16: Le psychiatre d’enfant et d’adulte

Chapitre 16 Le psychiatre d’enfant et d’adulte




Cursus académique et trajectoire professionnelle




Il est difficile d’expliquer à des non-initiés ce que peut bien faire un psychiatre dans une maternité, temple absolu du bonheur et de la vie dans notre imaginaire collectif. Pourtant, l’entrée dans une maternité plonge dans un abîme de sensations, d’émotions, de pensées fortes, bouleversantes, dérangeantes, mobilisatrices, sidérantes, où se mêlent sans cesse l’émerveillement et le désespoir, la vie au-dessus de tout, triomphante le plus souvent, et la mort dans un rappel permanent de notre finitude.


La présence de psychologues dans les équipes est aujourd’hui acquise dans de nombreuses maternités et témoigne de la reconnaissance et de la prise en compte de la dimension psychique de la grossesse et du post-partum.


Il est plus rare qu’un service de maternité se soit doté d’un poste de psychiatre. Dans la majorité des cas, le psychiatre ou pédopsychiatre intervient à la maternité dans le cadre d’une activité de liaison d’un secteur de psychiatrie adulte ou d’un intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile. Certaines maternités font appel à des psychiatres installés en libéral pour un avis ou un suivi spécialisé.


Les « psy » travaillent en lien avec les autres professionnels de la naissance qu’ils soient dans l’intra- ou extra-hospitalier, sur le secteur, dans les PMI, en libéral…, et participent au réseau de soins périnatal.


Mon activité de liaison s’inscrit dans un projet d’intersecteur102 au sein duquel a été particulièrement développée toute la dimension du soin périnatal : liaison en maternité, en néonatalogie et en réanimation néonatale, unité mère–bébé de quatre lits au fonctionnement autonome non sectorisée, et unité de parentalité sectorisée. La mission est d’accompagner un projet d’enfant, que ce projet soit en cours de gestation, que l’enfant soit né, dans l’installation des premiers liens parents–bébé, ou que la grossesse se soit interrompue. Cela peut être aussi avant la conception, en particulier dans les situations de PMA, mais ce sujet n’est pas traité dans cet ouvrage.



Devenir pédopsychiatre en maternité : formation et cheminement


Depuis le début de l’internat en psychiatrie jusqu’à franchir les portes d’une maternité, il y a des années de formation absolument nécessaires tant en psychiatrie adulte qu’en pédopsychiatrie, mais il y a aussi et surtout la nécessité d’un cheminement personnel qui ouvre à la connaissance de soi pour être à l’écoute de l’autre.


Les études médicales ne préparent pas à devenir psychiatre en maternité. Un psychiatre est un médecin. Le choix de la spécialité s’opère à la fin des six années d’études médicales et comprend quatre années de spécialité dont une année de pédopsychiatrie. L’apprentissage du métier se fait par immersion totale auprès des patients lors des stages cliniques et l’étude plus théorique se fait lors de séminaires hebdomadaires et surtout par ses propres recherches et par un travail personnel. La sémiologie psychiatrique s’apprend dans les livres, mais pas la manière d’entrer en contact avec le patient qui souffre psychiquement, qui s’agite, qui délire, qui ne demande rien replié sur lui-même dans une indifférence totale, ou dans une douleur envahissante. Le métier s’apprend au fil des rencontres avec les autres mais aussi, surtout, dans la rencontre avec soi-même, à l’écoute de ses propres mouvements émotionnels et psychiques. Ce détour par soi, provoqué par la rencontre avec l’autre, différent mais un peu semblable, reste indispensable, parce que notre outil de travail, c’est nous-même, notre esprit, notre tête et notre âme. Aucun psychiatre ne fonctionne comme un autre, chacun entend son patient avec son écoute subjective, ce qu’il peut entendre ou ne pas entendre dans le discours de son patient.


Au cours de ses études, le psychiatre apprend, comme dans les autres spécialités médicales, à faire un repérage sémiologique des troubles et à poser un diagnostic. Il doit ainsi connaître les signes de la dépression, de la schizophrénie et des autres pathologies mentales. Il doit savoir repérer si le patient est psychotique, névrotique ou dans un fonctionnement limite, narcissique. Il doit aussi évaluer la gravité des troubles et organiser avec les autres professionnels concernés une stratégie thérapeutique en ambulatoire ou en hospitalisation libre ou sous contrainte.


Le psychiatre doit savoir gérer, en lien avec l’obstétricien et le pédiatre, la prescription médicamenteuse pendant la grossesse et le post-partum avec les précautions indispensables pour l’utilisation des psychotropes en particulier chez la femme enceinte ou chez la femme qui souhaite allaiter : les antidépresseurs, les antipsychotiques, les hypnotiques, les anxiolytiques, les thymorégulateurs, etc., avec leurs indications, leurs contre-indications, les effets indésirables, les interactions médicamenteuses, les risques tératogènes et les risques liés à l’imprégnation fœtale.


