La rotule douloureuse non arthrosique
Non-osteoarthritic patellar pain
Résumé
Les rotules douloureuses non arthrosiques, sans pathologie fémoro-tibiale associée, sont très fréquentes. Les douleurs rotuliennes s’associent souvent à une instabilité subjective du genou. Les douleurs rotuliennes n’ont pas de rapport évident avec les lésions macroscopiques du cartilage rotulien. Mais les douleurs rotuliennes peuvent être expliquées par des lésions microscopiques intracartilagineuses. Ces lésions cartilagineuses seraient la conséquence d’une hypersollicitation du cartilage rotulien. Les désordres d’origine osseuse et/ou musculo-aponévrotique de la mécanique frontale et sagittale de l’articulation fémoro-patellaire pouvant être à l’origine de l’hypersollicitation du cartilage rotulien sont étudiés. Les imageries permettant de les reconnaître sont rappelées. Les différentes possibilités thérapeutiques non opératoires et surtout opératoires pour lutter contre les douleurs rotuliennes sont décrites. Le choix entre les différentes thérapeutiques chirurgicales est proposé en fonction des désordres mécaniques retrouvés ; les gestes directs sur le cartilage sont discutés. La prudence dans les décisions thérapeutiques est rappelée : en effet, il existe incontestablement, à côté des facteurs mécaniques pouvant être responsables des douleurs rotuliennes, des facteurs non mécaniques, en particulier psychologiques, qui participent à l’émergence des douleurs.
Summary
Non-osteoarthritic patellar pain, with no associated femorotibial disease, is very frequent. Patellar pain is often associated with a subjective feeling of knee instability. Patellar pain has no obvious relation with macroscopic lesions of the patellar cartilage, but patellar pain can be explained by microscopic intracartilaginous lesions, which are possibly due to over-use of the patellar cartilage. Bone and/or musculoaponeurotic disorders of the frontal and sagittal mechanics of the femoropatellar joint responsible for over-use of the patellar cartilage are studied. The imaging modalities able to identify these disorders are discussed. The various conservative and especially operative treatment options to control patellar pain are described. The choice between the various surgical treatments is proposed on the basis of the mechanical disorders identified; direct procedures on the cartilage are discussed. Treatment decisions must be taken cautiously, as, in addition to the mechanical factors responsible for patellar pain, non-mechanical factors, particularly psychological, also participate in the pathogenesis of pain.
Les rotules douloureuses non arthrosiques
Les dysfonctionnements frontaux de la fémoro-patellaire
Les dysfonctionnements sagittaux de la fémoro-patellaire
Non-osteoarthritic patellar pain
Frontal dysfunctions of the femoropatellar joint
Sagittal dysfunctions of the femoropatellar joint
La douleur rotulienne
Pour affirmer l’origine fémoro-patellaire d’une douleur de la face antérieure du genou, il faut d’abord avoir éliminé un dérangement interne fémorotibial. La douleur d’origine patellaire est typiquement (mais pas forcément) réveillée par la percussion de la face antérieure de la rotule. La perception de craquements plus ou moins douloureux lors de l’extension active contre-résistance de la jambe sur la cuisse affirme la lésion cartilagineuse fémoro-patellaire mais pas forcément l’origine patellaire de la douleur. La douleur retrouvée au palper des facettes rotuliennes n’est pas non plus suffisante pour affirmer que la douleur subjective est d’origine rotulienne : entre la facette rotulienne palpée et le doigt, il y a la synoviale. En revanche, il est typique que la douleur rotulienne ne soit réveillée par la contraction quadricipitale que si le genou est en flexion et qu’elle soit faible ou voire absente lorsque le genou est en extension ou en recurvatum. Ceci explique qu’une démarche en recurvatum du genou fasse soupçonner l’origine rotulienne d’une douleur antérieure du genou. L’appréhension douloureuse retrouvée à la manœuvre de Smillie est une autre manière d’affirmer l’origine fémoro-patellaire d’une douleur antérieure. La découverte en thermoscopie d’une augmentation de la chaleur locale de la face antérieure du genou serait pour Konik [18] très en faveur de l’origine rotulienne d’une douleur antérieure du genou.
Origine de la douleur rotulienne
Aussi a-t-on recherché d’autres origines à la douleur rotulienne. « L’atteinte dégénérative de terminaisons nerveuses situées dans des ailerons externes très tendus » a été retrouvée par Fulkerson [12], Mais cette théorie neurologique des douleurs ne semble pas devoir être prise en compte : les douleurs latéro-rotuliennes externes ne sont pas les douleurs « rotuliennes » les plus fréquentes et les sections des ailerons rotuliens externes n’entraînent pas toujours l’indolence. Une augmentation des pressions intrarotuliennes semblerait pouvoir expliquer les douleurs. Wenz [25] a pu calmer les douleurs en faisant des forages de rotule, forages qui diminuent les pressions intra-osseuses ; à l’inverse, l’injection intrapatellaire d’une solution salée fait apparaître des douleurs rotuliennes. Mais cet auteur note qu’il est vraisemblable que les augmentations de pression intra-osseuse douloureuses ne sont que la conséquence d’une altération cartilagineuse.
