Chapitre 16. Hospitalisation et séparation
Séparationhospitalisation etIl n’y a pas si longtemps, l’hospitalisation des enfants s’organisait exclusivement autour des prérogatives de santé physique : les préoccupations autour de son bien-être n’avaient pas lieu d’être, d’une part, parce qu’elles risquaient de rentrer en concurrence avec les soins médicaux et, d’autre part, parce qu’elles semblaient être de bien moindre importance qu’eux.
L’enfant hospitalisé était séparé brutalement de son milieu familial sans état d’âme, passait ses journées sur son lit d’hôpital sans visite aucune, ballotté de salle en salle pour des examens, privé de toute activité de jeu et d’école et isolé des autres enfants. Il s’agissait avant tout d’assurer les soins d’hygiène et infirmiers, ainsi que de répondre aux besoins physiologiques.
Dans les années 1950, de nombreux travaux ont alerté les équipes quant aux effets délétères potentiels de la vie en institution (hôpitaux, mais aussi pouponnières et orphelinats…) non seulement sur l’équilibre affectif des enfants, mais aussi sur l’évolution de leur maladie. Ce qui inquiète alors sont les répercussions des séparations plus ou moins longues des enfants les plus jeunes d’avec leur mère. Les esprits s’ouvrent ainsi aux signes de souffrance manifestés par ces enfants, en particulier dans le contexte hospitalier.
Séparation de la mère et du bébé
Séparationde la mère et du bébéR. A. Spitz et J. Bowlby, pour ne citer qu’eux, sont les grands pionniers des recherches concernant les conséquences physiques et psychiques des séparations précoces de la mère et du bébé. Pour Bowlby, «l’examen des bébés recueillis ne devrait laisser place à aucun doute quant aux effets nocifs que peut avoir sur le développement de l’enfant une absence de la mère au tout début et dans les premières années de la vie. La frustration qui en découle a des répercussions pendant la période où elle est subie et plus ou moins longtemps après; dans ses formes graves, elle peut avoir des conséquences profondes qui demeurent irréversibles» (Bowlby, 1973).
La séparation d’un bébé et de sa mère en l’absence de substitut maternel peut être la cause de troubles soit parce qu’elle se prolonge dans le temps, soit parce qu’elle se répète fréquemment. Cette séparation peut concerner l’environnement familial habituel de l’enfant : son père, ses frères et sœurs, ses affaires…
Elle représente une privation affective pour le nourrisson à l’origine de carence affectiveCarence affective (qualitative ou quantitative). Ses répercussions sont variables selon :
• l’âge, les caractéristiques propres à l’enfant (tolérance à la frustration, vulnérabilité);
• l’intensité, la durée et les modalités de la carence;
• la qualité de la relation au moment de l’installation de la carence;
• la qualité de la relation après la carence.
Les manifestations sont tout d’abord liées au traumatisme que représente pour l’enfant la séparation; elles témoignent ensuite d’un état de carence affective.
Une expérience traumatisante pour le bébé
Bowlby décrit la séparation d’avec la mère comme une expérience traumatisante pour l’enfant.
La réaction de ce dernier évolue dans le temps. Il décrit un déroulement en trois phases pour les enfants âgés de six mois à trois ans :
• la phase de détresse, avec protestation active et bruyante, agitation, cris, pleurs, refus de se laisser approcher;
• la phase de désespoir, avec désarroi intense et comportement de retrait;
• la phase de détachement, au cours de laquelle le bébé accepte les soins de n’importe qui et semble perdre tout attachement spécifique à sa mère.
Les réactions de l’enfant au retour de la mère sont variables selon la durée de la séparation : cela peut être de la joie mais aussi de l’anxiété, de l’agressivité, voire un désintérêt apparent. Toutes ces manifestations sont habituellement réversibles quand l’enfant retrouve sa mère ou un substitut adéquat. Mais l’enfant peut aussi construire un mode d’attachement non sécure qu’il gardera toute sa vie.
Dépression anaclitique et hospitalisme
DépressionHospitalismeEn cas de séparation prolongée, une dépression dite «anaclitique» (c’est-à-dire d’abandon) peut s’installer. Celle-ci est décrite par R. A. Spitz (1949) chez les enfants en situation de carence affective du fait de leur placement en orphelinat. L’éloignement de la mère, l’absence de substitut maternel fiable, le défaut de soins affectifs sont à l’origine de tableaux morbides bien que les conditions de soins matérielles, hygiéniques et alimentaires soient remplies.
