16: Hypothèses sur l’identité des fonctionnements psychiques, neurologiques et biologiques

Chapitre 16 Hypothèses sur l’identité des fonctionnements psychiques, neurologiques et biologiques


Reprenons les quatre temps déjà évoqués précédemment chapitre 10, à savoir : recevoir, garder, transformer, reformuler (interpréter). Si nous appliquons ces quatre temps au traitement de l’identification projective (laquelle est le mode défensif prévalent dans les pathologies narcissico-identitaires) et si nous tentons de comparer ce schéma thérapeutique au schéma de fonctionnement psychobiologique, nous voyons s’ouvrir des perspectives identitaires surprenantes.



Hémisphères droit et gauche


De nombreux chercheurs soutiennent de manière scientifiquement vérifiée que les fonctions de l’hémisphère droit sont nettement différenciées des fonctions de l’hémisphère gauche. L’hémisphère droit étant particulièrement impliqué dans les activités spontanées et inconscientes de l’activité émotionnelle. Cet hémisphère domine les expériences émotionnelles subjectives. Le terme d’intersubjectivité est celui qui rend le mieux compte de la nature du transfert interactif d’affects entre les cerveaux droits des deux membres de la dyade mère-enfant et de la dyade thérapeutique.


Le cerveau gauche, quant à lui, communique ses états au cerveau gauche de la dyade thérapeutique au moyen des conduites linguistiques conscientes. Tandis que le cerveau droit non-verbal communique ses états inconscients à d’autres cerveaux droits suffisamment empathiques pour recevoir ces communications.


S. Freud affirmait en 1912 que le thérapeute doit « tourner vers l’inconscient émetteur du malade, son propre inconscient en tant qu’organe récepteur […] de même, l’inconscient du médecin est apte à rétablir […] cet inconscient qui a déterminé les idées incidentes du malade ».


La neurobiologie actuelle tend à situer l’inconscient dynamique freudien de manière irréfutable dans l’hémisphère droit (A.N. Schore, 2003).


L’étape de la réceptivité s’inaugure à travers la pensée de W.R. Bion qui évoque « la rêverie, état d’esprit ouvert à la réception de n’importe quel objet, ainsi capable de recevoir les identifications projectives du nourrisson qu’il les ressente comme étant bonnes ou mauvaises » (1962).


De nombreux thérapeutes pensent à l’heure actuelle que la rêverie de la mère traite le matériel préverbal contenu dans les identifications projectives du nourrisson.


De la même manière, la rêverie est aussi une expérience propre au thérapeute en lien avec le contre-transfert. Selon D.M. Marcus (1997), l’analyste, au moyen de la rêverie et de l’intuition, écoute directement avec son cerveau droit « le cerveau droit de l’analysant ».


Selon A.N. Schore (2003), les communications contre-transférentielles affectives, réceptives du cerveau droit du thérapeute sont syntonisées aux communications transférentielles émotionnelles du cerveau droit du patient. Le cerveau droit joue un rôle central dans la perception empathique des états des autres humains.


Au cours du travail psychothérapeutique, L. Miller (1986) suggère qu’il est tentant de concevoir que le psychanalyste qui cherche à comprendre les dynamiques inconscientes de l’analysant suspend de manière temporaire l’intervention de son hémisphère gauche rationnel sémantique et cognitif de manière à permettre une interface plus significative entre les hémisphères droits de la dyade patient-thérapeute.


Le thérapeute doit donc se mettre dans un état de réceptivité pour entrer en résonance empathique avec les communications inconscientes du patient. État de réceptivité qui engage sa posture mentale comme sa posture physique.


Cet état de réceptivité doit lui permettre d’être atteint par l’atmosphère, l’humeur, afin qu’il puisse entendre la communication, saisir le sens entre les lignes, écouter la musique derrière les mots. Il doit se laisser porter par la cadence affective de la séance du patient afin d’en ressentir la tonalité et les subtilités.


Ce sont les éléments prosodiques de la communication tels le rythme, la force et la tonalité, davantage que les éléments linguistiques du langage, qui portent les messages affectifs au sein de l’identification projective. Le cerveau droit est spécialisé dans la perception et la mémoire des mots émotionnels, des stimuli prosodiques et dans le ton émotionnel de la voix.



