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Chirurgie de la cheville et du pied
Fractures
Fractures du pilon tibial (figures 15.1 et 15.2)
Elles font le plus souvent suite à un traumatisme à haute énergie (chute de hauteur, accident de la voie publique) avec un risque élevé de complications cutanées (immédiates en cas de fracture ouverte ou secondaires liées à l’hématome avec risque de nécrose cutanée).
On distingue les fractures parcellaires et les fractures complètes. Elles sont toutes articulaires et comportent donc un risque d’évolution arthrosique tibiotalienne à moyen ou long terme, ce qui en fait leur gravité fonctionnelle.
Le bilan d’imagerie avec tomodensitométrie et reconstructions est très utile afin de mieux préciser les différents traits et leurs déplacements.
Fractures parcellaires
Fractures du tubercule tibial antérolatéral (fracture de Tillaux)
Elles se voient en fin de croissance (aux alentours de 12–15 ans) en raison de la fermeture tardive du cartilage de croissance à ce niveau avec arrachement du tubercule tibial antérolatéral, solidaire du ligament tibiofibulaire antérieur distal.
Elles font suite à des traumatismes en rotation latérale forcée de la cheville.
Elles sont quasiment toujours déplacées avec incarcération capsulopériostée et nécessitent une réduction chirurgicale.
Fractures marginales antérieures
Elles surviennent après un traumatisme avec compression et flexion dorsale forcée de la cheville.
Il existe très souvent une impaction et une comminution du fragment marginal antérieur.
Après réduction et ostéosynthèse stable il est parfois nécessaire de réaliser une greffe spongieuse afin de combler la perte de substance liée à l’impaction et éviter le déplacement secondaire.
Les lésions chondrales sont quasi constantes et l’évolution se fait très souvent vers l’enraidissement et l’arthrose tibiotalienne.
Traitement
Le traitement dépend du déplacement au niveau de l’interligne articulaire. Il peut être orthopédique ou chirurgical.
En cas d’intervention l’état cutané doit être vérifié pour s’assurer qu’il n’y a pas d’œdème ou de lésions compliquant l’abord chirurgical (risque de nécrose cicatricielle, de désunion, d’infection).
La voie d’abord doit être adaptée au type de fracture. L’ostéosynthèse est le plus souvent réalisée après abord direct et fixation par plaque et vis.
On peut parfois réaliser une ostéosynthèse a minima (vissage) protégée par fixateur externe.
En cas de fracture ouverte, l’ostéosynthèse est réalisée à l’aide d’un fixateur externe tibiocalcanéen.
L’appui est autorisé à partir du 3e mois. Les principales complications sont immédiates et essentiellement cutanées avec nécrose, désunion et infection. Les complications plus tardives sont l’enraidissement articulaire, l’algodystrophie et l’arthrose tibiotalienne secondaire.
Fractures bimalléolaires (figure 15.3)
Les fractures bimalléolaires sont très fréquentes chez l’adulte.
Elles associent une fracture de malléole latérale et une de la malléole médiale.
Elles font suite à des traumatismes en torsion ou varus/valgus de la cheville (pied bloqué au sol et cinétique du corps aggravant la contrainte et aboutissant à une fracture).
On distingue trois types de fractures en fonction du trait sur la malléole latérale :
• les fractures bimalléolaires sous-tuberculaires (ou sous-ligamentaires) : le trait de fracture malléolaire latéral est distal, horizontal, situé sous le plan des ligaments de la syndesmose tibiofibulaire distale (d’où leur nom : sous-tuberculaires ou sous-ligamentaires). Elles font suite à un traumatisme en varus pur de la cheville et représentent 10 % des fractures bimalléolaires. Le trait de fracture malléolaire médiale est oblique ascendant (presque vertical) depuis le bord médial du pilon tibial jusqu’à la corticale métaphysaire médiale tibiale. Il s’agit souvent d’un gros fragment malléolaire médial avec impaction ostéochondrale et comminution au niveau du pilon tibial ;
• les fractures inter-tuberculaires (ou interligamentaires) : le trait de fracture malléolaire latéral est oblique ou spiroïde de proximal postérieur à distal antérieur, situé au niveau des ligaments de la syndesmose de sorte que le fragment proximal reste solidaire du ligament tibiofibulaire distal antérieur et le fragment distal est solidaire du ligament tibiofibulaire distal postérieur. Ces fractures sont très fréquentes (75 %) et font suite à un traumatisme en éversion (associant flexion dorsale, rotation latérale et valgus forcés de la cheville). Le trait malléolaire médial est oblique, plus ou moins comminutif et plus ou moins distal ;
• les fractures sus-tuberculaires (ou supraligamentaires) : le trait de fracture malléolaire latéral est haut situé, diaphysaire. Parfois la fracture fibulaire est située sur le col de la fibula (fracture de Maisonneuve). Ces fractures représentent 15 % des fractures bimalléolaires et font suite à un traumatisme en valgus pur de la cheville : l’arrière-pied bloqué, la force s’exerce de latéral à médial avec une fracture haute de la fibula puis les forces vont passer par la syndesmose avec rupture des ligaments puis finir au niveau de la malléole médiale. Le trait malléolaire médial est horizontal et distal. Ces fractures ont un pronostic plus grave puisqu’elles sont associées à une rupture des ligaments de la syndesmose avec diastasis intertibiofibulaire évoluant vers l’arthrose tibiotalienne.
