15: Lombalgie

Chapitre 15


Lombalgie



Les structures du rachis lombal ont pratiquement toutes été suspectées comme sources possibles de lombalgie à un moment ou à un autre. Tout au long du XXe siècle, diverses structures ont été périodiquement popularisées comme étant la cause principale de la lombalgie. Quelques hypothèses sont maintenant périmées et d’autres sont restées.


La constance de cette attitude fantasque provient de la demande d’explication de la douleur lombale. L’absurdité des thérapies conventionnelles contribue à faire douter les praticiens. Lorsque des conceptions anciennes se sont révélées insatisfaisantes, toute nouvelle théorie prometteuse est facilement adoptée, même si elle n’a été qu’incomplètement testée. Par conséquent, la controverse l’emporte sur les croyances dans le domaine de la lombalgie. Il existe cependant des informations qui nous éclairent sur ce sujet.



DÉFINITIONS



Mal de dos


L’International Association for the Study of Pain (IASP) a publié la 2e édition de sa taxonomie, dans un effort de standardisation des termes utilisés, et pour fixer les standards de la pratique diagnostique [1]. Ce document fournit les définitions et les termes cliniques utilisés pour décrire la douleur, et détermine les critères de diagnostic d’entités spécifiques.


La taxonomie détermine topographiquement la douleur spinale par rapport aux présentations cliniques. Elle reconnaît la « douleur lombale » et la « douleur sacrée » [1]. La douleur lombale se caractérise par la perception d’une douleur provenant d’une région limitée latéralement par les bords externes des muscles spinaux, supérieurement par une ligne imaginaire transversale traversant le processus épineux de T12, et inférieurement par une ligne traversant le processus épineux de S1. La douleur sacrée se caractérise par la perception d’une douleur interne provenant d’une région entourant le sacrum, limitée latéralement par des lignes imaginaires verticales traversant le processus épineux de S1, et inférieurement par une ligne transverse traversant les articulations sacrococcygiennes postérieures.


La lombalgie peut donc être définie comme la perception d’une douleur provenant de l’une de ces deux régions ou de la combinaison des deux. Le fait que la douleur irradie ou pas à d’autres endroits est un autre sujet. La caractéristique principale est qu’elle semble provenir de ces régions.


Cette définition ne tient pas comme acquise la cause de la douleur ni ne suggère que la source de la douleur se trouve réellement dans le rachis lombal ou le sacrum. Il s’agit d’une simple définition établie essentiellement à partir de la localisation des régions algiques ressenties par les patients.




Douleur projetée


La douleur projetée est une douleur ressentie dans une région innervée par des nerfs qui ne sont pas à l’origine réelle de la douleur [1,2]. À ce titre, elle peut être ressentie dans des régions relativement éloignées de l’origine de la douleur, mais la distinction est souvent floue lorsque les territoires de la douleur locale et de la douleur projetée sont contigus, et que ces dernières semblent confluentes. La connaissance de l’innervation des régions touchées est utile pour en faire la distinction.


Une lombalgie associée à une douleur dans la fesse en est un exemple. Dans ce cas, la lombalgie semble s’être étendue (irradiée) dans les fessiers, mais bien que la région lombosacrale et la fesse partagent la même innervation segmentaire (L4, L5, S1), le rachis est innervé par les rameaux dorsaux de ces nerfs alors que les tissus profonds de la fesse sont innervés par les rameaux ventraux (correspondant aux nerfs glutéaux supérieurs et inférieurs). La douleur dans la fesse est donc un exemple de douleur projetée.


La convergence est la base physiologique de la douleur projetée [1]. Les neurones sensoriels servant de bases aux différents sites périphériques à l’intérieur de la moelle spinale et dans le thalamus convergent vers les neurones communs relayant les centres supérieurs. Le cerveau est incapable de déterminer si l’activité des neurones communs a été déclenchée par l’un ou l’autre de ces apports périphériques.


La douleur projetée dont l’origine est viscérale peut être ressentie dans les parties de la paroi corporelle possédant une innervation segmentaire identique au viscère. Ce type de douleur projetée porte le nom de douleur viscérale projetée, pour souligner la différence entre origines somatique et viscérale.


Cliniquement, la douleur somatique projetée se caractérise par une douleur profonde, diffuse, difficile à localiser, et crée un endolorissement [2]. Physiologiquement, sa caractéristique fondamentale provient de son déclenchement par la stimulation des terminaisons nerveuses de la structure qui est la source primaire de la douleur. Les nerfs sensoriels innervant la région de la douleur projetée ne sont pas activés par le stimulus primaire et ne transmettent pas la douleur projetée. La douleur projetée est la manifestation d’une perception erronée de l’origine du signal atteignant le cerveau par une voie sensorielle convergente. Ces caractéristiques sont à la base des différences entre douleur somatique projetée et douleur radiculaire.



RADICULOPATHIE


La radiculopathie est un trouble neurologique bloquant la conduction axonale d’un nerf spinal ou de ses racines [1,2]. Le blocage de la conduction dans les axones sensoriels entraîne un engourdissement, et l’arrêt de la conduction des axones moteurs entraîne une faiblesse. La radiculopathie peut être causée par la compression ou l’ischémie des axones touchés. Ces causes sont exposées précisément dans le tableau 15.1.



Il est important de comprendre que la radiculopathie n’entraîne de douleur ni sur le rachis, ni dans les extrémités inférieures. Il s’agit d’une perte neurologique précise. Lorsque la radiculopathie est associée à une douleur, le mécanisme de la douleur n’est pas forcément le même que la cause de la radiculopathie. Une radiculopathie peut être associée à une douleur somatique projetée. Dans ce cas, les mécanismes de la douleur et la cause de la radiculopathie seront très différents. Par ailleurs, une radiculopathie peut être associée à une douleur radiculaire. Dans ce cas, l’étiologie peut être identique dans les deux présentations, mais les mécanismes de chacune ne seront pas tout à fait les mêmes.



DOULEUR RADICULAIRE


La douleur radiculaire apparaît à la suite de l’irritation d’un nerf spinal ou de ses racines [1,2]. La douleur radiculaire peut être associée ou non à une radiculopathie. Elle peut se rencontrer sans radiculopathie et une radiculopathie peut se produire sans douleur radiculaire.


