16. Les mécanismes de défense du patient face à ses angoisses

‘avais une patiente qui venait de subir une opération et dont l’hémoglobine était tombée très bas après cette opération. Les médecins disaient qu’il fallait la transfuser. Deux médecins en parlent avec elle. J’étais là. La patiente répond : « je ne pense pas que je suis malade, tout va très bien. J’ai pas besoin de transfusion. J’ai déjà été dans cet état. C’est rien du tout. Une bonne bouteille de vin rouge et un steak, c’est ça qu’il me faut. » Le taux d’hémoglobine continuait de descendre et la patiente refusait toujours les transfusions en disant qu’elle n’était pas malade et que tout était très bien. Dans le service, les infirmiers tournaient beaucoup. Un jour, arrive un infirmier très « carré » qui ne connaissait pas cette patiente. Il s’étonne du taux très bas d’hémoglobine de la patiente et lui demande pourquoi elle n’est pas transfusée. La patiente répond : « On ne m’en a pas parlé, personne ne m’en a parlé. On ne me dit jamais rien d’ailleurs et on ne m’écoute pas. Ce sont tous des incompétents dans ce service. », alors qu’elle avait refusé la transfusion. Heureusement, le passage des deux médecins et le refus de la patiente avaient été consignés dans son dossier, sinon, je me serais fait disputer. J’avais du mal avec elle, parce qu’elle me disait sans cesse que, si elle ne pouvait pas sortir de l’hôpital et qu’elle n’allait pas mieux, c’était ma faute, c’est que j’étais incompétente. À chaque fois que j’essayais de lui expliquer quelque chose, elle se mettait à sonner violemment l’infirmier responsable de l’équipe en disant que je lui racontais n’importe quoi. Au bout d’un moment, je ne tenais plus dans le service. Comment on peut réagir ? Est-ce que je peux lui dire qu’on n’a pas à se prendre tout et n’importe quoi dans la figure ? Comment ne pas être agressif ? »






Les mécanismes de défenses s’enchevêtrent. La dénégation (« je ne pense pas que je suis malade. Tout va très bien. ») se mêle à la projection agressive consistant à projeter la cause de son mal sur la jeune infirmière en la traitant d’incompétente. C’est plus facile pour la patiente de penser que, si elle ne guérit pas c’est parce qu’elle est mal soignée, que d’accepter qu’elle nécessite des soins du fait d’un état de santé dégradé qui l’angoisse et lui fait peur. Le risque de la projection agressive, lorsqu’il n’est pas analysé par le soignant comme un comportement défensif de la part du patient, c’est que le patient risque d’être détesté par les membres de l’équipe soignante qui se sentent attaqués dans leur savoir-faire et parfois dans leur être. En réalité, c’est un signal d’appel vital qui est lancé là par la personne. Il est très nocif d’y répondre par de l’agressivité car cela ne ferait que développer une montée de la violence qui n’arrangerait rien dans la relation ni dans l’amélioration de l’état du patient. Tenter de prendre les choses avec humour, quand c’est possible, ne pas répondre sur le même plan, parfois conserver un silence réprobateur pour montrer à la personne qu’elle va trop loin ou bien dire posément que l’on repassera lorsqu’elle sera plus disposée au dialogue peuvent rétablir une relation porteuse et bénéfique dans le cadre du soin plutôt qu’une incompréhension réciproque faite de malentendus dans son fondement. En effet, ce n’est pas la personne du soignant qui est attaquée mais ce qu’il représente de la situation du malade. Il ravive la réalité de la maladie par sa présence seule. L’agression est liée au transfert (voir Fiche 10, page 155) où le soignant est confondu avec la maladie.




◗ La régression


Cette expression désigne un retour à une position liée à l’infantile, à des stades archaïques de la vie libidinale afin d’y retrouver une satisfaction fantasmatique susceptible de protéger le sujet de l’extrême déplaisir, de la souffrance générant une forte angoisse consécutive à l’annonce de la maladie.

Certains malades, incapables de faire face à la maladie, vont se protéger en n’existant plus qu’à travers la maladie. C’est une façon de surmonter la rupture avec leurs activités antérieures à leur hospitalisation auxquelles ils ont dû renoncer, parfois avec douleur. Comme ils ont du mal à supporter cette rupture (sociale, affective, narcissique), ils vont régresser, abandonnant toute autonomie et volonté pour se laisser totalement prendre en charge comme des enfants dans une complète dépendance au soignant et une extrême passivité. C’est le patient en apparence « obéissant », mais qu’y a-t-il derrière cette attitude ? Souvent des angoisses terribles et des frustrations intolérables.

Adopter un comportement de lâcher prise total par rapport à la réalité de la situation de soin et de la maladie, en laissant aux soignants l’omnipotence de tout décider, est une défense qui permet au patient de ne pas penser à son mal, à sa souffrance. C’est une sorte d’abnégation pour repousser l’angoisse. Comme une mise entre parenthèse de l’être en attendant qu’il puisse faire face à ce qui lui arrive. L’infirmier est alors mis à la place de la « bonne mère » susceptible de comprendre, d’étayer son patient.

Ce mouvement est temporaire puisqu’il correspond à des moments de souffrances aiguës et difficiles à communiquer autrement que par cette attitude. Le tout pour le soignant est de ne pas croire qu’il s’agit d’une soumission du patient à sa maladie et de ne pas penser que ce dernier l’a acceptée sans broncher et avec courage. En fait, il n’y fait pas face et, le moment régressif passé, il se peut qu’il soit en proie à de la colère, à un sentiment d’injustice profonde qui peuvent surprendre si l’on pensait que la personne malade était résignée.


◗ La fantasmatisation


Il s’agit pour le soigné de tenter de mettre un sens sur ce qui lui arrive et de combattre parfois un fort sentiment d’injustice : « pourquoi moi ? ». Le sujet va alors développer des réactions, des explications sur les raisons de sa maladie et les causes de son apparition. Ces explications lui rendront plus facile l’acceptation de son état, puisqu’il leur aura trouvé un sens acceptable à ses yeux. C’est un remaniement psychique, en tant que mécanisme de défense, permettant au malade d’intégrer son mal en donnant un nouveau sens, subjectif, à ce qui survient dans sa vie et la bouleverse. Ce « savoir » subjectif qu’il substitue au savoir médical, parfois trop lourd à supporter, insensé, source de culpabilité, donne une explication aux choses plus aisée à élaborer psychiquement. Voici un exemple :

« B9782294701924500168/u16-02-9782294701924.jpg is missingne femme d’environ 50 ans ne va jamais chez le gynécologue, ne fait jamais de mammographie alors que sa mère est décédée d’un cancer du sein. Sa fille unique part en Australie. Cette femme déclare un cancer du sein et dit que c’est uniquement dû au départ de sa fille, c’est l’unique raison, parce qu’elle a toujours été en très bonne santé jusque là. C’est la faute de sa fille. Cette femme ajoute : « La preuve, on va m’enlever le sein gauche, c’est le sein du cœur ». »

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May 9, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 16. Les mécanismes de défense du patient face à ses angoisses

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