18: Grossesses gémellaires et multiples



Grossesses gémellaires et multiples


P. Vaast, B. Guérin, V. Debarge, Ph. Bourgeot, Y. Robert and C. Coulon


La grossesse gémellaire n’est peut-être pas une grossesse pathologique mais ce n’est pas non plus une grossesse normale ! C’est avant tout une grossesse à haut risque responsable, à elle seule, d’une part importante de la mortalité et de la morbidité périnatale :



Ces risques justifient une prise en charge spécifique, souvent spécialisée, pour optimiser le pronostic maternofœtal. Cette prise en charge débute dès le 1er trimestre avec le diagnostic précoce de gémellité et la datation précise (voir chap. 4, Datation, cas particulier des grossesses gémellaires). On admet généralement que la grossesse gémellaire présente une avance de maturité d’environ 2 semaines (maturité pulmonaire, risque de la mortalité in utero) devant conduire à considérer que le terme est atteint vers 39 SA et à mettre en œuvre une surveillance de post-maturité au-delà de cette date.


Le pronostic dépend ensuite du type anatomique de gémellité, les formes monochoriales présentant le risque le plus élevé de complications. Ce diagnostic du type de gémellité doit impérativement se faire précocement, dès la première échographie, car il devient souvent très difficile ultérieurement.


Enfin, la qualité de la surveillance prénatale et celle de la conduite obstétricale sont évidemment essentielles. Elles nécessitent un travail en réseau et parfois le recours à des « hyperspécialistes » dans les domaines de la grande prématurité ou la prise en charge de formes complexes (on pense par exemple au fœtus acardiaque, au syndrome transfuseur–transfusé, à la mort in utero). Des recommandations de pratique clinique ont été établies en 2009 par le Collège national des gynécologues et obstétriciens Français (CNGOF) justifiant, en particulier, la réalisation jusqu’à l’accouchement d’un suivi échographique mensuel des grossesses gémellaires dichoriales et d’un contrôle bimensuel pour les grossesses monochoriales.


À tous les stades de la grossesse, l’échographie joue un rôle crucial dans la prise en charge, depuis le diagnostic initial jusqu’à l’accouchement du deuxième jumeau, devant souvent pallier les insuffisances et les limites de la surveillance clinique. La clinique est « clairement aveugle » et l’échographie pourrait, pour l’essentiel, tenir lieu de consultation prénatale pour surveiller presque tous les paramètres depuis le volume amniotique jusqu’à l’état du col, depuis la vitalité fœtale jusqu’au moral de la future mère.



Rappels sur les grossesses multiples



Remarques




1. Ne pas parler trop vite et « tourner sept fois sa langue… » avant de commenter et d’expliquer. Pour l’échographiste non surdoué, il faut bien réfléchir à chaque fois au mécanisme de la gémellité, consulter ou reconstruire mentalement le tableau de la figure 18.1, pour répondre à la simple question « vrais ou faux jumeaux » sans proférer d’énormes bêtises.


2. Il est également essentiel de bien connaître l’anatomie et la physiologie des annexes fœtales (placenta, membranes, cordons, vascularisation placentaire) pour comprendre les risques et les complications.


3. La grossesse gémellaire est une grossesse difficile, fatigante et souvent angoissante pour la mère. Si la surveillance doit être attentive, elle ne doit pas être iatrogène et surtout elle doit être rassurante : l’échographie peut avoir ici le meilleur ou le pire des rôles. Il est paradoxal de prescrire le repos, de déconseiller la voiture, mais de faire déplacer les femmes deux ou trois fois par semaine pour des examens soi-disant indispensables, d’interdire les rapports sexuels mais de multiplier les touchers vaginaux ou les échos vaginales, de conseiller le décubitus latéral mais de bloquer nos clientes sur le dos, le ventre comprimé par des capteurs, pour des heures de monitorage aussi peu confortables que souvent inutiles !


4. Sur le plan du vocabulaire, nous avons conservé les préfixes d’origine grecque mono-, di-, poly- (et non uni-, bi- ou multi-) comme dans le très classique Précis d’obstétrique de R. Merger (6e éd., Masson, 2001), ce qui est logique pour des mots d’étymologie grecque comme chorion, amnios ou zygote…





Fréquence


La fréquence des jumeaux est de l’ordre de 1 pour 80 accouchements (1,2 %), mais il s’agit là d’une fréquence « à l’arrivée », à la naissance. En fait, il existe un nombre beaucoup plus élevé de conceptions gémellaires qui vont évoluer vers des avortements totaux ou partiels. Pour certains auteurs, ce taux de conception gémellaire serait de l’ordre de 1/8.