On a cru que la douleur radiculaire était due à la compression de racines nerveuses, ce qui est tout à fait erroné. Des expérimentations neurophysiologiques ont montré que la compression d’une racine nerveuse ne provoque pas d’activité nociceptive. Elle provoque tout au plus une décharge brève lors de l’application du stimulus compressif, mais devient silencieuse par la suite [32,33]. Ce n’est que lorsque les ganglions de la racine dorsale sont comprimés qu’une activité prolongée est provoquée, mais celle-ci se produit non seulement dans les axones nociceptifs, mais aussi dans les fibres Aβ [32,33]. La sensation ne peut donc pas être qu’une simple douleur, ce que confirment les expériences cliniques.


Les expériences cliniques ont montré que la compression de racines nerveuses normales par des cathéters urinaires provoque des paresthésies et un engourdissement, mais aucune douleur [34]. De même, la traction d’un nerf normal ne provoque pas de douleur [35]. La douleur caractéristique n’est déclenchée que lorsque des racines précédemment lésées sont comprimées par des pinces [36], étirées par des fils [35] ou lorsque les racines nerveuses sont excitées électriquement [37]. La douleur est fulgurante ou lancinante et descend dans l’extrémité inférieure le long d’une bande d’environ 5 cm de large [35].


Le caractère et la distribution de ce type de douleur sont différents de la douleur somatique projetée. La douleur radiculaire est fulgurante et forme une bande, alors que la douleur somatique projetée a une localisation constante, mais est difficile à localiser, diffuse et à type d’endolorissement.


Il semble opportun d’étudier l’expression « sciatique » à la lumière de ces données. La compression ou l’irritation de la racine nerveuse constitue la base implicite de la sciatique qui doit être considérée comme une forme de douleur radiculaire. Les données physiologiques disponibles établissent toutefois un caractère et une distribution particuliers, et le vocable « sciatique » devrait être limité à ce type de douleur dans les extrémités inférieures. Le seul type de douleur qui a été reproduit expérimentalement en stimulant les racines nerveuses est une douleur fulgurante distribuée le long d’une bande [2]. Il n’existe pas de données physiologiques indiquant que la douleur profonde, sourde et constante dans l’extrémité inférieure provient de l’irritation d’une racine nerveuse. La douleur somatique projetée est constituée de ce dernier type de douleur, et il n’y a pas de raison de la présenter à tort comme une « sciatique » ou d’en déduire qu’elle résulte de l’irritation d’une racine nerveuse. En outre, il n’est pas prouvé que la lombalgie peut être provoquée par l’irritation d’une racine nerveuse, particulièrement en l’absence de signes neurologiques révélateurs de l’irritation d’une racine nerveuse. En effet, on a estimé sur des bases cliniques que moins de 30 %, et sans doute 5 ou 1 % seulement, des cas de lombalgie sont associés à l’irritation d’une racine nerveuse en raison d’une hernie discale [3840]. Une étude officielle aux États-Unis a établi que moins de 12 % des patients lombalgiques avaient des signes cliniques de hernie discale [41].


La hernie discale est la cause la plus fréquente de douleur radiculaire, et de plus en plus de données indiquent que cette pathologie entraîne des douleurs par des mécanismes autres que simplement compressifs. Les preuves contre la compression sont doubles. Des patients peuvent présenter une compression de racine par hernie discale sur une myélographie, une tomodensitométrie ou une IRM et ne manifester aucun symptôme [4245]. À l’inverse, une compression de racine peut encore être présente sur l’imagerie médicale, malgré la résolution des symptômes de patients auparavant symptomatiques [46,47]. Ces observations indiquent que des facteurs supplémentaires ou tout à fait indépendants de la compression de racine opèrent pour produire des symptômes. Les données actuelles mettent en cause une forme d’inflammation.


L’inflammation a d’abord été suspectée à partir d’observations fréquentes de signes inflammatoires de racines nerveuses par des chirurgiens lors d’opérations de hernies discales [48,49]. Certaines études postmortem anciennes ont décrit des signes d’inflammation autour des racines nerveuses obtenues à l’autopsie [50], mais d’autres n’en ont pas trouvé [51,52]. Différentes études ont par la suite suggéré que le matériel discal était inflammatoire [49,5355], et peut-être capable de déclencher une réponse auto-immune [5662]. Cependant, les études cliniques n’ont pas réussi à révéler les caractéristiques d’une diathèse auto-immune classique chez les patients présentant des prolapsus discaux [63]. La croyance en une certaine forme d’inflammation a néanmoins persisté et a été explorée.


Il a été démontré sur des modèles animaux que la compression de racines nerveuses lombales crée un œdème [64,65] et augmente la pression intraneurale. Le contact du nucléus pulposus avec les racines nerveuses induit des modifications inflammatoires, sous la forme d’une augmentation de la perméabilité vasculaire, d’un œdème et d’une coagulation intravasculaire [6669]. L’inflammation endommage les racines nerveuses et les blocs de conduction nerveux [67,7073]. Elle entraîne une hyperalgie et un comportement lié à la douleur [7476]. Les médiateurs de cette réponse inflammatoire sont les phospholipases A2, l’oxide nitrique et le facteur α de nécrose tumorale (TNF-α) [70,7582].


Des études sur des patients ont montré que le matériel discal hernié attire les macrophages, les fibroblastes, les lymphocytes [8390], et que toute une série de produits chimiques inflammatoires sont produits par les cellules du matériel discal lui-même. Ces produits chimiques comprennent les phospholipases A2 [91,92], les métalloprotéases [93,94], la prostaglandine E2 [89,93,94], la leucotriène B4 et la thromboxane [94], l’oxide nitrique [80,81,93,94], l’interleukine 8 [96,97], l’interleukine 12, l’interféron γ [88] et TNF-α [96]. Le matériel discal stimule la production d’anticorps IgM et IgB [98], en particulier dans le glycosphingolipide des racines nerveuses [99]. Ces modifications inflammatoires sont plus prononcées pour les patients chez lesquels le matériel discal a pénétré dans l’anulus fibrosus et le ligament longitudinal postérieur. Autrement dit, quand il est exposé à l’espace épidural.


