Chapitre 15 Maladie des griffes du chat et œil
La maladie des griffes du chat (cat scratch disease des Anglo-Saxons) est une maladie infectieuse d’origine bactérienne pouvant s’associer à des signes oculaires. Elle a été décrite pour la première fois en France en 1950 par Debré et al.[1] sous la forme d’une lymphadénopathie régionale subaiguë et bénigne secondaire à un contact avec un chat. Elle peut apparaître également dans la littérature sous la dénomination de maladie des griffures du chat ou syndrome des griffures du chat ou fièvre du chat (cat scratch fever) ou lymphoréticulose bénigne d’inoculation (benign inoculation lymphoreticulosis). Depuis les années quatre-vingt-dix, elle suscite un intérêt croissant, tant sur le plan clinique que bactériologique et épidémiologique. Cependant, l’histoire débute certainement beaucoup plus tôt. S’il a été retrouvé du génome de Bartonella henselae, bactérie identifiée comme étant l’agent infectieux en cause, dans la cavité pulpaire de chats domestiques morts entre le XIIIe et le XVIe siècle [2], ce sont Henri Parinaud en 1889, avec le syndrome oculoglandulaire de Parinaud, et Theodor Leber en 1916, avec la neurorétinite stellaire idiopathique de Leber, qui sont les premiers à avoir approché la maladie au plus près, sans avoir fait le lien avec un contact avec les chats. Ces derniers, réservoirs principaux de la bactérie, sont plus de huit millions en France et cinquantesept millions aux Etats-Unis : la maladie des griffes du chat est potentiellement une zoonose en voie d’extension.
Taxonomie et bactériologie
La taxonomie des bartonelles (du nom du microbiologiste argentin Alberto Leopoldo Barton) est en pleine évolution et l’identification de la bactérie responsable de la maladie des griffes du chat a été le sujet de nombreuses controverses. Initialement, la bactérie incriminée dans la maladie des griffes du chat était Afipia felis[3], rapidement abandonnée pour être remplacée par Rochalimaea henselae[4]. Parallèlement, Rochalimaea henselae était incriminée dans l’angiomatose bacillaire, maladie vasculoproliférative survenant chez le sujet immunodéprimé [5,6]. Puis, à la suite d’analyse génotypique montrant la proximité entre Rochalimaea henselae et Bartonella[7], Rochalimaea henselae a été rebaptisée et elle porte aujourd’hui le nom de Bartonella henselae (en l’honneur de la bactériologiste D.M. Hensel).
Pour la plupart, ces bactéries ont un tropisme marqué pour les érythrocytes. Toutefois, B. bacilliformis, B. quintana et B. henselae sont aussi retrouvées dans la peau, le tissu osseux et les cellules endothéliales. On dénombre dix-neuf espèces différentes de bartonelles ; huit se sont déjà montrées pathogènes pour l’homme (tableau 15-I) : une espèce sud-américaine, B. bacilliformis, et sept autres présentes en Europe et en France, B. clarridgeiae, B. elizabethae, B. grahamii, B. henselae, B. quintana, B. vinsonii subsp. arupensis et B. vinsonii subsp. berkhoffii[8,9]. Deux principaux génogroupes de B. henselae ont été identifiés chez l’homme et le chat : Houston-1 (ou génogroupe I) et Marseille (ou génogroupe II). Mais, avec les progrès du diagnostic génétique, chaque génogroupe a pu être divisé en deux génotypes [10] : le génogroupe Houston-1 comprend le génotype Houston-1 et le génotype ZF-1 ; le génogroupe Marseille regroupe les génotypes Marseille et Cal-1. Cette liste vient d’être complétée par une série de nouvelles espèces découvertes et il est probable que cette dernière sera rapidement remise à jour [11].
Bartonelles | Réservoir | Infections |
---|---|---|
B. henselae | Chat | Maladie des griffes du chat, œil, angiomatose bacillaire, péliose hépatique |
B. bacilliforme | Homme | Fièvre d’Oroya, verruga perruana |
B. quintana | Homme | Fièvre des tranchées, endocardite |
B. elizabethae | Rongeur | Endocardite |
B. vinsoni subsp. berkhoffii | Chien | Endocardite |
B. vinsoni subsp. arupensis | Rongeur | Endocardite |
B. clarridgeiae | Chat | Maladie des griffes du chat a minima |
B. grahamii | Rongeur | Œil |
Épidémiologie
La maladie des griffes du chat n’est pas circonscrite à une région particulière de la planète. On la retrouve sur tous les continents : des cas ont été rapportés aux États-Unis, en Europe, au Japon, en Nouvelle-Zélande et en Australie. Selon le centre national des maladies rares, la prévalence de la maladie des griffes du chat en France est de 6,6 (1,8 à 9,3) cas pour 100 000 habitants et la séroprévalence de 4 % à 6 %. L’incidence est estimée à cinq mille cas par an [12]. Le pic d’incidence semble se situer chez les enfants et les jeunes adultes, 75 % des cas étant rapportés pendant la période froide de l’année, entre septembre et avril. Le sex-ratio hommes/femmes est 3/2.