Dans une population d’origine européenne, la fréquence des grossesses gémellaires spontanées est classiquement de 1 pour 89 et, selon la loi de Helin, la fréquence spontanée des grossesses multiples de rang n est égale à (1/89)n−1, soit pour les grossesses triples spontanées 1/892 (soit environ 1/8000), et 1/893 au cube pour les grossesses quadruples (soit environ 1/700 000 donc une seule quadruple spontanée par an en France).


Dans le cadre des techniques de procréation médicalement asssitée (PMA), la fréquence des gémellaires est considérablement augmentée : 30 % des grossesses gémellaires seraient issues de la PMA, avec des taux rapportés proches de 40 % après FIV/ICSI (mais aussi après stimulation de l’ovulation). La fréquence après insémination intra-utérine serait plus faible, proche de 16 %.



Deux mécanismes au départ (fig. 18.1)


Grossesse gémellaire dizygote (65 %) ou bi-ovulaire ou « faux jumeaux »


Elle résulte de la fécondation simultanée par deux spermatozoïdes de deux ovocytes issus des deux ovaires ou d’un seul, très habituellement à la suite d’un même rapport sexuel. Elle sera toujours dichoriale diamniotique.



La superfécondation correspond théoriquement à la fécondation de deux ovules par deux spermatozoïdes issus de rapports différents dans un même cycle. C’est possible mais souvent difficile à démontrer (sauf lorsqu’il y a deux géniteurs différents et on parle de superfécondation hétéropaternelle).


La superfœtation (ou superfétation) correspondrait à des fécondations dans des cycles différents mais ce sont des observations exceptionnelles. Dans ce cas, il y aurait ovulation et fécondation alors qu’une grossesse est déjà en place dans l’utérus (voir remarque ci-dessous).


Dans tous les cas, les deux enfants ont un patrimoine génétique différent comme des frères et/ou sœurs issus de grossesses uniques distinctes (ou des demi-frères ou demi-sœurs si le géniteur est différent dans le cas d’une superfécondation).


Les ovulations multiples sont favorisées par certaines conditions physiologiques, génétiques ou exogènes. Ainsi, leur fréquence croît avec l’âge et la parité et il existe une prédisposition familiale, liée au génotype féminin (fréquence multipliée par deux). L’influence de facteurs ethniques a pu être relevée (fréquence trois fois plus importante dans la population africaine que dans la population asiatique), avec implication possible de facteurs environnementaux ou nutritionnels. Toutefois, la cause principale des grossesses dizygotes est actuellement représentée par les traitements de la stérilité dans le cadre de la PMA (inductions d’ovulations multiples ± implantations multiples).



Superfécondation et superfœtation


La superfécondation est une évidence incontestable quand elle est hétéropaternelle aboutissant à des nouveau-nés très différents, en particulier de couleur différente (rapports successifs avec deux hommes de race différente). Les « observations » de ce phénomène sont anciennes et appartiennent même à la mythologie grecque : Hélène de Troie (La Belle Hélène) est une jumelle issue d’une superfécondation de sa mère (Léda) par Zeus déguisé en cygne ( !) à l’insu du père officiel, le roi de Sparte. L’histoire est encore plus complexe, comme toujours avec les jumeaux, car elle décrit la naissance de deux paires de jumeaux ! Elle se termine tragiquement avec la guerre de Troie. Quant à l’insémination de Léda par un cygne, cela reste un petit détail technique qui ne troublera pas le gynécologue averti. Mais bien d’autres observations très solides ont été rapportées au fil des siècles, avec des superfécondations naturelles et, plus récemment, en AMP.


Après l’ovulation, la production de progestérone par le corps jaune entraîne assez rapidement une transformation de la glaire cervicale qui devient imperméable aux spermatozoïdes. Parallèlement, un rétrocontrôle hypophysaire vient bloquer toute nouvelle ovulation. Une nouvelle fécondation devient théoriquement impossible dans un délai assez bref.