La formation initiale de base, au cours de l’internat, permet d’accéder à la spécialité de psychiatrie polyvalente. Il est possible de poursuivre ensuite d’autres spécialisations. Une année supplémentaire est nécessaire, dont un semestre en pédiatrie, pour obtenir la qualification de pédopsychiatre.


Là encore, le champ de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent est vaste, et la tendance actuelle est de se sur-spécialiser dans des domaines tels que l’adolescence, l’enfance, la périnatalité selon l’âge des enfants, ou dans l’autisme, dans les troubles des apprentissages, la psychosomatique, etc., selon l’expression des troubles. S’orienter en périnatalité implique de se former à la découverte du processus de parentalité pour être à l’écoute de la femme devenant mère, de l’homme devenant père, du couple, de l’environnement familial, culturel et social qui les unit et les entoure et du développement du bébé.


La maternité est un lieu d’exercice où « le psy » rencontre des femmes âgées entre, environ, 13 et 45 ans, dans toutes les configurations psychologiques et psychopathologiques possibles au moment où elles sont engagées dans le processus de parentalité. Il y a un bébé à naître et c’est donc dans une polyvalence d’attention aux personnes et aux liens qui les unissent (liens parents–enfant, du couple, de la famille) que se situe le pédopsychiatre en lien avec les autres professionnels impliqués dans le suivi.


Toutes les études théoriques en psychiatrie sont essentielles et apportent un référentiel de base, mais rien ne prépare à la rencontre avec la violence et les drames qui se déroulent quotidiennement dans les maternités. Rien ne prépare à recevoir un couple effondré par l’annonce d’une malformation non viable chez leur fœtus tant désiré et qui vont vivre un accouchement dans le cadre d’une interruption médicale de grossesse, ni à faire face au désespoir d’une femme effondrée devant son bébé alors que médicalement tout va bien, à la violence des couples qui se déchirent dans la chambre en suites de couches, à l’indifférence d’une mère face à son bébé, ou à la violence de ses gestes envers lui, etc.



La psychiatrie de liaison


C’est un exercice particulier par sa dynamique propre : aller vers l’autre. Le psychiatre se déplace hors les murs de son bureau pour aller vers la patiente qui peut être hospitalisée, en suites de couches, dans le service des grossesses à haut risque, en gynécologie, dans une unité kangourou, ou aux urgences. Habituellement, les patients demandent un rendez-vous de consultation et le psychiatre reçoit dans son bureau (unité de temps et de lieu sécurisant). En liaison à la maternité, la demande de consultation émerge le plus souvent d’un professionnel (obstétricien, sage-femme, infirmière, pédiatre, assistante sociale, etc.) qui propose à une femme et/ou à un couple de nous rencontrer. Dans mon expérience, peu de femmes demandent spontanément à rencontrer un psychologue ou un psychiatre au cours de leur suivi de grossesse ou en suites de couches. Celles qui font cette démarche, ont souvent eu antérieurement une expérience rassurante auprès d’un confrère. La demande est médiatisée par un autre professionnel et les refus de nous rencontrer sont très rares. Chaque femme est libre d’accepter ou de refuser un entretien, à nous d’ajuster ensuite notre intervention. Pour la majorité des patientes, c’est la première fois qu’elles ont l’opportunité de rencontrer un « psy » et de parler d’elles.


L’image du psychiatre étant encore souvent associée à celle de la folie, il est toujours nécessaire d’expliquer ce qui motive cette rencontre. Il est tout aussi essentiel de parler vrai, c’est-à-dire de se présenter dans sa fonction de psychiatre ou de pédopsychiatre et de ne pas recueillir d’informations intimes si la femme ne sait pas à qui elle parle. Il est tout aussi essentiel de préciser son cadre d’intervention car travailler en liaison en intra-hospitalier, implique une durée limitée dans le temps (grossesse et, le plus souvent, quelques semaines après la naissance, parfois plus), mais aussi un travail de liens avec l’équipe pluridisciplinaire du service, dans le respect des règles de transmission (Carel, 2003) (cf p. 260 et 261). L’objectif commun est d’accompagner une femme ou un couple vers la naissance de leur enfant et de soutenir l’installation des premiers liens ou d’accompagner la femme ou le couple au cours des aléas du parcours obstétrical. Le psychiatre de liaison ne se substitue pas au psychiatre des secteurs de psychiatrie adulte ou au psychiatre installé en libéral, même si au moment de la rencontre à la maternité, la femme qui présente un trouble mental est en rupture de soins depuis des mois ou des années.


Dans certains secteurs de psychiatrie, comme en Angleterre, ce sont des psychiatres d’adulte qui, préoccupés par l’impact, sur le développement des enfants, d’un trouble psychiatrique maternel, se sont engagés en périnatalité.