Aux États-Unis, la maladie est un peu plus répandue, avec une prévalence de 9,3 pour 100 000 habitants. Une étude menée en 1993 a montré qu’elle touchait approximativement vingt-deux mille patients, occasionnant deux mille deux cents hospitalisations par an [13]. Quant à l’Autriche, une étude montre une séroprévalence très élevée (20 %) chez des patients n’ayant eu aucun contact déclaré avec des chiens ou des chats [14].
Le réservoir du germe est donc le chat, plus particulièrement le chaton de moins d’un an [15], le chat errant et le chat infecté par les puces [16]. Environ 80 % des chats, tous âges confondus, sont séropositifs pour Bartonella henselae[17] ; ils peuvent être infectés par quatre autres types de bartonelles : B. quintana, B. clarridgeiae, B. bovis et B. koehlerae[18]. La transmission à l’homme se fait par morsure ou griffure, voire léchage d’une plaie [19,20]. Ce sont les puces de type Ctenocephalides felis qui représentent le vecteur principal de transmission entre chats de B. henselae et de la contamination du pelage du chat [21,22]. Le chat infecté par la bactérie est asymptomatique ; en se grattant, celui-ci contamine ses griffes et inocule la bactérie sous la peau (fig. 15-1). Un autre mode de transmission est lié au fait que le chat est fréquemment porteur de parodontopathies qui entraînent la présence de ces bactéries dans la cavité buccale ; ces bactéries peuvent peut-être aussi être déposées sur son pelage et ses griffes pendant sa toilette.
En revanche, le rôle des puces dans la transmission à l’homme est mal connu. A priori, elles ne peuvent pas infecter l’homme directement par piqûre mais, le germe restant longtemps dans les excréments, il est possible que la transmission se fasse via une plaie mal désinfectée [23]. Ceci pourrait expliquer pourquoi certains patients atteints de maladie des griffes du chat n’ont pas le souvenir d’avoir été griffés ou mordus par un chat. Une autre explication serait la transmission par un autre vecteur. En effet, les puces ne seraient pas les seules impliquées et les tiques représentent un vecteur compétitif pour Bartonella henselae[24]. Le type Ixodes ricinus, responsable de la majorité des piqûres de tique chez l’homme en Europe de l’Ouest, vient d’être récemment incriminé [25,26]. Enfin, la contamination en se frottant les yeux après avoir caressé un chat, provoquant le syndrome oculoglandulaire de Parinaud, a souvent été évoquée, mais jamais documentée [8,27]. Il est probable que d’autres vecteurs (mouches, poux) et hôtes réservoirs pour B. henselae (chiens, bovins, rongeurs) soient découverts dans un avenir proche ou que d’autres sous-types puissent être considérés comme responsables d’une maladie des griffes du chat ou d’un syndrome oculoglandulaire de Parinaud [28].
Signes généraux
La maladie des griffes du chat peut se présenter sous des formes très diverses ; certaines sont admises comme typiques, d’autres plus rares. À côté des entités cliniques décrites ci-après, la symptomatologie est assez riche, notamment au stade des prodromes [29] : sensation de malaise général, céphalées, nausées et vomissements, troubles des voies respiratoires supérieures, diarrhées, arthralgies (tableau 15-II).
Prodromes | Syndrome pseudogrippal Papule d’inoculation |
Phase d’état | Adénopathie régionale et fièvre au long cours (qui peuvent simuler une néoplasie) |
Lésions systémiques | Hépatospléniques Neurologiques Cardiovasculaires Cutanées Osseuses |
FORMES FREQUENTES
ADÉNOPATHI RÉGIONALE ASSOCIÉE À DE LA FIÈVRE
Il s’agit de la forme typique de la maladie des griffes du chat, la plus évocatrice d’infection à Bartonella henselae. La lésion initiale est une papule érythémateuse au site d’inoculation, apparaissant trois à dix jours après. Elle évolue vers une lésion vésiculeuse puis croûteuse et persiste entre une et trois semaines. L’adénopathie dans le territoire de la plaie est généralement volumineuse, douloureuse, d’allure pseudo-inflammatoire, pouvant exceptionnellement évoluer vers la fistulisation. Cette adénopathie survient une à trois semaines après l’inoculation. Parmi les patients, 85 % n’ont qu’une seule adénopathie, le plus souvent dans le creux axillaire et l’épitrochlée (46 %), plus rarement le cou (26 %) ou l’aine (17,5 %). Ces localisations préférentielles sont liées au fait que l’inoculation se fait le plus souvent au niveau des mains [30]. Les signes généraux sont peu marqués : fièvre, syndrome grippal, nausée, anorexie. La recherche minutieuse de la petite plaie d’inoculation est importante, car elle peut éviter d’orienter le diagnostic vers une adénopathie tumorale.