La superfécondation hétéropaternelle est donc très rare : les fréquences évoquées dans la littérature se situent entre 0,2 et 2,5 % des grossesses dizygotes mais les contrôles génétiques sont rares. Cette fréquence dépend bien sûr du taux d’ovulation multiples et surtout du « taux d’infidélité » qui peut largement varier selon les populations. En revanche, pour les biologistes, la superfécondation homopaternelle serait beaucoup plus fréquente – ce qui est quand même rassurant pour la moralité publique – et elle pourrait concerner jusqu’à 1/10e des gémellaires dizygotes.


La superfœtation est, de la même manière, impossible dans les conditions habituelles. Cette superfœtation existe cependant chez certains mammifères (lapin). Dans l’espèce humaine, elle est admise dans des circonstances très particulières : grossesses hétérotopiques, GIFT ou ZIFT sur grossesse préexistante, sinon on évoque surtout l’erreur de diagnostic. Cependant, en reproduction naturelle, quelques observations bien documentées et vraisemblables ont été publiées, répondant à des critères solides : échographie sérieuse très précoce avec un seul œuf, découverte secondaire mais précoce du deuxième œuf, décalage constant de 3 à 6 semaines des biométries fœtales avec des courbes de croissance régulières, sans signe d’hypotrophie, de malformation ou d’oligoamnios, et enfin décalage des scores de maturité chez les nouveau-nés.


En cas de dizygotie, on peut donc concevoir des différences d’âge gestationnel, réel ou apparent, entre les deux grossesses. On peut ainsi combiner des écarts de quelques jours entre les deux fécondations et des différences de patrimoine génétique entre les deux embryons jumeaux. Ces différences seront d’autant plus marquées que les sexes sont différents, et davantage encore s’il s’agit de demi-frères ou demi-sœurs en cas de superfécondation hétéropaternelle (par exemple, un premier géniteur de 1 m 50 et un deuxième de 1 m 95). Ces différences génétiques et la variabilité naturelle peuvent conduire à de fortes discordances dans les LCC et donc les âges apparents. En outre, la pathologie peut s’en mêler avec un RCIU précoce ne touchant qu’un seul des fœtus. Finalement, en tirant sur tous les élastiques, on pourrait arriver à des âges apparents différents de près de 2 semaines sans faire appel à la superfœtation.



Grossesse gémellaire monozygote (35 %) ou uni-ovulaire ou « vrais jumeaux »


Elles résultent de la division secondaire d’un œuf unique obtenu par fécondation d’un seul ovocyte par un seul spermatozoïde. Les deux fœtus sont nécessairement de même sexe et génétiquement identiques. Il y a une exception rarissime à cette règle de l’identité génétique parfaite, ce sont les jumeaux monozygotes hétérocaryotes dont les deux caryotypes ne sont pas identiques en totalité avec une différence limitée généralement à une seule paire de chromosomes : suite à une première division très précoce, il peut exister une perte mitotique d’un chromosome, Y en particulier, donnant des zygotes 46,XY et 46,X0 dans le cas le plus classique.


La fréquence des monozygotes est stable et elle n’est pas influencée par des facteurs héréditaires ou environnementaux. Leur survenue serait favorisée par des cycles prolongés avec ovulation retardée ou fécondation tardive qui pourraient être responsables d’une surmaturité ovulaire. Deux pics de fréquence ont été relevés chez les femmes de moins de 18 ans ou de plus de 35 ans.


Le rôle des techniques de PMA est certes moins important mais toutefois non négligeable et il faut se garder de conclure trop hâtivement à un diagnostic de grossesse dizygote sur le simple argument d’un contexte de FIV avec réimplantation de deux embryons.




Trois formes anatomiques (placentations), à l’arrivée (fig. 18.1)


Gémellaire dichoriale et diamniotique ou DCDA (70 à 80 %) formée de deux œufs indépendants avec chacun leur sac amniochorial et leur placenta. Au départ il peut s’agir :




Gémellaire monochoriale et diamniotique ou MCDA (20 à 30 %) avec deux embryons dans deux cavités amniotiques mais appendus à un seul placenta commun. Au départ il s’agit toujours d’une monozygotie avec division au stade du bouton embryonnaire (6–9e jour).


