Chapitre 17. Relais et passage chez les adultes
Relais de soinsLa pédiatrie a accompli de tels progrès thérapeutiques que certains enfants malades chroniques, qui auparavant mourraient avant d’atteindre l’âge adulte, grandissent et deviennent aujourd’hui des adolescents, puis adultes jeunes. Se pose alors la question de leur passage des unités de soins pédiatriques vers les services de soins d’adultes.
Ce passage chez les adultes, bien qu’évident de prime abord, met en jeu des problématiques de séparation et d’autonomisation affective dans la prise en charge du traitement et de la maladie. Il est souvent vécu avec appréhension, tant par le jeune malade que par son entourage, jusqu’à parfois être source de décompensation de la maladie. Existe-t-il des critères objectifs et optimums pour définir le meilleur moment de ce passage? Des «contre-indications»? Comment préparer au mieux ce moment à la fois attendu et redouté?
Relais, transfert, passage?
Les progrès de la recherche contre les maladies chroniques (mucoviscidose, insuffisance rénale chronique, maladies inflammatoires du tube digestif…) ont donc permis à la majorité des patients d’atteindre l’âge adulte et de quitter peu à peu les services de pédiatrie.
En 2009, l’âge limite autorisé des soins en pédiatrie s’étend jusqu’à 18 ans (règle des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM)). Cela n’empêche pas, parfois, de voir de jeunes patients âgés de 19 voire 20 ans, hospitalisés en pédiatrie. L’âge de 18 ans ne serait-il pas déterminant pour effectuer ce transfert? Avec une ambivalence évidente, des raisons de ce retard au transfert sont alléguées. Parmi les plus fréquentes :
• une décompensation médicale ou l’imminence d’une intervention chirurgicale. En effet, dans cette configuration, le passage vers les adultes paraît peu propice. Un état médical stable permet de penser le relais de façon plus sereine;
• le passage d’une épreuve scolaire ou universitaire (baccalauréat, BTS, BEP…);
• des difficultés familiales (famille peu contenante entraînant un risque de voir le patient se retrouver seul face à la maladie);
• une croissance non terminée;
• une immaturité intellectuelle et affective;
• des troubles psychologiques;
• une période difficile, un drame, un événement marquant (décès d’un proche, déménagement);
• une mauvaise observance thérapeutique;
• un refus du patient ou de sa famille.
Les repères des pédiatres ne sont pas toujours objectifs, mais plutôt construits sur leur vision de l’histoire de l’enfant (devenu grand), sur le parcours médical (parfois émaillé de moments très intenses d’un point de vue affectif) et donc sur une bonne connaissance du patient, de sa famille et de son environnement.
Lorsque le jeune est devenu grand, voire majeur, comment le laisser partir? Comment passer le relais, organiser le transfert, baliser le passage? Et doit-on parler de relais, de transfert ou de passage? Ces termes n’ont pas la même charge affective :
• relais est un terme utilisé par les sportifs lors d’une course. Il s’agit d’un terme qui renseigne sur un parcours à suivre. Pourrait-on se passer le patient comme on se passe le témoin lors d’une course à pied? Le relais sous-entend qu’il existe un moment de transition, durant lequel s’effectue une transmission. En revanche, après la transmission, on s’arrête; on n’est plus dans la course;
• transfert est un terme plus médicalisé qui a le mérite d’être clair dans sa définition et ses objectifs : il y a un avant et un après le transfert, et peu de transition. Ce terme évoque aussi la notion de transfert au sens psychanalytique, et donc tous les enjeux affectifs qui sont liés à la rencontre et à la relation avec l’enfant malade;
• passage est un terme qui invite à l’idée d’un chemin à suivre, d’un parcours donné. Il y a là l’idée d’une continuité. C’est le terme le plus fréquemment employé par les équipes pédiatriques. Il renseigne sur l’idée d’une préparation à la transition et donc sur la définition de «critères de maturité» permettant d’envisager un passage chez les adultes.
Une aire transitionnelle
Transitionnelle (aire)Le passage de la pédiatrie vers le service d’adultes doit se faire progressivement; il doit être préparé et doit donc être évoqué très tôt (un ou deux ans auparavant) avec le patient et sa famille, afin d’éviter tout ressenti de lâchage, tout sentiment d’abandon, tout effet de surprise. Plus l’adolescent grandit, plus il doit intégrer le fait qu’il changera bientôt de service ainsi que de médecin et d’équipe soignante. Ce passage demande de la part du jeune un détachement progressif, une émancipation, la possibilité de nouvelles rencontres.
