Chapitre 16 Suivi et résultats postopératoires
Toute stratégie opératoire doit avoir une base physiopathologique (cf. chapitre 4) ; elle doit, en même temps, être légitimée par les résultats obtenus. Il est donc indispensable d’évaluer ceux-ci en suivant un protocole aussi systématique et rigoureux que le protocole préopératoire. Ce sont les résultats à long terme qui sont visés et qui comptent en définitive pour les opérés, leur famille et, bien évidemment, pour l’ophtalmologiste traitant.
Suivi postopératoire : le calendrier des examens de contrôle
Suites postopératoires satisfaisantes
Au soir de l’intervention
Après une intervention sans incidents, ni complications, l’état oculaire de l’opéré de strabisme doit être contrôlé le soir même par l’opérateur ou son assistant, à plus forte raison s’il doit quitter le service hospitalier le jour même (cf. chapitre 6). Il convient de vérifier l’état local et fonctionnel comme décrit dans le Tableau 16.1.
État anatomique local | État fonctionnel |
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S’assurer que : | Vérifier que : |
Il va de soi que les mesures appropriées doivent être prises dès ce moment en cas de complications postopératoires immédiates (cf. chapitre 15).
Lendemain de l’intervention (J1)
Un nouveau contrôle de l’état local et fonctionnel est effectué le lendemain de l’intervention (Tableau 16.2 et figure 16.1).
État anatomique local | État fonctionnel |
---|---|
S’assurer de l’hygiène des paupières Le segment antérieur de l’œil ou des yeux opérés est examiné à la lampe à fente Les fonds d’œil sont examinés en ophtalmoscopie indirecte | Un examen sous écran unilatéral permet d’évaluer l’angle manifeste résiduel de loin et de près En cas de diplopie, il peut être utile de prendre des mesures immédiates (compensation prismatique ?) |
On s’assure que le traitement topique est bien compris et appliqué |
Il convient également de donner les consignes pour le cas où des complications, infectieuses en particulier, surviendraient au cours des jours suivants, ainsi que les coordonnées du médecin qui pourra être contacté.
Première semaine suivant l’intervention (J2 à J8)
Le risque de survenue de complications infectieuses est le plus grand entre le 3e et le 5e jour postopératoire [1]. En cas de rougeur, de chémosis, de sécrétions anormales, d’un œdème palpébral, de douleurs orbitaires à la palpation et/ou à la mobilisation des yeux, l’opéré doit être examiné d’urgence pour que les mesures appropriées soient prises sans délai (cf. chapitre 15).
Si la première semaine se déroule sans incidents, ni complications, un premier bilan postopératoire anatomique et fonctionnel peut être effectué une semaine après l’intervention : J6 à J8 (Tableau 16.3).
État anatomique local | État fonctionnel |
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L’état local de l’œil ou des yeux opérés est à nouveau contrôlé : | Examen sous écran plus précis : – mesure de l’angle manifeste, c’est-à-dire minimum de loin et de près – mesure de l’angle latent, c’est-à-dire maximum de loin et de près – Examen de la motilité oculaire – vision simultanée aux verres striés Surveiller la dominance unilatérale et l’acuité visuelle après la rééducation d’une amblyopie → Reprendre, si nécessaire, la rééducation de l’amblyopie |
Un mois, six mois et un an après l’intervention
Le même bilan est répété et affiné dans les suites opératoires plus éloignées, 1 mois, 6 mois et 1 an après l’intervention, selon le protocole ci-dessus. La correction optique portée doit être réajustée dès que nécessaire (après un délai minimum de 2 mois) et optimalisée pour faciliter la réassociation binoculaire.
Deux ans après l’intervention
Au bout de 2 ans, le résultat de l’intervention peut être valablement évalué : le bilan est moteur et sensoriel (cf. infra).
Au-delà de deux ans après l’intervention
Au-delà de 2 ans après l’intervention et si le résultat optimal a été atteint, l’opéré doit encore être contrôlé chaque année s’il s’agit d’un enfant : le but de ces examens est de veiller à la stabilité sensorimotrice, en réajustant régulièrement la correction optique et en prenant, au besoin, les mesures binoculaires appropriées (verres progressifs, compensation prismatique, voire intervention complémentaire). Cet accompagnement orthoptique (« l’orthoptique d’accompagnement ») est essentiel jusqu’à l’adolescence, voire l’âge adulte, pour consolider le résultat binoculaire acquis.