Gémellaire monochoriale et monoamniotique ou MCMA (1 %, donc très rare) où les deux embryons partagent la même cavité amniotique et le même placenta. Là encore, il s’agit toujours d’une monozygotie avec division plus tardive du disque embryonnaire (10–12e jour). Au-delà du 13e jour, la division du disque sera incomplète conduisant à la formation d’un monstre double (jumeaux conjoints) avec accolement plus ou moins important des deux embryons.



Annexes fœtales (placenta et circulations fœtales, membranes, cordons)


Autrefois, après l’accouchement, l’examen clinique du « délivre » (le ou les placentas, les cordons et les membranes) permettait de reconnaître le type de gémellité et d’expliquer certaines complications. Mais l’ambition de l’échographie est maintenant de réaliser cette étude in utero.



Le ou les placentas (fig. 18.2)


Lorsque deux œufs (issus d’un seul ou de deux zygotes) arrivent dans l’utérus, la nidation se fait soit de manière séparée dans deux sites éloignés (50 % des cas) soit de façon contiguë (50 % des cas), et dans le dernier cas la masse placentaire peut apparaître unique.



S’il y a deux masses placentaires indépendantes et reliées anatomiquement par un pont de membranes (à l’examen clinique), c’est une gémellaire DIchoriale.


S’il existe une masse placentaire unique, cela peut correspondre soit à un seul placenta (grossesse MONOchoriale), soit à deux placentas accolés (grossesse DIchoriale). Anatomiquement, on peut parfois trouver un sillon de séparation sur la face maternelle du placenta, mais il faut surtout examiner la face fœtale à la recherche d’anastomoses vasculaires qui permettent d’affirmer le caractère MONOchorial. En cours de grossesse, la structure échographique ne permet pas souvent de trancher, mais on peut visualiser les anastomoses en mode Doppler. De plus, comme dans le cadre d’une grossesse monofœtale, ce placenta unique peut présenter des variations anatomiques et, en particulier, être bipartita, donnant ainsi un faux aspect de placentation dichoriale.



Membranes et cloison (fig. 18.3)


En cas de masse placentaire unique, s’il n’existe pas de cloison membraneuse implantée entre les deux cordons ou entre les deux fœtus, il s’agit d’une grossesse monoamniotique et donc monozygote. La grossesse monoamniotique est très rare, de l’ordre de deux cas toutes les 10 000 grossesses (donc bien peu de cas dans une carrière de radiologue ou d’obstétricien). L’examen doit être très attentif avant d’affirmer l’absence de cloison car il est beaucoup plus fréquent qu’il s’agisse d’une cloison cachée, excentrée ou moulée sur un des fœtus en cas de déséquilibre des quantités de liquide.


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Fig. 18.3 Cloison interovulaire.
a. Gémellaire dichoriale (placentas de la fig. 18.2a). Cloison étirée entre deux pinces, épaisse, avec au moins trois couches membraneuses (→).
b. Même placenta qu’à la fig. 18.2b : étirée et doucement déchirée, la cloison montre bien qu’elle n’est formée que de deux fines membranes amniotiques (→).

Dans le cas habituel, il existe une cloison et il faut essayer de compter les membranes qui la composent soit directement (après l’accouchement) en la disséquant doucement avec l’aide de compresses, soit indirectement en évaluant l’épaisseur échographique. S’il n’y a que deux membranes, l’épaisseur échographique est toujours très fine et il s’agit de deux amnios donc d’une DIamniotique MONOchoriale (on se reporte mentalement à la fig. 18.1). S’il existe anatomiquement quatre membranes (en pratique, plus de deux car le décompte n’est pas toujours facile), la cloison est souvent un peu plus épaisse en échographie et c’est une DIchoriale DIamniotique même si la masse placentaire est unique. Notons que la fusion des chorions est assez fréquente ce qui peut donner une impression d’une cloison à trois feuillets lors de l’examen direct.




Circulations placentaires et anastomoses


Les grossesses DIchoriales ont deux systèmes circulatoires totalement indépendants. Chaque fœtus, via son placenta, établit sa propre relation vasculaire avec l’utérus maternel, sans aucune influence réciproque.