Cas clinique


Mlle E. ou la réflexivité sensorielle négative


Prenons le cas de Mlle E. 30 ans, architecte, qui a présenté dans sa psychothérapie une phase perceptivo-hallucinatoire qui se résume ainsi : elle sentait des mauvaises odeurs dans certains lieux ; dans sa chambre à coucher, ainsi que chez son ancien analyste.


Elle sentait, pour être précis, des odeurs excrémentielles-hallucinatoires olfactives interprétées par le thérapeute comme fantasme. Cette sensation n’ayant aucune réalité tangible.


Malgré les interprétations, ces odeurs la poursuivaient et elle fut conduite à interrompre son travail psychothérapique, ne se sentant pas entendue par le psychothérapeute.


Nous fûmes amenés, au cours d’une deuxième tranche, à reprendre cette dimension hallucinatoire, mais en lui donnant une orientation différente, qui mettait l’accent sur un travail de construction historique.


Peu à peu, apparurent dans cette recherche, des éléments organisateurs de la négativité. Une mère alcoolique et dépressive pendant la petite enfance de sa fille. Elle ne put s’occuper d’elle, l’abandonnant à sa propre mère. Une mère négligée et négligente dont les odeurs corporelles étaient quelquefois repoussantes.


Une relation mélancolique avec un surmoi sévère et cruel lui procurant, in fine, le sentiment d’être une « merde » chaque fois qu’un échec sentimental ou professionnel se faisait jour. Dans une confusion dramatique entre l’être et le faire.


L’auto-érotisme se décline suivant trois registres : se sentir, se voir, s’entendre.


La libido s’auto-réfléchit sur ces trois registres. On se sent comme on s’est senti être ressenti par l’objet, comme on s’est vu être regardé, comme on s’est entendu être écouté.


Dans certaines situations relationnelles traumatiques, la négativité peut s’inscrire dans un des trois registres, voire dans les trois.


Notre hypothèse consiste à penser que le retrait de la composante réflexive, la non-intégration de cette composante réflexive conduit la libido à s’investir sur la fonction intersubjective sensorielle à l’exclusion de la dimension intrapsychique.


Ainsi, se sentir devient (se) sentir mauvais. Se voir devient agrippement par le regard et sentiment de persécution sous le regard d’autrui. S’entendre devient par diminution du seuil de l’audition, confusion dedans-dehors et agrippement aux sons externes.


Selon Mélanie Klein (1946), l’identification projective est un processus au moyen duquel une information largement inconsciente est projetée d’un émetteur à un récepteur.


Selon A.N. Schore, il faut distinguer l’identification projective défensive de l’identification projective adaptative. Ainsi, selon cet auteur, au moment d’une identification projective adaptative, l’affect du patient est subjectivement approfondi et communiqué. Inversement, dans le cas d’une identification projective défensive, l’affect n’est pas seulement diminué mais totalement dissocié de la conscience. Sa communication interpersonnelle cesse brusquement.


Dans les moments qui suivent l’identification projective défensive, le patient qui dissocie dès lors dans un état d’inhibition émotionnel intense, n’exprime plus ouvertement une émotion désorganisante. Le thérapeute non dissocié et en résonance, continue d’éprouver quant à lui l’état négatif amplifié. Le thérapeute peut dans ce cas penser que cet état a une origine endogène et qu’il ne constitue pas une réponse émotionnelle à la communication du patient. On retrouve bien là le processus de transfert par retournement décrit par R. Roussillon.


L’identification projective adaptative doit pouvoir être instaurée dans la relation thérapeutique afin que s’instaurent des éléments négatifs portés par l’identification projective défensive.



Hémisphères droit et gauche du thérapeute


La détection par le thérapeute de ses réponses intéroceptives contre-transférentielles en résonance avec les réponses autonomiques à des stimuli menaçants est particulièrement importante pour assurer un bon accueil à l’identification projective défensive.


