17 Rééducation : amélioration des résultats chez les patients ayant une fracture du fémur proximal
Interrogations concernant la rééducation des patients présentant une fracture du fémur proximal
Replacer la rééducation dans le processus de soins
Principes et optimisation de la rééducation
Traduction : Yves-Pierre Le Moulec
La fracture du fémur proximal est un événement grave qui se produit fréquemment chez les personnes âgées. Pour celles qui étaient autonomes, ce type de fracture peut signifier une perte d’autonomie, et pour les patients âgés et fragiles, la fracture peut entraîner la perte de leur capacité de vivre chez eux1–3. Les fractures du fémur proximal sont parmi les blessures les plus fréquentes nécessitant une hospitalisation chez les personnes de 65 ans et plus. Le taux de mortalité hospitalière est élevé et reste constant à 1 an après la fracture4,5. Malgré les améliorations dans les procédures chirurgicales et la rééducation, cette fracture reste un défi pour le patient, sa famille et pour les professionnels de santé3,6–10. Le patient doit alors comprendre l’objectif de la chirurgie, les suites et les éventuelles complications ainsi que les consignes de rééducation. Pour les personnels soignants, il faut optimiser la communication et faciliter les transitions entre les différents services.
La réussite de la prise en charge des fractures du fémur proximal nécessite un modèle de collaboration interdisciplinaire, qui tient compte de l’ensemble des recommandations médicales et chirurgicales. Cette approche globale permet de répondre à la fois aux besoins de soins orthopédiques, médicaux et gériatriques3,10,11. Elle instaure une continuité permettant d’améliorer la prise en charge du patient et les mesures de prévention secondaire3,10,12.
Interrogations concernant la rééducation des patients présentant une fracture du fémur proximal
La rééducation après une fracture du fémur proximal est un parcours long et complexe influencé par plusieurs paramètres. Parmi ceux-ci, on retrouve : les caractéristiques du patient, la coordination des services et le coût de cette rééducation3–10–12.
Caractéristiques des patients
Les patients présentant une fracture du fémur proximal sont souvent âgés et leur prise en charge peut impliquer des aspects qui relèvent de la gériatrie. De ce fait, les déficits fonctionnel et cognitif sont des indicateurs des résultats de la réadaptation12. Les critères influençant les résultats sont : l’âge (d’autant plus si le patient a plus de 80 ans et est fragile)7, l’association de comorbidités13, la dénutrition9 le faible entourage familial14, l’existence de troubles cognitifs avant la fracture8, la dépression15,16 et la confusion postopératoire17. De plus, même si elle n’est pas un facteur prédisant de bons résultats lors de la rééducation, l’ostéoporose est un facteur important concernant la consolidation osseuse. Elle est souvent non traitée, ce qui augmente le risque de fracture du fémur proximal et l’apparition d’autres fractures10,18.
Les troubles cognitifs peuvent être liés à une confusion, une démence préexistante ou compliqués par la dépression. Ils surviennent chez environ 17 % des patients qui présentent une fracture du fémur proximal. Chez de nombreux patients, les troubles cognitifs sont identifiés au moment de l’admission à l’hôpital1,17,19. La confusion, la démence et la dépression ont une influence significative sur la qualité de la rééducation et sur la durée de l’hospitalisation19–21. Elles vont influer sur la capacité du patient de retourner à son domicile ou non14,15,22
Organisation des services de santé
Le patient qui présente une fracture du fémur proximal passera dans plusieurs services3,11,23. Il séjournera en premier lieu aux urgences puis dans le service d’orthopédie et, à sa sortie, dans un centre de convalescence ou établissement de soins de longue durée3,23.
La rééducation du patient peut se dérouler dans différents endroits. Elle est initiée à l’hôpital et peut se poursuivre à son domicile, dans un service de rééducation, un établissement de gériatrie ou une unité de long séjour11,24. Une méta-analyse25 a examiné différents types de structures pour rééduquer ces patients. Les résultats indiquent que, même une prise en charge personnalisée très poussée n’est pas forcément nécessaire, une structure multidisciplinaire avec la présence d’un gériatre a montré son efficacité.
L’accès aux structures de rééducation est variable et souvent limité. Les patients ayant une fracture du fémur proximal sont généralement âgés et fragiles, avec des comorbidités et parfois des troubles cognitifs. Ceux-ci deviennent un obstacle pour les accueillir dans une structure de rééducation dynamique qui a plutôt tendance à choisir des patients dont l’état fonctionnel est meilleur21,23. Or les patients âgés peuvent aussi bénéficier de méthodes de réadaptation optimales1,23,24,26–28.
