15: Maladies organiques et psychothérapie de soutien

Chapitre 15 Maladies organiques et psychothérapie de soutien



M. Bensoussan



La psychothérapie de soutien des patients souffrant d’une pathologie organique occupe une place importante de par les inquiétudes et les implications que toute pathologie sérieuse apporte. Son cadre est très polymorphe. Il réunit soit des sujets dont la première demande est psychologique et dont la maladie organique est au second plan, parfois même oubliée, soit des sujets qui consultent spécifiquement pour des troubles émotionnels ou comportementaux liés à leur pathologie organique. Plus rarement, certains d’entre eux cherchent une compréhension de leur affection somatique.


La précision du contenu et des limites de la psychothérapie de soutien des patients somatiques concerne différents soignants – le médecin généraliste, le spécialiste « d’appareils », le psychothérapeute –, mais à la double condition :



La spécificité de la thérapeutique de ces patients est de tenir compte de ces deux dimensions pour, sans confusion, tenter de les unir et non de les séparer, dans une réflexion permanente sur leur relation.



Le sujet à soigner est un patient atteint d’une pathologie organique


La pratique médicale s’inscrit dans la relation entre un patient, celui qui souffre, et son médecin. Le premier adresse ses troubles, ses symptômes, montre son intimité corporelle et émotionnelle dans un espace de confidence tellement spécifique que le législateur l’a codifié. Ce tiers garantit une relation unique où le médecin va lire les troubles grâce à son examen clinique, à l’étendue de son savoir médical et à des examens paracliniques. L’impressionnante technicité grandissante n’a pas pu réduire à la seule dimension scientifique cet acte de soin.


À bien des égards, le médecin va transmettre son savoir pour aider son patient à l’appliquer pour traiter ses problèmes grâce à une meilleure connaissance de sa maladie, de sa vulnérabilité et des stratégies thérapeutiques. Mais cet aspect relationnel ne constitue pas une psychothérapie ; celle-ci doit répondre à des pratiques structurées, fondées sur des techniques validées, soutenues par des théories du fonctionnement psychique et de la psychopathologie. La psychothérapie de soutien n’échappe pas à des règles qui participent à leur repérage plus précis, afin de briser son enfermement dans le fond commun de la connaissance. En effet, systématiquement citée, dans les questions de thérapeutique, à côté des psychothérapies structurées, elle est toutefois rarement décrite, analysée et évaluée dans sa pertinence.


Nous limiterons la description de ses particularités à leur très classique indication dans la prise en charge psychothérapeutique des pathologies organiques graves ou durables.




Définir l’espace thérapeutique


Il repose souvent sur un malentendu initial. S’il n’est pas analysé, il conduira à une situation de blocage indépassable. La rencontre thérapeutique dépend de l’intérêt réel que le thérapeute porte au patient et à sa pathologie organique, de ce qu’il repère de sa place dans l’attente psychique qui motive la première consultation et son évolution presque consubstantielle vers une psychothérapie de soutien, au moins dans le cadre usuel de la pratique psychiatrique.


Quels repères pour cette analyse ? Tout d’abord, l’observation des aspects émotionnels, tant ceux du thérapeute que ceux du patient. Le décalage entre les deux protagonistes est un des aspects particuliers de cette situation. L’un est dépositaire du savoir, propice à une distance nécessaire à l’observation ; l’autre est immergé dans ses troubles, avec des émotions qui peuvent supplanter toute objectivité dans sa position. La subjectivité peut alors prendre la forme de l’objectivité absolue. Le thérapeute se doit aussi d’observer, simplement, la situation de la rencontre, sans oublier ce qui va de soi : le contexte précédant la première consultation, la présence ou l’absence de tiers dans cette décision, les liens spontanés ou secondaires que le patient peut faire pour sa pathologie organique. Plusieurs points sont à relever dans les propos du patient : fait-il des rapprochements entre maladie, événements, sensations ? Donne-t-il un sens secondaire à sa pathologie ? Existe-t-elle comme en dehors de lui-même ?



D’autres patients font des choix différents.




Derrière l’évidence, un paradoxe


La psychothérapie ordinaire du médecin, comme celle du psychiatre, appartient au champ de l’évidence, du naturel. Ce champ paraît exister en soi, sans nécessiter de questions, d’élaborations, dans une évacuation toute naturelle de la complexité. Le soutien du soignant, avant même toute ambition psychothérapeutique, procède également de l’évidence, en dehors d’avatars, lors de l’annonce puis de la prise en charge, d’une pathologie organique. Nul médecin n’imagine limiter son rôle :



Derrière ces deux évidences de l’ordinaire du médecin, du psychiatre ou du psychothérapeute, dans lesquelles est inscrite la psychothérapie de soutien, il existe la dimension subversive, voire paradoxale, de l’application aux pathologies organiques de la psychothérapie de soutien. En effet, au-delà du questionnement habituel sur les limites de la psychothérapie de soutien, celui de la place du psychiatre dans la thérapeutique des maladies somatiques doit être abordé.



Quelle compétence pour le corps réel, quel partage ?