Les fractures bimalléolaires peuvent être compliquées d’emblée d’ouverture cutanée qui siège généralement 1 à 2 cm au-dessus du trait de fracture malléolaire médiale.
Elles peuvent être associées à une luxation de cheville ou une fracture marginale postérieure du tibia.
Le traitement de la quasi-totalité des fractures bimalléolaires est chirurgical avec réduction et ostéosynthèse (vissage, haubannage, brochage, plaque).
Seules les fractures strictement sans déplacement sont traitées orthopédiquement et en cas de contre-indication d’ordre général ou local.
Après ostéosynthèse, la cheville est immobilisée dans une botte sans appui 45 jours puis l’appui est repris progressivement.
Les complications plus tardives sont l’enraidissement articulaire, l’algodystrophie et l’arthrose tibiotalienne secondaire.
Fractures du talus (figure 15.4)
Ces fractures sont relativement rares et on distingue les fractures parcellaires et les fractures complètes du talus.
Les fractures du processus latéral du talus (fractures du snowboarder) surviennent après traumatisme en flexion dorsale et valgus forcé de la cheville. Le fragment fracturé peut être de taille variable. Ces fractures sont souvent méconnues et l’analyse tomodensitométrique avec reconstructions est nécessaire pour permettre le diagnostic. Le traitement peut être orthopédique pour les fractures non déplacées ou celles intéressant un fragment de petite taille. Dans les autres cas le traitement est chirurgical (à ciel ouvert ou sous arthroscopie) avec ostéosynthèse ou résection simple du fragment fracturé.
Les fractures du processus postérieur du talus font suite à un traumatisme en flexion plantaire forcée de la cheville. Le traitement peut être orthopédique mais en cas de persistance de douleurs postérieures (conflit postérieur de cheville) il faut envisager la résection du fragment fracturé.
Les fractures complètes du talus sont rares, elles sont situées au niveau du corps et du col du talus et font souvent suite à des traumatismes en compression (chute d’un lieu élevé). Elles peuvent être associées à une énucléation du talus avec luxation du corps du talus. Le trait peut être dans un plan frontal ou sagittal. Les fractures à trait frontal sont les plus instables avec séparation d’un fragment postérieur corporéal et risque de nécrose de celui-ci ou d’évolution vers la pseudarthrose. Le traitement repose sur la réduction avec ostéosynthèse à ciel ouvert ou sous contrôle arthroscopique. L’appui n’est repris qu’à partir du 3e mois. Les principaux risques liés à ces fractures sont la nécrose du corps du talus avec risque d’arthrose secondaire et la pseudarthrose.
Fractures du calcanéus (figure 15.5)
On distingue les fractures articulaires et les fractures extra-articulaires du calcanéus.
Ces fractures font très souvent suite à des traumatismes en compression (chute d’un lieu élevé) et peuvent être associées à d’autres lésions osseuses (fracture de plateau tibial, fracture du fémur, fracture du cotyle, fracture du rachis).
La principale complication immédiate des fractures du calcanéus est cutanée en raison de l’œdème important de l’arrière-pied qui apparaît dans les premières 24 heures avec risque de phlyctènes et de nécrose cutanée.
En cas d’intervention chirurgicale il faut souvent différer le geste de quelques jours le temps que l’œdème diminue (surélévation du pied, glaçage, anti-inflammatoires).
Dans les fractures articulaires, le trait de fracture passe par la surface thalamique du calcanéus en séparant un fragment médial et un fragment latéral. Il existe souvent des refends, une comminution articulaire et surtout un enfoncement de la surface thalamique responsable de la perte de hauteur du calcanéus, de l’aspect de pied-plat. Le déplacement de la grosse tubérosité est responsable d’un valgus de l’arrière-pied. L’indication opératoire dépend de l’importance du déplacement au niveau de la surface articulaire.
