15: Pharmacovigilance


Pharmacovigilance






Histoire de la pharmacovigilance


Il faut toujours avoir conscience que tout médicament est potentiellement dangereux ; cependant, le danger est relativisé en fonction de l’apport thérapeutique, c’est la balance bénéfice-risque. Cette notion n’a pas toujours été appliquée et cela a souvent conduit à de nombreuses catastrophes qui ont, in fine, forgé le concept et l’organisation de la pharmacovigilance.


On pourrait remonter très loin dans le temps pour parler de pharmacovigilance, mais nous commencerons au début de la seconde moitié du XXe siècle et nous nous arrêtons uniquement sur les « grandes affaires » qui conduisirent à la naissance de la pharmacovigilance.


L’affaire Stalinon® déjà évoquée pour son rôle dans l’évolution de la définition du médicament n’a pas eu d’impact sur la naissance de la pharmacovigilance ; en revanche, elle a contribué à la prise de conscience du besoin de sécurisation dans le domaine du médicament.



Trois crises



Le scandale de la thalidomide


La thalidomide est une substance découverte en 1953 par le laboratoire suisse CIBA. Cette dénomination est issue de la contraction du nom de nomenclature phthalimidoglutarimide : (ph)thal(im)ido(glutari)mide. En 1954, la molécule est rachetée par Chemie Grünenthal, laboratoire allemand, et sera dans un premier temps exploitée dans l’insomnie grâce à son puissant pouvoir hypnogène. Elle sera donc rapidement mise sur le marché en Allemagne, dès 1956, sous le nom de Contergan®. Une deuxième indication sera découverte par la suite : le traitement des nausées matinales de la femme enceinte. Elle sera, aussi commercialisée au Royaume-Uni en avril 1958 par la Distiller Company sous le nom de Distival®.


En quelques mois d’utilisation, plusieurs centaines de cas de névrites graves et parfois irréversibles sont signalées. Dès 1959, des obstétriciens allemands constatent une recrudescence de nouveau-nés porteurs de malformations, mais aucune explication n’est trouvée, et l’on ne pensait pas vraiment qu’un médicament puisse provoquer des malformations, car à l’époque le placenta était considéré comme une barrière efficace au passage de tout produit (alors qu’il s’agit en réalité d’un tissu très perméable).


Les principales malformations constatées sont des phocomélies (malformations caractérisées par l’absence totale ou partielle des segments intermédiaires d’un ou de plusieurs membres, les mains ou les pieds s’insérant directement sur le tronc. On estime que plus de 24 000 embryons seront endommagés et que 5 000, devenus adultes, sont toujours en vie.


Une des leçons pharmacologiques de ce drame est la nécessité d’utiliser deux espèces animales différentes dans les tests de tolérance pendant la grossesse : en effet, la thalidomide n’a pas eu d’effets tératogènes sur la rate gravide, mais en revanche il en a manifesté sur la lapine gravide.


En réponse à cette catastrophe, la Communauté économique européenne (CEE), ancêtre de l’Union européenne, va publier la directive 65/65/CEE du Conseil concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques. Par ailleurs, cette crise va, aux États-Unis, largement contribuer à l’émergence des mouvements de défense des consommateurs et amorcer la réforme de la Food and Drug Administration (FDA) : désormais toute AMM nécessitera une démonstration préalable d’efficacité par essais cliniques. Dès 1965, la FDA va imposer des recherches de tératogènicité et de fœtotoxicité.



L’affaire Distilbène®


Le diéthylstilbestrol ou DES est découvert en 1938. En 1946, un article dans The American Journal of Obstetrics and Gynecology, suggère, selon l’hypothèse purement endocrinienne des complications de la grossesse, que l’administration de la substance diéthylstilbestrol diminuerait les avortements, les morts in utero, les accouchements prématurés et autres complications. Bien que son efficacité soit douteuse, une grande quantité de Distilbène® sera prescrite avec un pic de consommation allant de 1965 à 1975 (En France, on estime que 200 000 femmes ont pris du DES).


C’est en 1971 que l’on a commencé à suspecter une toxicité : de nombreux cas d’adénocarcinomes à cellules claires du vagin apparaissent, des cancers en principe rarissimes. Puis en 1977, on découvre chez des jeunes femmes exposées in utero au DES des utérus en forme de T (élargissement des trompes et rétrécissement de la cavité utérine), des hypoplasies utérines (utérus inférieur à 2,5 cm) et des diverticules divers. Les garçons sont aussi touchés in utero, ils développent des kystes de l’épididyme, des hypospadias (malformation de l’urètre caractérisée par son ouverture située à la face inférieure de la verge) et des anomalies testiculaires.


