18. Effets cognitifs des traitements de fond et des traitements symptomatiques

Chapitre 18. Effets cognitifs des traitements de fond et des traitements symptomatiques

Gilles Defer



De nombreux travaux ont rapporté l’impact cognitif dans la SEP de différentes classes médicamenteuses. Les données concernant les traitements traitements de fond, les corticoïdescorticoïdes et les traitements symptomatiques vont être maintenant abordées successivement.


Immunomodulateurs

Les effets potentiels des traitements de fond de la SEP sur les troubles cognitifs présentés par les patients ont été partiellement évalués dans différentes études dont des études de phase III ayant concerné les principaux immunomodulateurs. Les données recueillies à ce jour, si elles ne permettent pas de conclure formellement, suggèrent un possible effet positif de ces traitements sur les troubles cognitifs de la SEP, en tout cas dans les formes rémittentes.


Interférons bêta

L’existence d’un lien entre manifestations psychologiques et interféron est bien connue chez les patients atteints d’hépatite C et soumis à un traitement par interféron alpha. Ces relations délétères (troubles cognitifs touchant l’attention et la mémoire et troubles psychiatriques sévères) [9] pouvaient faire poser la question d’un risque identique avec l’interféron bêta (IFN-β)interféron bêta (IFN-β). En fait, c’est plutôt la question d’un effet positif sur les troubles cognitifs qui a été évoquée ces dernières années. Malheureusement, en raison d’une très grande hétérogénéité des études vis-à-vis des évaluations psychométriques, du niveau des atteintes cognitives, de la fluctuation des performances, des profils de maladie, de la taille des populations étudiées et de la variabilité des modalités de définition des déficits et de celle des analyses statistiques utilisées, il est très difficile de poser des conclusions définitives sur l’effet des INFs dans les troubles cognitifs de la SEP [10]. Les principaux résultats seront présentés étude par étude, selon la forme de maladie et le type de traitement.


SEP rémittentes (SEP-RR)

Dans une étude ancillaire à l’étude pivot de 1993 utilisant l’IFN-β1b chez des patients présentant une forme rémittente, il a été mis en évidence chez les patients traités avec la dose la plus élevée d’IFN-β1b (8MU) une amélioration de leurs capacités de reconnaissance visuelle différée entre la 2e et la 4e année [11]. Dans cette étude monocentrique qui concernait 30 patients (17 sous INF-β1b et 13 sous placebo), l’évaluation psychométrique a été débutée 2ans après le début de l’étude et l’analyse statistique n’a pas bénéficié de corrections sur les nombreuses comparaisons réalisées. Une autre étude [12] concernant l’INF-β1b, à nouveau sur une faible cohorte de patients (n = 46), a suggéré un effet sur l’attention et l’apprentissage visuospatial durant la première année de traitement. Cependant il existait à l’inclusion dans l’étude des différences entre le groupe traité et le groupe placebo (sujets plus jeunes, durée de maladie plus courte). Deux études ouvertes se sont intéressées aux effets de l’INF-β1b sur les potentiels évoquéspotentiels évoqués cognitifs (P300) [13,14]. Ces deux études, réalisées sur de petites cohortes de patients (respectivement 14 et 16 patients) traités pendant 1 an, et comparés à des sujets témoins pour l’une d’elles [13], ont donné des résultats contradictoires ne permettant pas d’identifier un effet positif ou négatif de ce traitement sur ce paramètre, parfois utilisé comme critère indirect du fonctionnement cognitif. Aucune différence significative n’était observée pour les différents paramètres entre le groupe traité et le groupe témoin bien qu’un allongement de la P300 moyenne ait été observé, et de façon importante (> 2 écarts types) chez 20 % des patients dans l’étude de Gerschlager et al. [13]. Une réduction d’amplitude et de latence de la P300 avec amélioration des réponses persévératives au test de Wisconsin était observée par Flechter et al. [14].

Enfin, il faut citer qu’une autre étude portant sur une plus grande cohorte de patients, mais évalués une seule fois, n’a pas retrouvé de différence entre patients traités ou non par l’INF-β1b pendant au moins 6 mois sur des tests de mémoiremémoire verbalemémoireverbale [15].