Une rééducation optimale est influencée par le poids du patient et par sa capacité de supporter une rééducation précoce. Par le passé, les interventions chirurgicales courantes exigeaient de longues périodes de décharge en postopératoire chez les personnes âgées. Cette situation limitait beaucoup la rééducation. Les progrès dans les techniques chirurgicales ont permis une remise en charge précoce facilitant la mobilité29. Débuter une rééducation précoce chez la personne âgée après une fracture du col du fémur est fondamental. Sans cela, la perte d’autonomie sera très rapide et des patients autonomes à leur domicile ne pourront pas y retourner, et relèveront de structures de convalescence coûteuses22,23,30.
Coût des soins
La prise en charge des patients présentant une fracture du fémur proximal est coûteuse. Les principales dépenses reviennent au coût de la chirurgie et au séjour hospitalier. D’autres dépenses se rajoutent comme le placement en convalescence3,21. Au Canada, le coût annuel des fractures du fémur proximal a été estimé à 650 millions de dollars en 1996–1997. Avec une population vieillissante, le coût devrait s’élever à 2,4 milliards de dollars en 2041. Au Canada, le coût moyen pour la prise en charge de chaque patient est de 27 000 $. Ce coût peut être un peu plus faible (21 000 $) pour les patients renvoyés chez eux, et un peu plus élevé (47 000 $) lorsque le patient nécessite une prise en charge en centre de convalescence21. Les projections démographiques indiquent que la population vivra plus longtemps et atteindra un âge où les fractures le col du fémur sont courantes. Le coût de cette prise en charge sera pour les années qui viennent une source de dépense énorme31,32. Des économies sont réalisables en diminuant la durée d’hospitalisation initiale, en débutant une rééducation précoce et en développant un système d’aide permettant le retour du patient à son domicile.
Replacer la rééducation dans le processus de soins
Des progrès dans la prise en charge des fractures du fémur proximal voient le jour par l’application de recommandations et de modèles de soins intégrés3,10,12. Ces approches replacent la rééducation au centre du processus de soins en utilisant les pratiques fondées sur les preuves pour optimiser les soins, combinant les principes de gériatrie, orthopédiques, la prise en charge multidisciplinaire et une gestion efficace des flux des patients. Ces approches permettent d’améliorer la qualité et la rentabilité des soins3,10,11. Plusieurs approches spécifiques sont décrites dans les paragraphes suivants.
Recommandations SIGN pour la prévention et la prise en charge des fractures du fémur proximal chez les personnes âgées
Le Scottish Intercollegiate Guidelines Network (SIGN)3 a établi des recommandations concernant la prévention et le traitement des fractures du fémur proximal chez les personnes âgées. Elles concernent l’amélioration des soins et du passage du patient dans les différents services : (1) évaluation rapide dans les 2 heures suivant son arrivée ; (2) accès précoce à la chirurgie dans les 24 heures suivant l’admission (3) ; prise en charge multidisciplinaire pour faciliter la rééducation précoce ; (4) transfert dans une unité de réadaptation gériatrique orthopédique pour les patients présentant des comorbidités, une capacité fonctionnelle altérée et des troubles cognitifs ; (5) transfert rapide en centre ou au domicile ; et (6) réduction de la durée d’hospitalisation3. Certaines pratiques sont aussi soulignées. Par exemple, la traction fémorale doit être évitée, et une antibioprophylaxie préopératoire doit être administrée3. Enfin, un audit sur les fractures du fémur proximal a été mis en place. Il surveille les progrès avec des indicateurs établis qui permettent des comparaisons entre « ce qui se passe » et « ce qui devrait se passer », et participe ainsi à l’amélioration de la qualité des soins3,33.
Le « Livre bleu » pour les patients présentant des fractures sur os ostéoporotique
La British Orthopaedic Association10 et la British Geriatric Society ont collaboré à l’écriture d’un « Livre bleu » traitant des fractures chez les personnes âgées pour résumer les bonnes pratiques et mettre en place une prévention secondaire10. Les principaux points sont : (1) un accès rapide à une prise en charge orthopédique, (2) une évaluation rapide et complète, (3) un délai minimal d’attente avant la chirurgie, (4) une chirurgie optimale, (5) une mobilisation précoce, (6) une prise en charge multidisciplinaire, et (7) un transfert rapide au domicile ou en centre de rééducation. De plus, la prise en charge de l’ostéoporose et la prévention secondaire des fractures sont mises en avant, de même que l’évaluation et la mise en place, si besoin, d’une protection osseuse et une prévention des chutes. Un système d’évaluation des pratiques utilisant les bases de données des fractures du fémur proximal permet de surveiller et promouvoir les bonnes pratiques ainsi que la prévention secondaire des fractures10.
