Chapitre 16 Hypothèses sur l’identité des fonctionnements psychiques, neurologiques et biologiques
Reprenons les quatre temps déjà évoqués précédemment chapitre 10, à savoir : recevoir, garder, transformer, reformuler (interpréter). Si nous appliquons ces quatre temps au traitement de l’identification projective (laquelle est le mode défensif prévalent dans les pathologies narcissico-identitaires) et si nous tentons de comparer ce schéma thérapeutique au schéma de fonctionnement psychobiologique, nous voyons s’ouvrir des perspectives identitaires surprenantes.
Hémisphères droit et gauche
S. Freud affirmait en 1912 que le thérapeute doit « tourner vers l’inconscient émetteur du malade, son propre inconscient en tant qu’organe récepteur […] de même, l’inconscient du médecin est apte à rétablir […] cet inconscient qui a déterminé les idées incidentes du malade ».
La neurobiologie actuelle tend à situer l’inconscient dynamique freudien de manière irréfutable dans l’hémisphère droit (A.N. Schore, 2003).
L’étape de la réceptivité s’inaugure à travers la pensée de W.R. Bion qui évoque « la rêverie, état d’esprit ouvert à la réception de n’importe quel objet, ainsi capable de recevoir les identifications projectives du nourrisson qu’il les ressente comme étant bonnes ou mauvaises » (1962).
De la même manière, la rêverie est aussi une expérience propre au thérapeute en lien avec le contre-transfert. Selon D.M. Marcus (1997), l’analyste, au moyen de la rêverie et de l’intuition, écoute directement avec son cerveau droit « le cerveau droit de l’analysant ».
Selon A.N. Schore (2003), les communications contre-transférentielles affectives, réceptives du cerveau droit du thérapeute sont syntonisées aux communications transférentielles émotionnelles du cerveau droit du patient. Le cerveau droit joue un rôle central dans la perception empathique des états des autres humains.
Au cours du travail psychothérapeutique, L. Miller (1986) suggère qu’il est tentant de concevoir que le psychanalyste qui cherche à comprendre les dynamiques inconscientes de l’analysant suspend de manière temporaire l’intervention de son hémisphère gauche rationnel sémantique et cognitif de manière à permettre une interface plus significative entre les hémisphères droits de la dyade patient-thérapeute.
Ce sont les éléments prosodiques de la communication tels le rythme, la force et la tonalité, davantage que les éléments linguistiques du langage, qui portent les messages affectifs au sein de l’identification projective. Le cerveau droit est spécialisé dans la perception et la mémoire des mots émotionnels, des stimuli prosodiques et dans le ton émotionnel de la voix.
Cas clinique
Mlle E. ou la réflexivité sensorielle négative
Prenons le cas de Mlle E. 30 ans, architecte, qui a présenté dans sa psychothérapie une phase perceptivo-hallucinatoire qui se résume ainsi : elle sentait des mauvaises odeurs dans certains lieux ; dans sa chambre à coucher, ainsi que chez son ancien analyste.
L’auto-érotisme se décline suivant trois registres : se sentir, se voir, s’entendre.
Selon Mélanie Klein (1946), l’identification projective est un processus au moyen duquel une information largement inconsciente est projetée d’un émetteur à un récepteur.
Selon A.N. Schore, il faut distinguer l’identification projective défensive de l’identification projective adaptative. Ainsi, selon cet auteur, au moment d’une identification projective adaptative, l’affect du patient est subjectivement approfondi et communiqué. Inversement, dans le cas d’une identification projective défensive, l’affect n’est pas seulement diminué mais totalement dissocié de la conscience. Sa communication interpersonnelle cesse brusquement.
Dans les moments qui suivent l’identification projective défensive, le patient qui dissocie dès lors dans un état d’inhibition émotionnel intense, n’exprime plus ouvertement une émotion désorganisante. Le thérapeute non dissocié et en résonance, continue d’éprouver quant à lui l’état négatif amplifié. Le thérapeute peut dans ce cas penser que cet état a une origine endogène et qu’il ne constitue pas une réponse émotionnelle à la communication du patient. On retrouve bien là le processus de transfert par retournement décrit par R. Roussillon.