Le problème devient intéressant, fascinant même, dans la gémellaire MONOchoriale car il existe quasiment toujours des communications entre les deux circulations au niveau du placenta commun. Ces anastomoses vasculaires entraînent des transfusions interfœtales qui sont un phénomène encore mal connu mais physiologique quand il est modéré et, surtout, équilibré. En cas de déséquilibre des échanges se réalise le syndrome transfuseur–transfusé (STT) ou twin-twin transfusion syndrome (TTTS) avec un fœtus en surcharge vasculaire (anasarque, hydramnios) et l’autre en restriction (retard de croissance).


Les anastomoses vasculaires sont de plusieurs types (fig. 18.4, et voir plus loin fig. 18.37c et d pour le fœtus acardiaque) :




image bidirectionnelles, artério-artérielles (AA-A) ou veinoveineuses (AV-V), superficielles et formant un by-pass direct entre deux artères ou deux veines. Le débit est normalement très faible, dans un sens ou dans l’autre, si les pressions sont équilibrées dans les deux secteurs. Dans les anastomoses artério-artérielles, le « tuyau » est le siège de deux flux pulsatiles, de sens opposés, selon des rythmes cardiaques voisins mais différents : l’échographiste doit se transformer en ingénieur hydraulicien pour comprendre le résultat. Selon que les rythmes des pulses est en phase, en opposition de phase ou entre les deux, le flux est variable en permanence. Il n’y a jamais d’annulation totale du flux car la concordance n’est jamais parfaite, mais surtout des périodes de flux alternatif, de va-et-vient en Doppler (reverse flow) très caractéristiques ;


image unidirectionnelles artérioveineuses (AA-V), profondes, par mise en commun d’un cotylédon placentaire alimenté par une artère du fœtus (transfuseur) et drainé par une ou des veines de l’autre fœtus (transfusé). Il peut y avoir une seule AA-V ou au contraire plusieurs dont les sens peuvent être identiques ou opposés. Si les sens sont opposés, les débits peuvent être égaux dans les deux sens (probablement le cas le plus fréquent) ou inégaux avec risque de STT. S’il n’y a qu’une seule AA-V, la situation est probablement plus défavorable car le déséquilibre est obligatoire à ce niveau. Le nombre, le sens et le calibre de ces anastomoses déterminent donc le risque de déséquilibre entre les deux secteurs vasculaires.


Les anastomoses bidirectionnelles superficielles auraient un rôle compensateur ou protecteur vis-à-vis du shunt artérioveineux : si le débit résultant de l’ensemble des AA-V penche trop d’un côté, si l’un des fœtus se remplit trop, les anastomoses superficielles serviraient de soupape, de « trop-plein » pour renvoyer à l’envoyeur une partie du volume sanguin excessif. Même si les choses sont probablement plus complexes qu’un simple problème de baignoire et de robinet, le STT serait alors le résultat soit d’un excès de transfusion dans une ou plusieurs anastomoses artérioveineuses, soit de l’absence ou de l’insuffisance des anastomoses superficielles compensatrices : ceci est important pour comprendre les tentatives de diagnostic et surtout de traitement. La mise en évidence, par écho-Doppler, d’une anastomose superficielle bidirectionnelle (essentiellement AA-A) est un facteur de bon pronostic (présence d’une soupape) car elle diminue considérablement le risque de STT. En revanche, en cas d’insuffisance cardiaque ou surtout de mort d’un des jumeaux, ces anastomoses bidirectionnelles deviennent unidirectionnelles entraînant une transfusion massive et brutale avec collapsus vasculaire chez le donneur.


Le STT est très rare en cas de grossesse monoamniotique, ce qui avait longtemps fait suspecter un rôle délétère de la cloison inter-amniotique dans l’équilibre hémodynamique entre les fœtus. On avait donc logiquement proposé la septostomie, c’est-à-dire l’ouverture de la cloison, comme méthode de traitement du STT car ce geste transforme une diamniotique en monoamniotique. Actuellement, on considère que la cloison n’a pas de rôle dans le STT, les résultats de la septostomie ne sont pas convaincants et il existe un risque de création de brides amniotiques : la méthode n’est plus proposée.