Résultat moteur insatisfaisant
Si malgré tout le soin apporté, le résultat moteur est insuffisant après un premier temps opératoire à court, moyen ou long terme, il faut reprendre sans délai le traitement, envisager l’éventualité d’une reprise opératoire, évaluer la probabilité d’améliorer le résultat fonctionnel et donc, son utilité, et reprendre ensuite, le sujet ayant été réopéré, l’accompagnement postopératoire.
Évaluation des résultats
Résultats immédiats et résultats tardifs : la stabilisation des effets opératoires
S’agit-il d’un effet de dérive [2–5] ou de stabilisation du résultat ?
Pourquoi le résultat postopératoire immédiat n’est-il pas définitif ?
Ce que l’on qualifie parfois, à tort, de « tassement » de l’effet opératoire – d’une myopexie postérieure ou de la surcorrection immédiate d’une exotropie, par exemple – ne résulte pas d’un remaniement à l’endroit des sutures, mais de la régression de l’hystérèse musculaire postopératoire, due à la traction effectuée sur les muscles au cours de l’intervention et du retour des muscles à leur tonicité passive normale, ainsi que du réajustement innervationnel consécutif au rééquilibrage musculaire. C’est pourquoi le résultat d’une intervention ne peut être jugé qu’après un certain délai, c’est-à-dire après la stabilisation de l’effet opératoire. L’effet à viser n’est pas l’effet immédiat, mais l’effet éloigné (c’est pourquoi Isenberg et Pukrushpan recommandent une légère surcorrection en cas de sutures ajustables).
Après combien de temps peut-on considérer que le résultat moteur est stabilisé ?
Il peut l’être au bout de quelques mois, mais pour en être certain, il faut un recul de 2 ans au moins ; c’est le délai nécessaire, de manière générale, pour juger valablement les résultats moteurs postopératoires, que le résultat soit bon ou satisfaisant ou, au contraire, incomplet ou insuffisant ; dans ce dernier cas, il n’est pas toujours nécessaire de laisser passer ce délai avant d’envisager une reprise opératoire.
Les résultats sensoriels ne peuvent pas non plus être acquis dès le lendemain de l’intervention. La vision binoculaire ne se restaure pas instantanément, même en cas de bon résultat moteur. Elle se stabilise plus rapidement lorsque les potentialités sensorielles sont normales. Elle s’améliore très progressivement au cours des premières années postopératoires au rythme de la plasticité neuronale, à la condition que le résultat moteur reste stable, lorsque ces potentialités sensorielles sont anormales. Elle ne peut être valablement évaluée qu’après un délai d’au moins 2 ans.
Évaluation des résultats moteurs
Il n’est pas possible de caractériser l’état moteur postopératoire par un seul chiffre, pas davantage qu’il n’est possible de le faire pour la déviation préopératoire. Chaque fois que l’on veut évaluer le résultat moteur, il faut effectuer quatre mesures, œil droit et œil gauche fixateur de loin et de près (Tableau 16.4), celles de :
• l’angle minimum de loin et de près, mesuré au moyen d’un bref test de l’écran unilatéral (représentant les angles manifestes, c’est-à-dire les tropies résiduelles) ;
• l’angle maximum de loin et de près, mesuré au moyen du test de l’écran alterné et des prismes (représentant les angles latents ou plus ou moins intermittents, c’est-à-dire les phories ou les tropies intermittentes résiduelles).
Loin | Près | |
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Angle minimum | ||
Angle maximum |
Il est essentiel de déterminer quels sont les angles que le sujet opéré utilise spontanément de loin et de près, car c’est sur eux qu’il construira sa nouvelle relation binoculaire ; celle-ci sera d’autant plus performante que ces angles seront plus petits, la binocularité étant angle-dépendante.
Les angles résiduels manifestes (minimum) et latents ou intermittents (maximum) sont mesurés dans les positions les plus utilisées du regard, c’est-à-dire en position primaire en vision de loin et en position de lecture en vision de près, et dans les deux cas, œil droit et œil gauche fixant, le sujet portant la correction totale de son amétropie [6,7].
Les résultats doivent également prendre en compte l’éventualité d’incomitances résiduelles :
• une déviation verticale associée, même minime, manifeste ou latente, dans les directions principales du regard, c’est-à-dire en position primaire de loin et en position de lecture de près ;
• les incomitances résiduelles dans les versions : les limitations de la motilité, les incomitances verticales ou obliques, alphabétiques en A ou en V ;
• une divergence verticale dissociée ;
• les désordres associés, notamment un torticolis ou un nystagmus.