L’identification projective adaptative doit pouvoir être instaurée dans la relation thérapeutique afin que s’instaurent des éléments négatifs portés par l’identification projective défensive.
Hémisphères droit et gauche du thérapeute
Elles s’enregistrent dans le cerveau droit du thérapeute particulièrement dans les circuits limbiques autonomes. Les réactions contre-transférentielles implicites du clinicien au soi communiquant du patient s’inscrivent donc dans son cerveau droit parce que cet hémisphère contient « la représentation topique la plus complète et la plus intègre des états corporels accessibles au cerveau » A. Damasio (1995).
P. Lewis (1992), signale que l’utilisation de son corps par le thérapeute joue un rôle particulier dans le fait de recevoir des projections transférentielles, de cerveau droit à cerveau droit, des parties clivées du soi. Il affirme que ce mécanisme module spécifiquement l’identification projective défensive. L’apparition dans le corps du thérapeute de sensations que le patient a décrites comme étant les siennes serait la preuve la plus saisissante de l’empathie réussie. La tâche du clinicien consistant à recevoir et contenir les identifications projectives défensives est évidemment plus difficile que celle qui consiste à recevoir les identifications projectives adaptatives.
Comme R. Roussillon (2010) le souligne, il est fréquent de constater que le thérapeute peut se sentir coupable de la souffrance du patient. Ce qui nous éloigne du schéma traditionnel de la « jouissance » vis-à-vis du symptôme dans la psychonévrose.
Le matériel inscrit dans l’identification projective qui se transmet de manière non symbolisée du patient vers le thérapeute est ressenti par ce dernier au niveau somato-sensoriel. Il se produit une amplification subjectivement éprouvée par le clinicien que A. Damasio (1995) a nommé « marquage somatique », une sensation viscérale éprouvée en réponse à des événements tant réels qu’imaginaires incluant des stimuli menaçants.
Les conceptions neuroscientifiques qui postulent que des intrants sensoriels venant de l’environnement interne servent à altérer des perceptions du monde externe et à susciter une réponse comportementale, reprennent le concept freudien de « pulsion ». Soit « le représentant psychique de stimuli ayant leur origine dans l’organisme et atteignant l’esprit » S. Freud (1915).
W.R. Bion suggère que la fonction contenante thérapeutique est d’autant plus nécessaire que la capacité de la mère à contenir les émotions de détresse de l’enfant fut insuffisante. Ces émotions ont donc été retournées à l’enfant avec peu de changement (non transformées). Elles ont donc été difficiles à intégrer psychiquement par l’enfant.
A.N. Schore souligne que l’interprétation verbale du thérapeute refusant la dynamique du transfert négatif, s’accompagne souvent d’une expression faciale de dégoût ou de mépris ou d’un ton de voix sarcastique. Bien que cette expression affective négative soit brève et inconsciente pour le clinicien, l’hémisphère droit du patient la détecte. Le visage du thérapeute témoigne donc, brièvement, des changements d’états qu’induit la communication négative du patient. Ainsi, le patient, dans un contexte de face à face, détecte implicitement la réponse contre-transférentielle aversive visuelle exprimée. Dans un contexte divan-fauteuil, le patient perçoit cette réponse du clinicien à sa communication affective négative à travers les modifications du ton de sa voix. Il est maintenant bien établi que des comportements émotionnels non verbaux et inconscients au sein de la dyade modulent fondamentalement les mises en acte. Plus encore que les verbalisations du clinicien, c’est son activité émotionnelle qui crée un environnement sécurisant et contenant. Ce mécanisme régulant de l’affect rejoint la notion des « fonctions contenantes » décrites par D.W. Winnicott. Elles sont définies comme un complexe de fonctions maternelles émotionnelles et physiques, exprimées tout spécialement, par les yeux et la voix que « la mère suffisamment bonne » et disponible utilise, face aux expressions émotionnelles et impulsives du nourrisson.