Elles s’enregistrent dans le cerveau droit du thérapeute particulièrement dans les circuits limbiques autonomes. Les réactions contre-transférentielles implicites du clinicien au soi communiquant du patient s’inscrivent donc dans son cerveau droit parce que cet hémisphère contient « la représentation topique la plus complète et la plus intègre des états corporels accessibles au cerveau » A. Damasio (1995).


Il joue un rôle spécifique dans la qualité affective de signaux somatiques provenant du corps. Il décode les stimuli émotionnels au moyen de « réactions émotionnelles somatiques » ressenties face à ces stimuli, c’est-à-dire par une forme de réponse empathique. Enfin, il est dominant dans les processus attentionnels.


P. Lewis (1992), signale que l’utilisation de son corps par le thérapeute joue un rôle particulier dans le fait de recevoir des projections transférentielles, de cerveau droit à cerveau droit, des parties clivées du soi. Il affirme que ce mécanisme module spécifiquement l’identification projective défensive. L’apparition dans le corps du thérapeute de sensations que le patient a décrites comme étant les siennes serait la preuve la plus saisissante de l’empathie réussie. La tâche du clinicien consistant à recevoir et contenir les identifications projectives défensives est évidemment plus difficile que celle qui consiste à recevoir les identifications projectives adaptatives.


Entrer en résonance avec des états corporels chaotiques, dissociés et chargés d’affects négatifs, issus de personnalités qui manifestent des troubles émotionnels primitifs est une tâche complexe.


Comme R. Roussillon (2010) le souligne, il est fréquent de constater que le thérapeute peut se sentir coupable de la souffrance du patient. Ce qui nous éloigne du schéma traditionnel de la « jouissance » vis-à-vis du symptôme dans la psychonévrose.


Le matériel inscrit dans l’identification projective qui se transmet de manière non symbolisée du patient vers le thérapeute est ressenti par ce dernier au niveau somato-sensoriel. Il se produit une amplification subjectivement éprouvée par le clinicien que A. Damasio (1995) a nommé « marquage somatique », une sensation viscérale éprouvée en réponse à des événements tant réels qu’imaginaires incluant des stimuli menaçants.


Les conceptions neuroscientifiques qui postulent que des intrants sensoriels venant de l’environnement interne servent à altérer des perceptions du monde externe et à susciter une réponse comportementale, reprennent le concept freudien de « pulsion ». Soit « le représentant psychique de stimuli ayant leur origine dans l’organisme et atteignant l’esprit » S. Freud (1915).


W.R. Bion suggère que la fonction contenante thérapeutique est d’autant plus nécessaire que la capacité de la mère à contenir les émotions de détresse de l’enfant fut insuffisante. Ces émotions ont donc été retournées à l’enfant avec peu de changement (non transformées). Elles ont donc été difficiles à intégrer psychiquement par l’enfant.


Ce modèle de contenance que la mère n’a pu offrir, c’est le thérapeute qui doit maintenant le remplir.


Recevoir, contenir, transformer les expériences précoces dissociées du patient et les lui reformuler sous une forme plus bénigne est une tâche ardue. Elle n’est pas facile parce que des résistances émotionnelles intenses se mobilisent chez le thérapeute contre le fait de contenir du matériel toxique du patient.


Le thérapeute peut donc se retrouver autant angoissé que le patient et ressentir des états somatiques sensoriels déroutants. Si le thérapeute parvient à autoréguler ses états négatifs, il reste alors capable d’agir en tant que régulateur intersubjectif des affects pour le patient.


Si au contraire, il réfute ses marqueurs somatiques ayant une valence négative, par exemple en sortant défensivement du travail empathique dans lequel il s’était engagé vis-à-vis du patient en appui sur son cerveau droit, il va être tenté de transférer cet appui à son cerveau gauche et dans cet état à dominance d’hémisphère gauche de proposer rapidement une interprétation verbale, prématurée qui a valeur dans ce cas de « mise en acte ».