La psychosomatique, appellation impropre, introduit pour le psychologue ou le psychiatre un paradoxe. Pour ce dernier, sa formation autant que sa pratique le pousse à être un spécialiste comme un autre, celui du psychisme, de la psychopathologie, du diagnostic différentiel entre psychique et somatique. Alors s’il prétend s’intéresser à la pathologie organique, il doit s’en expliquer. Quelle est la place de la psychothérapie pour des patients atteints de pathologie organique ? Décentrer la prise en charge du seul traitement de la maladie, pour s’intéresser au malade somatique, dont la thérapeutique spécifique, spécialisée, ramenée à l’organe, est menée par le spécialiste référent, selon des règles très souvent éprouvées et protocolisées, recouvre une dimension subversive. L’exemple princeps de la thérapeutique des cancers, structurée à partir de réunions de confrontations pluriprofessionnelles, évolue en phase avec de claires avancées médicales. Mais aujourd’hui, dans ces programmes thérapeutiques, la question du suivi du patient, en dehors des phases médicales, chirurgicales, radio-thérapeutiques de haute technicité, n’est pas abordée. Le reste de sa prise en charge dans la continuité par le médecin généraliste, voire par un psychothérapeute ou un psychiatre, fait rarement l’objet d’un protocole. La dialectique évidence-paradoxe paraît suivre les contours du débat historique sur l’objet du soin, la maladie ou le malade.



Quels objectifs de la prise en charge ?


Ceux de la psychothérapie de soutien visent classiquement à améliorer la symptomatologie, à assouplir les attitudes dysfonctionnelles, à renforcer la partie saine de la personnalité. Mais peut-on en attendre un impact thérapeutique sur la pathologie organique, au-delà de ses objectifs psychologiques d’apaisement, d’accompagnement et de présence ? Une question importante et complexe concerne les liens, car en se gardant de toute psychogenèse, il s’agit d’aller contre la séparation radicale du psychique et du somatique. En effet, l’articulation entre pathologie organique et démarche thérapeutique du patient est à rechercher. Certains, très facilement, donnent au symptôme organique un sens secondaire, événementiel, symbolique, ou situent leurs troubles affectifs dans la continuité de leur pathologie organique. D’autres, au contraire, n’en pensent ni n’en imaginent aucun. Notre posture thérapeutique, proposition liée à une idée de la psychosomatique, vise à explorer et proposer par des questions simples tenant compte de la situation spécifique du patient :




Différences entre soutien et psychothérapie structurée ?


Les psychothérapies structurées impliquent une formation spécifique, tant théorique que pratique, fonction d’écoles, d’une théorisation de la pathologie. Elles sont régies par une orthodoxie technique, un corpus de règles, dans un cadre thérapeutique défini rigoureusement. Le choix se fait dans la réciprocité entre patient et thérapeute. Ce dernier tout en s’intéressant au malade s’adresse à une symptomatologie réputée accessible au type de psychothérapie qu’il sait mener. Leurs objectifs sont clairs, allant de la résolution d’un symptôme psychique invalidant à l’analyse d’un fonctionnement rapporté au complexe œdipien, et aux avatars du développement de la sexualité. Leur cadre est précis, avec des règles, un espace et un temps formalisés, et elles prennent une place essentielle dans la vie du sujet. Le symptôme ou le transfert deviennent les supports du déplacement de toute la problématique qui est rendue accessible et objet du processus thérapeutique.


Pour des patients porteurs d’une pathologie organique, la première demande de soins n’est jamais une psychothérapie. Celle-ci survient secondairement chez le malade confronté au spectre de sa maladie, mais est assez rarement une demande élaborée de psychothérapie.


L’absence de référence clarifiée à une technique laisse le médecin, le thérapeute, confronté à sa capacité thérapeutique propre, une fois dépassées les obligations d’information médicale et de résonance compassionnelle. Celle-ci fait l’objet de peu de description, de peu d’analyse, en regard de la nécessité scientifique de scinder l’efficacité du moyen thérapeutique (la molécule ou tout autre), de celle du prescripteur. Des situations d’excellence médicale modélisent la suppression de l’un des deux facteurs, sans toutefois régler la réalité de leur inextricable intrication dans la majorité des situations médicales. C’est, également, la situation d’une conception qui voudrait séparer absolument le psychique du somatique.



Causalité directe et causalité circulaire


L’exemple de Paul montre bien les risques d’appliquer à la pathologie organique le modèle de la psychogenèse et de la causalité directe.




Aucun médecin ne pourra suivre Paul sur ce terrain de l’étiologie, et pourtant certains modèles théoriques dits « psychosomatiques » prennent en compte des aléas du fonctionnement psychique pour le mettre en rapport direct avec l’apparition de pathologies organiques. C’est ainsi que des facteurs internes comme un deuil, l’intensité d’une douleur ou d’un choc sont parfois mis en relation avec l’apparition d’une maladie, par exemple une sclérose en plaques.


S’il existe des liens entre le psychique et le somatique, ceux-ci ne s’opèrent pas sur le modèle scientifique de la causalité directe, linéaire. D’autres modèles sont nécessaires pour engager le travail thérapeutique à la fois au niveau médical et au niveau relationnel. Mais par relation, il faut entendre les dimensions émotionnelles, de l’imaginaire, du rêve, du rythme, de l’espace et du temps permettant un travail sur la reconquête de l’unité engageant la personne tant sur le plan organique que psychique. Sami-Ali (1987) a introduit le concept de causalité circulaire.

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Apr 23, 2017 | Posted by in MÉDECINE COMPLÉMENTAIRE ET PROFESSIONNELLE | Comments Off on 15: Maladies organiques et psychothérapie de soutien

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access