Les preuves en faveur d’une inflammation chimique provoquée par le matériel discal sont ainsi abondantes. L’œdème de la racine nerveuse qui en résulte entraîne un bloc de conduction et une radiculopathie caractéristique. Les impulsions ectopiques générées dans les racines des ganglions dorsaux sont responsables de la douleur radiculaire [100102] et sont probablement provoquées par une ischémie [65].


De plus, ces processus ne sont pas limités aux racines nerveuses. L’inflammation périneurale inclut inévitablement le fourreau dural des racines nerveuses touchées. La douleur peut provenir d’une épidurite, car la dure-mère est innervée par les nerfs sinuvertébraux. Cette douleur n’est pourtant ni radiculaire, ni neurogène. C’est parce qu’elle provient de l’irritation des terminaisons nerveuses de la dure-mère qu’il s’agit d’une forme de douleur somatique. Par conséquent, l’inflammation d’une racine nerveuse peut non seulement être associée à une douleur radiculaire, mais aussi à une douleur somatique projetée à partir de la dure-mère enflammée du fourreau d’une racine nerveuse.



MAL DE DOS


Il est tout à fait évident que la lombalgie et la sciatique ne sont pas synonymes, malgré le mécanisme précis de la douleur radiculaire. La douleur radiculaire est ressentie dans l’extrémité inférieure et non pas dans le rachis. La lombalgie et la douleur somatique projetée ne peuvent pas être attribuées à une hernie discale ou à l’irritation d’une racine nerveuse. La lombalgie implique une origine somatique de la douleur et nous invite à rechercher son origine parmi les éléments squelettiques du rachis lombal.



Postulats


D’un point de vue philosophique, le statut de toute hypothèse concernant les causes possibles de la lombalgie peut être évalué en adoptant certains critères analogues aux postulats de Koch pour les pathologies bactériennes. Pour toute structure considérée comme cause de lombalgie :



• la structure doit posséder une innervation, car elle ne peut pas produire de douleur si elle n’a pas accès au système nerveux ;


• la structure doit être capable de déclencher une douleur identique à celle observée cliniquement. Idéalement, elle doit être démontrée sur des volontaires normaux, car les conclusions tirées à partir des études cliniques peuvent être ébranlées par un biais d’observation ou une faible fiabilité du patient ;


• la structure doit être prédisposée à des pathologies ou des lésions réputées être douloureuses. Idéalement, ces pathologies devraient être apparentes lors de l’examen du patient, bien que cela ne soit pas toujours possible. Certaines pathologies peuvent ne pas être décelables par les techniques d’imagerie disponibles actuellement. La prochaine ligne de preuve provient des études postmortem ou biomécaniques, pouvant au moins apporter un commencement de preuves concernant les types de pathologies ou de lésions qui pourraient affecter la structure ;


• il doit être démontré que la structure est source de douleur, en utilisant des techniques diagnostiques dont la fiabilité et la validité sont reconnues. À partir de telles données, une mesure de la prévalence de l’affection clinique en question peut être obtenue pour indiquer si elle est une curiosité bizarre ou une cause habituelle de lombalgie.


En s’appuyant sur ces postulats, les origines et les causes possibles de la lombalgie peuvent être déterminées en réexaminant l’anatomie du rachis lombal et du sacrum. La plausibilité de toute origine et de toute cause peut être mesurée en déterminant son adéquation aux hypothèses.



ORIGINES DU MAL DE DOS



Vertèbres


L’innervation des corps vertébraux lombaux ne fait aucun doute [103105]. Les fibres nerveuses dérivées des plexus des ligaments longitudinaux antérieurs et postérieurs innervent le périoste et pénètrent en profondeur dans les corps vertébraux en apportant un substrat possible pour la douleur osseuse. Mais on ne sait pas si les nerfs intraosseux sont uniquement vasculaires (vasomoteurs ou vasosensibles) ou si l’os du corps vertébral reçoit lui-même une innervation sensitive.


Pour des raisons de logistique compréhensibles, aucune expérience n’a démontré si la lombalgie peut être provoquée directement à partir de l’os du corps vertébral, mais le périoste vertébral est incontestablement sensible à la douleur comme le périoste en général [106]. La ponction du périoste est régulièrement associée à la douleur au cours de procédures telles que les blocs sympathiques lombaux.


Le corps vertébral peut être affecté par des pathologies métaboliques douloureuses telles que la maladie de Paget [107] ou l’ostéite fibreuse [108], et peut être le site de tumeurs primaires ou secondaires [109,110] ou d’infections [111,112]. Il n’y a pas de doute que ces pathologies peuvent être douloureuses, mais la façon dont elles entraînent la douleur n’est pas connue.


Il est possible que l’os lui-même soit algique, mais aucune donnée expérimentale n’a confirmé cette théorie. L’irritation des nerfs sensitifs périvasculaires à l’intérieur de l’os n’est qu’un mécanisme hypothétique. Le mécanisme de l’irritation périostée à la suite d’une inflammation ou d’une distension cavitaire est plausible et a l’avantage d’être cohérent avec la phase silencieuse précoce de lésions tumorales ou infectieuses, la douleur résultant uniquement de l’étirement du périoste.


Les fractures du corps vertébral peuvent être douloureuses ou indolores [113,114]. Il est difficile de déterminer si la douleur provient de la fracture elle-même ou des contraintes anormales appliquées sur les articulations adjacentes, les muscles ou les ligaments, à la suite de la déformation qui les accompagne. Il n’existe pas de preuve que les fractures, où qu’elles se trouvent, soient intrinsèquement douloureuses, en particulier lorsqu’elles sont stables. Par ailleurs, la déformation des tissus à la suite d’un hématome ou d’un œdème post-traumatique est volontiers considérée comme une source importante de douleur, en particulier si elle occasionne une distension ou une inflammation du périoste. Un tel modèle explique bien pourquoi les fractures vertébrales aiguës peuvent être douloureuses et pourquoi les fractures anciennes ou consolidées ne le sont pas. Le gonflement des tissus environnants est attendu peu après la fracture mais finit par décroître. Une douleur qui persiste à la suite de la consolidation d’une fracture d’un corps vertébral suggère une origine distante du site de la fracture, et probablement secondaire à la déformation résultante.