Contrairement à l’hémisphère gauche, l’hémisphère droit présente un mode de traitement apparenté à « une mise en attente ». C’est pourquoi, le thérapeute doit se retenir de faire quelque chose jusqu’à ce qu’il ait vécu avec les sentiments évoqués pendant un certain temps. S’il échoue à tenir assez longtemps, cela se manifestera sous la forme d’une activité du cerveau gauche, soit l’apparition soudaine d’une conduite verbale, autrement dit une interprétation prématurée. Le thérapeute doit donc contenir l’identification projective et ne pas la retourner prématurément. Les interprétations prématurées sont le reflet d’un désengagement thérapeutique indiquant que le clinicien bat en retraite et fait appel à des processus secondaires de l’hémisphère gauche.
Le thérapeute doit s’occuper simultanément de son fonctionnement autorégulateur et également participer pleinement avec le patient à une exploration mutuelle au développement et à l’échange affectif.
Ce processus de symbolisation implique l’ouverture à la communication du patient et le maintien de cet état assez longtemps pour permettre aux images sensori-affectives d’émerger à la conscience.
Une des caractéristiques les plus importantes des métaphores est sa fonction pictographique des images par laquelle les états internes sont accessibles au regard. L’hémisphère droit domine la pensée par image. Une stratégie holistique et synthétique qui permet l’interaction des images les unes aux autres sur plusieurs plans à la fois. Des images peuvent émerger de la mémoire affective corporelle implicite, procédurale et inconsciente du clinicien.
Notion d’attachement
L’accent mis sur le développement précoce représente une base commune à la psychanalyse, la neurologie et la psychologie. S. Freud en 1913 déclarait : « C’est ainsi que la psychanalyse depuis le tout début a été amenée à s’attarder aux processus de développement. Elle dût […] effectuer […] le travail d’une psychologie génétique. » J. Bowlby (1969) est le psychanalyste qui a probablement contribué le plus significativement à la compréhension de cette notion de développement.
J. Bowlby a imaginé en réponse à cette question que la phase essentielle de l’enfance sur laquelle se joue le premier temps du drame humain est celle dans laquelle une mère et son enfant expérimentent une connexion et une déconnexion de leur communication émotionnelle vitale. On retrouve ici la notion de « rencontre » développée par R. Roussillon.
Les transactions d’attachement se produisent en même temps que la poussée de croissance du cerveau qui s’étale sur la période de zéro à deux ans. C’est plus spécifiquement le cerveau social émotionnel qui soutient les opérations uniques du psychisme de l’hémisphère droit.
Ainsi la notion d’attachement est indissolublement liée aux neurosciences du développement. La théorie de l’attachement est fondamentalement décrite comme une théorie de la régulation. Derrière la notion d’attachement sécure, ce qui parcourt l’interaction mère-enfant c’est la notion centrale de synchronisation affective.
A.N. Schore définit l’attachement comme un accordage psychobiologique. « L’attachement peut ainsi être défini comme étant la régulation interactive de la synchronicité biologique entre les organismes. » La synchronisation affective permet de réguler le niveau de stimulation positif et négatif. Elle permet de minimiser les affects négatifs mais aussi de maximiser les affects positifs. Elle ne se limite pas à un état sécurisé à la suite d’une expérience de dysrégulation et d’un état de stress négatif. Elle facilite aussi l’amplification interactive des affects positifs, apanage de la dynamique interactive du jeu.
Il se produit un transfert d’affect entre la mère et l’enfant qui favorise l’intériorisation des relations primaires. Dans un travail centré sur les proto-conversations mère-enfant, Trévarthen (1989), (1990), (2003) précise que « les régulateurs intrinsèques de la croissance cérébrale chez l’enfant sont spécifiquement adaptés pour être couplés par la communication émotionnelle aux régulateurs du cerveau adulte ». La croissance du cerveau du bébé dépend des transactions affectives à l’intérieur de la dyade, mais aussi et surtout, elle requiert une interaction de cerveau à cerveau dans un contexte affectif intime et positif.