A.N. Schore souligne que l’interprétation verbale du thérapeute refusant la dynamique du transfert négatif, s’accompagne souvent d’une expression faciale de dégoût ou de mépris ou d’un ton de voix sarcastique. Bien que cette expression affective négative soit brève et inconsciente pour le clinicien, l’hémisphère droit du patient la détecte. Le visage du thérapeute témoigne donc, brièvement, des changements d’états qu’induit la communication négative du patient. Ainsi, le patient, dans un contexte de face à face, détecte implicitement la réponse contre-transférentielle aversive visuelle exprimée. Dans un contexte divan-fauteuil, le patient perçoit cette réponse du clinicien à sa communication affective négative à travers les modifications du ton de sa voix. Il est maintenant bien établi que des comportements émotionnels non verbaux et inconscients au sein de la dyade modulent fondamentalement les mises en acte. Plus encore que les verbalisations du clinicien, c’est son activité émotionnelle qui crée un environnement sécurisant et contenant. Ce mécanisme régulant de l’affect rejoint la notion des « fonctions contenantes » décrites par D.W. Winnicott. Elles sont définies comme un complexe de fonctions maternelles émotionnelles et physiques, exprimées tout spécialement, par les yeux et la voix que « la mère suffisamment bonne » et disponible utilise, face aux expressions émotionnelles et impulsives du nourrisson.


Il s’agit d’un processus transpersonnel qui devient la voie de cette indispensable connexion psychobiologique.


Afin de maintenir un environnement contenant face à une poussée croissante d’affect négatif émanant du patient, le clinicien doit résister à un contre-investissement du déséquilibre psychobiologique du cerveau droit par un passage dominé par l’hémisphère gauche.


Contrairement à l’hémisphère gauche, l’hémisphère droit présente un mode de traitement apparenté à « une mise en attente ». C’est pourquoi, le thérapeute doit se retenir de faire quelque chose jusqu’à ce qu’il ait vécu avec les sentiments évoqués pendant un certain temps. S’il échoue à tenir assez longtemps, cela se manifestera sous la forme d’une activité du cerveau gauche, soit l’apparition soudaine d’une conduite verbale, autrement dit une interprétation prématurée. Le thérapeute doit donc contenir l’identification projective et ne pas la retourner prématurément. Les interprétations prématurées sont le reflet d’un désengagement thérapeutique indiquant que le clinicien bat en retraite et fait appel à des processus secondaires de l’hémisphère gauche.


A.N. Schore rappelle que les traumatismes précoces, la psychopathologie de l’attachement et les défenses relevant de la dissociation sont emmagasinés dans l’hémisphère droit. Cet hémisphère domine les communications émotionnelles, l’empathie et la régulation affective mais aussi les cognitions non linéaires et les processus primaires.


Au cours d’une mise en acte thérapeutique, lorsque l’affect est accentué, la clé de la capacité à maintenir un environnement contenant et co-créé de cerveau droit à cerveau droit réside dans la capacité du clinicien à éviter de conclure et à tolérer l’ambiguïté, l’incertitude et le manque de différenciation afin de pouvoir s’interroger.


Le thérapeute doit s’occuper simultanément de son fonctionnement autorégulateur et également participer pleinement avec le patient à une exploration mutuelle au développement et à l’échange affectif.


Un processus symbolique peut alors s’élaborer lui permettant de créer un scénario parallèle affectif et imagé en résonance avec celui du patient grâce à ces allers-retours entre les éprouvés du patient et un retrait réparateur.


Ce processus de symbolisation implique l’ouverture à la communication du patient et le maintien de cet état assez longtemps pour permettre aux images sensori-affectives d’émerger à la conscience.


Les processus contre-transférentiels se reconnaissent à la capacité de percevoir et d’utiliser les qualités sensorielles et affectives de l’imagerie que le patient engendre chez le thérapeute.


Une des caractéristiques les plus importantes des métaphores est sa fonction pictographique des images par laquelle les états internes sont accessibles au regard. L’hémisphère droit domine la pensée par image. Une stratégie holistique et synthétique qui permet l’interaction des images les unes aux autres sur plusieurs plans à la fois. Des images peuvent émerger de la mémoire affective corporelle implicite, procédurale et inconsciente du clinicien.