L’ostéoporose est la maladie qui touche le plus fréquemment les corps vertébraux lombaux, mais il n’est pas établi que cette pathologie soit douloureuse en l’absence de fracture. Il serait tentant de conclure que la douleur provient directement des contraintes appliquées sur les corps vertébraux affaiblis ou que des microfractures irritent mécaniquement les nerfs sensoriels périvasculaires à l’intérieur de l’os spongieux vertébral [115], mais en l’absence du moindre indice concernant la physiologie de la douleur osseuse, de telles explications sont purement spéculatives.


En citant la littérature sur la vertébroplastie et ses succès revendiqués, quelques auteurs ont prétendu que la douleur des fractures ostéoporotiques était médiée par les nerfs intraosseux et soulagée par un effet neurolytique du ciment injecté dans le corps vertébral fracturé [116]. Cet argument est toutefois circulaire, car il présuppose que la sédation de la douleur rapportée de la vertébroplastie peut être attribuée à un effet local du traitement sur le site de la fracture. D’autres contestent cet argument sur le fait que la présence des fibres nerveuses dans le corps vertébral est trop irrégulière et limitée pour expliquer la sédation de la douleur par vertébroplastie [117]. Il existe aussi des preuves que la douleur des fractures vertébrales ostéoporotiques provient non pas du corps vertébral affecté, mais des éléments postérieurs au corps vertébral [118].


L’hypertension intraosseuse est un concept révolutionnaire qui n’est cependant pas nouveau en ce qui concerne la douleur vertébrale [119,120]. L’idée est que si les veines intraosseuses sont obstruées, elles se distendent et stimulent les nerfs sensitifs dans leur adventice. La cause de l’obstruction fait penser à une sclérose osseuse telle que celle qui se produit dans la spondylolyse et qui rétrécit les canaux osseux à travers lesquels passent les veines. Cette hypothèse est compatible avec la présence de nerfs périvasculaires dans les corps vertébraux, et elle est analogue à la douleur des troubles veineux congestifs des extrémités inférieures. Toutefois, bien qu’il s’agisse d’une théorie séduisante pour la douleur de la spondylose, les études manométriques sur la pression vertébrale intraosseuse sont d’un nombre limité et n’ont pas comparé les sujets symptomatiques et asymptomatiques entre eux pour apporter des données statistiques convaincantes en faveur de cette théorie [119,120].


Quelle que soit la façon dont elles occasionnent la douleur, les pathologies des vertèbres lombales sont relativement faciles à diagnostiquer. Elles sont facilement discernables sur des radiographies et autres imageries médicales. Leurs prévalences ne sont pas connues avec certitude, mais semblent être très faibles. Les infections, les tumeurs et les fractures des corps vertébraux sont rares parmi les patients présentant une lombalgie avant l’âge de 50 ans [121]. Elles sont rares même chez les patients plus âgés.



Éléments postérieurs


Les éléments postérieurs des vertèbres lombales peuvent être affectés par des pathologies telles que des tumeurs secondaires dans les pédicules et des fractures des processus transverses. Les mécanismes de la douleur dans ces pathologies sont compréhensibles en des termes identiques à ceux utilisés pour les tumeurs et fractures du corps vertébral. Il existe par ailleurs plusieurs lésions distinctes des éléments postérieurs des vertèbres lombales.



Accolement des épines: Les processus épineux peuvent être affectés par la maladie de Baastrup [122], connue par ailleurs sous le nom d’« épines accolées » [123]. Celle-ci se produit à la suite d’une lordose lombale excessive ou lors de lésions du rachis lombal en extension dans lesquelles les processus épineux adjacents s’entrechoquent et compriment le ligament interépineux intermédiaire. La pathologie résultante correspond peut-être plus à une périostite des processus épineux ou à une inflammation du ligament affecté. On peut comprendre qu’une telle pathologie constitue une source de douleur, étant donné l’innervation du périoste des processus épineux et de l’espace interépineux par les branches médiales des rameaux dorsaux lombaux [124,105,125127].


Cependant, les études cliniques suggèrent que cette pathologie a été surestimée. Dans une étude, seuls 11 des 64 patients présentant des épines accolées ont répondu à une excision chirurgicale de la lésion [128].




Spondylolyse: La spondylolyse a d’abord été considérée comme une anomalie due à la non-union de deux centres d’ossification des lames vertébrales. Des preuves récentes montrent toutefois clairement qu’il s’agit d’une anomalie entraînée par une fracture de fatigue de l’isthme vertébral [132134]. Anatomiquement, l’anomalie est envahie de tissus cicatriciels fibreux perforés de terminaisons nerveuses libres et de fibres nerveuses contenant le peptide CGRP (calcitonin gene-related peptide), un peptide intestinal vasoactif (vasoactive intestinal peptide [VIP]) et le neuropeptide Y [135,136]. Elle pourrait donc être source de douleurs.


Les anomalies isthmiques ne sont toutefois pas obligatoirement douloureuses. Dans une étude radiographique comportant 32 600 individus asymptomatiques, 7,2 % d’entre eux présentaient une anomalie de l’isthme vertébral [137]. Une anomalie unilatérale était présente chez 3 % des 936 adultes asymptomatiques, et une anomalie bilatérale dans 7 % de plus [138]. Les chiffres correspondants chez les patients lombalgiques étaient respectivement de 0,3 et 9 %. Chez les enfants âgés de 6 ans, la prévalence d’une anomalie était de 4,4 % et passait à 6 % chez l’adulte [139].


Ces données démographiques indiquent qu’il n’est pas possible d’incriminer une anomalie isthmique comme source de lombalgie, sur la base de constatations radiologiques. Cette pathologie est aussi fréquente parmi les patients lombalgiques que dans la population normale. D’autres types de données sont requises pour incriminer une anomalie isthmique. Elles sont apportées par les blocs diagnostiques.