Modèle de réseau de soins orthopédique
Le Total Joint Network, ou réseau de soins orthopédique11, à travers un partenariat de 35 organisations (hôpitaux, centres de rééducation, y compris les programmes de gériatrie, de prise en charge de l’ostéoporose, de l’arthrose) dans la région de Toronto, s’est réuni de décembre 2005 à avril 2008 pour développer un modèle de prise en charge globale pour les patients après une fracture de l’extrémité supérieure du fémur11,34. Ce modèle améliore la prise en charge postopératoire des patients en coordonnant les soins aigus, la rééducation, la prise en charge multidisciplinaire pour redonner au patient une autonomie la plus proche possible de celle avant la fracture. L’objectif principal du modèle était de pouvoir renvoyer le patient à son domicile. Ce modèle peut se résumer ainsi : (1) l’optimisation de l’administration de soins aigus ; (2) un accès à la rééducation dès J5 postopératoire même chez les patients avec des troubles cognitifs invalidants ; (3) une évaluation et un passage de 7 à 10 jours dans un centre de rééducation en évaluant le traitement et la prise en charge gériatrique ; (4) une rééducation intensive ; et (5) une planification standardisée du retour du patient à son domicile11,12.
La mise en œuvre de ce modèle dans les 35 sites de soins de santé s’est étalée sur une période de 18 mois en incluant le temps de développement de partenariats entre les centres hospitaliers et les établissements de convalescence, une éducation ciblée sur la confusion et la démence, et un retour sur la pratique clinique à l’aide d’indicateurs de performance. Les résultats à 1 an montrent une réduction de la durée d’hospitalisation pour soins aigus, une amélioration de l’accès à la rééducation et un retour au domicile pour 80 % des patients12.
Modèle de soins pour les patients avec une fracture de la hanche
S’appuyant sur le succès de ces efforts de collaboration, le groupe d’experts orthopédiques pour l’Ontario (Orthopaedic Expert Panel for Ontario), au Canada, a développé un modèle provincial de soins pour les patients avec une fracture du fémur proximal. Ce modèle de soins favorise la réadaptation et une circulation efficace des patients dans les différents services de soins. L’objectif principal est le retour du patient à son domicile et un retour à son autonomie antérieure, ou le transfert en centre de convalescence. Les éléments clés sont les suivants : (1) une intervention chirurgicale dans les 48 heures suivant l’admission à l’hôpital ; (2) une technique chirurgicale optimisant la récupération fonctionnelle, la reprise de la marche et la mobilisation précoce ; (3) des soins optimaux permettant, pour les patients ne pouvant rentrer chez eux, un transfert dès J5 dans un centre de rééducation ; (4) un accès rapide dans les centres de rééducation, indépendamment des problèmes cognitifs ou des situations sociales complexes ; (5) une rééducation optimisée avec une évaluation rapide pendant 7 à 10 jours ; (6) une intensification de la rééducation ; (7) une transition vers d’autres programmes de rééducation pour les patients qui peuvent exiger des séjours plus longs ; (8) une planification standardisée du retour au domicile avec des aides ; (9) une prévention secondaire de l’ostéoporose et de la prise en charge des chutes ; (10) une facilitation du système de suivi pour mesurer l’accès des patients à la rééducation35. La figure 17-1 donne un aperçu du modèle et du flux des patients.
Principes et optimisation de la rééducation
• facilité d’accès et de cheminement des patients dans les différents services de soins ;
• prise en charge clinique optimale ;
Accès du patient aux soins et cheminement dans les différents services de soins
Chirurgie précoce
Un accès précoce à la chirurgie est crucial pour les patients présentant une fracture du fémur proximal. Un retard augmente la morbimortalité et diminue le résultat fonctionnel final4,5,17,36. Des études ont suggéré que pour chaque jour différé de prise en charge chirurgicale, le risque de mortalité augmente, et au-delà de 48 heures, le risque de mortalité à 1 an est doublé4,37.
