18: La psychothérapie de soutien des maladies du vieillissement

Chapitre 18 La psychothérapie de soutien des maladies du vieillissement



C. Arbus, L. Schmitt


Les conceptions du vieillissement sont multiples. Le vieillissement corporel diminue la résistance physique, amoindrit les capacités, altère l’équilibre, la vision, l’audition. Le vieillissement psychique est perçu de plusieurs façons. Pour Freud, l’accumulation des blessures de l’existence fabrique « une carapace d’insensibilité ». Pour Lévi-Strauss coexistent « un moi réel qui n’est plus que la moitié ou le quart d’un homme et un moi virtuel qui conserve encore vive une idée du tout ». Un nouveau concept, celui « du vieillissement réussi » introduit la performance jusque dans l’âge avancé ; la réussite implique le maintien de ses capacités, voire un dynamisme dans la création de nouveaux pôles d’intérêt. Cette exigence se traduit par la multiplication d’activités pour les seniors, la création de lieux de vie spécifiques, le développement de la chirurgie esthétique, les voyages aménagés, etc.


Il est rare qu’un sujet âgé demande une psychothérapie au simple motif du vieillissement. En revanche, derrière des plaintes comme les troubles mnésiques, des symptômes d’angoisse, de l’hypochondrie ou des maladies dépressives, s’expriment des difficultés liées spécifiquement à la vieillesse. Leur prise en compte nécessite une forme de soutien particulier. Plusieurs particularités méritent d’être isolées. D’une part, une expérience existentielle unique s’exprime ; elle est marquée par des leçons de vie, des déceptions et des pertes qui se sont accumulées. D’autre part, le thérapeute, plus jeune, a souvent envie d’être actif, d’amener son patient à agir et à reprendre une maîtrise existentielle. Ce hiatus lié à la différence des âges et des générations impose une réflexion. Le sujet âgé peut projeter sur son thérapeute, plus jeune, des fantasmes liés à ses propres enfants ou bien des attentes optimistes induites « par les progrès de la science ». Enfin, le thérapeute doit accepter d’être à la fois doté de compétences techniques et scientifiques, mais aussi de se situer en position de cadet écoutant l’expérience d’une personne plus âgée, ayant traversé plus de difficultés et parfois plus de traumatismes que lui, notamment pour celles qui racontent des épisodes de la guerre. Parmi les plaintes les plus fréquentes figurent les altérations de la mémoire et les modifications des processus de pensée.




Le soutien devant les plaintes mnésiques et les atteintes du raisonnement


Tant que l’autonomie et les facultés intellectuelles du sujet sont préservées, du moins selon l’avis de l’intéressé, il existe une résignation car la maîtrise sur l’existence se poursuit. Cependant, un certain nombre de plaintes concernant le fonctionnement intellectuel vont se manifester : l’oubli des noms propres, l’oubli d’une action initiale si l’on a été dérangé dans son déroulement, l’incapacité à réaliser des doubles tâches, l’oubli du code de sa carte de crédit, etc. Toutes ces anomalies vont être vécues avec une grande anxiété. La crainte sous-jacente concerne le début d’une maladie d’Alzheimer. Cette crainte s’exprime avec d’autant plus d’inquiétude qu’un proche en a été atteint ou bien que la maîtrise des capacités intellectuelles définit un enjeu majeur pour la personne : enseignants, chercheurs, etc.


Vis-à-vis de cette souffrance, le processus de soutien connaît plusieurs séquences.


La distinction entre une difficulté d’attention ou de concentration et une difficulté de mémoire représente un enjeu fondamental. Dans bien des cas, obnubilé par des soucis, une inquiétude ou une contrariété, le sujet, prêtant moins attention à son environnement, multiplie les oublis. Sa mémoire intrinsèque, l’outil mémoire, n’est pas atteinte. C’est la mise en œuvre de cet outil qui est perturbée. En effet, lorsque l’on explore une mémoire de travail ou une mémoire épisodique, il n’existe pas de lacune.


