation et parfois, de continuer à prodiguer un minimum de soins alors qu’il serait totalement impossible autrement de rentrer dans la chambre.

Plus radicales que l’évitement, certaines réticences peuvent conduire à un refus de soigner la personne. Comme dans l’évitement, le soignant fuit et refuse le lien d’affectivité avec le patient mais avec un sentiment de rejet car le soignant est confronté à un impossible qu’il ne peut surmonter. Il est bon d’écouter un infirmier lorsqu’il dit qu’il refuse de soigner telle personne, qu’il ne peut pas. Le remplacer auprès de cette personne pour son bien et celui du patient est une bonne réaction. Il n’est pas honteux de passer la main à un collègue que la situation ne gênera pas. C’est au contraire très professionnel puisque cela dénote un intérêt et un respect certains pour les personnes à soigner et un grand sens de la responsabilité. Cette attitude vaut parfois mieux que l’évitement et la fuite. Je pense notamment à une élève infirmière qui s’est retrouvée dans la situation suivante :

« B9782294701924500181/u18-02-9782294701924.jpg is missinguand j’ai fait mon stage en psychiatrie, j’ai dû m’occuper d’un pervers qui avait violé une petite fille de cinq ans. Je suis maman d’une petite fille de cet âgelà, le type m’a dégoûtée tout de suite. En plus, il n’arrêtait pas de me dire des obscénités quand je venais lui apporter des médicaments. Il se débrouillait pour être nu à ce moment-là et il me regardait comme s’il voulait me sauter dessus. J’avais physiquement envie de vomir et je me sentais sale. En plus, je pensais à ce qu’il avait fait et j’avais envie de le tuer. Alors, je l’ai dit à ma référente de stage qui a demandé que je m’occupe de quelqu’un d’autre. Mais à chaque fois que je le croisais dans les couloirs, j’évitais de le regarder et je fuyais. »





Ce rejet est entendable. Il est très bien que, ne se sentant pas prête à faire face à cette situation pour toutes les raisons conscientes qu’elle donne, cette jeune infirmière se fasse aider par son maître de stage sans craindre d’être jugée et puisse poursuivre son stage autrement au lieu de subir la situation. Sa réaction est très saine et louable. Pour un autre soignant, il ne sera peut-être pas difficile de soigner ce patient pervers.


◗ Le danger pour le soignant de la non-reconnaissance de ses mécanismes de défenses et de ses résistances


Les réactions violentes qui peuvent s’exprimer inconsciemment lorsque le soignant ne parvient pas à s’avouer qu’il ne peut pas avoir affaire à cette personne ou qu’il ne supporte pas la personne et s’entête à s’en occuper en manifestant une violence liée à un insupportable non déclaré, sont plus problématiques.

Si le soignant s’installe dans cette position de violence, les collègues qui s’en aperçoivent devront réagir, le faire réagir ou demander à ce qu’un responsable du service prenne la décision d’en parler avec lui, de le faire parler et de lui enlever la responsabilité de ce patient, voire de le changer de service selon les cas, pour le bien de tous et le bon équilibre de chacun.

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May 9, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 18. Les mécanismes de défense en jeu chez le soignant

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