L’anomalie isthmique peut être infiltrée avec un anesthésique local sous contrôle fluoroscopique [140]. À première vue, la sédation de la douleur prouve que l’anomalie est source de douleur. Cependant, des précautions doivent être prises pour s’assurer que l’anesthésique local n’a pas anesthésié une structure adjacente telle qu’une articulation zygapophysaire qui pourrait être une autre source de douleur, et s’assurer que la réponse à une seule injection diagnostique n’est pas due à l’effet placebo. La sédation d’une douleur à la suite d’une infiltration de l’isthme vertébral est un bon indice de succès après fusion de l’anomalie, et la non-sédation est signe d’un mauvais résultat de la fusion [140].


Les différentes sources de douleur sont importantes à prendre en compte, étant donné la biomécanique des anomalies bilatérales des isthmes vertébraux. En présence d’une fracture isthmique bilatérale le processus épineux et les lames de la vertèbre affectée constituent un volet osseux sur lequel les fibres des muscles multifidus restent attachées. Il est donc concevable que, lors des mouvements de flexion du rachis lombal, le multifidus tire sur le volet segmentaire qui n’offre aucune résistance au déplacement du corps vertébral, car celui-ci est déconnecté du processus épineux sur lequel le muscle agit. Au contraire, le volet est davantage tiré en extension lors du glissement vers l’avant du corps vertébral. Cette extension pourrait déformer l’articulation zygapophysaire sur laquelle le volet reste attaché. La douleur pourrait provenir d’un déplacement excessif sur le site de la fracture ou sur les articulations zygapophysaires. Aucune des études publiées n’a cependant abordé cette hypothèse.


La scintigraphie osseuse est utilisée par certains praticiens pour diagnostiquer les fractures isthmiques symptomatiques, mais la relation entre une scintigraphie positive et une douleur ou une fracture n’est pas prouvée [141]. La scintigraphie est plus utile avant la présence d’une fracture, lorsqu’elle détecte une réaction de contrainte sur l’isthme interarticulaire. Une fois la fracture présente, la scintigraphie peut être positive ou négative, mais tend à être négative chez les patients présentant une douleur chronique [141].



Muscles


Les muscles du rachis lombal sont bien innervés. Le carré des lombes et le grand psoas sont innervés par les branches des rameaux ventraux lombaux [142], alors que les muscles spinaux sont innervés par les rameaux dorsaux [124]. Les muscles intertransversaires sont diversement innervés par les rameaux dorsaux et ventraux [143].


Les muscles spinaux peuvent sans aucun doute être source de lombalgie et de douleur somatique projetée. Cela a été démontré dans des expériences sur des volontaires normaux chez qui les muscles spinaux étaient stimulés par des injections salines hypertoniques [144,145]. Ces injections produisaient des lombalgies et toutes sortes de douleurs somatiques projetées dans la région glutéale.


La nature des pathologies affectant les muscles du rachis lombal reste controversée. Malgré de rares pathologies telles que la polymyosite qui n’affecte pas sélectivement le seul rachis lombal, les principales affections pouvant soi-disant affecter les muscles spinaux sont les déchirures, les spasmes, les déséquilibres et les points gâchettes.



Élongation


La croyance dans le concept d’élongation musculaire provient de l’expérience quotidienne en médecine du sport où il est courant que les muscles des extrémités deviennent algiques à la suite d’un effort important et soutenu ou d’un étirement soudain. Il est donc permis de postuler que des lésions analogues peuvent se produire dans les muscles spinaux. La pathologie de telles lésions demeure pourtant controversée.


Les études animales ont montré que des muscles étirés avec force cèdent habituellement à leur jonction myotendineuse [146148]. La lésion résultante provoque vraisemblablement une réponse inflammatoire réparatrice, bien connue comme source de douleur. Dans le cas des muscles spinaux, de telles lésions pourraient être contractées lors de la latéroflexion ou de la combinaison de flexion et de rotation du tronc, et seraient associées à une sensibilité au toucher près des jonctions myotendineuses des muscles touchés. Certaines de ces régions sont facilement accessibles à l’examen clinique, mais d’autres sont profondes. Les régions profondes se trouvent près des pointes des processus transverses et accessoires des vertèbres lombales. Les jonctions myotendineuses accessibles reposent juste avant les côtes, près des insertions du muscle iliocostal.


La douleur plus diffuse consécutive à un effort est théoriquement explicable à partir du principe de l’ischémie. On peut supposer que la circulation endomysiale est comprimée lors d’une contraction musculaire prolongée, bloquant d’une part le drainage des métabolites algogènes tels que l’acide lactique et l’ADP, et réduisant d’autre part le flux sanguin artériel en entraînant la mort de cellules musculaires dont les produits de décomposition sont aussi algogènes. De tels mécanismes sont probablement à la base de quelques cas de lombalgies d’effort, mais cette douleur devrait être spontanément résolutive, comme dans le cas des douleurs musculaires des extrémités à la suite d’importants efforts ou d’une activité inhabituelle.


Les preuves directes de la lésion responsable manquent manifestement. Les seules données qui peuvent être invoquées proviennent des expérimentations chez l’animal dont les muscles des extrémités, et non pas les muscles dorsaux, ont été étudiés. Les données des biopsies sur des humains ou les données de l’imagerie n’ont pas été publiées. Pour cette raison, un groupe de travail financé par l’American Academy of Orthopaedic Surgeons et le National Institutes of Health est resté circonspect et vague dans son approche de la notion d’élongation musculaire comme cause habituelle de douleur [149]. Cependant, l’avènement de la résonance magnétique nucléaire peut maintenant apporter un outil non invasif qui pourrait permettre d’identifier les lésions traumatiques des muscles spinaux [150].