Une expérience professionnelle dense et difficile


C’est un travail dur par l’impact émotionnel des situations même « banales » et a fortiori des urgences physiques, psychiques et émotionnelles, par l’imprévisibilité des rencontres dans un temps imposé par les impératifs médicaux et économiques. C’est un travail qui met à l’épreuve ses capacités de réceptivité et de contenance, en particulier dans des moments de plus grande vulnérabilité, comme lors de ses propres maternités.


Après plusieurs années, toutes ces expériences partagées avec ces familles, ces femmes et ces hommes, il devient évident qu’être professionnel dans une maternité, à l’instar du bébé en construction, bouleverse et fait cheminer personnellement et humainement.


Je me suis souvent demandée, dans des moments d’épuisement et de débordement émotionnel, quel était le moteur de cette motivation, toujours actuelle, de travailler, avec ce rythme si soutenu, en maternité. Avant tout, il m’a semblé qu’après toutes ces années, je gardais la capacité d’émerveillement que me procurent la naissance d’un enfant et tout le potentiel d’ouverture au monde qui s’offre à lui. Il ne s’agit pas, bien sûr, d’être idéaliste, car il n’y a pas d’égalité des chances à la naissance. En effet, personne ne choisit sa famille, ni le moment de sa naissance et chaque bébé a son histoire intra-utérine. Certains ont déjà eu, avant même leur naissance, un parcours intra-utérin difficile, soit du fait de problèmes médicaux, soit du fait d’événements imprévus, soit encore, parce qu’ils n’étaient pas attendus. Certains berceaux sont moins doux et moins accueillants que d’autres. Mais intervenir en maternité, c’est penser qu’il y a toujours du possible, et que des rencontres signifiantes et structurantes peuvent déjouer des répétitions mortifères pour ouvrir une nouvelle trajectoire de vie.



Fragments cliniques du quotidien en maternité



Une intervention ponctuelle en suites de couches : Madame G.


Madame G. vient d’accoucher de son deuxième enfant. La deuxième nuit, l’auxiliaire de puériculture entend cette jeune mère crier sur son bébé qu’elle ne le voulait pas. Madame G. lui dit qu’elle se sent oppressée et très fatiguée. Le matin, la sage-femme, qui a eu la transmission de la nuit, tente de parler avec elle. Madame G. s’effondre en larmes, se sent très culpabilisée d’avoir tenu de tels propos et dit avoir voulu cet enfant. La sage-femme lui propose de me rencontrer. C’est une très belle jeune femme, de bon contact, qui tient son bébé dans les bras, et dans une bonne attention à son bébé. Elle me dit : « J’ai vu mon mari et ma fille partir et ça m’a déchiré le cœur. » Sa fille est âgée de 20 mois et elle y est très attachée. Elle a voulu avoir un autre enfant parce qu’ « elle était, elle-même, enfant unique et qu’elle s’est beaucoup ennuyée dans son enfance ». Je fais alors l’hypothèse que cette image du père qui part avec sa petite fille laissant la mère seule renvoie à une image du passé. Elle pleure de voir que sa fille a changé depuis la naissance du bébé, qu’elle râle, et s’oppose. Elle a peur de ne pas la retrouver comme avant et pense que peut-être elle n’aurait pas dû faire un autre enfant si vite. Elle poursuit l’entretien, marque une pause et me dit : « Ma mère m’a abandonnée quand j’avais 10 ans. Elle ne m’a pas dit qu’elle partait. C’est ma grand-mère qui me l’a annoncé. » Elle est élevée par son père et décrit leur relation comme un « amour fou ». Quand il se remarie, elle a 12 ans. La relation avec la belle-mère n’est pas bonne, « cette femme ne me voulait pas » me dit-elle. Elle vit un deuxième abandon, et va mal. Sur la proposition d’un pédopsychiatre rencontré alors, elle est confiée à ses grands-parents. On peut penser avec ces éléments, que lorsque Madame G. voit partir sa fille avec son conjoint, elle se sent à la fois comme la petite fille abandonnée par sa mère en identification à sa fille et comme la mère frustrante qui abandonne en identification à sa propre mère, mais elle se retrouve aussi face à une relation père–fille qui lui échappe et qu’elle a le sentiment d’avoir perdu quand son père s’est remarié. Elle s’effondre.


Depuis, et à la naissance de sa fille, elle a renoué des liens avec sa mère et lui a pardonné, indique-t-elle. Elle me dit que c’est sûrement pour cela qu’elle a du mal à se séparer de sa fille. Elle se sent mieux en fin d’entretien et elle est d’accord pour venir consulter après la sortie de la maternité. La première phrase de l’entretien condensait toute la problématique abandonnique de cette jeune femme. Ses capacités de mettre en mots sa souffrance témoignant de ses possibilités de mentalisation font penser qu’elle a reçu du bon auprès de sa mère pendant les premières années, de son père et de ses grands-parents ensuite et qu’une psychothérapie pourra être proposée.

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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 16: Le psychiatre d’enfant et d’adulte

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