16 Prise en charge de la confusion postopératoire
Traduction : Yves-Pierre Le Moulec
Définition
Le diagnostic de confusion (ou état confusionnel aigu ou delirium ou encore délire) est clinique et repose sur une observation attentive de ses principales caractéristiques. Les critères diagnostiques concernant le delirium, décrits dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM ; Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), évoluent de façon régulière1–3. La confusion se manifeste par : une incapacité de mobiliser son attention ; des troubles cognitifs et de la perception qui ne sont pas expliqués par une démence préexistante ; l’apparition des symptômes sur une courte période et une fluctuation au cours de la journée ; enfin, la preuve que ce trouble est causé par un état physiologique dégradé3.
Les différents délires peuvent être classés en fonction des symptômes psychomoteurs : hyperactivité-hypervigilance, hypoactivité-hypovigilance ou mixtes4. Dans le délire hyperactif, le patient peut avoir un niveau de vigilance plus élevé, avec nervosité, agitation, hallucinations, ou un comportement inapproprié. Dans un délire hypoactif, le patient peut être léthargique, avec une activité motrice réduite, un discours incohérent ou un manque d’intérêt. Le délire mixte est une combinaison de signes d’hyperactivité et d’hypoactivité.
Épidémiologie
Beaucoup de patients âgés hospitalisés deviennent délirants, et le taux de mortalité hospitalière chez ces patients atteints de délire est de 25 à 33 %5,6. Dans une revue de la littérature des études prospectives chez les patients atteints d’une fracture de l’extrémité supérieure du fémur, l’incidence du délire postopératoire variait de 4 à 53,5 %7. La répartition des délires hyperactifs ou hypoactifs n’est pas connue chez les patients ayant une fracture de l’extrémité supérieure du fémur8,9.
En plus du décès, la confusion est associée à un plus long séjour hospitalier, une augmentation des infections nosocomiales, la persistance de troubles cognitifs, une mauvaise récupération fonctionnelle, et une augmentation du temps d’alitement6,10–13. L’estimation du coût supplémentaire chez un patient confus est de 16 303 $ à 64 421 $ (dollars américains en 2005) par patient et par an14.
Physiopathologie
Une carence cholinergique est l’explication de l’hypothèse de la perturbation de la neurotransmission. Un traitement anticholinergique peut entraîner des symptômes plus marqués de confusion15. Un excès de dopamine ou de noradrénaline, une carence en mélatonine, une variation de la sérotonine sont également impliqués en raison de leur interaction avec l’acétylcholine16–18.
Dans l’hypothèse inflammatoire, la confusion est considérée comme une réponse du système nerveux central à l’inflammation systémique durant laquelle la barrière hémato-encéphalique est compromise19. Les cytokines peuvent également contribuer à la confusion. Peuvent être en cause, en particulier, l’interleukine-1 (IL-1), l’IL-2, l’IL-6, et le tumor necrosis factor-α (TNF-α)20–22.
Le stress active le système nerveux sympathique et l’axe hypothalamo-hypophyso-corticosurrénalien. Ce processus, en retour, augmente le taux de cytokines et du cortisol23. Les patients âgés présentant une confusion postopératoire ont un taux élevé de cortisol21.
Diagnostic
Bien que les critères de diagnostic de la confusion se trouvent dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), un instrument simple peut être utilisé pour faire le diagnostic. L’outil le plus largement utilisé est la méthode d’évaluation de la confusion (MEC ou Confusion Assessment Method [CAM]). L’outil a été validé par le collège de gérontopsychiatrie fondé sur la troisième édition révisée du DSM pour permettre aux cliniciens non-psychiatres de diagnostiquer rapidement et précisément la confusion après des tests cognitifs rapides. La MEC peut réalisée en 5 minutes24.
La MEC comporte un algorithme de diagnostic pour permettre l’identification de la confusion. Il permet d’évaluer la présence, la sévérité, et la fluctuation des neuf caractéristiques de la confusion : apparition soudaine, inattention, désorganisation de la pensée, altération du niveau de conscience, désorientation, troubles de la mémoire, troubles de la perception, agitation ou ralentissement psychomoteur, modification du cycle veille–sommeil. L’algorithme de la MEC est fondé sur quatre éléments centraux de la confusion : (1) apparition soudaine et évolution fluctuante, (2) inattention (3), désorganisation de la pensée, et (4) altération du niveau de conscience. Le diagnostic de confusion nécessite la présence des caractéristiques 1, 2 et 3 ou 424 (tableau 16-1).