Ces images concernent les stratégies régulatrices associées à ces expériences, ainsi qu’à la régulation antérieure de l’état négatif de détresse du patient. Un croisement se produit entre ses propres images internes perceptives, somatiques, affectives liées à son état et celles du patient.



Notion d’attachement


L’accent mis sur le développement précoce représente une base commune à la psychanalyse, la neurologie et la psychologie. S. Freud en 1913 déclarait : « C’est ainsi que la psychanalyse depuis le tout début a été amenée à s’attarder aux processus de développement. Elle dût […] effectuer […] le travail d’une psychologie génétique. » J. Bowlby (1969) est le psychanalyste qui a probablement contribué le plus significativement à la compréhension de cette notion de développement.


La notion centrale qu’il développe est celle d’attachement dans laquelle il applique les concepts biologiques du moment à une compréhension psychanalytique du lien mère-enfant.


Sa réflexion est centrée sur une question fondamentale à savoir : comment et pourquoi certains événements ontogénétiques survenant précocement ont-ils un effet aussi extraordinaire sur tout ce qui suit ?


J. Bowlby a imaginé en réponse à cette question que la phase essentielle de l’enfance sur laquelle se joue le premier temps du drame humain est celle dans laquelle une mère et son enfant expérimentent une connexion et une déconnexion de leur communication émotionnelle vitale. On retrouve ici la notion de « rencontre » développée par R. Roussillon.


Les transactions d’attachement se produisent en même temps que la poussée de croissance du cerveau qui s’étale sur la période de zéro à deux ans. C’est plus spécifiquement le cerveau social émotionnel qui soutient les opérations uniques du psychisme de l’hémisphère droit.


Ainsi la notion d’attachement est indissolublement liée aux neurosciences du développement. La théorie de l’attachement est fondamentalement décrite comme une théorie de la régulation. Derrière la notion d’attachement sécure, ce qui parcourt l’interaction mère-enfant c’est la notion centrale de synchronisation affective.


Du côté du bébé à deux mois une étape déterminante du développement touche le cerveau de l’enfant qui permet une progression fulgurante de ses capacités sociales et émotionnelles. L’intérêt qu’il va porter au visage et au regard maternels agit comme un canal interpersonnel puissant de transmission des influences réciproques et mutuelles sur un mode non verbal.


D.W. Winnicott avait de son côté déjà souligné ce rôle fondamental du miroir humain représenté par le visage maternel. Dans ce processus de synchronisation affective, la mère intuitivement s’accorde et rentre en résonance avec l’état de l’enfant au repos.


Elle ajuste subtilement et corrige l’intensité et la durée de son état affectif afin de maintenir l’état affectif positif du bébé. Lorsque celui-ci est dynamiquement activé, il synchronise l’intensité de leur comportement affectif à l’intérieur de quelques fractions de secondes.


Plus les réponses de la mère sont contingentes, plus cette dernière accorde son niveau d’activité à celui de l’enfant durant les périodes d’engagement social, plus elle lui permet de récupérer calmement au cours des périodes de désengagement.


La synchronisation va s’établir sur la base d’une contingence au cours des trois phases : engagement, désengagement, réengagement. Il s’agit de faire pour chacun l’apprentissage de la structure rythmique de l’autre. La mère doit être psycho-biologiquement adaptée, pas seulement au comportement observable de l’enfant, mais plutôt à la réflexion de son état interne.


Elle doit être en mesure de moduler des niveaux élevés de stimulations aussi bien que de bas niveaux susceptibles d’entraîner des états d’hypostimulations chez l’enfant.


A.N. Schore définit l’attachement comme un accordage psychobiologique. « L’attachement peut ainsi être défini comme étant la régulation interactive de la synchronicité biologique entre les organismes. » La synchronisation affective permet de réguler le niveau de stimulation positif et négatif. Elle permet de minimiser les affects négatifs mais aussi de maximiser les affects positifs. Elle ne se limite pas à un état sécurisé à la suite d’une expérience de dysrégulation et d’un état de stress négatif. Elle facilite aussi l’amplification interactive des affects positifs, apanage de la dynamique interactive du jeu.