FIÈVRE AU LONG COURS
La maladie des griffes du chat devient une cause de plus en plus fréquente de fièvre prolongée ; chez l’enfant, elle serait même la troisième cause après les infections à virus d’Epstein-Barr et l’ostéomyélite [31]. Certains des patients n’auraient pas de contact retrouvé avec les chats, ce qui incite à faire une sérologie de Bartonella henselae dans ces cas de fièvre au long cours, surtout si elle est associée à des douleurs abdominales, 30 % de ces patients ayant une atteinte hépatosplénique [30].
ATTEINTE HÉPATOSPLÉNIQUE
La présentation la plus fréquente associe fièvre et syndrome inflammatoire biologique, amaigrissement, avec des micro-abcès du foie et ou de la rate ; des cas de rupture splénique ont été décrits. Les enzymes hépatiques sont normales. L’imagerie abdominale est essentielle dans le diagnostic. Les manifestations peuvent se poursuivre jusqu’à six mois. Une forme particulière touche le sujet immunodéprimé : la poliose bacillaire du foie, qui correspond à une atteinte sélective des capillaires hépatiques. Elle entre dans le cadre plus général de l’angiomatose bacillaire (avec atteinte des capillaires cutanés), plus fréquente chez le sujet séropositif pour le VIH [32].
FORMES ATYPIQUES
Les formes atypiques, prises séparément, sont rares, ne touchant au plus que 5 % des patients infectés [30,33].
MANIFESTATIONS CARDIOVASCULAIRES
Il s’agit essentiellement d’endocardites survenant chez des patients porteurs de valvulopathie, aortique essentiellement. Bartonella henselae serait responsable de 3 % des endocardites [33,34].
ATTEINTES OSSEUSES
Il s’agit de lésions ostéolytiques touchant le plus souvent les vertèbres, mais des cas isolés d’atteinte sur les autres os du squelette ont été rapportés [30].
FORMES PSEUDO-TUMORALES
La présence d’adénopathies dans un contexte fébrile et d’altération de l’état général peut être évocatrice de lymphome, surtout lorsque les adénopathies sont cervico-occipitales ou abdominales. La présence d’une hépatosplénomégalie peut renforcer cette orientation diagnostique [35]. D’autres organes (sein, pancréas, pharynx, etc.) peuvent être le siège d’une masse évocatrice de lésion tumorale, alors qu’elle est secondaire à Bartonella henselae. Une étude prospective sur quatre cent cinquante-quatre patients se présentant en ORL pour des adénopathies cervicales ou occipitales a montré que 13,4 % des cas étaient en relation avec une maladie des griffes du chat pour 11,5 % d’origine néoplasique [36].
Signes oculaires
La maladie des griffes du chat est une infection généralement bénigne pouvant s’accompagner de lésions oculaires. L’œil est d’ailleurs l’organe non lymphoïde le plus souvent touché au cours de la maladie. On décrit deux grands tableaux cliniques : le syndrome oculoglandulaire de Parinaud et les atteintes postérieures. Celles-ci surviennent généralement après les signes généraux, mais ces derniers peuvent parfois faire défaut. Au cours des atteintes postérieures, le signe clinique le plus fréquent est la baisse d’acuité visuelle, mais aussi la perception de flashs lumineux, myodésopsies et photophobie. Il n’y a pas de douleur oculaire.
SYNDROME OCULOGLANDULAIRE DE PARINAUD
Il s’agit de la forme la plus fréquente d’atteinte oculaire au cours de la maladie des griffes du chat et de celle qui, historiquement, a été décrite la première. Elle toucherait 3 % à 5 % des patients infectés [37]. Les patients se plaignent de sensation de corps étranger, de rougeur oculaire et de gonflement palpébral. Des sécrétions muqueuses sont fréquentes. La conjonctive, tarsale, bulbaire ou palpébrale est le siège de lésions granulomateuses ulcérées et nécrotiques qui mesurent entre 0,3 cm et 2 cm. Elles disparaissent en quelques semaines, généralement sans laisser de cicatrice mais une opalescence à l’endroit du granulome peut s’observer [27]. Une adénopathie satellite, de siège pré-auriculaire, sous-mandibulaire ou cervical haut, est caractéristique du tableau. Dans 10 % des cas, elle suppure et nécessite une aspiration à l’aiguille, ce qui permettra une analyse en PCR. Sinon, elle involue lentement en plusieurs mois. Le mode de contamination reste mal connu, une contamination directe de l’œil par la main a été évoquée.
Un cas de syndrome oculoglandulaire de Parinaud secondaire à une infection par Bartonella quintana a été rapporté [28]. Il existe également d’autres causes de conjonctivite granulomateuse pouvant s’apparenter au syndrome oculoglandulaire de Parinaud, comme la tularémie, la tuberculose, la syphilis et l’infection aiguë à Chlamydia trachomatis[38]. Un cas d’infection à HSV-1 a été décrit [39].