Cas 15. Quand un Enfant Dérange
PREMIÈRE CONSULTATION
HISTOIRE PÉRINATALE
Les parents sont non apparentés en bonne santé, sans antécédent médical familial notable. La fratrie est composée de trois enfants dont une première fille née par CS pour présentation du siège sur un bassin limite à 40 SA avec un PN de 3 200g ; sa scolarité est normale. Un troisième enfant, un garçon né par CS itérative à 38 SA avec un PN de 2 860g, est bien portant.
L’enfant qui consulte est le deuxième né. Voici le récit de la mère: à la fin de la grossesse considérée comme normale, elle se rend à la consultation systématique de « fin de grossesse » à 40 SA. Elle signale une diminution récente des mouvements actifs. On enregistre une anomalie du RCF qui entraîne la décision de CS en urgence. Les scores d’Apgar sont de 10 à 1 et 5 minutes. Dès sa naissance, l’enfant est placé auprès d’elle: elle remarque dès le premier jour que son enfant est mou et endormi ; il boit lentement, avec amélioration partielle en 3 ou 4 jours qui permettra la mise en route de l’allaitement maternel ; la normalisation demeure incomplète: l’enfant reste mou et endormi par comparaison avec son premier enfant.
ÉTAPES DU DÉVELOPPEMENT JUSQU’À 4 ANS
– Premier sourire à 3 mois.
– Station assise indépendante à 8 mois.
– Phase prélinguistique sans particularités ; cependant, à 17 mois, la naissance du jeune frère est suivie d’un arrêt de langage, alors qu’il disait « papa, maman » et quelques mots.
À 3 ans, il est scolarisé à mi-temps. Le compte rendu de son institutrice à la fin de cette première année scolaire est le suivant: « Son comportement impose une vie assez à part dans sa classe, car il est incapable de suivre le rythme normal du groupe ; il ne comprend pas ce qu’il doit faire. Il est agité, instable, mais ne refuse pas le contact (il entraîne l’adulte vers l’objet convoité). Il émet des sons incompréhensibles ; il pousse des cris perçants quand il est content. Il prononce « papa et maman » mais il emploie ces vocables pour dire merci et au revoir. Il peut cependant comprendre des consignes simples. Son attention est très courte. Il n’a aucun repère dans le temps ni dans l’espace. »
ORIENTATION ET AIDES REÇUES JUSQU’À CE JOUR
Jusqu’à l’âge de 3 ans, aucun problème n’avait été identifié. Peu après la rentrée scolaire, l’école ayant repéré des anomalies dans le comportement de l’enfant, une observation psychiatrique en hôpital de jour est proposée: tentative entreprise mais écourtée par la mère car son fils, dit-elle, était entouré d’enfants autistes. Adressé par la suite en consultation psychiatrique dans un CHU, aucune conclusion n’est proposée à la mère ni sur le diagnostic ni sur la prise en charge. L’interprétation jusque-là est psychologique, insistant sur le rôle d’un milieu socioculturel défavorisé. C’est alors qu’intervient la directrice de l’école. Dans l’espoir de progresser dans le diagnostic et la prise en charge de cet enfant, elle nous demande de le voir.
EXAMEN NEUROLOGIQUE À 4 ANS
Le poids 15 800g (25e perc.) et la taille 99cm (25e perc.) montrent une croissance normale, donc avec rattrapage staturopondéral entre 0 et 4 ans. Aucune dysmorphie n’est identifiée.
L’examen crânien montre cependant un PC insuffisant avec 49cm à 4 ans (< 2e perc.). La courbe montre (fig. 15.1) un chiffre initial situé sur le 25e percentile puis un ralentissement de la vitesse de croissance céphalique qui l’amène, avec 40cm à l’âge de 4 mois, entre le 0,4e et le 2e percentile. Il a maintenu cette courbe depuis. Un bourrelet est palpé sur les sutures métopique, coronale et squameuse.
Fig. 15.1 |
L’examen neurologique est difficile en raison du refus de l’enfant. Les MI sont raides, les muscles du mollet tendus, l’angle de dorsiflexion à 90° ; il n’est pas possible d’affirmer la présence d’un stretch lors de l’étirement rapide des triceps (il est probablement présent). Sursauts et réactions de peur sont fréquents. On ne peut pas poursuivre l’examen. L’enfant utilise de façon préférentielle la main gauche. Au cours de cet examen, aucun mot n’est entendu. L’enfant est toujours en mouvement, ne prête aucune attention aux adultes qui l’entourent. Il explore les jouets, mais ne joue pas. De temps en temps, il pousse des cris ou des sons inarticulés. Le regard est accrochable lorsqu’on arrive à attirer son attention. Il semble que le regard conjoint soit présent. La mère décrit des accès de colère dans lesquels il s’enferme de façon assez durable. À l’école, il n’est pas capable de jouer avec les autres ; il est violent avec ses condisciples.
COMMENT CONCLURE CETTE PREMIÈRE CONSULTATION ?
OPINION PERSONNELLE DU LECTEUR SUR QUATRE QUESTIONS
RÉPONSES PROPOSÉES
Éléments essentiels
– À la naissance, une RCIU légèrement asymétrique au profit du PCN (25e perc.), TN et PN inférieurs au 9e percentile. Ce n’est probablement pas une petite taille constitutionnelle. En effet, cet enfant est un garçon deuxième né, pesant 400g de moins que sa soeur aînée au même terme. Ceci suggère plutôt une pathologie foetale ayant retenti sur la croissance fœtale.
