Chapitre 16
Instabilité
Le terme « instabilité » s’est glissé dans la littérature sur la lombalgie en tant qu’entité diagnostique, sous-entendant qu’un problème biomécanique serait d’une manière ou d’une autre à l’origine de douleurs rachidiennes. En outre, puisque la cause de la douleur est de nature biomécanique, son traitement devrait être mécanique. Toutefois, la notion d’instabilité lombale est devenue très controversée comme l’ont montré plusieurs études [1,2] et symposiums [3–5]. Les médecins ont abusé du terme et l’ont appliqué cliniquement sans tenir compte des définitions biomécaniques disponibles et des techniques diagnostiques.
BIOMÉCANIQUE
L’instabilité a été définie comme l’état d’un système dans lequel l’application d’une charge légère entraîne un déplacement extrêmement important pouvant être catastrophique [6]. Cette définition donne l’impression de quelque chose sur le point de s’effondrer ou qui pourrait facilement s’effondrer. Les bio-ingénieurs ont insisté sur le fait que l’instabilité est une entité mécanique et qu’elle devrait être considérée comme telle [7]. La façon dont les biomécaniciens représentent graphiquement cette définition en termes mathématiques a évolué ces dernières années, alors que de nombreuses améliorations et alternatives ont été ajoutées.
Raideur articulaire
Une première définition soutenait que l’instabilité était une perte de rigidité [7]. Une élaboration ultérieure introduisit une dimension clinique définissant l’instabilité comme une : « […] perte de rigidité d’un segment mobile rachidien telle que la force appliquée sur la structure produit un déplacement supérieur à celui qui serait observé sur une structure normale, entraînant un état douloureux et la possibilité d’une déformation progressive mettant en danger les structures neurologiques » [8].
D’autres ingénieurs n’ont pas été du même avis, insistant sur le fait qu’une définition de l’instabilité devrait donner l’impression d’un comportement soudain, imprévisible ; qu’une charge légère qui entraîne un déplacement extrêmement important peut être catastrophique [6]. Ils prétendaient que la perte de rigidité pouvait simplement expliquer la laxité ou l’hypermobilité des segments ne risquant pas un effondrement catastrophique.
Les affections du rachis lombal peuvent associer une perte de rigidité et la production de symptômes, mais celles-ci ne constituent pas nécessairement une instabilité au sens plein du terme, et une expression telle que « laxité segmentaire » ou simplement « hypermobilité » devrait plutôt être employée.
Zone neutre
Une nouvelle définition rafraîchissante est apparue. Elle définit l’instabilité comme une augmentation de la zone neutre. En termes explicites, elle est : « une diminution significative de la capacité du système stabilisateur rachidien à maintenir les zones neutres intervertébrales dans les limites physiologiques, afin de prévenir une dysfonction neurologique, une déformation majeure et une douleur invalidante » [9].
La zone neutre est la partie de l’amplitude de mobilité articulaire physiologique mesurée à partir de la position neutre, à l’intérieur de laquelle la mobilité rachidienne se produit avec le minimum de résistance [9]. En substance, elle est identique à la longueur de la phase initiale de la courbe de contrainte–déformation décrivant le comportement de ce segment (figure 16.1), bien qu’elle ne soit pas exactement la même mathématiquement.
Cette définition décrit les articulations laxes en début d’amplitude. Leur force maximale peut être normale, mais elles présentent un déplacement excessif en début d’amplitude (figure 16.2). Cette définition saisit le sens d’un déplacement excessif sous des charges légères, mais élude le sens mécanique d’une rupture catastrophique imminente. Cependant, elle le fait délibérément et non pas d’une façon totalement indifférente à la catastrophe.
Figure 16.2 Comparaison entre une courbe de contrainte–déformation normale et une courbe d’un segment lombal présentant une instabilité en fonction de l’augmentation de la zone neutre (ZN).
Facteur d’instabilité
Les définitions techniques de l’instabilité décrivent ce que l’on pourrait appeler une instabilité terminale – le comportement d’un système à son point limite. C’est ici qu’apparaît l’impression de rupture imminente. L’instabilité peut être interprétée autrement en étant abordée lors du mouvement plutôt que de son point limite, en se concentrant sur la qualité du mouvement dans son amplitude et non pas sur son comportement final.
La flexion-extension du rachis lombal n’est pas un mouvement isolé, car il associe une combinaison de rotation et de translation (chapitre 8). En dépit de l’amplitude de mobilité, la qualité de la mobilité peut être définie en terme de rapport entre l’amplitude de la translation et l’amplitude de la rotation. Il devrait exister un certain degré de translation accompagné d’une rotation adaptée à chaque phase de mouvement. La mobilité devient anormale si ce rapport est déséquilibré et peut donner l’impression d’une instabilité. À cet égard, l’instabilité serait définie comme une quantité de translation exagérée par rapport au degré de rotation subie, et inversement.