Caractéristique 1 : apparition soudaine et fluctuation des symptômes Ces informations sont généralement obtenues auprès d’un membre de la famille ou d’une infirmière qui répond positivement aux questions suivantes : Y a-t-il un changement de comportement du patient ? Est-il fluctuant avec une augmentation et une diminution des symptômes ? |
Caractéristique 2 : inattention Le patient a-t-il de la difficulté à maintenir son attention ? Par exemple, est-il distrait ? Ou a-t-il des difficultés à retenir ce qu’on lui dit ? |
Caractéristique 3 : désorganisation de la pensée Le patient a-t-il une pensée désorganisée ou incohérente, avec une conversation décousue ou non pertinente, illogique, ou en sautant du coq à l’âne ? |
Caractéristique 4 : altération du niveau de conscience Cette altération est présente si une autre réponse que « alerte » est donnée à la question suivante : Dans l’ensemble, comment évalueriez-vous le niveau de conscience de ce patient ? Alerte (normal), vigilant (hyperalerte), léthargique (somnolent mais facilement réveillable), stupeur (difficile à éveiller), ou coma (impossible à éveiller). |
Adapté d’après Inouye SK, Van Dyck CH, Alessi CA, et al. Clarifying confusion : the confusion assessment method. A new method for detection of delirium. Ann Intern Med 1990 ; 113(12) : 941–8.
La MEC a été validée dans de multiples contextes et différentes langues. Elle a une sensibilité de 94 % (intervalle de confiance [IC] à 95 %, 91 à 97 %), une spécificité de 89 % (IC 95 %, 85 à 94 %), et une fiabilité interobservateurs élevée (kappa, 0,7 à 1,0)25.
Facteurs de risque
Facteurs préexistants liés au patient
Les facteurs de risque de confusion postopératoire sont : l’existence de troubles cognitifs, l’âge, la faible mobilité, la déficience sensorielle, la dépression, la consommation de psychotropes en préopératoire, les antécédents psychiatriques et l’institutionnalisation26. Le temps d’attente prolongé entre la fracture et la prise en charge chirurgicale augmente le risque de confusion postopératoire27.
Un modèle permettant de prédire la survenue d’un syndrome confusionnel postopératoire a été élaboré28. D’après ce modèle, les facteurs de risque sont évalués à l’admission. Un point est attribué à chacun des quatre facteurs de risque présents ; déficience cognitive mesurée en utilisant l’examen Mini-Mental State (score < 24 indiquant une déficience cognitive) ; déficience visuelle binoculaire définie comme la vision de près inférieure à 20/70 après correction en utilisant un test normalisé de Snellen ; une pathologie grave mesurée en utilisant l’Acute Physiological and Chronic Health Evaluation II (APACHE II) (un score > 16 indique une maladie grave) ; et déshydratation (urée sanguine/créatinine ≥ 18). Dans ce modèle, le risque faible, intermédiaire et élevé de confusion est défini comme, respectivement, la présence d’aucun facteur de risque, d’un ou de deux facteurs de risque, ou de trois ou quatre facteurs de risque. Ce modèle a été validé dans une étude prospective chez des patients opérés d’une fracture de l’extrémité supérieure du fémur âgés de plus de 70 ans. L’incidence du délire a été de 3,8 % dans le groupe à faible risque, de 11,1 % dans le groupe à risque intermédiaire, et de 37,1 % dans le groupe à risque élevé29 (tableau 16-2).
Un point est attribué, à l’admission, pour chacun des quatre facteurs de risque présents : 1. Trouble de la vision (vision binoculaire de près inférieure à 20/70 après correction) 2. Présence d’une maladie grave (score APACHE > 16) 3. Déficience cognitive (examen Mini-Mental State à l’admission < 24/30) Stay updated, free articles. Join our Telegram channelFull access? Get Clinical TreeGet Clinical Tree app for offline access |