Spasme


Bien que les déchirures myotendineuses puissent être à l’origine de lombalgies aiguës provenant du muscle, il est plus difficile d’expliquer la lombalgie chronique en terme de douleur musculaire. Le « spasme » musculaire est une croyance populaire [151]. Il signifierait qu’à la suite d’anomalies posturales ou secondairement à des sources de douleur articulaires, les muscles deviendraient chroniquement actifs et donc douloureux. Si cette douleur se produit, elle ne peut s’expliquer que par une origine ischémique. Toutefois, le grand désavantage de ce modèle d’algie musculaire est le caractère incertain de la preuve supposée de son existence [151]. Les données électromyographiques sont contradictoires. Il n’est pas certain que le soi-disant spasme musculaire constitue, en termes physiologiques objectifs, une contraction tonique, ou une simple hyperréflexie. Davantage de données de recherches sont requises pour que cette notion devienne plus acceptable, ainsi qu’une explication sur le fait que la douleur survienne à la suite d’une ischémie, une déchirure des insertions musculaires ou d’autres mécanismes.



Déséquilibre


Le « déséquilibre musculaire » est un autre concept [152]. Les anomalies d’équilibre du tonus entre muscles posturaux et muscles phasiques ou entre fléchisseurs et extenseurs peuvent donner lieu à une douleur. Dans le cas du rachis lombal, le déséquilibre est supposé se produire entre les extenseurs du tronc et le grand psoas d’une part, et entre les fléchisseurs du tronc et les extenseurs de la hanche d’autre part. Bien que séduisante pour certains, cette théorie est sans fondements précis. En premier lieu, la manière dont le déséquilibre provoque la douleur n’est pas claire : soit la douleur provient de l’un ou l’autre des muscles concernés, soit le déséquilibre met sous contrainte une articulation sous-jacente d’une manière ou d’une autre. La croyance en cette théorie est fondée sur la détection clinique du déséquilibre musculaire, mais la fiabilité et la validité des techniques utilisées n’ont jamais été établies. Les soi-disant déséquilibres musculaires ont été jugés anormaux sans véritable comparaison avec les variations biologiques normales. Des preuves corroborantes objectives sont requises pour que cette théorie gagne une plus grande crédibilité.



Points gâchettes


Les points gâchettes sont des zones musculaires sensibles au toucher capables de produire une douleur locale ou projetée. Ils sont caractérisés par des points de douleur exquise au toucher, situés dans les bandes des fibres musculaires tendues. Ils se distinguent cliniquement des zones sensibles au toucher par la présence de bandes fibreuses palpables, provoquant une réponse réflexe localisée lorsqu’elles sont séparées, et qui reproduisent les douleurs projetées du patient lorsqu’elles sont comprimées [153]. L’injection d’un anesthésique local dans les points gâchettes soulage la douleur.


On pense que les points gâchettes surviennent à la suite de tensions répétées ou chroniques sur le muscle concerné [153], ou par voie réflexe à la suite d’une pathologie articulaire sous-jacente [154]. Les preuves histologiques et biochimiques quant à la nature des points gâchettes sont insuffisantes et peu probantes [153], mais on pense qu’elles représentent des zones de cellules musculaires hypercontractées diminuant les réserves d’énergie locale et affaiblissant la fonction des pompes à calcium, perpétuant ainsi la contraction [153155]. On suppose que la douleur survient à la suite d’un blocage local de l’irrigation sanguine et de l’accumulation de métabolites algogènes tels que la bradykinine [153].


Il a été signalé que des points gâchettes ont un effet sur les muscles multifidus, longissimus, iliocostal [156] et carré des lombes [157]. Mais leur fréquence dans la lombalgie n’est pas connue, car les critères diagnostiques sont difficiles à remplir.


En ce qui concerne le diagnostic des points gâchettes des muscles iliocostal et longissimus, les scores Kappa pour deux observateurs du même avis varient de 0,35 à 0,46, ce qui est moins que satisfaisant [158]. Des scores identiques sont obtenus pour les points gâchettes dans le carré des lombes et le moyen fessier [159]. Des scores Kappa acceptables sont obtenus à condition que les critères diagnostiques excluant les bandes palpables et les réponses réflexes pour les points gâchettes soient assouplis, mais le diagnostic de « point gâchette » devient celui d’un « point sensible au toucher » dans le muscle.


Il n’est pas possible de faire une estimation de la prévalence des points gâchettes comme causes de lombalgie sans des critères diagnostiques fiables. Les points gâchettes semblent être rares lorsque les critères classiques sont utilisés strictement [159]. La sensibilité au toucher semble être relativement fréquente, mais ne constitue pas un diagnostic.



Fascia thoracolombal



Syndrome de loge


Le fascia thoracolombal est bien innervé sur ses attaches avec les ligaments surépineux [126,127,160]. Cependant, l’innervation de sa partie centrale est peu connue. Les terminaisons nerveuses nociceptives ne sont mentionnées qu’une fois dans une étude [161]. Il semblerait néanmoins que l’innervation du fascia soit suffisante pour qu’il puisse être source de douleur s’il est trop étiré.


Le fascia thoracolombal qui enveloppe les muscles spinaux forme un compartiment les entourant, et l’idée d’un syndrome de loge affectant le rachis est séduisante [162,163]. Le concept est celui d’un gonflement des muscles spinaux pendant – et suite à – un exercice, dont l’expansion est limitée par le fascia thoracolombal chez des patients prédisposés. La douleur survient vraisemblablement à la suite de la déformation excessive du fascia.


Le marqueur clinique d’un tel syndrome de loge élèverait la pression intracompartimentale, mais les études cliniques ont rapporté des résultats contradictoires. Dans une étude, une série de 12 patients a été examinée pour suspicion de syndrome de loge. Un seul patient a présenté des pressions élevées prolongées dans le compartiment du côté de la douleur [164]. Dans une autre étude, cependant, sept autres patients dont la pression compartimentale s’élevait au-dessus de la normale en flexion ont été identifiés. Elle était associée à un début de lombalgie et la fasciotomie aurait soulagé leur douleur [165]. Bien qu’offrant des résultats intéressants, cette étude n’a toutefois pas rigoureusement noté les variations de pression dans le groupe témoin et dans les autres groupes diagnostiques qui présentaient aussi des augmentations de pression. Il n’est donc pas évident de savoir si l’augmentation de pression est uniquement liée au syndrome de loge.