Dans l’étude pivot utilisant l’INF-β1a par voie intramusculaire, une batterie cognitive a été appliquée à une partie des patients de l’étude à l’inclusion et après 2ans de traitement. Cent soixante-six patients (83 traités, 83 placebo) sur 276 ont eu une évaluation psychométrique complète sur les 2ans. Le critère de jugement reposait sur les modifications d’une batterie incluant de nombreux tests cognitifs regroupés en 3 sous-domaines (traitement de l’information et capacités d’apprentissage verbal, capacités visuospatiales et résolution de problèmes, et capacités verbales et attention). L’analyse statistique assez complexe a permis d’identifier un bénéfice du traitement par rapport au placebo sur une partie des tests explorant les processus de traitement de l’information et les capacités d’apprentissage verbal. Une analyse secondaire a montré un effet significatif en faveur du traitement vis-à-vis du placebo sur la détérioration du PASATPASAT pendant le suivi [16].

Récemment, l’équipe italienne d’Amato et al. [17,18] a rapporté les premiers résultats du suivi prospectif d’une cohorte de patients atteints de SEP rémittentes et traités par INF-β1a sous-cutané (22 ou 44μg). Plus de 450 patients ont été recrutés au départ et les données cognitives jusqu’à 3ans de suivi étaient disponibles chez 318 patients. La proportion de patients ayant développé une atteinte cognitive (définie par des performances ≥ 1 écart type de normes en population générale, sur 3 tests ou plus d’une batterie large explorant de nombreux domaines cognitifs) était significativement inférieure dans le groupe traité par la dose de 44 μg par rapport à celui traité par la dose de 22 μg, suggérant un effet dose-dépendant du traitement sur les fonctions cognitives. Dans cette étude, l’atteinte cognitive était associée à une réduction des activités professionnelles et sociales et les patients présentant une détérioration cognitive semblaient par ailleurs plus fatigués que les patients non détériorés.


SEP progressives

Les données disponibles concernent principalement l’étude européenne réalisée dans les SEP secondairement progressives (SP) avec l’INF-β1b qui comprenait 476 patients et 197 contrôles, évalués sur le plan cognitif à l’inclusion puis à 12, 24 et 36 mois. L’évaluation incluait différents tests de mémoire verbale et spatiale ainsi que le PASAT. L’étude n’a pas permis de montrer un effet significatif sur la cognition. Toutefois l’analyse secondaire suggérait qu’une plus faible proportion de patients traités par IFN-β1b réunissait les critères de détérioration cognitive [10,19]. Une étude a concerné l’IFN-β1a dans les SEP-SP, incluant 436 patients (217 recevant l’INF) avec un EDSSEDSS entre 3,5 et 6,5; une tendance non significative en faveur du traitement a été observée pour le PASAT [20].

Pour ce qui concerne la forme progressive primaire de la maladie, une étude utilisant la Brief Repeatable Neuropsychological Battery (BRNB)Brief Repeatable Neuropsychological Battery (BRNB) de Rao avec le PASAT dans le cadre du score composite MSFC pratiqué tous les 3 mois a été réalisée chez 73 patients avec l’IFN-β1b. Les groupes traités et placebo étaient comparables au début de l’étude mais aucune différence significative n’a été observée entre les groupes pour aucun des tests [10].


Acétate de glatiramère

L’étude pivot évaluant l’acétate de glatiramère (AG)acétate de glatiramère (AG) a bénéficié également d’une évaluation cognitive chez les patients recevant le traitement ou le placebo, qui explorait 5 domaines de la cognition avec la BRN-B et d’autres tests [21]. Aucune différence n’a pu être détectée entre les 2 groupes au bout des 2ans de l’étude. Cependant les résultats aux tests étaient meilleurs dans les 2 groupes (traité et placebo) à la fin de l’étude par rapport à l’inclusion. De plus les performances des patients à l’inclusion étaient dans la limite de la normale pour tous les tests choisis sauf la fluence verbalefluence verbale orthographique [21]. Ce constat a conduit les auteurs à réévaluer une partie de la cohorte 10ans après le début de l’étude [22] : 153 patients ont été ainsi réévalués (61 % de la cohorte initiale), 106 étant toujours sous AG et 47 autres ayant reçu divers traitementstraitements, seuls ou associés, avec des durées variables depuis le début de l’étude d’extension. Les résultats de cette évaluation ont montré qu’une détérioration cognitive intervenait principalement pour les épreuves évaluant l’attention et que si on appliquait une modification de 1/2 écart type pour définir un déclin cognitif, celui-ci était observé selon les tests chez 27 à 49 % des patients, et 19 % des patients avaient une baisse d’un Z-score composite des différentes épreuves. Curieusement, le déclindéclin cognitif observable était toujours plus important chez les patients plus performants aux tests à la baseline, cela étant ajusté sur l’âge, le sexe et le niveau d’études. Les modifications observées sur les tests à 2ans étaient prédictives des résultats à 10ans. Il n’y avait pas de différence entre les patients traités dès le départ et ceux qui avaient reçu le traitement au moment de la phase d’extension du protocole [22].