La chirurgie peut être retardée pour de nombreuses raisons, et souvent du fait de la nécessité d’une prise en charge médicale avant la chirurgie. Cependant, les délais de prise en charge chirurgicale dépendent aussi d’autres facteurs, pouvant fréquemment être corrigés : le temps d’attente pour les consultations, le manque de place au bloc opératoire, la disponibilité des lits et un accès inadéquat aux ressources chirurgicales nécessaires3.
La bonne transition entre les services
Les transferts entre les services sont fréquents en cas de fracture du fémur proximal. Il s’agit de transfert intra- mais aussi extrahospitaliers. Les transferts les plus fréquents se font entre le domicile ou le centre où se trouve le patient et le service de prise en charge orthopédique. Les retards dans les transferts sont anxiogènes pour les patients et leur famille et participent à une rééducation plus difficile12,17. Des réseaux spécifiques doivent être conçus pour améliorer ces transferts10,11.
Au moment du transfert, l’état médical du patient doit être clairement établi et répondre aux critères d’admission du service receveur afin d’éviter un retour du transfert pour une prise en charge supplémentaire11,23. Les critères de stabilité pour les patients en rééducation présentant une fracture du fémur proximal sont bien établis et comprennent : des fonctions vitales stables ; une cicatrise propre sans drainage ; aucun signe d’infection ; pas de signes d’anémie ; pas de troubles urinaires et digestifs et une bonne tolérance des médicaments11,23.
Une communication efficace doit se faire à plusieurs niveaux pour faciliter les transferts entre les services. Au niveau administratif, il a été démontré que des accords de transferts formalisés facilitent la bonne transition entre les différents établissements11. Au niveau des soins, une communication efficace et le partage d’informations pertinentes concernant le patient entre les services sont nécessaires. Cependant, il est prouvé que ces informations ne sont pas systématiquement fournies ; des formulaires de transfert standardisés sont donc recommandés et ils se sont révélés des outils efficaces11,23,38. De bonnes relations entre les praticiens sont aussi utiles pour obtenir rapidement des informations et résoudre des problèmes11.
Planification de la sortie
La planification de la sortie est de la responsabilité de tous les membres de l’équipe, aussi bien les kinésithérapeutes, les ergothérapeutes, les travailleurs sociaux, les infirmières que les médecins. Elle commence par l’évaluation initiale à l’arrivée du patient aux urgences. Les évaluations sociale, physique et cognitive doivent également être effectuées afin d’identifier les capacités du patient avant la fracture. Le niveau d’aide à la personne avant la fracture est un élément important à prendre en compte3. Il est également important de connaître l’environnement quotidien du patient : bénéficie-t-il d’une aide à son domicile fournie par des membres de sa famille ou par d’autres services ? Ces informations permettront d’établir des objectifs appropriés lors de sa sortie de l’hôpital. Tout au long des premières évaluations, le patient et sa famille doivent être informés de la suite de la prise en charge concernant la fracture afin de poser d’éventuelles questions. L’identification précoce des difficultés facilitera la suite de la prise en charge pour l’équipe de rééducation et permettra de préparer la sortie du patient de la structure hospitalière et de prévoir la solution la plus adaptée pour sa convalescence à domicile ou dans une autre structure11.
Chez les patients avec peu d’antécédents, les suites opératoires sont simples et la récupération fonctionnelle est rapide. Les patients avec des conditions physiologiques plus précaires, qui présentent des troubles cognitifs ou qui ont une mobilité réduite nécessitent un programme de rééducation plus intense et relèveront d’un transfert dans un centre de convalescence. L’information du patient et de la famille est un point fondamental dans la prise en charge de ce type de fracture. Par exemple, dans le modèle de l’Ontario, les patients et les familles sont informés que tout patient qui présente une fracture du fémur proximal est admis dans un centre de traumatologie et qu’il (1) reçoit des soins chirurgicaux dans les 48 heures, (2) sera transféré dans une unité de réadaptation vers J5 postopératoire, et (3) sera renvoyé à la maison avec les services de soins à domicile si son état de santé le permet11. Cette approche facilite la confiance chez les patients et leur famille en leur permettant de s’organiser tout au long des étapes de la prise en charge.
Une visite au domicile du patient peut parfois être organisée si la sécurité du patient est en jeu. Pour les patients qui présentent des troubles cognitifs, cette évaluation peut être utile, car le niveau fonctionnel du patient peut s’améliorer s’il retourne chez lui, dans un environnement familier11.