Fractures de la base du 5e métatarsien
Ces fractures surviennent lors des traumatismes en varus équin de la cheville et accompagnent certaines entorses de cheville. Elles sont dues à la traction du tendon du court fibulaire.
Leur traitement est avant tout orthopédique avec parfois nécessité d’une immobilisation par botte. Le traitement chirurgical est parfois indiqué en cas de déplacement important ou chez les sportifs.
Le principal risque de ces fractures est l’évolution vers la pseudarthrose.
Entorses et luxations
Entorses de la cheville et séquelles
Traumatisme le plus fréquent du membre inférieur, l’entorse de cheville fait suite à un mouvement de varus équin et rotation médiale forcé de la cheville (traumatisme en inversion). Il existe trois stades d’atteinte du plan ligamentaire collatéral latéral en fonction de l’étendue des lésions :
• stade 1 : simple élongation du ligament talofibulaire antérieur ;
• stade 2 : rupture du ligament talofibulaire antérieur et élongation du ligament calcanéofibulaire ;
• stade 3 : rupture des ligaments talofibulaire antérieur et calcanéofibulaire avec élongation du ligament talofibulaire postérieur.
Les patients se présentent avec un hématome sous et prémalléolaire latéral et une douleur en regard du ligament talofibulaire antérieur et du ligament calcanéofibulaire.
Les manœuvres à la recherche d’une laxité sont inutiles au stade aigu.
L’examen doit alors rechercher des douleurs à la palpation des reliefs osseux (base du 5e métatarsien, pointe de la malléole latérale, naviculaire, malléole médiale) et une impossibilité à la marche qui doivent faire réaliser un bilan radiographique de face et de profil à la recherche de fracture associée.
Le traitement de l’entorse de cheville au stade aigu repose sur le protocole RICE (Rest – Ice cooling – Compression – Elevation) pour permettre une diminution rapide des phénomènes œdémateux et réaliser un nouvel examen clinique de la cheville à 5 jours environ pour statuer sur la gravité et adapter la prise en charge.
Une immobilisation par attelle amovible avec appui complet est mise en place dès le 1er jour afin d’éviter un nouveau traumatisme en varus équin forcé et surtout de favoriser le travail proprioceptif par l’appui complet immédiat et la reprise de la marche.
Après la phase douloureuse, de la rééducation proprioceptive est entreprise dès que possible afin de récupérer un bon contrôle des fibulaires et une bonne stabilité de la cheville.
La principale séquelle des entorses de la cheville est représentée par l’instabilité chronique latérale de cheville responsable d’entorses à répétition. Elle peut être liée à une laxité anormale ou à un trouble proprioceptif.
Le premier traitement de l’instabilité chronique de la cheville repose sur la rééducation proprioceptive. En cas de persistance d’instabilité sur laxité, une intervention de stabilisation de la cheville peut être proposée (réparation anatomique ou ligamentoplastie de la cheville).
Après une entorse de cheville peuvent apparaître :
• des conflits de cheville par interposition de tissu synovial inflammatoire ; conflit antérieur ou conflit postérieur. Il s’agit de douleurs mécaniques antérieures aggravées par les mouvements de flexion dorsale forcée pour les conflits antérieurs et de douleurs postérieures aggravées par les mouvements de flexion plantaire forcée pour les conflits postérieurs. Les infiltrations permettent de confirmer le diagnostic et de faire disparaître les symptômes dans certains cas. En cas de persistance le traitement est essentiellement arthroscopique avec synovectomie partielle et résection des éventuels ostéophytes ;
• des lésions ostéochondrales du dôme du talus. Il peut s’agir précocement de fractures ostéochondrales, plutôt sur le versant antérolatéral de la cheville, responsables de douleurs et de blocages et nécessitant généralement une intervention pour résection ou fixation du fragment, le plus souvent sous arthroscopie. Plus tardivement peuvent apparaître des lésions ostéochondrales à type de nécrose ou de géodes avec atteinte du cartilage, de la plaque sous-chondrale et de l’os spongieux. Lorsque ces lésions sont symptomatiques (douleurs profondes mécaniques), le traitement est chirurgical avec principalement curetage et microperforations de ces lésions sous contrôle arthroscopique. En cas de lésions volumineuses ou d’échec, un comblement avec greffe spongieuse ou ostéochondrale est envisageable ;
• de l’arthrose tibiotalienne secondaire à l’instabilité chronique et aux micromouvements anormaux répétés. Cette arthrose est responsable de douleurs profondes chroniques avec enraidissement et blocages. En cas d’échec des traitements conservateurs, une intervention chirurgicale peut être proposée : arthrodèse ou prothèse de cheville.