15: Les instabilités rotuliennes: Patellar instabilities


Les instabilités rotuliennes


Patellar instabilities




Résumé


Les instabilités rotuliennes ont une définition radioclinique associant luxations vraies de rotule et anomalies anatomiques. Quatre facteurs principaux isolés ou associés les caractérisent : la dysplasie de trochlée, une TA-GT excessive supérieure à 20 mm, une rotule haute avec un index de Caton et Deschamps supérieur à 1,2 et enfin une bascule rotulienne mesurée au scanner en extension supérieure à 20°. Quatre facteurs secondaires sont retrouvés sans seuil statistique : antéversion fémorale excessive, rotation externe dans le genou, genu recurvatum et genu valgum. Les anomalies anatomiques sont toujours bilatérales avec une traduction clinique unilatérale dans 60 % des cas. 75 % sont des filles, la première luxation est habituellement post-traumatique. Le diagnostic est établi par le bilan radiologique standard, le scanner n’étant nécessaire que s’il y a une décision chirurgicale. Le traitement conservateur peut être proposé en première intention mais, lorsque les luxations sont récidivantes, seule la chirurgie pourra stabiliser la rotule. L’algorithme thérapeutique corrige un à un tous les facteurs de l’instabilité. Les gestes sur la trochlée sont de deux types, soit une trochléoplastie de relèvement lorsque la trochlée est totalement plate, soit une trochléoplastie de creusement lorsque celle-ci est convexe. La bascule rotulienne est corrigée par une plastie du vaste interne, la hauteur et la TA-GT excessives nécessitent une médialisation et/ou un abaissement. Les indications chirurgicales sont rares avant la fin de la croissance car aucun geste osseux ne peut être proposé, seuls la libération du quadriceps de type Judet ou la plastie de Insall ou encore le transfert tendino-périosté de l’insertion tibiale du tendon rotulien sont possibles. En conclusion, l’instabilité rotulienne est une pathologie clairement définie avec un support anatomique. Les traitements chirurgicaux donnent de très bons résultats sur la stabilité mais sont encore perfectibles sur le plan de la douleur, il faut prendre garde à ne pas hypocorriger mais également à ne pas hypercorriger, d’où l’importance d’un bilan radiologique précis préopératoire permettant de contrôler le résultat.



Summary


The definition of patellar instability is based on clinical data with dislocation and radiological abnormalities. Four main factors are statistically correlated with instability. Trochlear dysplasia, AT-TG over 20 mm, patella alta with a Caton index over 1.2, patellar tilt over 20° measured with CT scan in extension. Four secondary instability factors without statistical significance are femoral anteversion, genu valgum, genu recurvatum and external tibial rotation. Anatomical abnormalities are always bilateral but dislocation occurs on one side in 60 % of cases. 75 % oj cases are female, the first dislocation is often post-traumatic. Diagnosis is based on standard X-rays, CT Scan is only necessary when surgical treatment is recommended. Conservative treatment is effective on stability, but in the case of recurrence, only surgery can stabilise the patella. Surgical treatment corrects the each of the anatomical abnormalities. An elevated trochleoplasty is indicated in the case of flat trochlea, if the trochlea is convex a deepening trochleoplasty is better. Patellar tilt is corrected with a VMO plasty, patellar height and excessive AT-TG need médialisation and/or tibial tubercle lowering. Surgical indications are rare before the end of the growth phase. No bony surgery is possible, only quadriceps release such as Judet or Insall plasty or a patellar tendon transfer can be performed. Patellar instability is well defined with an anatomic basis. Surgical treatment gives good results on stability but the results on pain could be improved. This surgery is difficult because under or over correction leads to a poor resuit, emphasizing the importance of pre-operative assessment.





Introduction Définition, cadre nosologique


Longtemps la définition de l’instabilité rotulienne a été uniquement clinique [5, 13].