L’administration de Distilbène® illustre une toxicité médicamenteuse inconnue : une toxicité héréditaire. Il est toxique pour les femmes qui l’on pris, pour leurs enfants (2e génération) et pour les petits-enfants (3e génération).


Les conséquences médicales dues à l’administration de Distilbène® ont contribué à renforcer les conditions d’obtention de l’AMM et les précautions d’emploi recommandées chez la femme enceinte. La médiatisation des « affaires » contribue aussi, pour une part, à renforcer l’évaluation des médicaments, notamment après leur mise sur le marché.



Les sels de bismuth


Depuis le XIXe siècle, les sels de bismuth étaient employés pour faciliter la digestion et lutter contre les diarrhées.


En 1973, l’Australie signale une « épidémie » d’encéphalopathies probablement dues au bismuth et la France est touchée en 1975. Le ministère chargé de la Santé demande une enquête à l’INSERM et durcit les règles de délivrance du produit (une ordonnance est désormais obligatoire).


L’enquête de l’INSERM retrouve un premier cas dès 1964 et totalise 945 cas d’encéphalopathies, dont 72 mortelles, au 15 septembre 1979 (avec un pic en 1975 avec 317 cas). Toutes les spécialités orales à base de Bismuth furent retirées du marché en 1978. En 2013, une nouvelle spécialité, Pylera® (sous-citrate de bismuth potassique/métronidazole/tétracycline) est mise sur le marché : « En association à l’oméprazole, Pylera® est indiqué dans l’éradication de Helicobacter pylori et la prévention des récidives d’ulcères gastroduodénaux chez les patients ayant un ulcère actif ou un antécédent d’ulcère associé à Helicobacter pylori. »



Création de la pharmacovigilance


C’est la succession des crises concernant le médicament qui va pousser à la création de la pharmacovigilance.


Dès janvier 1963, l’OMS enjouait ses États-membres à faire remonter des informations sur des médicaments ayant provoqués des réactions fâcheuses. En 1965, l’OMS lance un projet expérimental d’un centre mondial qui fut installé en 1968 à Washington DC, puis transféré en 1970 à Genève et enfin installé dans la ville d’Uppsala en Suède.


En France, une cellule de pharmacovigilance est créée à l’initiative du professeur Louis Roche. Par la suite, seront créés, fin 1972, les six premiers « Centres hospitaliers de Pharmacovigilance » (CHP) à la demande de la DGS sur les recommandations de l’OMS.


En 1973, le « Centre national de Pharmacovigilance » voit le jour sous l’impulsion conjointe de l’Ordre des pharmaciens, de l’Ordre des médecins, des centres antipoison et du Syndicat national de l’industrie pharmaceutique.


Ces structures pilotes seront officialisées par l’arrêté du 2 décembre 1976 du ministère de la Santé, mais il faudra attendre la loi du 7 juin 1980 dite « loi Talon » pour voir apparaître pour la première fois le terme de « pharmacovigilance » dans une loi en tant que tel. Par le décret du 30 juillet 1982, sera créée la Commission nationale de Pharmacovigilance, et les Centres hospitaliers de Pharmacovigilance disparaissent au profit des « Centres régionaux de Pharmacovigilance ».


Le décret n° 95-278 du 13 mars 1995 a permis de préciser ce qu’est la pharmacovigilance, et comment elle doit être organisée. Ce décret tient compte de l’ensemble des textes européens : directive 93/39/CEE et règlement CEE 2309/93. C’est la directive 93/39/CEE qui, en Europe, consacrera pour la première fois la pharmacovigilance.


Les derniers rebondissements de l’affaire dite du benfluorex (Médiator®) ont incité les autorités à renforcer encore la pharmacovigilance.



Structure et fonctionnement de la pharmacovigilance



Définition de la pharmacovigilance


Il est universellement accepté que les médicaments peuvent provoquer des effets indésirables, et ce, dans un cadre de bon usage comme de mésusage. Cependant, si ce risque est accepté, il est également demandé à juste titre qu’il soit le plus bas possible.


En conséquence, la réglementation du médicament est très stricte et lors du développement, des essais précliniques à la fin des essais cliniques, tout est mis en œuvre pour réduire tous les risques. Cependant tous les risques ne sauraient être découvert pendant ces phases, c’est pourquoi a été inventé la phase IV de surveillance post-AMM ou pharmacovigilance.


L’OMS l’a définie en 1969 comme : « la notification, l’enregistrement et l’évaluation systématique des réactions adverses des médicaments délivrés avec ou sans ordonnances ». Et ajoute : « Les renseignements sur ces réactions peuvent être obtenus, soit par des notifications volontaires de médecins praticiens et d’hôpitaux à des centres préalablement désignés (pharmacovigilance spontanée), soit par l’application de techniques épidémiologiques permettant de recueillir systématiquement des informations à certaines sources : hôpitaux, échantillons représentatifs du corps médical, etc. (pharmacovigilance intensive) ».