Les segments lombaux normaux présentent un rapport de translation fondamentalement identique lors de la flexion-extension [10]. Le mouvement global semble régulier ; la translation progresse régulièrement, tout comme la rotation (figure 16.3). Le rapport entre la translation et la rotation est le même que le rapport entre la translation complète et la rotation complète, quelle que soit la phase du mouvement.
Figure 16.3 Modèle de mouvement type d’un segment lombal en fonction du rapport entre la translation et la rotation. (D’après Weiler et al. [10].)
L’instabilité peut être définie par la présence d’une anomalie de ce rapport à n’importe quel moment du mouvement. Le segment présente soudainement une translation démesurée par rapport au degré de rotation subie, ou peut subir une translation sans aucune rotation (figure 16.4).
Figure 16.4 Modèle de mouvement d’un segment lombal montrant un rapport anormal entre la translation et la rotation et un facteur d’instabilité anormalement élevé. (D’après Weiler et al. [10].)
où (ΔT)i est l’amplitude de la translation pour chaque phase du mouvement (i), et (ΔΘ)i est l’amplitude de la rotation pour chaque phase [10]. Le facteur d’instabilité des rachis normaux a une valeur moyenne de 25 (mm/radian) et un écart type de 8,7. Les valeurs au-dessus de l’amplitude des deux écarts types supérieurs caractérisent théoriquement l’instabilité.
ANATOMIE
Bien que des définitions de l’instabilité soient disponibles, elles nécessitent une traduction anatomique pour avoir une signification clinique. Pour que le traitement soit rationnel et ciblé, la structure responsable de la diminution de la rigidité, de l’augmentation de la zone neutre ou de la translation excessive comparée à la rotation doit être spécifiée.
En principe, il émerge un éventail de possibilités (figure 16.5). L’instabilité peut être associée au degré lésionnel d’un segment et aux facteurs restants qui tentent de la stabiliser. On trouve d’un côté une dislocation complète dont aucun facteur ne retient l’intégrité du segment, et de l’autre un segment intact totalement stable. Entre les deux existe toute une classe de possibilités.
Le segment a besoin des éléments stabilisateurs que sont ses facettes et ses ligaments à tous les niveaux de sa stabilité (chapitres 3 et 4). Moins ceux-ci sont intacts, plus le segment est exposé à une rupture catastrophique ; plus ils sont intacts, plus le segment se stabilise.
De nombreuses études menées ont démontré comment la suppression progressive de chacun des éléments de contrainte affaiblit progressivement la mobilité d’un segment lombal. La transection du ligament longitudinal postérieur et de la partie postérieure de l’anulus fibrosus engendre une hypermobilité, même si les autres éléments restent intacts [11]. La transection progressive des ligaments surépineux et interépineux, du ligament jaune, des capsules articulaires, du ligament longitudinal postérieur et de la partie postérieure de l’anulus fibrosus entraîne des déplacements progressivement plus importants lorsqu’un segment est chargé en flexion. La plus grande augmentation apparaît après la transection de la partie discale postérieure [12]. Avant la transection du disque, les articulations zygapophysaires semblent être les éléments stabilisateurs principaux en flexion [13,14].
Les muscles sont superposés aux facettes et aux ligaments. Ils contribuent à la stabilité de deux façons. Le mécanisme le moins important retient directement les déplacements qui constituent un danger. À cet égard, les muscles spinaux ne sont pas bien orientés pour résister à un cisaillement antérieur, postérieur ou à une torsion. Ils courent longitudinalement et ne peuvent résister qu’à la rotation sagittale (voir chapitre 9). Les muscles exercent cependant des charges compressives sur le rachis lombal à chaque fois qu’ils se contractent, ce qui procure un effet stabilisateur. En comprimant les articulations, les muscles rendent le déplacement des articulations plus difficile. Diverses études ont maintenant détaillé l’effet stabilisateur des muscles du rachis lombal [15,16]. La contraction musculaire diminue plus particulièrement l’amplitude de mobilité et la zone neutre des segments du rachis lombal, le multifidus ayant la plus forte influence [16].
• une rupture évidente ou imminente est facilement identifiable radiographiquement sur une lésion telle qu’une fracture-dislocation, lorsqu’une vertèbre présente une malposition ou une mobilité excessive apparente à l’œil nu. Dans de telles circonstances, l’instabilité ne fait pas de doute, car la mobilité apparente n’aurait pas pu se produire si les éléments stabilisateurs n’avaient pas été totalement rompus. Le défi est toutefois de déterminer le seuil d’instabilité lorsqu’une mobilité anormale n’est pas facilement discernable ;
• en ce qui concerne l’instabilité dans les limites de la normale, le défi est de démontrer sa présence et d’être certain que la mobilité anormale est responsable des symptômes du patient.