Il se produit un transfert d’affect entre la mère et l’enfant qui favorise l’intériorisation des relations primaires. Dans un travail centré sur les proto-conversations mère-enfant, Trévarthen (1989), (1990), (2003) précise que « les régulateurs intrinsèques de la croissance cérébrale chez l’enfant sont spécifiquement adaptés pour être couplés par la communication émotionnelle aux régulateurs du cerveau adulte ». La croissance du cerveau du bébé dépend des transactions affectives à l’intérieur de la dyade, mais aussi et surtout, elle requiert une interaction de cerveau à cerveau dans un contexte affectif intime et positif.


De nombreux spécialistes s’accordent à décrire l’antériorité de la maturation du cerveau droit sur le cerveau gauche. Les processus psychiques primaires auraient donc pour siège l’hémisphère droit. Ce dernier domine pour la reconnaissance du visage maternel, la perception des expressions émotionnelles faciales de la mère, les informations émotionnelles visuelles et la prosodie de la mère.


D’un point de vue biologique, le cerveau droit joue un rôle supérieur dans la régulation des fonctions physiologiques endogènes fondamentales dont les centres de contrôles sont situés dans les zones sous-corticales du cerveau, et ce durant toute la vie.


Selon A. Damasio, l’hémisphère droit contient la carte la plus complète et la plus synthétique sur l’état du corps à chaque instant dont puisse disposer le cerveau (A. Damasio [1995]). On pourrait en inférer à l’instar de A.N. Schore, que la définition de S. Freud (1915) de la pulsion comme étant « le représentant psychique des stimuli ayant leur origine dans l’organisme et atteignant l’esprit » pourrait être mieux définie comme psychisation de l’hémisphère droit.


Les individus présentant des histoires d’attachement perturbé laissent apparaître des troubles de l’empathie, c’est-à-dire une capacité limitée à percevoir les émotions des autres. Une incapacité à lire l’expression faciale entraîne une connaissance et une interprétation erronées des états émotionnels et des intentions de l’autre. En situation de stress, ces individus expriment non pas des affects distincts et différentiés mais des états diffus, indifférenciés et chaotiques accompagnés de sensations somatiques et viscérales qui les submergent.


Ils font preuve d’une capacité limitée à réfléchir sur leur propre état émotionnel. L’hémisphère droit est au cœur de la communication relationnelle non-verbale entre le patient et le thérapeute. Il reconnaît les émotions à partir de signaux faciaux perçus visuellement. Il est spécialisé dans l’apprentissage implicite et il effectue une appréciation visuelle faciale très rapide (90 millisecondes). De plus, l’hémisphère droit utilise un mécanisme attentionnel expansif qui s’attarde à des caractéristiques globales, contrairement à l’hémisphère gauche qui utilise un mode restrictif qui s’attache au détail localisé.


La notion d’attention flottante décrite par S. Freud relèverait d’avantage de l’hémisphère droit. Comme le précise M. Beeman (1998), « le code sémantique large de l’hémisphère droit est utile pour noter et intégrer des informations sémantiques qui sont reliées mais distantes ».


Ceci contraste avec l’hémisphère gauche qui active un champ sémantique étroit. Ainsi l’association libre relèverait-elle aussi des fonctions de l’hémisphère droit suivant la définition de W. Bucci (1993) qui décrit l’association libre comme caractérisée par le fait de suivre les traces de schémas non verbaux.


Le travail du thérapeute consiste donc à changer la dominance d’un état hémisphérique gauche vers le droit en relâchant la tension du langage verbal pour faciliter le processus associatif. Pour recevoir des communications transférentielles porteuses d’affects dissociés par un traumatisme, le thérapeute doit donc déplacer son attention flottante de l’influence du cerveau gauche vers celle du cerveau droit.


Il s’agit d’un passage vers un état empathique qui suspend temporairement les activités intellectuelles et verbales les plus élevées de la connaissance au profit des couches profondes de son psychisme.


Dans ces conditions, le patient pourra utiliser le mécanisme de l’identification projective pour communiquer l’histoire de sa détresse.


