Chapitre 17 Le poker : spécificités et facteurs de risque
Le poker est un jeu de cartes compétitif de hasard et d’adresse (Khazaal et al., 2011). Il fut inventé aux États-Unis à la fin des années 1820 (Depaulis, 2008). La variante la plus connue et pratiquée de ce jeu est le Texas Hold’em. Selon le site spécialisé Poker Players Research (2011), le nombre de joueurs de poker en ligne dans le monde augmente sans cesse pour passer de 17,8 millions en 2006 à 22,2 millions en 2010. Shead et ses collaborateurs (2008) soutiennent que la principale raison de l’engouement pour le poker est la composante réelle d’habiletés qu’implique ce jeu. Le joueur de poker ne joue pas contre la « Maison », il affronte d’autres joueurs, conservant un espoir réel de profit potentiel à long terme (Boutin, 2010 ; Schwartz, 2006 ; Bjerg, 2010). Au poker, la part du résultat laissée au hasard varie selon la force des joueurs en présence (un écart d’adresse entre eux est possible) et le nombre de mains jouées ; on parle ici de l’impact dynamique du hasard (Boutin, 2010).
Le taux de prévalence du jeu pathologique présente une grande variabilité (2 % à 18 %) selon la façon de s’adonner au poker (en ligne, en salle, tournoi, cash games, etc.), les populations étudiées, et les outils diagnostiques retenus (Ladouceur et al., 2005 ; Houle, 2008 ; Savard et al., 2008 ; Wood et al., 2007 ; Jonsson, 2009 ). On peut avancer que les joueurs de poker sur internet présentent plus de problèmes de jeu que les autres joueurs de poker (Williams et Wood, 2007).
Quelques études mettent en évidence des facteurs de risque probables pour le jeu pathologique chez les joueurs de poker (Hopley et Nicki, 2010 ; Wood et al., 2007). Par exemple, Dufour et al. (2009) rapcrtent que les joueurs de poker dépensent entre deux et cinq fois plus lorsqu’ils jouent aux cash games. Il a aussi été démontré que les joueurs pathologiques de poker estimaient moins bien les probabilités qu’un groupe contrôle de joueurs expérimentés. Les joueurs pathologiques de poker, malgré leur expérience du jeu, auraient autant de biais d’interprétation que les joueurs inexpérimentés. En somme, seuls les joueurs expérimentés non pathologiques prendraient des décisions avantageuses sur le long terme (Linnet et al., 2012). Par ailleurs, les joueurs de poker sur internet aux prises avec des habitudes de jeu problématiques rapportent une plus grande motivation à jouer afin de réguler leurs états émotionnels, obtenir de l’argent ou retirer davantage de plaisir qu’une population de joueurs sans habitudes de jeu problématiques (Lloyd et al., 2010). Les troubles de la personnalité du Cluster C (personnalités dites anxieuses et craintives) sont particulièrement représentés chez les joueurs pathologiques de poker en ligne, suggérant qu’ils pourraient constituer à la fois un facteur de risque et de complexité clinique (notamment en majorant la sévérité du problème de jeu) du jeu pathologique (Barrault et Varescon, 2012).
Au chapitre des facteurs de risque associés au poker, Wood et Williams (2009) rapportent notamment que parier sur un grand nombre de jeux, risquer de grosses sommes, avoir des problèmes de santé mentale, avoir des antécédents familiaux de problèmes de jeu, avoir un faible revenu familial, être célibataire, avoir un plus grand nombre d’idées préconçues sur le jeu, avoir une attitude négative à l’égard du jeu, et enfin, avoir déjà connu d’autres dépendances étaient des facteurs prédictifs d’un jeu problématique sur internet, quel que soit le jeu. Or, plusieurs éléments semblent inciter le joueur de poker en ligne à jouer plus, plus souvent, et plus longtemps, tels que la facilité et la rapidité d’accès, la disponibilité du jeu à toute heure du jour et de la nuit, l’argent virtuel, le confort lors de l’utilisation lié au fait de jouer depuis son domicile, l’environnement virtuel favorisant la perte de la notion du temps, le caractère interactif qui alimente une illusion de contrôle, l’anonymat de l’activité, la rapidité du jeu, la possibilité de miser des sommes très faibles et les stratégies promotionnelles (Griffiths et Parke, 2002 ; Griffiths, 2003 ; Papineau et Leblond, 2010 ; Sévigny et al., 2005). Cependant, d’autres études sont nécessaires pour confirmer la pertinence de retenir tous ces éléments comme facteur de risque avéré.
Wood et al. (2007) rapportent que les joueurs problématiques de poker sur internet sont plus nombreux que les joueurs ayant peu ou pas de difficultés avec le jeu à présenter une humeur négative après le jeu, à jouer pour fuir leurs problèmes et à mentir à propos de leur genre lorsqu’ils jouent (« gender swapping »). Une autre étude révèle que le temps passé à jouer, le phénomène de dissociation pendant le jeu, la vulnérabilité à l’ennui, l’impulsivité, et les humeurs négatives (dépression, anxiété et stress) seraient de bons prédicteurs d’un problème de jeu au poker en ligne (Hopley et Nicki, 2010). Griffiths et ses collaborateurs (2010) notent également que les joueurs problématiques de poker en ligne ont tendance à mentir à propos de leur sexe lorsqu’ils jouent, à dépenser plus que prévu (à manquer de discipline) et à jouer plus souvent sur de longues périodes de temps.
En conclusion, certains facteurs de risque probables d’un problème de jeu au poker sont actuellement connus. Toutefois, étant donné la nature corrélationnelle des études, on ne peut affirmer que ces facteurs entraînent un problème de jeu ou qu’ils n’en sont parfois que la conséquence. Par ailleurs, la plupart des études s’intéressant aux facteurs de risque du poker se font sur des populations étudiantes et sur diverses formes de jeux de poker sans en faire la différence. Une plus grande diversité des échantillons est souhaitable pour l’avenir, de même qu’une meilleure distinction quant aux jeux étudiés. Comme le soulèvent Johansson et ses collègues (2009), la connaissance des facteurs de risque permettra certainement d’améliorer les approches préventives et curatives du jeu pathologique.
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