– À 4 ans, une microcéphalie avec bourrelets des sutures du pôle frontal, acquise au cours des 4 premiers mois de la vie ; un langage limité à quelques mots incompréhensibles ; un trouble du comportement sévère qui compromet l’intégration scolaire, avec difficultés de compréhension, agitation motrice permanente, jeu rudimentaire, contact visuel facile mais bref.
Interprétation proposée à la famille
Les difficultés de compréhension et d’expression sont évidentes ; nous ne savons pas si l’agitation et la violence sont réactionnelles à cette impossibilité de communiquer, ni comment les troubles vont évoluer. Quant à la cause de cette situation, nous nous orientons vers une pathologie foetale en raison de l’histoire périnatale que la mère vient de nous raconter et du trouble de la croissance crânienne que nous venons de constater. Autrement dit, dans ce premier entretien, nous avons laissé entendre à la mère que le trouble du comportement est à rattacher à une pathologie du développement, et non à ses difficultés sociofamiliales.
Prise en charge indiquée
La prise en charge sera étudiée à la suite des prochaines investigations: les résultats permettront d’organiser celle-ci avec l’aide de l’école et la commission scolaire.
Investigations demandées
– Demande de précisions sur grossesse et naissance à l’équipe obstétricale.
– Vérification de l’audition.
– Bilan orthophonique.
– IRM cérébrale.
– Recherche de critères diagnostiques selon le DSM-IV.
– Consultation génétique.
SUIVI ET RÉSOLUTION DE PROBLÈME
RÉSULTATS DES INVESTIGATIONS
Complément d’information sur la grossesse et l’accouchement
Grossesse: jusqu’à 35 SA, la vitalité foetale est bonne et la croissance foetale est normale. La croissance ralentit après 35 SA. À 39 SA, vélocimétrie Doppler et RCF sont toujours satisfaisants.
Consultation de fin de grossesse à 40 SA: la mère signale une diminution des mouvements actifs. Le RCF fait au cours de cette consultation montre un ralentissement à 60bpm pendant 2 minutes. La décision de CS en urgence est prise en raison d’une suspicion d’hypotrophie foetale, d’un utérus cicatriciel et de conditions locales défavorables pour un déclenchement. La mère ayant déjeuné 1 heure avant la consultation, la CS est programmée pour 5 heures plus tard. Un nouvel enregistrement du RCF 2 heures ½ après la décision de CS est normal. La CS est faite sous rachianesthésie, sans difficulté technique. Le LA est clair et les scores d’Apgar sont de 10 à 1 et 5 minutes. L’enfant est placé auprès de sa mère.
En résumé: RCIU constituée entre 35 et 40 SA. CS en urgence sur diminution des mouvements actifs et ralentissement à 60bpm pendant 2 minutes. Dépression modérée du SNC (hypotonie et hyporéactivité) ayant persisté au-delà de la première semaine.
Tests auditifs
L’audition est normale.
Bilan orthophonique
Le résumé des observations est indiqué ci-dessous.
– Contact: bon mais bref.
– Comportement: très agité pendant l’examen.
– Capacités praxiques et alimentation: les imitations des mobilisations faciales sont possibles et l’amusent. Le bavage est presque constant. Il mange très goulûment, avec ses mains ; la mastication est probablement trop brève.
– Capacités expressives: une vingtaine de mots est apparue récemment (dans le mois écoulé entre la consultation médicale et cet examen orthophonique). Le jargon devient abondant ; la répétition améliore les productions.
– Capacités réceptives: le déficit est massif. Seuls les commentaires à propos de la vie quotidienne sont compris ; le support des objets concrets est indispensable à la compréhension.
– Capacités cognitives – jeu: le jeu se limite à la bagarre avec les autres ou à l’éparpillement des jouets. Le jeu symbolique se met lentement en place. Les activités de tri et d’association d’idées sont impossibles. Les appariements d’images sont obtenus sur forte sollicitation ; il est attentif à une histoire avec support d’un livre (images). Il écoute, répète les mots et phrases simples, comprend les situations. Sur l’ordinateur, les boutons et images le fascinent mais l’action dirigée est impossible.
– Graphisme: la production se limite à quelques points ; la copie n’est pas possible ; le matériel ne semble pas reconnu. Les manipulations fines sont peu précises et peu diversifiées. Ainsi, la manipulation des ciseaux l’a intrigué mais le découpage n’a pas été possible.
– Apprentissage: il se montre souvent intéressé par les nouvelles propositions, mais son attention est de très courte durée. L’accompagnement de l’adulte est nécessaire pour lui permettre d’accéder aux représentations et à l’autonomie dans la vie quotidienne.
En résumé, le trouble du développement est caractérisé par: un déficit important de la compréhension verbale, un déficit des capacités symboliques nécessaires à l’acquisition du langage fonctionnel, une expression limitée à quelques mots, dénomination d’objets de la situation immédiate, des difficultés attentionnelles gênant les activités. Une intervention orthophonique, associée à une aide en psychomotricité/ergothérapie, est indispensable pour que l’enfant évolue dans son développement.