Cette même organisation ajoute en 1972 qu’il s’agit de : « toute activité tendant à obtenir des indications systématiques sur les liens de causalité probables entre médicaments et réactions adverses dans une population ».


En France, la dernière description en date est apportée par la loi du 29 décembre 2011 : « La pharmacovigilance a pour objet la surveillance, l’évaluation, la prévention et la gestion du risque d’effet indésirable résultant de l’utilisation des médicaments et produits mentionnés à l’article L. 5121–1 ». Cette définition s’insère dans un nouveau chapitre dédié à la pharmacovigilance : ibis du titre II du livre 1er de la 5e article dans le Code de la Santé publique.


À cette définition, il est utile d’ajouter la définition d’un système de pharmacovigilance : un système mis en place afin de s’acquitter des obligations en matière de pharmacovigilance et visant à surveiller la sécurité des médicaments et à repérer toute modification du rapport entre leurs bénéfices et leurs risques.


Les missions de la pharmacovigilance sont expliquées à l’article R.5121-151 du Code de la Santé publique :




Champ d’application de la pharmacovigilance


L’article R.5121-150 précise les produits sur lesquels s’exerce la pharmacovigilance, à savoir :



• les médicaments et produits après la délivrance d’une AMM ;


• les médicaments après la délivrance de l’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) ;


• les médicaments homéopathiques ;


• les médicaments traditionnels à base de plantes ;


• les autres produits mentionnés à l’article L.5121-1 après leur délivrance, à savoir : les préparations magistrales, les préparations hospitalières, les préparations officinales, les produits officinaux divisés, les spécialités génériques, les médicaments immunologiques (vaccins sérums, toxines, allergènes non spécifiques), les produits radiopharmaceutiques, les préparations de thérapies géniques, préparation de thérapie cellulaire xénogénique, les médicaments biologiques et médicaments biologiques similaires.


• les allergènes préparés spécialement pour un seul individu ;


• pour les médicaments dérivés du sang et pour les autres médicaments d’origine humaine, sous réserve des règles particulières prévues pour ces médicaments par le 14 de l’article L.5121-20 ;


• pour les médicaments mentionnés à l’article L.5121-9-1 après la délivrance de l’autorisation prévue à ce même article.



Les acteurs de la pharmacovigilance


La pharmacovigilance est un système qui repose sur de nombreux acteurs interconnectés entre eux (figure 15.1) : les patients, les professionnels de santé, les industries du médicament, les Centres régionaux de Pharmacovigilance, l’ANSM, l’EMA et enfin l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).




L’ANSM


L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est un établissement public de l’État, dépendant du ministre chargé de la Santé, créé par la loi du 29 décembre 2011. Elle succède à l’AFSSAPS, qui elle-même hérita des compétences de l’Agence du médicament.


C’est elle qui assure la mise en place du système de pharmacovigilance en France (article L.5121-23 du Code de la Santé publique) et pour faire respecter ses décisions l’agence dispose de pouvoirs très importants, notamment la prise de mesures de police sanitaire.


L’ANSM doit donc (articles L.5311-1, L.5311-2 et R.5121-154 du Code de la Santé Publique) :





Les industries du médicament


Chaque entreprise (ou organisme) qui exploite un médicament doit avoir mis en place un système de pharmacovigilance. Ce système de pharmacovigilance peut-être sous-traité à une entreprise spécialisée (R.5121-162 du CSP). En plus de ce système, le laboratoire doit mettre en place un système de gestion des risques (article R.5121-163 du CSP).


Au sein de cette entreprise, l’on doit avoir une « personne qualifiée » (QPPV) au sens entendue par l’Union européenne, qui est en permanence disponible, et une « personne référence », qui est soit un médecin soit un pharmacien. Ces deux types de personnes résident dans l’Union européenne ou dans l’espace économique européen.


Ces deux personnes collaborent entre elles pour gérer le système de pharmacovigilance, préparer les déclarations, suivre les études post-AMM, se tenir à la disposition de l’ANSM et fournir toutes les informations nécessaires.


Le laboratoire a également l’obligation de tenir un dossier permanent de pharmacovigilance que l’on appelle Pharmacovigilance system master file (PSMF).


Il se présente sous la forme d’un document en anglais pouvant être électronique. Il regroupe tous les documents relatifs aux activités de vigilance, les audits et les données clé du médicament :


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May 4, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 15: Pharmacovigilance

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