On distinguait classiquement :



• les luxations permanentes lorsque la rotule est en position de luxation à la fois en extension et en flexion ;


• les luxations habituelles lorsque la rotule, bien centrée en extension et dans les premiers degrés, s’échappe et se luxe à chaque flexion dès 20°–30° ;


• les luxations récidivantes lorsqu’il existe des épisodes plus ou moins fréquents de luxation de rotule, avec, entre ces épisodes, un système extenseur qui fonctionne de façon normale. Cette forme clinique pose déjà des problèmes car très souvent le médecin ne constate pas la luxation externe de la rotule qui se réduit spontanément par la mise en extension de la jambe. L’anamnèse est donc imprécise, l’épisode de dérobement, d’instabilité pouvant relever d’autres causes que l’instabilité rotulienne. Parfois, on peut faire la preuve de l’existence de vraie luxation lorsqu’on observe sur les vues axiales, des ossifications latéro-rotuliennes internes, témoins pathognomoniques d’une fracture ostéocliondrale du versant interne de la rotule survenue au cours d’une ancienne luxation ;


• les subluxations récidivantes sont encore beaucoup plus sujettes à caution car l’instabilité est ici un caractère très subjectif pouvant relever tout aussi bien d’une vraie instabilité rotulienne que d’un réflexe inhibiteur quadricipital à point de départ musculaire, cartilagineux voire condylien ou méniscal sans qu’il y ait une instabilité mécanique de la rotule.


On ne doit parler d’instabilité rotulienne que lorsque la rotule en flexion ne s’engage pas ou s’engage mal dans la trochlée fémorale ou encore qu’elle s’échappe de cette trochlée fémorale entraînant une luxation externe de la rotule.


Ces dernières années, différents travaux ont permis de montrer que la population des instabilités rotuliennes vraies, mécaniques avait des caractéristiques anatomo-radiologiques bien définies, pratiquement pathognomoniques. Ce qui veut dire que ne fait pas qui veut une luxation de la rotule. Toute luxation, même traumatique, survient chez des patients qui présentent ces anomalies. Le traumatisme est donc plus un révélateur qu’une cause, même si, par lui-même il crée souvent des lésions secondaires non négligeables.


On peut dire aujourd’hui que l’instabilité rotulienne n’est plus seulement une entité clinique mais que son diagnostic repose sur des critères radiologiques et tomographiques précis et mesurables. Ces anomalies sont en fait les facteurs responsables de l’instabilité rotulienne que nous allons étudier à la fois sur le plan anatomique, radiologique et biomécanique.



Facteurs d’instabilité


Quatre facteurs peuvent être appelés principaux, ce sont :



La morphologie rotulienne est aussi très caractéristique des instabilités rotuliennes avec un versant externe très développé et un versant interne peu développé et souvent très vertical mais comme nous ne pensons pas que ce caractère puisse avoir une traduction thérapeutique, nous ne l’étudierons pas plus à fond.


Ces facteurs sont dits principaux parce qu’à partir d’un certain seuil de mesure, on ne les trouve plus que dans la population d’instabilité rotulienne alors qu’ils sont exceptionnels dans la population normale.


Quatre facteurs peuvent être appelés secondaires :



Ils sont comme les facteurs principaux significativement plus fréquents dans la population d’instabilité rotulienne mais il n’y a pas de notion de seuil. Un facteur secondaire peut très bien être excessif, par exemple un genu valgum, sans pour autant qu’il y ait une instabilité rotulienne.