La lésion du cartilage rotulien apparaît donc enfin de compte, au moins indirectement, la cause de la douleur rotulienne. La meilleure preuve est que l’arthroplastie fémoro-patellaire est la seule intervention fémoro-patellaire qui calme réellement et régulièrement les douleurs rotuliennes. Si la lésion cartilagineuse est le primum movens de la douleur patellaire, comment expliquer que des rotules à cartilage macroscopiquement sain puissent être douloureuses. La seule explication logique est que la détérioration cartilagineuse débute dans son épaisseur et non pas à sa superficie. Les études histo-chimiques du cartilage rotulien rapportées par Ch. Ficat [10] confirment que la chondromalacie débute bien dans l’épaisseur du cartilage où quatre zones histo-chimiques différentes, de qualités mécaniques différentes, ont pu être individualisées. La couche 2, située entre la couche superficielle 1 très résistante et la couche plus profonde 3 très dure, ne peut être que le site électif des lésions débutantes du cartilage rotulien puisqu’elle est soumise à d’importantes sollicitations en cisaillement. Du reste, les IRM montrent parfois des signaux anormaux intracartilagineux alors que les cartilages apparaissent sains en arthroscopie.
La lésion cartilagineuse, d’abord intracartilagineuse sans expression macroscopique, puis à expression macroscopique sous forme de chondromalacie œdémateuse puis fissuraire avant d’aboutir selon P. Ficat [11] à l’arthrose apparaît donc bien être à l’origine des douleurs rotuliennes. L’hypersollicitation mécanique du cartilage rotulien en serait la cause. Le lent « turn-over » – décrit par Maroudas [10] – des protoglycanes (300 jours en moyenne) et du collagène (400 ans) et le faible nombre de chondrocytes expliquent que les réparations spontanées des lésions cartilagineuses sont très hypothétiques et que les francs succès des thérapeutiques sont exceptionnels. Si cette hypersollicitation du cartilage rotulien est à l’origine des lésions cartilagineuses et des douleurs, il apparaît nécessaire d’en rechercher son origine pour aboutir à un traitement logique.
Causes de l’hypersollicitation mécanique du cartilage rotulien
Deux grandes causes, sans doute fréquemment intriquées, sont retenues par la majorité des auteurs [13] :
1) un défaut de la mécanique frontale de la fémoro-patellaire entraîne une hyperpression fémoro-patellaire externe ou des subluxations (voire des luxations) externes de la rotule ;
2) un défaut de la mécanique sagittale entraîne des hyperpressions de la fémoro-patellaire.
Les conséquences de ces deux grands défauts mécaniques peuvent être aggravées, comme le pensent Outerbridge [23] et Ch. Ficat [10], par des anomalies anatomiques (notamment par la présence de crête) de la rotule et de la trochlée. Ces anomalies anatomiques participeraient surtout à la constitution de lésions malaciques internes.
Mécanique frontale de la fémoro-patellaire
Facteurs osseux
a) La forme de la trochlée osseuse et la position de la tubérosité tibiale antérieure, par rapport à la gorge trochléenne, sont les deux principaux facteurs osseux qui participent à la mécanique frontale de la fémoro-patellaire.
– L’angle d’ouverture de la trochlée doit être mesuré sur des coupes scannériennes pour sa partie toute haute ; pour sa partie plus basse, il est plus fidèlement évalué sur les défilés fémoro-patellaires radiologiques pris sur le genou à 60° et surtout 30° de flexion (fig. 1 ).
Figure 1 Mesures effectuées sur les défilés fémoro-patellaires radiologiques à 30° de flexion : l’angle ABC mesure l’ouverture trochléenne. La subluxation rotulienne est appréciée : soit par la distance en millimètres « a » qui sépare les verticales passant par la gorge de la trochlée et la crête rotulienne, soit par l’angle de Merchant : la malposition externe ou interne de la rotule est définie par la position de la ligne qui réunit la gorge trochléenne à la crête rotulienne par rapport à la bissectrice de l’angle d’ouverture trochléen. La bascule rotulienne est appréciée par l’angle de Laurin formé par l’intersection de la droite DE avec la droite AC.
– La pente de la joue externe de la trochlée par rapport à la tangente bicondylienne est mesurée sur des coupes scannériennes (fig. 2).
Figure 2 Les mesures effectuées sur les coupes scannériennes passant par la partie haute de la trochlée : la bascule rotulienne (angle « a ») est mesurée par rapport à la tangente bicondylienne ; la pente de la joue externe de la trochlée (angle « b ») est mesurée par rapport à la tangente bicondylienne.
– De la position de la tubérosité tibiale antérieure par rapport à celle de la gorge de la trochlée dépend la force de la latéralisation imposée à la rotule par la contraction quadricipitale. Plus la tubérosité tibiale est externe, plus les contraintes de latéralisation externe imposées à la rotule sont importantes. Cette position est appréciée par la mesure de la TA-GT qui impose de superposer, dans des conditions d’examen très strict, deux coupes scannériennes, l’une passant par le 1/3 supérieur de la trochlée, l’autre par la partie toute haute de la tubérosité tibiale antérieure [4, 14] (fig. 3).
Figure 3 La TA-GT.
A : La TA-GT est le reflet de l’angle quadriceps – fond de la gorge de la trochlée – tubérosité tibiale antérieure dont dépendent les forces de latéralisation rotulienne. B : C’est la distance mesurée en millimètres qui sépare les perpendiculaires à l’axe bicondylien passant I’une par le milieu de la tubérosité tibiale et l’autre par le fond de la gorge de la trochlée sur un cliché superposant deux coupes scannériennes d’agrandissement 1, l’une passant par le 1/3 supérieur de la trochlée, l’autre par la partie supérieure de la tubérosité tibiale antérieure. La technique de cette imagerie doit être rigoureuse [4].