CHAPITRE 17 Solutions avancées de calcul d’implant et voies d’améli oration
L’objectif du traitement de la presbytie au moment de l’opération de la cataracte demande une plus grande précision du calcul d’implant pour tirer le meilleur parti des implants multifocaux ou accommodatifs.
Pour les patients déjà opérés de chirurgie réfractive, le souhait de traiter aussi la presbytie au moment de l’opération de la cataracte représente un objectif de plus en plus fréquent mais avec un taux de réponse imparfaite qui reste trop élevé.
Les différentes méthodes énumérées précédemment (cf. chapitre 16) représentent une liste non exhaustive des techniques de calcul d’implant proposées en cas de chirurgie de la cataracte après chirurgie réfractive [9]. La multiplicité des solutions proposées montre que la véritable réponse n’est pas encore été trouvée pour s’approcher de l’emmétropie de façon fiable [13].
Les deux écueils des formules actuelles résident dans deux raccourcis principaux:
– la simplification des différents dioptres oculaires dans la théorie de la lentille fine par rapport au modèle de la lentille épaisse;
– l’utilisation, dans les formules optiques, du seul faisceau incident centré, alors que le système oculaire utilise tout le diamètre pupillaire pour transmettre les images jusqu’à la rétine.
Avantages et limites des différents modèles optiques
La plupart des formules de calcul utilisent les bases de l’optique gaussienne, dénommée aussi optique para-axiale, sous deux déclinaisons : la théorie de la lentille fine et la théorie de la lentille épaisse.
MODÈLE DE LA LENTILLE FINE
Les lois de l’optique physique utilisées par la plupart de nos formules actuelles reposent sur la théorie dite de la lentille fine décrite par Gauss (fig. 17-1) : cette théorie optique transforme un ensemble de dioptres cohérents en une seule lentille qui, théoriquement, n’a pas d’épaisseur.

Fig. 17-1 Modèle de la lentille fine.
La cornée et le cristallin sont simplifiés pour correspondre chacun à une seule lentille fondée sur des modèles standards en épaisseur et en indice de réfraction.
Par exemple, la cornée qui est constituée de différents dioptres est ramenée à une seule lentille théorique, ce qui permet d’en déterminer la puissance totale. En réalité, les faisceaux lumineux qui traversent la cornée traversent au moins trois dioptres différents : le dioptre entre l’air et le film lacrymal, le dioptre entre le film lacrymal et l’épithélium, le dioptre entre l’endothélium et l’humeur aqueuse. Ces trois dioptres sont régis par les lois de l’optique classique dépendant des rayons de courbure et des différences indices de réfraction.
Cette simplification de l’optique géométrique s’appuie sur la connaissance des caractéristiques de chaque élément intraoculaire en lui affectant des propriétés dites standards, par exemple:
– la distance entre les deux dioptres principaux de la cornée est de l’ordre de 520 µm et ces deux dioptres sont assimilés à une lame à face parallèle;
– cette simplification permet de transformer un ensemble de dioptres complexes en une seule lentille fine dont l’indice de réfraction a été établi, par calcul, à 1,3375;
– cette valeur correspond à un choix, parfois contesté par d’autres calculs d’optique géométrique, aboutissant à des valeurs de l’indice global de la cornée de 1,33.
En cas de chirurgie réfractive ablative, la cornée est amincie par le geste réfractif et, en cas de chirurgie myopique, les deux faces de la cornée ne peuvent plus être assimilées à une lame à face parallèle. L’indice de réfraction unique schématisant l’ensemble de la cornée devient une valeur erronée.
Le cristallin naturel est lui aussi assimilé à une lentille fine dont la puissance représente, en fait, le dioptre entre l’humeur aqueuse et la face antérieure du cristallin puis le dioptre entre la face postérieure du cristallin et l’humeur vitrée. Le recours au modèle de la lentille fine appliqué au cristallin a abouti à la notion d’ELP (Effective Lens Position, position véritable de l’implant) : cette valeur ne représente cependant qu’une valeur algébrique abstraite qui décrit la distance entre le plan principal de la cornée et le plan principal du cristallin en appliquant le modèle de l’optique gaussienne. Cette valeur calculée de façon mathématique par les algorithmes de Gauss ne correspond pas véritablement à la distance qu’on peut mesurer entre la cornée et l’implant mis en place.
Ces différentes simplifications peuvent être acceptables pour des yeux proches des modèles qui ont servi à l’élaboration du modèle oculaire par la théorie de la lentille fine. Lorsque les paramètres entre les différents dioptres s’éloignent du modèle idéal, les règles d’application de ce modèle sont prises en défaut. Cela est le cas pour les yeux qui s’éloignent de l’emmétropie comme en cas de myopie ou d’hypermétropie forte. Cela peut aussi être rencontré en cas de discordance entre la taille du segment antérieur et la longueur du globe oculaire ou bien en cas de position du cristallin plus en avant ou plus en arrière par rapport au modèle.
Les principales formules actuelles de calcul d’implant reposent sur ce modèle de la lentille fine, ce qui explique, en partie, les variations de réfraction par rapport à la réfraction souhaitée.
Une des voies pour rendre plus fiables les calculs pourra faire appel au modèle de physique optique dénommé modèle de la lentille épaisse.
MODÈLE DE LA LENTILLE ÉPAISSE
Ce modèle de physique optique fait appel à la connaissance plus précise des relations entre les différents dioptres traversés par le faisceau lumineux (fig. 17-2) [10]. Pour appliquer ce modèle, il est nécessaire de connaître les rayons de courbure des dioptres intraoculaires, leur espacement et les indices de réfraction des différents milieux traversés.