Hernie graisseuse


La couche postérieure du fascia thoracolombal est fenêtrée pour permettre le passage des branches cutanées des rameaux dorsaux. Ces sites peuvent être associés à des hernies graisseuses douloureuses [166173]. La manière dont ces hernies entraînent une douleur est obscure, mais la douleur aurait été soulagée par infiltration de la zone avec un anesthésique local. Les hernies graisseuses douloureuses ressemblent à cet égard aux points gâchettes, mais se différencient cliniquement de ces derniers par leur localisation extramusculaire sous-cutanée. Leur prévalence est inconnue.



Dure-mère


La dure-mère est innervée par un plexus considérable dérivé des nerfs sinuvertébraux lombaux. Le plexus est dense sur la partie antérieure du sac dural et autour des fourreaux de la racine nerveuse, mais l’innervation postérolatérale est rare et elle est absente sur la partie postérieure du sac dural [103,174]. Les expérimentations cliniques ont montré que la dure-mère est sensible à la fois aux stimulations mécaniques et chimiques [35,175]. Dans les deux cas, la stimulation provoque une lombalgie et une douleur somatique projetée dans les fessiers. Cela augmente la possibilité que l’irritation durale soit source de douleur.


La lombalgie est bien connue dans le contexte des pathologies neurologiques dans lequel la dure-mère s’enflamme à la suite d’une infection ou de la présence de sang intrathécal [176]. Cela prouve que la dure-mère peut être source de lombalgie. Son existence ou non dans le contexte des pathologies musculosquelettiques est sujette à spéculation.


Il semble raisonnable de s’attendre à ce que le fourreau dural des racines nerveuses soit irrité chimiquement puisque l’on sait qu’une hernie discale peut déclencher une inflammation chimique des racines nerveuses et des tissus périneuraux [55,67,68,70,72], et que le matériel discal contient de grandes concentrations de phospholipase A2 [91] hautement inflammatoires [92]. Une telle inflammation déclencherait une douleur somatique éventuellement projetée, tout à fait indépendante de – et supplémentaire à – la douleur provenant des racines nerveuses enflammées. Cette conjecture fait craindre que ce qui a traditionnellement été interprété comme une « douleur de la racine » associée à la hernie discale ne soit pas une douleur purement radiculaire, mais un mélange de douleur radiculaire et dure-mérienne. Toutefois, aucune étude ne s’est hasardée à disséquer la douleur dure-mérienne de la douleur radiculaire dans les cas de hernies discales.


On en a déduit que l’attache durale peut être cause de douleur. Cela est compatible avec la sensibilité de la dure-mère à la stimulation mécanique. Des adhérences peuvent vraisemblablement se développer à la suite d’une inflammation péridurale chronique après une hernie discale. Malgré sa popularité, ce modèle dure-mérien de la douleur n’a cependant pas été exploré méthodiquement. Aucune corrélation n’a encore été démontrée entre la présence de douleur, la présence de signes positifs de tension dure-mérienne et des preuves de fibrose péridurale soit sur tomodensitométries, soit lors d’opérations.


Dans la même veine, on a proposé que les ligaments périduraux normalement présents pouvaient fixer les racines nerveuses et être sources de douleur somatique surajoutée à la douleur radiculaire [177]. Comme pour les « adhérences » dure-mériennes, des corrélations clinicopathologiques pertinentes restent toutefois encore à démontrer.


Une preuve séduisante de la douleur dure-mérienne provient des études neurochirurgicales rapportant une sédation de douleurs postlaminectomiques à la suite de la résection des nerfs du fourreau dural de la racine nerveuse symptomatique [178,179]. La douleur était manifestement due à la stimulation des nerfs par la fibrose de la dure-mère. Cependant, aucune étude n’a établi la fréquence de la douleur dure-mérienne dans les lombalgies aiguës ou chroniques.



Plexus péridural


Les veines péridurales sont innervées par les nerfs sinuvertébraux [103,180] et sont donc une source possible de douleur. La douleur pourrait sans doute se produire à la suite de la distension des veines obstruées par des lésions telles qu’une importante hernie discale ou un canal lombal étroit. Toutefois, des preuves anecdotiques de ce concept n’ont été apportées que dans une seule étude publiée [181], et le concept n’a par ailleurs pas été davantage exploré.



Ligaments


De nombreux patients lombalgiques présentent des antécédents et des caractéristiques cliniques analogues aux patients présentant des lésions ligamentaires des extrémités. Les similitudes conduisent à poser le diagnostic générique d’« entorse ligamentaire » du rachis lombal, mais celui-ci nous amène à nous demander de quel ligament il s’agit.


Le ligament intertransversaire est à vrai dire une membrane et ne constitue pas un ligament au sens propre du terme. Il est en outre hautement improbable qu’un test diagnostique puisse faire la distinction entre les lésions des membranes intertransversaires et les lésions des muscles environnants, car le ligament intertransversaire est enfoui entre les muscles spinaux et le carré des lombes.


Le ligament jaune est pauvrement innervé [104,125,126,182,183] et il est donc peu probable qu’il soit source de douleur. De plus, il n’existe aucune lésion connue du ligament jaune qui pourrait le rendre algique, et il n’est pas prédisposé aux entorses, car il est élastique. Son aptitude à la distension dépasse de loin celle du ligament longitudinal postérieur et des autres ligaments collagéneux du rachis lombal [184].


Il a été démontré que le soi-disant ligament surépineux est composé de fibres de collagène dérivées du fascia thoracolombal, de l’aponévrose des spinaux et des tendons du multifidus [185,186]. Théoriquement, il est donc plus un raphé qu’un ligament ; mais la preuve la plus déterminante à l’encontre de l’idée selon laquelle le ligament surépineux serait source de lombalgie sur L4 et L5 (le site le plus fréquent de la lombalgie) est qu’il est totalement absent. Il est invariablement absent sur L5, fréquemment absent sur L4, et il est même faiblement développé et inconstant sur L3 [186].


