Chapitre 18. Enjeux éthiques
«L’impératif éthique est une réponse à l’expérience de la fragilité de l’Autre.»
Emmanuel Lévinas, Éthique et Infini (1981).
Éthique (enjeu)Plus la médecine refoule la subjectivité aux marches du soin scientifiquement évalué, plus le recours au pédopsychiatre ou psychologue devient une nécessité. Mais il est l’objet de deux sortes de convocations. L’une est celle d’un appel au spécialiste de l’organe mental au même titre que le cardiologue ou le cancérologue. Il lui faut répondre dans ses limites à une demande précise formulée par le soignant. Il y en a une autre : «répondre à quelque chose qui s’appelle une demande», c’est-à-dire s’immiscer dans une relation sans préavis, sans bouée de sauvetage, sans guideline, sans savoir préexistant : en un mot, entendre plus qu’écouter une parole qui fasse place à une singularité (Sicard, 2008). Le pédopsychiatre (et le psychologue) de liaison répond à ces deux convocations.
Mais nous pensons qu’il y a une troisième convocation : celle de la participation au débat éthique de certaines situations cliniques. En effet, au carrefour de cultures différentes (médicale, psychique, sociale…) et parfois dissonantes, le pédopsychiatre (et le psychologue) exerçant en pédiatrie et à la maternité est confronté à de nombreuses situations cliniques auprès de bébés, d’enfants, d’adolescents, de femmes, de mères, de pères, de collègues médecins, de soignants… où parfois, certaines décisions relèvent du soin mais aussi de l’éthique.
L’épreuve d’autrui défait toute certitude et, pour le pédopsychiatre de liaison, penser ces questions éthiques relève de sa responsabilité. L’éthique est une épreuve incontournable; l’épreuve de la mise en question de la subjectivité et des pouvoirs par l’exposition à la vulnérabilité d’autrui. C’est aussi l’épreuve de la responsabilité pour autrui. Ainsi, garant de la vie psychique, de la subjectivité et de la singularité, le pédopsychiatre de liaison se doit de tenir une place fondamentale dans certaines décisions thérapeutiques qui relèvent de l’éthique. Et cette place, il doit la tenir dans toutes les situations cliniques rencontrées : qu’il s’agisse de situations totalement nouvelles, de circonstances totalement inédites ou au contraire de situations «banales» et courantes, dont on ne parle pas, qui ne sont pas source de demandes, mais dont on perçoit les enjeux psychopathologiques. Autrement dit, le questionnement éthique n’est pas réservé aux situations extraordinaires et dont il faudrait traiter le nouveau; il concerne aussi les situations silencieuses et quotidiennes.
Afin d’illustrer au mieux ces enjeux, nous décrivons plusieurs situations cliniques où les questions éthiques sont au centre des décisions dans la mesure où elles touchent aux règles et aux fondements de la procréation et de la filiation, aux limites du corps, à l’instrumentalisation du corps, au pouvoir de vie et de mort sur soi et sur l’autre, au désir de vie, de mort et d’immortalité. Il n’y a là aucune conduite à tenir ni protocole, mais un questionnement indispensable.
Diagnostic prénatal (DPN) et interruption médicale de grossesse (IMG)
Diagnosticprénatal (DPN)Grossesseinterruption médicale de (IMG)La loi impose la présence d’un pédopsychiatre ou psychologue dans tout centre de DPN, mesurant sans doute les enjeux psychiques qui s’y jouent. Souvent, il y est en effet question de demande d’interruption volontaire de grossesse, après le terme légal, pour des raisons maternelles dites «psychosociales».
Il en est ainsi de cette femme, dont la grossesse se déroule sans problèmes médicaux particuliers, avec un fœtus parfaitement normal à l’échographie, et qui vient demander une interruption de grossesse. Déprimée et se disant au bord du suicide, l’interruption apparaît pour elle comme une «issue de secours». Tout en restant dans le cadre de la loi, quelle décision prendre? Faut-il répondre favorablement à une demande désespérée, ou refuser une interruption de grossesse qui condamnerait un futur bébé tout à fait bien portant? Refus qui risque d’amener cette femme vulnérable et fragile à pratiquer un avortement clandestin dans des conditions souvent dramatiques, ou encore à se rendre dans un pays limitrophe dont la législation est différente et qui permet la pratique de prix scandaleux, exploitant ainsi les failles d’un système.
Il n’est bien sûr pas question au psychiatre ou psychologue de répondre et ainsi de devenir un César tout puissant qui déciderait de l’issue d’une telle situation! Mais il est de sa responsabilité de participer au débat; les enjeux éthiques sont ici fondamentaux.
Néonatalogie et réanimation pédiatrique
NéonatalogieRéanimation pédiatriqueCertaines situations de néonatalogie et de réanimation pédiatrique (prématurité extrême, séquelles graves…) apparaissent comme de véritables moments cliniques d’effroi avec tous ses effets de sidération. L’angoisse recèle ici une vertu éthique, lorsqu’elle arrache le praticien à la certitude de détenir la bonne solution, soit qu’elle active l’imagination d’autres scénarios, soit qu’elle incline à prendre l’avis des autres. «Quand les faits sont importants, nous nous adjoignons des conseillers, parce que nous nous défions de nos propres lumières qui paraissent insuffisantes à notre discernement» (Aristote, 1992). Certaines situations cliniques sont problématiques et amènent ainsi le pédiatre et le réanimateur à adresser des demandes improbables, à poser des questions impensables il y a quelques années et à se trouver devant des choix impossibles. Pédopsychiatres et psychologues sont ainsi conviés à la réflexion, et il nous faut plus que jamais accepter qu’il y ait des questions sans réponse sans que pour autant cela nous réduise à l’impuissance. Tant pour le bébé, ses parents que pour l’équipe soignante, les enjeux éthiques sont là aussi particulièrement importants.
Enfance et obésité morbide
ObésitéRécemment, de nouvelles demandes apparaissent, liées à l’évolution de la société et à certaines problématiques de santé publique. Il en est ainsi de l’obésité morbide et de la question posée de la chirurgie bariatrique chez certains enfants et adolescents. Est-il concevable d’opérer des enfants et des adolescents présentant une obésité morbide pour diminuer leur poids et les effets néfastes de l’obésité sur leur santé? Faut-il que le pédopsychiatre, interrogé dans le meilleur des cas, donne le feu vert de l’intervention chirurgicale? Qu’en est-il de sa responsabilité, et sur quelle éthique peut bien reposer une éventuelle décision? Le pédopsychiatre de liaison a ici une double place, particulièrement importante : non seulement celle d’un soignant du réseau de soin, mais aussi celle qui autorise une réflexion éthique sur le projet de soin et l’avenir de l’enfant.

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