Les réactions de l’enfant à la séparation se déclinent selon trois temps :
• une phase de pleurs, de demande, d’accrochage à l’observateur;
• une phase de gémissements, avec stagnation du développement psychomoteur et perte de poids;
• une phase de retrait et de refus du contact, avec perte de poids et insomnie, retard de développement, sensibilité accrue aux maladies.
Cette évolution correspond à la dépression anaclitique. Ce terme souligne la privation de l’appui maternel dont l’enfant a besoin pour se développer. Le tableau clinique est rapidement réversible si la mère (ou un substitut satisfaisant) est restituée à l’enfant avant une période critique. Le terme d’hospitalisme désigne la forme aggravée de ce même tableau. Le contexte de l’éloignement maternel est alors institutionnel et le retentissement physique est majeur :
• état de stupeur catatonique;
• mouvements rythmiques et poses bizarres des mains et des doigts;
• état de dénutrition proche du marasme;
• troubles somatiques;
• retard de développement psychomoteur.
Ce qualificatif d’«anaclitique» est par la suite étendu à la notion d’«hospitalisme intrafamilial».
Carence affective
Carence affectiveDe nombreux travaux ultérieurs ont confirmé ceux des pionniers. Les manifestations de carence affective se regroupent selon quatre grands axes :
• les troubles somatiques : troubles alimentaires et troubles du sommeil, plus grande sensibilité aux infections, retards staturo-pondéraux;
• le retard de développement des grandes fonctions instrumentales (motricité, intelligence, langage);
• les troubles relationnels et les troubles affectifs : désintérêt, inertie, apathie, repli sur soi, absence de jeux, activités autoérotiques compensatoires puis, à l’autre extrême, stupeur catatonique.
Les tableaux de carences partielles sont plus fréquents notamment, dans les institutions d’enfants où, malgré les progrès d’ensemble, persistent des soins discontinus et impersonnels. Les manifestations moins marquées sont à type de manque d’initiative, curiosité réduite, jeux pauvres, passivité dans les contacts sociaux et les relations aux autres… Certaines de ces manifestations se rapprochent du «syndrome du comportement videSyndromedu comportement vide» décrit par L. Kreisler (1987) lors d’expériences de carences relationnelles.
Par ailleurs, certains de ces tableaux font discuter une évolution possible d’allure autistique (atonie thymique, inertie motrice et pauvreté interactive, repli).
Les enfants ayant souffert de carences importantes et précoces peuvent se construire avec des traits de personnalité abandonnique : à la pauvreté de la vie psychique font écho les angoisses d’abandon, le sentiment d’insécurité, le vécu d’infériorité, le besoin d’une relation anaclitique sur laquelle s’appuyer. Les failles narcissiques sont majeures. Dans certains cas, des états dépressifs, des conduites addictives ou bien des conduites antisociales apparaîtront plus tard, lors de l’adolescence notamment.
En France, en 2009, si l’hospitalisme a disparu dans les services de pédiatrie, il faut cependant rester vigilant et mesurer tous les effets de certaines hospitalisations prolongées pour des bébés fragiles et vulnérables. La préventionPrévention de ces troubles graves est fondamentale. Pédopsychiatre et psychologue de liaison doivent continuer à sensibiliser les équipes soignantes aux effets psychiques des séparations prolongées.
Angoisse de séparation chez l’enfant
Angoissede séparationÀ partir d’observation d’enfants et notamment de son petit-fils, Ernst, qui ne pleurait jamais quand sa mère le quittait pour des heures, S. Freud conceptualise les enjeux de la séparation chez l’enfant. En effet, au cours du jeu resté célèbre sous le nom de «jeu de la bobine» (ou «fort-da»), l’enfant jette au loin une bobine attachée à un fil et montre du plaisir à faire disparaître et réapparaître la bobine. Il en est aussi du jeu de cache-cache et du plaisir à retrouver celui qui avait disparu, voire à se faire disparaître. Disparition et réapparition, départ et retour sont mis en scène dans une séquence complète qui reproduit les allers et venues de la mère. C’est là un prototype possible du processus de séparation. On peut en rapprocher un autre jeu, rudimentaire mais qui relève de la même dynamique, celui de la mère qui couvre et découvre alternativement son visage devant l’enfant. À une telle disparition a coutume de succéder une réapparition et l’enfant «peut alors ressentir […] de la désirance qui n’est pas accompagnée de désespoir» (Freud, 1926).

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