À retenir au total




image À la conception, il y a 65 % de dizygotes pour 35 % de monozygotes, en gros deux tiers de faux jumeaux pour un tiers de vrais.


image Anatomiquement, on a environ 75 % de dichoriales diamniotiques, 25 % de monochoriales diamniotiques, et seulement 1 à 2 % de monoamniotiques.


image La « monochorie » est un critère formel de monozygotie (les vrais jumeaux), elle se reconnaît à l’échographie précoce puis par l’examen du placenta et des membranes.


image À l’inverse, la « dichorie », n’est pas un critère formel même si elle correspond le plus souvent à un dizygotisme (les faux jumeaux), car 10 à 15 % des dichoriales sont monozygotes à l’origine.


image En cas de dichorie, seuls des sexes différents pourront permettre d’affirmer la dizygotie. Si les sexes sont semblables et si l’on veut une preuve formelle du type de gémellaire, seule la réalisation de tests génétiques pourrait infirmer ou affirmer l’identité parfaite des deux enfants.



Échographie du premier trimestre


Diagnostic échographique et datation


Il s’agit à la fois de reconnaître la grossesse multiple, d’en déterminer le rang et d’en préciser le type anatomique. L’examen échographique initial est capital pour l’avenir de la grossesse : organisation pratique de sa surveillance, réalisation d’un éventuel diagnostic anténatal invasif (amniocentèse, choriocentèse, prélèvement de sang fœtal), compréhension et traitement d’une complication. On insiste encore sur l’identification du type anatomique car, passé le 1er trimestre, cela devient difficile (parfois même impossible).



Diagnostic positif (fig. 18.5 et 18.6)


Le diagnostic positif de gémellité ou de grossesse multiple impose la visualisation sur un même plan de coupe des embryons ou de segments embryonnaires identiques. Le diagnostic échographique de grossesse gémellaire est en général facilement obtenu au 1er trimestre, en rappelant que :





Les erreurs par excès ne sont pas rares dans les premières semaines de gestation bien que le plus souvent facilement évitables : artefact de dédoublement ovulaire qui s’efface en basculant la sonde (voir fig. 1.13), défaut temporaire d’accolement des caduques prolongeant la ligne cavitaire (fig. 18.5d), hématome décidual épousant le contour du sac (voir fig. 4.35 à 4.40), utérus double avec réaction déciduale dans l’hémi-utérus vide (voir chap. 3), fibrome œdémateux ou en nécrobiose, avec images liquidiennes internes (voir chap. 2).


Les erreurs par défaut peuvent résulter de l’examen trop précoce d’une forme monochoriale (erreur inévitable, voir ci-dessus). Un deuxième œuf ou un troisième œuf peuvent aussi être ignorés si l’on sacrifie à la mauvaise habitude de la voie vaginale exclusive : un œuf ou un fœtus haut situé peut sortir du champ de la sonde, mais c’est une erreur de débutant ! Néanmoins, tout le monde devrait se considérer comme débutant et la recherche d’une grossesse multiple de rang supérieur doit être systématique, surtout dans un contexte évocateur de grossesse médicalement induite : on se rappellera un vieil adage de l’échographie – et des chemins de fer – selon lequel « deux trains peuvent en cacher un autre »…



Diagnostic de placentation (de type gémellité ou de chorionicité)


Le diagnostic de placentation est indissociable de celui de grossesse multiple dont l’aspect échographique varie rapidement avec l’âge de la grossesse :



image entre 5 et 7 semaines d’aménorrhée, c’est très facile (fig. 18.5 et fig. 3.7). La grossesse dichoriale est évidente avec deux sacs ovulaires distincts et leurs couronnes trophoblastiques, au sein desquels une vésicule ombilicale puis un embryon peuvent être individualisés. La grossesse monochoriale présente toujours un seul sac ovulaire dans lequel vont apparaître successivement deux vésicules ombilicales puis deux embryons ;


image entre 7 et 10 semaines d’aménorrhée, la forme dichoriale présente deux œufs qui commencent à s’accoler mais restent séparés par une délimitation épaisse et échogène (fig. 18.6a). Les amnios deviennent visibles et le type de grossesse monochoriale peut être précisé : diamniotique si deux amnios autour des deux embryons sont visibles (fig. 18.6b), monoamniotique si une seule membrane entoure les deux embryons. Ainsi, le diagnostic de chorionicité peut être effectué de manière fiable et rapide entre 5 et 10 SA, en dénombrant le ou les sacs ovulaires et de préférence en utilisant une sonde endovaginale pour améliorer la résolution des structures membranaires intra- et interovulaires. L’échographie volumique est utilisable dès les termes précoces mais a toutefois un apport très modeste en termes de diagnostic de placentation ;