D’une manière générale, les patients présentant des états de dépendance psychique utilisent l’identification projective parce qu’ils cherchent à introduire dans la relation thérapeutique des expériences affectives qui n’ont pas été encodées affectivement et qui ne peuvent pas être communiquées verbalement. Matériel qui peut demeurer non symbolisé parce qu’il fut encodé dans des conditions traumatiques se rapportant à la période préverbale de la vie (pour les inscriptions premières). Ces expériences s’expriment dans une forme somato-sensorielle conformément à la période primaire au cours de laquelle elles se sont construites.



Cas clinique


Léo et Sébastien ou la réduction à l’identique


Ainsi Léo, 6 ans, qui présente une souffrance narcissique identitaire et une difficulté d’organisation spatiale et temporelle de laquelle émerge la difficulté de symbolisation du ressenti corporel.


Le cas de Léo nous permet de mesurer à quel point le soi et le non-soi non différenciés conduisent dans le transfert, le thérapeute à occuper la fonction du négatif de la psyché du patient.


La séquence se déroule sur une seule séance et débute dans la salle d’attente.


Léo, en réponse à la poignée de main du thérapeute, lui tend sa main gauche. Le thérapeute, sans se focaliser sur cette question, lui fait remarquer qu’il ne lui tend pas la bonne main.


Immédiatement parvenu dans le bureau du thérapeute, Léo va reprendre cet échange initial et le répercuter dans plusieurs domaines langagiers décrivant à quel point la rencontre initiale, rééditant la relation primaire à l’objet, l’a impacté.


Il prend un personnage playmobil® et le fait tomber après l’avoir mis debout en disant au thérapeute : « Il a du sang dans le nez. » Le thérapeute lui répond : « Pourquoi, parce qu’il est tombé ? » « Non, il “sent” le “sang”.»


Ensuite, il prend un crayon avec lequel il se pique le doigt tout en demandant au thérapeute : « Est-ce que j’ai mal si je me pique avec le crayon ? »


Face aux réponses insatisfaisantes pour lui produites par le thérapeute, il se dirige vers une armoire dont il cherche sans succès à ouvrir et fermer la serrure en jouant avec la clé. Excédé par l’échec et peut-être par l’absence de réponses symbolisantes fournies par le thérapeute, il dira sur un ton irrité : « J’arrive pas à trouver le quoi ? »


Ce n’est qu’en mettant en perspective les différentes séquences décrites qu’il fut possible pour le thérapeute de comprendre que la réponse était le « bon sens ».


On voit donc à travers ces scénarios que le point de départ s’origine dans la rencontre autour de la question de la main droite et de la main gauche. Le thérapeute faisant remarquer à Léo qu’il ne tendait pas la main du bon sens. Alors que pour Léo, tout naturellement, la gauche correspondait à la main droite du thérapeute en face de lui (la main du miroir).


À partir de là, Léo va questionner la polysémie du corps et du langage, ramenant tout à l’identique et déposant transférentiellement sur le thérapeute la représentation de ses déterminants psychiques et corporels. C’est le thérapeute qui est dépositaire de son existence psychosomatique.


Une autre courte vignette clinique complémentaire confirme que dans la relation transférentielle dans ces conjonctures narcissiques, le thérapeute est dépositaire des référentiels corporels et sensoriels du patient lorsque la symbolisation primaire n’a pas permis l’étayage.


Dans le cas de Sébastien, lors d’une passation du WISC-R (Wechsler Intelligence Scale for Children, échelle d’intelligence de Wechsler pour les enfants), la psychologue est surprise par une des réponses données par Sébastien. À la question : « Combien de pattes a un chien ? », l’enfant répond « une ». Puis constatant la mimique de la psychologue, il ajoute : « Deux » et enfin : « Je ne sais pas. »


Là encore, on peut faire l’hypothèse que de manière écholalique, l’enfant sans repère corporel différenciateur du moi et du non-moi, s’en remet à la question. La réponse qu’il donne reprend en miroir les termes de la question : le chien a une patte.

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May 4, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 16: Hypothèses sur l’identité des fonctionnements psychiques, neurologiques et biologiques

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