Corticoïdes

CorticoïdesLa méthylprednisolone (MP)méthylprednisolone (MP) est utilisée depuis de nombreuses années pour traiter les pousséespoussées de SEP. Si les effets psychostimulants des corticoïdes sont bien connus, leurs effets cognitifs plus spécifiques ont fait l’objet de quelques études. Patzold et al. [23] ont étudié l’effet d’une administration de 1g de MPMP IV pendant 5 jours suivie d’une corticothérapie orale régressive sur 2 semaines sur les performances au PASATPASAT-3 s dans le cadre d’une évaluation plus globale chez 27 patients qui ont été testés à J0, J5 et J20. Les résultats ont été comparés à un groupe contrôle de 10 patients SEP stables sans poussée, réalisant les tests selon la même procédure. Une amélioration significative des performances à J20 a été observée chez les patients traités alors qu’il n’était constaté aucune modification chez les patients ne recevant pas de corticothérapie. L’effet observé pourrait être lié à l’effet anti-inflammatoire mais peut-être aussi à un effet retesteffet retest en raison des évaluations très rapprochées même si une triple passation initiale avait été systématiquement pratiquée. Si l’attentionattention soutenueattentionsoutenue semble pouvoir s’améliorer, d’autres études indiquent plutôt un effet délétère transitoire de la corticothérapie IV sur les processus mnésiques. Ainsi Oliveri et al. [24] avaient suggéré que la corticothérapie IV effectuée pour le traitement des pousséespoussées aurait un effet délétère temporaire sur la mémoire explicite. Plus récemment, Brunner et al. [25] ont montré chez des patients traités par MP IV (500mg/5 jours) pour poussée de SEP ou névrite optique, comparés à des volontaires sains, un effet négatif des corticoïdes sur la mémoiremémoire à long termemémoireà long terme, réversible 5 jours après l’arrêt du traitement.


Immunosuppresseurs

Une étude française [26] a comporté une évaluation cognitive chez 28 patients présentant une forme progressive de SEP (10 PP et 18 SP) et traités par une association mensuelle de méthylprednisolone (MP) et de cyclophosphamidecyclophosphamide (700mg/m2). L’efficience intellectuelle globale, la mémoire et les fonctions exécutivesfonctions exécutives ont été évaluées avant et après 6 et 12 mois de traitement. Une amélioration a été observée sur les capacités d’encodageencodage, de planificationplanification et d’inhibitioninhibition ainsi que sur l’efficience intellectuelle globale à 6 et 12 mois. Dans une étude similaire, la même équipe s’est intéressée à l’impact cognitif de l’association mitoxantronemitoxantrone-méthylprednisoloneméthylprednisolone dans un groupe de 15 patients ayant une indication à un traitement immunosupresseur IV pour une forme de SEP-RR très active [27]. Les mêmes paramètres (efficience intellectuelle globale, mémoire et fonctions exécutives) ont été évalués avant le traitement, à 6 mois (fin du traitement) et 6 mois après l’arrêt du traitement. Cette fois-ci, les données cognitives ont été comparées à celles de sujets sains pour évaluer un effet d’apprentissage. Seuls 13 patients sur 15 ont pu être évalués à 6 et 12 mois. À 6 mois, une amélioration de l’efficience intellectuelle a été observée avec une amélioration également de certains sous-scores concernant la mémoire et les fonctions exécutivesfonctions exécutives. L’amélioration à 6 mois était maintenue à 12 mois pour la majorité de ces critères. Les mécanismes de l’amélioration observée dans ces deux études restent toutefois difficiles à interpréter en raison de l’association médicamenteuse et de l’absence de véritable groupe contrôle. Toutefois ces résultats suggèrent que l’effet conjoint d’un immunosuppresseur et de corticoïdescorticoïdes pourrait contribuer, par la réduction de l’inflammation et des lésionslésions démyélinisantes, à une amélioration et/ou restauration des connexions et donc contribuer à l’amélioration des fonctions cognitives, soulignant par là même la notion de troubles cognitifs potentiellement réversibles.