De nombreux spécialistes s’accordent à décrire l’antériorité de la maturation du cerveau droit sur le cerveau gauche. Les processus psychiques primaires auraient donc pour siège l’hémisphère droit. Ce dernier domine pour la reconnaissance du visage maternel, la perception des expressions émotionnelles faciales de la mère, les informations émotionnelles visuelles et la prosodie de la mère.
Selon A. Damasio, l’hémisphère droit contient la carte la plus complète et la plus synthétique sur l’état du corps à chaque instant dont puisse disposer le cerveau (A. Damasio [1995]). On pourrait en inférer à l’instar de A.N. Schore, que la définition de S. Freud (1915) de la pulsion comme étant « le représentant psychique des stimuli ayant leur origine dans l’organisme et atteignant l’esprit » pourrait être mieux définie comme psychisation de l’hémisphère droit.
Les individus présentant des histoires d’attachement perturbé laissent apparaître des troubles de l’empathie, c’est-à-dire une capacité limitée à percevoir les émotions des autres. Une incapacité à lire l’expression faciale entraîne une connaissance et une interprétation erronées des états émotionnels et des intentions de l’autre. En situation de stress, ces individus expriment non pas des affects distincts et différentiés mais des états diffus, indifférenciés et chaotiques accompagnés de sensations somatiques et viscérales qui les submergent.
Ils font preuve d’une capacité limitée à réfléchir sur leur propre état émotionnel. L’hémisphère droit est au cœur de la communication relationnelle non-verbale entre le patient et le thérapeute. Il reconnaît les émotions à partir de signaux faciaux perçus visuellement. Il est spécialisé dans l’apprentissage implicite et il effectue une appréciation visuelle faciale très rapide (90 millisecondes). De plus, l’hémisphère droit utilise un mécanisme attentionnel expansif qui s’attarde à des caractéristiques globales, contrairement à l’hémisphère gauche qui utilise un mode restrictif qui s’attache au détail localisé.
La notion d’attention flottante décrite par S. Freud relèverait d’avantage de l’hémisphère droit. Comme le précise M. Beeman (1998), « le code sémantique large de l’hémisphère droit est utile pour noter et intégrer des informations sémantiques qui sont reliées mais distantes ».
Ceci contraste avec l’hémisphère gauche qui active un champ sémantique étroit. Ainsi l’association libre relèverait-elle aussi des fonctions de l’hémisphère droit suivant la définition de W. Bucci (1993) qui décrit l’association libre comme caractérisée par le fait de suivre les traces de schémas non verbaux.
D’une manière générale, les patients présentant des états de dépendance psychique utilisent l’identification projective parce qu’ils cherchent à introduire dans la relation thérapeutique des expériences affectives qui n’ont pas été encodées affectivement et qui ne peuvent pas être communiquées verbalement. Matériel qui peut demeurer non symbolisé parce qu’il fut encodé dans des conditions traumatiques se rapportant à la période préverbale de la vie (pour les inscriptions premières). Ces expériences s’expriment dans une forme somato-sensorielle conformément à la période primaire au cours de laquelle elles se sont construites.
Cas clinique
Léo et Sébastien ou la réduction à l’identique
Ainsi Léo, 6 ans, qui présente une souffrance narcissique identitaire et une difficulté d’organisation spatiale et temporelle de laquelle émerge la difficulté de symbolisation du ressenti corporel.
La séquence se déroule sur une seule séance et débute dans la salle d’attente.
Immédiatement parvenu dans le bureau du thérapeute, Léo va reprendre cet échange initial et le répercuter dans plusieurs domaines langagiers décrivant à quel point la rencontre initiale, rééditant la relation primaire à l’objet, l’a impacté.
À partir de là, Léo va questionner la polysémie du corps et du langage, ramenant tout à l’identique et déposant transférentiellement sur le thérapeute la représentation de ses déterminants psychiques et corporels. C’est le thérapeute qui est dépositaire de son existence psychosomatique.
Une autre courte vignette clinique complémentaire confirme que dans la relation transférentielle dans ces conjonctures narcissiques, le thérapeute est dépositaire des référentiels corporels et sensoriels du patient lorsque la symbolisation primaire n’a pas permis l’étayage.

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Full access? Get Clinical Tree