Le ligament longitudinal postérieur est innervé par les nerfs sinuvertébraux, et le ligament longitudinal antérieur par les fibres du tronc sympathique lombal et les rameaux communicants gris [103,180,187]. Des descriptions de sondage de la partie postérieure du disque lombal lors d’opérations sous anesthésie locale reproduisant la lombalgie du patient [188,189] ont engendré la croyance en une douleur provenant naturellement du ligament longitudinal postérieur sus-jacent. Le ligament longitudinal postérieur fusionne toutefois intimement avec l’anulus fibrosus du disque intervertébral à chaque niveau segmentaire. Anatomiquement, les ligaments longitudinaux sont inséparables de l’anulus fibrosus, excepté au niveau microscopique. Il n’est donc pas fondé de considérer les affections ligamentaires séparément de celles de l’anulus fibrosus (voir ci-après).


Par ailleurs, il n’existe des données enregistrées que pour deux ligaments importants du rachis lombal (les ligaments interépineux et iliolombal) comme sources de lombalgie.



Ligaments interépineux


Les ligaments interépineux reçoivent une innervation des branches médiales des rameaux dorsaux lombaux [44,105,124127]. La stimulation expérimentale du ligament interépineux engendre une lombalgie et une douleur projetée dans les extrémités inférieures [190192]. Le ligament interépineux représente ainsi une source de lombalgie intéressante.


Les études postmortem ont montré que les ligaments interépineux sont fréquemment « dégénérés » dans leur partie centrale [186], mais on ne sait pas si de telles lésions sont algiques. Par ailleurs, il est concevable que les ligaments interépineux puissent être déformés à la suite de flexions excessives des segments lombaux mobiles. Les preuves manquent encore à présent, même en comparant la présence, dans les antécédents médicaux, d’une sensibilité interépineuse au toucher dans le plan médian et le soulagement de la douleur à la suite d’une infiltration d’un anesthésique local.


Les études cliniques sur la prévalence des entorses du ligament interépineux donnent à réfléchir. Steindler et Luck [193] ont rapporté que, dans une population hétérogène de 145 patients, 13 ont été complètement soulagés de leur douleur après l’anesthésie des ligaments interépineux, suggérant une prévalence inférieure à 10 %. L’audit récent d’un centre de traitement des troubles musculosquelettiques n’a retrouvé que 10 patients dans une série de 230 dont la douleur a pu être soulagée en anesthésiant un ligament interépineux [194]. La prévalence observée de 4 % doit être interprétée comme une estimation dans le meilleur des cas, car ces injections n’ont pas été contrôlées.



Ligament iliolombal


L’innervation du ligament iliolombal n’a pas été démontrée catégoriquement, mais celui-ci est vraisemblablement innervé par les rameaux dorsaux ou ventraux des nerfs spinaux L4 et L5. Le ligament iliolombal sert biomécaniquement à résister à la flexion, à la rotation et à la flexion latérale de la vertèbre L5 [195197], et pourrait donc être lésé lors de tels mouvements. Cependant, les données associant le ligament iliolombal à la lombalgie sont peu probantes.


Quelques chercheurs ont considéré que la sensibilité au toucher de l’épine iliaque postéro-supérieure était un signe d’entorse du ligament iliolombal [198], ce qui est difficile à croire, car le ligament repose antérieurement à l’ilium et il est recouvert par le corps des spinaux et du multifidus. La sensibilité de cette région ne peut donc pas être imputée au ligament iliolombal. Certains ont prétendu avoir soulagé une lombalgie en infiltrant le ligament iliolombal [199], mais la localisation profonde de ce dernier ne permet pas de garantir que le ligament a été précisément ou sélectivement infiltré sans confirmation radiologique.


D’autres chercheurs ont fait preuve de plus de circonspection en interprétant la sensibilité au toucher près de l’épine iliaque postérosupérieure et se sont interrogés sur l’origine douloureuse du ligament iliolombal, de l’articulation lombosacrale et des muscles spinaux [200202]. Les études radiographiques sur les injections des zones sensibles n’ont pas révélé de diffusion dans le ligament iliolombal mais en profondeur, le long de la crête iliaque [198]. Cette entité a par conséquent été placée dans la rubrique « syndrome de la crête iliaque » [200,201], et certains la mentionnent simplement sous le nom d’« entorse lombosacrale » [202].


Les chercheurs ont négligé le fait que la zone de sensibilité au toucher du syndrome de la crête iliaque recouvre le site d’attache de l’aponévrose lombale intermusculaire (ALI), qui constitue un tendon commun pour les fibres lombales du longissimus [203,204]. L’ALI s’attache sur la crête iliaque, rostromédialement à l’épine iliaque postérosupérieure, et présente une morphologie qui n’est pas différente de l’origine commune des extenseurs du coude. Une tendinopathie de l’ALI pourrait ainsi être à l’origine de la douleur et de la sensibilité au toucher de cette région. Par ailleurs, elle peut n’être qu’une sensibilité au toucher de la partie postérieure des muscles spinaux – classée dans différentes rubriques depuis de nombreuses années [202,205,206].


Quelle que soit la pathologie sous-jacente, la reconnaissance du syndrome de la crête iliaque a l’avantage de pouvoir éventuellement proposer un traitement spécifique. Le syndrome de la crête iliaque se définit à cet égard comme une simple sensibilité au toucher de la partie médiale de la crête iliaque ; le coefficient Kappa est de 0,57 pour ce diagnostic [207]. Il passe à 0,66 lorsque les critères sont élargis pour inclure la reproduction d’une douleur typique [207]. Ces chiffres indiquent que le syndrome peut être identifié. Sa prévalence semble être d’environ 30 à 50 % [200]. Cependant, tant que le syndrome n’est rien d’autre qu’une sensibilité au toucher, il n’est pas évident de savoir s’il s’agit d’une affection isolée ou d’un trait caractéristique résultant d’une conjonction d’autres sources et causes de lombalgies.


L’identification du syndrome n’a cependant que peu d’influence sur le traitement. L’injection de la zone avec un anesthésique local est considérablement plus efficace que l’injection d’une solution saline, mais seulement 50 % environ des patients en tirent un bienfait, et 30 % uniquement obtiennent une amélioration supérieure à 80 % [200].

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Apr 24, 2017 | Posted by in RADIOLOGIE | Comments Off on 15: Lombalgie

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