Facteurs principaux



Trochlée fémorale (fig. 1 à 4)


La trochlée plate est le facteur le plus caractéristique et le plus fréquent. Pendant longtemps on a apprécié ce facteur uniquement sur l’angle trochléen mesuré sur les vues axiales à 30°. On estime que la trochlée est dysplasique si cet angle est supérieur à 140° mais cette anomalie n’existe que dans le tiers des cas d’instabilité rotulienne. Lorsque l’angle trochléen est plat ou presque, on parle de faible pente externe et l’on évoquait une dysplasie du condyle externe qui serait moins développé que l’interne. En fait, des études précises [34] de simples radiographies de profil [11, 12] visualisant bien les condyles et des études par tomodensitométrie ont modifié ces données et ces concepts. La dysplasie de la trochlée doit être interprétée comme un comblement du fond de la trochlée. Cette dysplasie prédomine au sommet de la trochlée. Il y a toujours un endroit, plus ou moins haut, où la trochlée devient complètement plate ; c’est-à-dire que le fond de la trochlée est au même niveau que ses versants externe et interne. Dans les cas graves, cette absence de creusement se continue vers le bas et l’angle trochléen à 30° est un bon signe de gravité quand il est anormal ; dans les cas plus bénins, la trochlée se creuse rapidement et devient normale avant 30°. Sur des radiographies de profil avec un bon alignement postérieur et inférieur des deux condyles, on peut toujours voir le point où la trochlée devient plate : c’est, lorsque la ligne de fond de la trochlée croise le bord antérieur du condyle externe. Ce signe du croisement est pathognomonique des instabilités rotuliennes. Très souvent, ce croisement s’accompagne d’un bec ostéophytique lui aussi très caractéristique.






Le croisement de la ligne de fond avec le condyle interne n’a pas de signification pathologique car le versant interne de la trochlée se termine dans 50 % des cas avant le versant externe ; au-dessus de ce croisement, il n’y a plus de versant interne de la trochlée mais il ne s’agit pas d’une dysplasie.


Un autre élément radiographique montre bien le comblement, c’est la saillie antérieure de la trochlée.


Si l’on considère la corticale antérieure du fémur et si l’on prolonge cette ligne vers le bas, on se rend compte que dans la population normale et dans la plupart des cas, la ligne de fond de la trochlée se termine plutôt en arrière de cette ligne. Parfois, elle est tangente, parfois elle est en avant faisant saillie par rapport à la corticale antérieure fémorale mais cette saillie n’excède jamais 1 à 3 mm. Au contraire, dans la population des instabilités rotuliennes objectives (IRO), la ligne de fond se termine presque toujours en avant, et la saillie qu’elle entraîne est de l’ordre de 3 à 7 mm.


C’est la tomodensitométrie qui précise le mieux le comblement de la trochlée, la coupe la plus intéressante, le genou étant en extension, se situe au niveau où l’échancrure intercondylienne a une forme bien régulière de voûte romane ; cette coupe repère la partie la plus haute de la trochlée. Le versant trochléen externe apparaît presque horizontal voire même parfois convexe dessinant une sorte de falaise s’arrêtant brusquement du côté interne, ce qui exprime bien le comblement puisque la trochlée apparaît en superstructure par rapport au condyle interne.


La faible pente externe rend évidemment très peu rétentive cette trochlée qui ne peut guère s’opposer aux forces de subluxation externe qui se développent dès que le genou se met en flexion et rotation externe. Mais il y a plus, la saillie gêne l’engagement de la rotule, elle est la source d’un conflit avec la rotule cartilagineuse qui vient buter sur elle dès les premiers degrés de flexion. C’est certainement ce qui explique les chondromalacies profondes fissuraires en barre transversale que l’on observe très souvent dans les instabilités rotuliennes à l’union du tiers moyen et du tiers inférieur.


Cette dysplasie parfaitement bien définie par les radiographies et la tomodensitométrie est retrouvée dans 96 % de la population des instabilités rotuliennes objectives [3], c’est-à-dire ayant présenté une ou plusieurs luxations de rotule. On ne la retrouve que dans 3 % de la population normale ; par contre, dans les syndromes rotuliens douloureux où il n’y a pas de luxation, cette dysplasie est retrouvée dans 12 % des cas. Cette notion est très importante montrant la parenté de certains syndromes rotuliens douloureux et des instabilités rotuliennes objectives. On peut appeler cette population ayant une dysplasie de la trochlée et un tableau clinique de syndrome rotulien douloureux, les instabilités rotuliennes potentielles.