Pour rendre ce passage progressif, des consultations conjointesConsultationconjointe sont mises en place, où pédiatres et médecins d’adultes se retrouvent le temps d’une ou plusieurs consultations. Cela permet au jeune de se familiariser avec de nouveaux locaux, de nouveaux visages, parfois de nouvelles modalités de suivi. Le nombre de consultations conjointes et leurs lieux varient beaucoup en fonction non seulement de la pathologie, mais aussi en fonction des capacités d’adaptation du jeune patient. Parfois, il s’agit plutôt de consultations alternées, un court temps pour éviter alors les confusions. Au final, aucun protocole ne semble définitif pour ce passage; il s’agit plutôt d’une adaptation au cas par cas.
Parfois, il s’agit de groupes de pairs où se rencontrent des jeunes encore en soins en pédiatrie et d’autres déjà passés chez les adultes. De même, y participent des soignants d’équipes pédiatriques et d’équipes d’adultes. Ainsi se partagent des temps de rencontre qui rassurent les jeunes patients. Ces dispositifs permettent des transitions partagées.
Enfin, des séances d’informations, des programmes éducatifs, des réunions ouvertes ou des manifestations publiques (parfois sportives) dans le cadre d’associations de patients sont parfois organisées, régulièrement, dans le cadre de réseau de soins spécifiques (centres de ressources et de compétences sur la mucoviscidose (CRCM), réseau diabète…).
Ce passage progressif est essentiel. À défaut d’éviter le sentiment d’abandon, il permet d’atténuer les angoisses de séparation et de rassurer sur l’avenir tant le jeune patient que ses parents… mais aussi les équipes pédiatriques. C’est à l’équipe pédiatrique que revient le soin d’organiser les conditions propices à l’apparition puis au développement et enfin au succès de cette initiative (Wallaert & Turck, 2002).
Différences entre unités pédiatriques et unités médicales d’adultes
Le tableau ci-dessous reprend les principales différences repérables entre des unités de soins pédiatriques et celles de médecine d’adultes.
Unités pédiatriques | Unités médicales d’adultes |
---|---|
Consultation familiale | Consultation individuelle |
Maternage | Moindre proximité affective |
Environnement protecteur – relations privilégiées Tutoiement |
Autonomie indispensable – inconnu Vouvoiement |
Présence de copains | Anonymat |
Équipe multidisciplinaire – prise en charge globale Activités éducatives et scolaires à l’hôpital |
Prise en charge limitée Hospitalisations courtes |
Aide psychosociale active | Aide psychosociale à la demande |
Petites unités – patients peu nombreux | Services surdimensionnés – nombreux patients |
Pédiatres spécialistes des maladies rares Experts pour le développement et la croissance |
Moindres connaissances et expérience des maladies infantiles rares |
Listes d’attente limitées | Listes d’attente élevées |
Un enjeu affectif
Très souvent, l’enfant malade chronique est connu du pédiatre et de l’équipe pédiatrique depuis sa petite enfance (parfois sa naissance). Un attachement très fort lie donc le patient et ses interlocuteurs et, de par les fréquentes hospitalisations et les nombreuses consultations, les équipes de soins deviennent peu à peu très familières. Elles constituent des points de repères rassurants, des points d’attaches sécurisants; certains parlent même de «deuxième famille».
La pédiatrie reste en effet un environnement protégé pour l’enfant et l’adolescent, rassurant pour les familles. L’accompagnement du patient ne s’arrête pas aux seuls soins, mais s’étend à des prises en charge globales qui permettent au jeune patient de vivre au mieux les moments difficiles de sa maladie. Les équipes pédiatriques voient ainsi grandir l’enfant, l’accompagnent dans ses souffrances, l’aident à surmonter certains obstacles, le maternent, l’écoutent et le protègent. Ce rôle maternant est fondamental pour les soins.
Au moment du passage chez les adultes, la séparation peut être vécue comme douloureuse et brutale. Un vécu de réel abandon peut être ressenti par le patient; un sentiment d’inquiétude quant à cette séparation peut être vécu par le pédiatre; un manque d’écoute et de considération peut être pensé par les équipes pédiatriques.
Une prise d’autonomie
AutonomieLes soins mis en place dans les unités d’adultes sont pensés pour des adultes responsables et autonomes, garants de leur propre cadre de vie et de leurs habitudes. Il en est ainsi pour la prise de rendez-vous médicaux, le renouvellement des ordonnances, la prévision de bilans et de certaines hospitalisations… L’adolescent devient l’interlocuteur principal du médecin; les parents sont mis à distance. Lorsque l’adolescent est suffisamment mature et autonome, ce passage est le signe d’une ouverture et d’une véritable progression; d’une évolution constructive vers le monde des adultes et vers l’avenir.
Une prise de conscience parfois brutale
Le passage chez les adultes est aussi parfois l’occasion d’une prise de conscience de la gravité de la maladie et de ses conséquences. En effet, en pédiatrie, la maladie n’est pas encore très évoluée, et les conséquences de la chronicité et d’une éventuelle mauvaise observance ne sont pas encore à l’œuvre. Pour le jeune, on verra plus tard…

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