Des plaintes mnésiques apparaissent dans des circonstances de vie particulières. Lors de la retraite, le sujet éprouve le sentiment de n’avoir plus autant besoin de ses capacités intellectuelles, de moins devoir les solliciter et donc de perdre une forme d’habileté de raisonnement. Dans certains épisodes, la conscience, voire la mémoire, ont été troublées : syncope, perte de connaissance, ictus amnésique. À tort ou à raison, le sujet ressent une fragilité.



Le fait de pouvoir prouver à un sujet que sa mémoire peut être améliorée par un indiçage ou de le mettre sur la voie de la solution ou de la réponse, présente un apaisement certain. En effet, dans plusieurs troubles mnésiques liés aux maladies dégénératives, cet indiçage est peu efficace. Les lézardes de la mémoire ne sont guère soulagées par une aide. Pouvoir aborder les difficultés de mémoire avec un tiers, distinguer ce qui est mnésique de ce qui est attentionnel et montrer le caractère circonstanciel de certaines difficultés représente une véritable aide.



Le soutien lors des deuils


Les deuils représentent une des plus douloureuses rançons du grand âge selon Danon-Boileau (2002). La fréquence des deuils prolongés rend compte de la difficulté à réinvestir d’autres personnes ou d’autres activités. Parmi ces deuils, deux sont particulièrement traumatiques : les deuils du conjoint et ceux d’un enfant.


La disparition d’un conjoint bouleverse de fond en comble le domaine affectif, relationnel et l’ensemble de la vie d’un individu. Le syndrome de Philémon et Baucis, décrit dans Les Métamorphoses d’Ovide, rend compte de cette situation. Deux personnes âgées avaient, selon la mythologie, hébergé les dieux après une journée de chasse de ces derniers. En remerciement, les dieux leur demandèrent de prononcer un vœu. Ce vœu fut « qu’aucun d’entre nous ne voit l’autre mourir ». Les dieux exaucèrent ce vœu. Lors de leur mort, ils furent transformés en deux troncs entrelacés en un arbre unique. Le décès d’un conjoint amène souvent un état de prostration ou de dépression durable. S’il existe des personnes vivantes capables de mobiliser l’affectivité, c’est souvent le cas des enfants et des petits enfants. Cela constitue un point d’appui psychothérapeutique. S’il n’existe aucun tissu familial, la spiritualité, le bénévolat ou une forme d’oblativité pourront représenter une piste d’amélioration. Lorsque la personne âgée dit : « Je ne sers plus à rien, je suis inutile… », on peut lui rappeler son rôle en tant qu’image emblématique, de référence sur le plan familial, un exemple générationnel. La psychothérapie de soutien peut tenter d’orienter le sujet vers une forme ou une autre de créativité. Cette créativité trouve une réalisation dans l’art, dans des activités associatives ou culturelles, dans différents jeux : cartes, boules, réunions politiques ou groupe associatifs.


Les décès d’enfants, devenus adultes, voire eux-mêmes vieillissants, donnent au sujet âgé le sentiment d’une injustice. L’ordre logique de disparition n’est pas respecté, il existe une inversion des générations. Freud écrivait : « On reste toujours inconsolable, sans trouver de substitut. » Cette part de soi-même qui disparaît de façon anticipée peut rester indéfiniment figée. Le soutien peut, dans certains cas, encourager un processus défensif tourné vers un travail de mémoire en relation avec l’enfant disparu. Cependant, le travail de mémoire ne doit pas se cristalliser en la constitution d’un musée familial : reconstitution de la chambre d’adolescent de l’enfant décédé, mur de photographies, dialogue permanent avec le (ou la) disparu(e). Le soutien consiste, pour le thérapeute, à écouter une souffrance et à instaurer un questionnement prudent sur la nature du lien ou sur les possibilités de réinvestissement. Il est toujours important d’éviter de formuler des directives ou des suggestions trop orientées. Il est plus prudent de poser des questions sous la forme : « Qu’est ce qui vous empêcherait d’envisager tel ou tel projet, telle ou telle solution… ? »

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Apr 23, 2017 | Posted by in MÉDECINE COMPLÉMENTAIRE ET PROFESSIONNELLE | Comments Off on 18: La psychothérapie de soutien des maladies du vieillissement

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