Fig. 17-2 Modèle de la lentille épaisse.
La cornée et le cristallin sont analysés comme une succession de différents dioptres en respectant l’espacement entre les différents dioptres et le véritable indice de réfraction à l’intérieur des différents milieux traversés par le faisceau lumineux.
Les appareils de mesure actuels permettent, soit par biométrie ultrasonore soit par interférométrie (comme avec l’appareil Lenstar® de Haag-Streit), de déterminer les épaisseurs de la cornée et du cristallin. Les topographes modernes (comme l’appareil Pentacam® de Oculus) et, plus récemment, quelques appareils OCT (comme l’appareil RTVue® de Optovue) permettent aussi de mesurer les rayons de courbure des faces antérieure et postérieure de la cornée.
Pour appliquer ce modèle à l’utilisation d’un implant cristallinien, il est aussi nécessaire de connaître les rayons de courbure de l’implant et son épaisseur centrale. Ces éléments sont disponibles auprès du fabricant mais peuvent varier en fonction de la puissance de l’implant, ce qui limite, à l’heure actuelle, l’utilisation de cette méthode en pratique courante.
Un des éléments critiques, comme avec les formules de calcul actuelles, est la détermination de la position de l’implant, qui aura un impact important dans la puissance finale de tout le système optique de l’œil [11].
PRINCIPE DU FAISCEAU INCIDENT CENTRÉ
Qu’on utilise le modèle de la lentille fine ou celui de la lentille épaisse, les lois de l’optique géométrique gaussienne ont pour postulat que les lentilles traversées réalisent un système centré et s’appliquent à un faisceau lumineux fin, lui-même centré sur les lentilles.
En réalité, dans un œil humain, les différents dioptres ne sont pas parfaitement centrés et le faisceau lumineux incident correspond à un large faisceau dépendant du diamètre pupillaire.
De plus, les caractéristiques de ce faisceau incident varient en fonction de son degré d’excentricité par rapport à l’axe visuel : l’angle d’incidence du faisceau au centre de la cornée est un angle proche des 90°, alors que les rayons plus périphériques auront un angle d’incidence différent à cause de la courbure cornéenne.
Les phénomènes de réflexion et de diffraction du faisceau incident sont eux aussi différents lorsqu’on s’éloigne de l’apex cornéen.
De plus, pour un patient opéré de chirurgie réfractive cornéenne, la perturbation du faisceau incident par les modifications des rayons de courbure mais aussi par les modifications de réflectivité et de diffraction à l’intérieur de la cornée plus ou moins remaniée entraîne une perte de fiabilité des différents modèles optiques classiques.
Les analyses aberrométriques et par ray-tracing [7] apportent une possibilité d’analyse du comportement d’un faisceau incident sur tout le diamètre pupillaire, ce qui permet de s’approcher ainsi de la réalité optique des yeux de nos patients en incluant les aberrations de tout le système optique du globe oculaire. Les améliorations liées au calcul d’implant pourront bénéficier de la meilleure connaissance de cette façon d’analyser les caractéristiques de chaque globe oculaire.
Voies d’amélioration
MEILLEURE APPRÉCIATION DE LA PUISSANCE CORNÉENNE
SUR LE MODÈLE DE LA LENTILLE FINE
En conservant le modèle actuel de la lentille fine, quelques tentatives sont déjà ébauchées pour réduire l’imprécision dans la détermination de la puissance cornéenne, notamment dans la détermination de la puissance du dioptre cornéen antérieur [2, 19]. Ces solutions s’appuient sur la détermination du rayon de courbure antérieur en se fondant sur le rayon de courbure postérieur à partir des mesures par les topographes cornéens [8, 23], par les appareils reposant sur le principe de la Scheimpflug camera [18] et, plus récemment, sur les appareils OCT [4]. Ces tentatives sont réunies sous le terme de puissance cornéenne totale (total corneal power ou net corneal power dans les publications anglo-saxonnes) [3].
Le premier appareil commercialisé ayant donné un accès aux rayons de courbure de la face postérieure de la cornée a été l’appareil Orbscan® (Bausch & Lomb) [20] avec ses mires de Placido complétées par une fente lumineuse balayant la cornée par un faisceau incident vertical.
Des travaux plus récents réalisés par OCT focalisée sur la cornée permettent de recalculer les rayons de courbure de la cornée avec une précision nettement supérieure aux deux systèmes précédents [21, 22]. Le faisceau OCT étant peu perturbé par les différentes pertes de réflectivité intracornéenne, le calcul des rayons de courbure antérieur et postérieur de la cornée est possible sur des cornées normales mais aussi sur des cornées opérées de chirurgie réfractive avec une très haute précision dans la mesure d’épaisseur cornéenne. Ces travaux sont en cours d’évaluation mais laissent entrevoir une bonne fiabilité pour la détermination de la puissance cornéenne à l’apex et sur la zone des 3 mm ou 4 mm centraux. Ces mesures, allant dans le sens d’une meilleure précision et d’une meilleure connaissance des dioptres cornéens, pourront aussi être utilisées avec le modèle de calcul de la lentille épaisse.

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