On peut opposer les dysplasies bénignes où le croisement se fait au sommet de la trochlée et/ou, à partir de là, la trochlée se creuse rapidement, la saillie ne dépasse pas 3 mm, la ligne de fond se situant rapidement à 3 ou 4 mm en arrière du bord antérieur des condyles.


Mais parfois ce creusement se fait mal, la ligne de fond restant à 1,2 mm seulement du bord antérieur des condyles, il s’agit là d’une dysplasie plus sérieuse.


Les dysplasies graves sont définies par un signe du croisement qui se fait à 1 cm et plus du sommet. La trochlée étant complètement plate sur toute cette distance, le croisement se poursuit vers le haut par une seule ligne. Très souvent, c’est ici que l’on note un bec ostéophytique terminant la ligne de fond avec une saillie de 5 à 7 mm.



TA-GT excessive


Le système quadriceps-rotule-tendon rotulien forme une angulation externe responsable d’une force de subluxation externe de la rotule dès qu’il y a une contraction du quadriceps. Cette force est d’autant plus grande que le genou se met en rotation externe. C’est la notion d’angle Q des Anglo-Saxons, c’est également la baïonnette d’Albert Trillat mais l’appréciation uniquement clinique est très approximative et c’est le mérite de Goutallier et Bernageau [6] d’avoir essayé de quantifier d’une façon fiable et reproductible cette angulation. L’implantation plus ou moins externe de la tubérosité tibiale antérieure sur laquelle est inséré le tendon est exprimée en millimètres par rapport à la gorge de la trochlée sur une projection parallèle à la ligne des condyles postérieurs. Actuellement, cette mesure est réalisée grâce à des coupes tomodensitométriques. Goutallier et Bernageau ont proposé de la mesurer en flexion du genou à 30°, d’autres auteurs la mesurent en extension. Cette mesure est fiable, répétitive mais il faut savoir que sa précision n’est pas parfaite, la marge d’erreur étant de ± 4 mm. L’extension du genou s’accompagnant toujours d’une rotation externe automatique, la TA-GT sera plus grande en extension qu’en flexion. Lorsqu’on mesure la TA-GT en extension, on peut admettre que le seuil de normalité est de 20 mm. Dans la population des IRO 56 % des patients ont une TA-GT ≥ 20 mm alors que dans la population des sujets normaux il y en a seulement 3 % qui arrivent à ce chiffre de 20 mm. Lorsqu’on mesure la TA-GT en flexion à 30°, le seuil de normalité s’abaisse à 14 mm. À noter que la TA-GT est tout à fait indépendante de la torsion tibiale externe ; par contre, elle est très influencée par la rotation externe du genou.


Goutallier a montré que la TA-GT en extension diminuait avec l’âge traduisant le fait que le genou perd peu à peu de la rotation externe.



Rotule haute


C’est un facteur d’instabilité très important. Rare dans les formes majeures d’instabilité (luxation permanente et habituelle), c’est lui qui donne les formes les plus instables des luxations récidivantes avec signe de Smillie spectaculaire. De nombreux indices ont été proposés pour mesurer avec précision cette hauteur ; bien qu’ils concordent tous, ils présentent des insuffisances ou des difficultés d’appréciation.


Nous citerons la mesure de Bernageau qui se pratique genou en extension, quadriceps contracté. Elle apprécie la distance qui sépare le bord supérieur de la trochlée et la partie basse de la surface articulaire rotulienne. C’est une bonne image du défaut d’engagement caractéristique des rotules hautes.


L’index de Caton et Deschamps [2] (fig. 5 et 6) dérivé de l’index d’Insall a l’intérêt de proposer des chiffres précis en vue d’un abaissement éventuel de la tubérosité tibiale antérieure ; c’est l’indice le plus employé en France.


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Apr 27, 2017 | Posted by in CHIRURGIE | Comments Off on 15: Les instabilités rotuliennes: Patellar instabilities

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