Médicaments dits antiasthéniants

Même s’il ne semble pas exister de corrélation entre la fatiguefatigue, la dépressiondépression et la présence de troubles cognitifs, plusieurs auteurs ont étudié l’effet des médicaments antiasthéniants sur les fonctions cognitives. Une étude utilisant l’amantadineamantadine (200mg/j), ou la pémoline (56mg/j), ou un placebo a été réalisée chez 45 patients traités sur 6 semaines. Les tests utilisés exploraient l’attention, la mémoiremémoire verbalemémoireverbale et non verbale. La fatigue n’était corrélée à aucun des paramètres neuropsychologiques à l’inclusion ou à la fin de l’étude. Celle-ci n’a pas montré de différence entre les 3 groupes de traitement même si l’amantadine semblait avoir un effet plus important sur l’attention [28]. D’autres études sur de faibles cohortes de patients utilisant la 4- ou 3-4-aminopyridine ont évalué l’impact de ces molécules sur la cognition et ont donné des résultats globalement négatifs [[29][30] and [31]].


Traitements symptomatiques


Anticholinestérasiques

TraitementsAnticholinestérasiqueLa majorité des travaux dans ce domaine ont concerné le donépézildonépézil. En 2000, Greene et al. [32] ont rapporté les résultats d’une étude ouverte sur 17 patients ayant un MMS ≤ 25, évaluant l’efficacité et la tolérance de ce médicament administré pendant 12 semaines. Une amélioration significative des fonctions exécutives, de la mémoire et de l’attention a été rapportée ainsi qu’une amélioration de certains aspects comportementaux. Deux autres études randomisées en double aveugle contre placebo, uniquement rapportées sous forme de résumés, ont étudié avec des batteries cognitives étendues sur une période de 6 mois les effets du donépézil sur des cohortes respectives de 27 et 50 patients [33,34]. Les données rapportées très partielles suggéraient un effet du donépézil sur les fonctions exécutives et une tolérance globale satisfaisante.

Les résultats de ces études préliminaires ont été confortés par les résultats plus intéressants d’une étude monocentrique randomisée en double aveugle (donépézil 10mg versus placebo) réalisée chez 69 patients [35]. Les patients inclus dans cette étude devaient présenter un dysfonctionnement cognitif sur un test d’apprentissage verbal mais pas d’atteinte cognitive sévère (MMS ≥ 26) et l’absence de symptômes dépressifs. Le critère principal de jugement était la modification des performances au Selective Reminding Test (SRT)Selective Reminding Test (SRT) avec évaluation parallèle d’autres fonctions cognitives. L’impression clinique du patient et du clinicien était également évaluée par un questionnaire. Trente-cinq patients ont reçu le traitement actif et 34 le placebo. La dose reçue était de 5mg au départ, augmentée à 10mg après 4 semaines de traitement. Des résultats positifs en faveur du donépézil ont été observés pour les performances au SRT même chez les patients traités par INF, ce résultat étant observé indépendamment de l’âge, du sexe, de l’EDSS, des performances à l’inclusion, ou du niveau d’éducation ou du type de SEP. Une tendance non significative à l’amélioration des performances pour le PASATPASAT a été également observée. L’autoévaluation des patients était favorable au traitement (65 % versus 32 % pour le placebo) comme chez le neurologue (54 % versus 29 % pour le placebo). Les principaux effets secondaires étaient des troubles du sommeil, des troubles digestifs, une majoration de la spasticité, des paresthésies. Aucun effet n’a été constaté sur les poussées concernant le sous-groupe de patients présentant une forme rémittente inclus dans l’étude. Bien qu’encourageante, cette étude soulève de nombreuses questions concernant son interprétation. Tout d’abord, le groupe donépézil et le groupe placebo n’étaient pas comparables à l’inclusion : il était en effet noté deux fois plus de SEP progressives dans le groupe placebo que dans le groupe traité, et des différences significatives concernant le sex-ratio et le score EDSSEDSS moyen étaient mises en évidence dans le groupe de 24 SEP rémittentes sous donépézil contre 14 sous placebo. De plus, l’effet observé sur le SRTSRT était faible (amélioration des performances de 10 % par rapport à la baseline) et ne s’accompagnait pas d’une amélioration des autres paramètres cognitifs ou du score cognitif global. Ces observations ont conduit les auteurs eux-mêmes à suggérer l’intérêt d’une étude multicentrique plus large pour confirmer ces données préliminaires.

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Jun 5, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 18. Effets cognitifs des traitements de fond et des traitements symptomatiques

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