image à partir de 10 semaines d’aménorrhée, le trophoblaste s’épaissit dans la région du futur placenta. La cavité amniotique s’agrandit et sa membrane s’accole progressivement à la paroi trophoblastique, la présence des deux embryons et leur vitalité sont évidentes. Les trois types anatomiques sont alors bien individualisables :



image placentation DIchoriale DIamniotique (fig. 18.7). Dans 50 % des cas, les trophoblastes sont bien distincts sur des faces utérines opposées et les deux œufs sont séparés par une cloison épaisse, facile à visualiser, séparant les deux embryons. Dans 50 % des cas, les trophoblastes s’accolent, séparés initialement par une ligne de clivage qui disparaît progressivement pour donner l’impression d’une masse placentaire unique. La cloison épaisse s’implante à ce niveau avec présence de trophoblaste s’insinuant dans une zone de divergence, réalisant le signe du lambda (λ) pathognomonique d’une placentation dichoriale (fig. 18.9),



image placentation MONOchoriale DIamniotique (fig. 18.8a et b). Dans la quasi-totalité des cas, la masse trophoblastique est unique et homogène mais il a été décrit (dans 2 à 3 %) des cas un aspect bilobé de ce placenta unique avec une partition pouvant être source de confusion. La cloison entre les deux embryons est fine, de visualisation parfois difficile, s’insérant directement de manière anguleuse, « en T », sans interposition de chorion sur la masse trophoblastique. Toutefois l’accolement partiel des deux feuillets amniotiques, en regard du trophoblaste, délimite souvent un espace libre triangulaire à contenu liquidien finement échogène, correspondant au cœlome extra-embryonnaire résiduel. Malgré sa forme potentiellement trompeuse, cet aspect ne doit pas être confondu avec un signe du lambda. Cette zone peut parfois être hétérogène rendant son interprétation difficile et il est alors recommandé de faire varier les sites d’étude et les incidences pour toujours rechercher l’image la plus démonstrative,


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Fig. 18.8 Grossesses gémellaires monochoriales.
a. MONOchoriale et DIamniotique à 11 SA. Un seul œuf avec deux poches amniotiques. Les amnios ne sont pas encore complètement collés à la paroi de l’œuf, ni entre eux au niveau de la cloison où l’on distingue bien les deux membranes (→). L’extrémité céphalique d’un des fœtus présente un œdème assez important (⇨) qui correspond ici à un STT très précoce.
b. MONOchoriale et DIamniotique à 11 SA (même grossesse qu’en a). Le raccordement des deux bulles amniotiques dessine un pseudo-lambda (→) avec la paroi trophoblastique.
c. MONOchoriale et MONOamniotique à 13 SA. Par voie abdominale : œuf unique et masse placentaire (P) antérieure unique ; PAS de cloison visible entre A et B.
d. MONOchoriale et MONOamniotique à 13 SA (même grossesse qu’en c). Contrôle par voie vaginale : les deux fœtus A et B sont en position tête-bêche, avec une mobilité indépendante, ce qui élimine l’hypothèse de jumeaux conjoints.
e. MONOchoriale et MONOamniotique à 15 SA. Placenta (P) antérieur unique. Implantation centrale mais séparée des deux cordons. Début d’enroulement des cordons (→), sans conséquence et sans raccourcissement : la situation pourrait devenir plus dangereuse si les deux fœtus avaient la mauvaise idée de faire « tourner le manège » toujours dans le même sens.
f. MONOchoriale et MONOamniotique à 4 mois. Enroulement des cordons formant une image complexe, difficile à analyser. Pas de limitation de la mobilité des fœtus, issue normale de la grossesse.

image placentation MONOchoriale MONOamniotique (fig. 18.8b à e). Le trophoblaste est unique et, malgré un examen rigoureux, aucune cloison ne peut être mise en évidence entre les deux embryons dont la mobilité occupe l’ensemble de la cavité amniotique. Du fait de la rareté de cette forme anatomique, il doit s’agir ici d’un diagnostic d’élimination.


L’étude de la zone d’insertion de la cloison interovulaire (quand elle existe) entre 10 et 14 SA est pour la majorité des auteurs un paramètre essentiel permettant de différencier les différents types de placentation. Ainsi, les différents aspects décrits par Moon sont bien corrélés au type de placentation (fig. 18.9 et 18.10).




La précision sur le type anatomique est un point essentiel pour la suite de la grossesse. En raison des incertitudes dans sa détermination au-delà de 15 SA, le diagnostic de type anatomique, avec ses critères échographiques (lambda, cloison, zone d’implantation) doit être clairement mentionné dans le compte rendu échographique de toute grossesse multiple au 1er trimestre (recommandation du Comité national technique de l’échographie de dépistage). Il faut produire une iconographie démonstrative. Il est même souvent conseillé d’annexer une bonne image de la cloison à la première page du dossier obstétrical, solidement collée ou agrafée, pour éviter toute discussion ultérieure. Si le diagnostic de chorionicité est établi au 1er trimestre de manière appropriée et documentée, il doit être considéré comme définitif et ne devrait plus être remis en cause. Si le diagnostic de chorionicité ne peut être déterminé de manière formelle lors d’une échographie du 1er trimestre, un contrôle s’impose rapidement, éventuellement orienté vers un échographiste référent en cas de nouvel échec.



Grossesses multiples de haut rang (fig. 18.11 et 18.12)


Les grossesses de rang supérieur à 2 sont toujours polyzygotes, trichoriales, tétrachoriales, etc., mais l’un des œufs peut se diviser ce qui vient inclure une gémellaire monochoriale. La combinaison la plus fréquente est le panachage (fig. 18.12) dichoriale + monochoriale aboutissant à une grossesse triple dichoriale et triamniotique. Le diagnostic repose sur le compte des œufs jusqu’à 6,5 SA, puis le compte des embryons dans chaque œuf, puis sur l’étude précoce des cloisons.






Datation des grossesses gémellaires


Voir aussi chap. 4, Datation de la grossesse.


Elle repose comme pour les grossesses uniques sur la mesure de la longueur cranio-caudale (LCC) des embryons. Elle peut poser un problème en cas de différences dans la mesure des LCC. En effet, dans 90 % des cas, il existe au moins une petite différence entre les deux longueurs car la croissance embryofœtale n’est pas uniforme au 1er trimestre : cette différence ne devrait pas dépasser 10 %, elle peut être transitoire et n’apparaît pas corrélée avec une discordance de poids à la naissance. En revanche, au-delà de 10 % (ou de 10 mm selon les auteurs), le risque d’anomalie chromosomique est augmenté pour l’embryon hypotrophe. Si le caryotype est normal et en cas de placentation monochoriale, une évolution est possible vers un syndrome transfuseur–transfusé (surtout en cas d’hyperclarté nucale chez le plus grand fœtus).


Le choix de l’embryon utilisé pour fonder la datation peut être source de discussion :




Complications du premier trimestre


Métrorragies, avortement ou menace d’avortement précoce


Comme pour la grossesse unique, la principale complication du 1er trimestre est l’interruption spontanée de grossesse, avec sa traduction clinique assez univoque de métrorragies associées ou non à des contractions utérines.


En cas de gémellaire monochoriale, les deux grossesses s’arrêtent presque toujours de façon simultanée car elles souffrent a priori de la même anomalie (essentiellement chromosomique).


En cas de gémellaire dichoriale, l’arrêt d’évolution peut ne concerner qu’un seul des œufs réalisant un avortement partiel (fig. 18.13). On utilise aussi parfois le terme plus poétique de deuxième œuf « évanescent » (vanishing twin). Le plus souvent, l’interruption se fait très précocement et se traduit échographiquement par la juxtaposition d’un œuf normal et d’un sac vide plus ou moins déformé. Plus tardivement, le deuxième œuf contient un petit embryon mort, de taille variable selon l’âge de l’interruption. Les examens successifs montreront l’aplatissement puis la disparition progressive, en quelques semaines, de ce deuxième sac. Des métrorragies peuvent se prolonger assez longtemps, jusqu’au 2e trimestre. Il est assez rare de retrouver la trace du sac à l’examen du délivre après l’accouchement. Cependant, lorsque le décès survient après 13 SA, il se produit une momification du fœtus (fœtus papyraceus) que l’on visualise contre la paroi utérine, moulé par sa poche amniotique, et que l’on retrouve accolé dans les membranes après l’accouchement (fig. 18.13d).


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May 20, 2017 | Posted by in Uncategorized | Comments Off on 18: Grossesses gémellaires et multiples

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